BNF : http://ark.bnf.fr/ark:/12148/cb12497636b

Les Maîtres de Poste (15.. – n. c.)

: France. Postes

« II ne saurait être, question ici de la Poste au point de vue de l’échange des correspondances ou des facilités de communication. Mais la Poste a eu, jusqu’au milieu du XIXe siècle, un caractère hippique important. Les Maîtres de Poste ont beaucoup aidé à l’élevage français et ont opposé à sa ruine une digue puissante, déjà pendant les guerres civiles, religieuses et étrangères des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, mais surtout au moment de la destruction des haras, puis des confiscations et réquisitions de l’époque révolutionnaire[1] qui ont absorbé toutes les ressources chevalines présentes et futures de la France et qui n’ont respecté que la Poste aux Chevaux, dont les terribles législateurs de la Convention étaient bien obligés de reconnaître l’indispensable nécessité, ne fût-ce que pour leur usage personnel. Il faut lire, à ce sujet, les pages saisissantes d’Huzard (le père) dans son Instruction sur l’amélioration des Chevaux en France, Paris, An X : « De longtemps il (le Cultivateur) n’oubliera les réquisitions et la manière désastreuse dont le plus grand nombre d’entre elles ont été faites. C’étoit peu d’enlever les chevaux et les jumens qui auroient pu soutenir la beauté et la bonté de nos races; c’étoit peu d’arracher, sans discernement au Commerce et à l’Agriculture, tout ce qui pouvoit servir aux armées. Le choix tombait encore, et de préférence, sur l’étalon, sur les juments poulinières, sur les poulains de la plus belle espérance... Les choses en étaient venues au point que les plus beaux chevaux, jadis l’orgueil du laboureur, devenaient pour lui un sujet de crainte et une source de misère, qui le forçoient, pour son propre intérêt, à s’en débarrasser à quelque prix que ce fût, pour échapper au fléau de la réquisition, et à les remplacer par des individus tarés et assez défectueux pour être jugés indignes, ou plutôt incapables, de faire le service des armées. »« On a vu le Cultivateur, à cette époque, rejetter les animaux de choix, s’attacher de préférence à ceux de rebut et ne prévoyant pas le terme de ses craintes, tirer volontairement race de ces derniers... »
L’Empire aussi fit une terrible consommation de chevaux, mais les conquêtes pourvurent en grande partie à leur remplacement. De plus, le rétablissement des Haras en 1806, ainsi que quelques autres mesures de prévoyance assurèrent au moins l’avenir, et, en ce qui concerne particulièrement les Maîtres de Poste, l’Empereur prit des dispositions protectrices de leur industrie, surtout quand il exigea d’eux le dur service des Estafettes, créé par Lavalette en 1805[2].
Ce sont donc les Maîtres de Poste dont le régime de la Terreur respecta les écuries, dont l’Empire assura l’existence et la conservation, qui ont, à ces époques troublées, sauvé l’élevage français, tout au moins celui du cheval de trait léger. Cet élevage spécial a d’ailleurs été gravement atteint par la disparition des relais. Le camionnage et les transports des gares à l’intérieur des villes ont sans doute employé à peu près le même nombre de chevaux que les postes; mais, pour ces courtes distances, les besoins n’étaient plus les mêmes et le cheval de trait léger a bientôt fait place au lourd camionneur uniquement fait pour le pas. Cette transformation, clairement exposée par M. de Salverte, dans son Étude sur le Cheval de Trait, a atteint divers intérêts et notamment la remonte de l’Artillerie[3]. On connaît les tentatives récentes, particulièrement couronnées de succès en Bretagne, pour reconstituer une race de solides et vigoureux postiers. Leur industrie contribua encore à la production chevaline à un autre point de vue. Ils étaient, en effet, non seulement gros consommateurs de forts et rapides chevaux, et poussaient ainsi l’élevage à une production abondante, sélectionnée et améliorée, mais ils étaient eux-mêmes cultivateurs-éleveurs[4]. Déjà Henri IV les avait autorisés « à tenir à Ferme d’autrui jusqu’à 50 arpens de terre sans déroger à leur privilège ». En 1668, Louis XIV leur permit d’exploiter « jusqu’à 50 arpens, tant de leur propre que de ce qu’ils tiendraient à ferme d’autrui ». Plus tard, ils purent tenir 60 arpens à ferme, non compris leurs propres héritages, le tout exempt de tailles et d’impôts; enfin, toute limite fut supprimée et, en 1832, les Maîtres de Poste cultivaient 132.000 hectares de terre. Quelques-uns avaient une exploitation assez considérable pour recruter sur leurs propres terres une bonne partie de leur cavalerie, laquelle ne se composait guère que de chevaux entiers et de juments[5]. On voit ainsi quels services, nombreux et divers, les Maîtres de Poste rendirent à l’élevage français.
En dehors de la part prise par l’institution de la Poste aux Chevaux à la production chevaline, d’autres questions hippiques, intéressantes à examiner, s’y rattachent : comment les chevaux de poste étaient-ils recrutés, nourris et entretenus; quel était leur nombre, leur travail quotidien et, par conséquent, quelle était la distance représentée par l’unité appelée Poste, et celle moyenne du relais; comment les voitures étaient-elles attelées et conduites; quels étaient les droits et les obligations des Maîtres de Poste qui fournissaient les chevaux, et des fonctionnaires ou particuliers qui s’en servaient ? etc.
Le détail des innombrables Ordonnances royales, Instructions ministérielles, Décrets, Lois et Règlements qui assuraient le fonctionnement des Postes aux Chevaux remplirait plusieurs gros volumes. Il serait donc impossible de les donner ici. Mais on trouvera ci-après la nomenclature des principaux ouvrages qui traitent de ces questions sous le rapport hippique, c’est-à-dire jusqu’au remplacement des Postes aux Chevaux par les Chemins de fer[6], et en laissant de côté ceux qui ne concernent que la Poste aux lettres, le transport des correspondances, des voyageurs et des marchandises.(…) On peut encore consulter, pour les obligations des Maîtres de Poste envers les particuliers et réciproquement, le prix des chevaux, etc., les petits livres publiés presque annuellement par l’administration depuis le commencement du XVIIIe siècle jusqu’à la disparition des derniers relais sous le second Empire, sous les titres de Liste générale des Postes de France, Livre de Poste, État général des Postes et Relais, etc.[7]. Au commencement de ces ouvrages se trouve toujours un extrait des règlements que les voyageurs et les courriers ont intérêt à connaitre. Enfin, on trouvera aussi des pièces intéressant les Postes aux Chevaux et les Maîtres de Poste dans le recueil factice de jurisprudence constitué au XVIIIe siècle, bien connu sous le nom de Recueil Thoisy, et qui se trouve à la Bibliothèque Nationale. La Bibliographie sur les Postes qui termine l’ouvrage de M. Anxionnat fournit également d’utiles renseignements.
Ainsi que je l’ai dit plus haut, je n’ai cité ici ni les dictionnaires, ni les nombreux ouvrages historiques ou anecdotiques publiés sur les Postes et dans lesquels les questions hippiques ne sont pas abordées. » Mennessier de La Lance (1915-1921)


1.Voici les principales de ces mesures destructives : Suppression des privilèges des Maîtres de Poste dans la nuit du 4 août 1789 — Suppression des Haras (31 Août 1790) — Vente des étalons de l’État (19 Nov. 1790) — Confiscation des chevaux de la Garde du Roi qui se trouvent à l’École Militaire (12 Août 1792) — Loi relative aux chevaux de selle et de voiture des Émigrés (27 Août 1792) — Loi qui autorise le Ministre de la Guerre à se servir des chevaux de Poste pour le transport des canons (mais pour une circonstance déterminée seulement) (3 Sept. 1792) — Loi relative a la fourniture des Chevaux, Voitures et Charriots pour le service des Armées (9 Sept. 1792) — Décret de la Convention mettant les Voitures et les Chevaux de la ci-devant Cour à la disposition des Généraux et des Officiers de l’Armée (15 Oct. 1792. Pour l’exécution de cette mesure, voyez Bouchotte) — Décret de la Convention sur la levée de 30.000 h. de troupes à cheval (16 Avril 1793. Les chevaux étaient fournis par les départements) — Décret de la Convention sur le même sujet (27 juin 1793. Celui-ci vise les chevaux de luxe et ceux des Émigrés) — Décret de la Convention qui ordonne la déclaration devant les Municipalités de tous les Chevaux de luxe, de selle ou de trait non employés à l’Agriculture (29 Août 1793, Sur l’exécution de ce décret, sur le désordre, le gaspillage et l’arbitraire qui le caractérisèrent, ainsi que celui du 15 oct. 1792, voyez Bouchotte) — Décret de la Convention qui met les Mulets en réquisition (14 Sept. 1793) — Décret de la Convention relatif à une levée de Chevaux dans toute l’étendue de la République (17e jour du 1er mois de l’an 2e) — Décret de la Convention qui fixe le minimum de Chevaux en réquisition par canton (27e jour du 1er mois de l’an second) — Décret de la Convention qui approuve les mesures prises par les Représentans du Peuple pour la levée des Chevaux (14 Nivôse An second) — Décret de la Convention qui ordonne une levée extraordinaire Chevaux et Mulets (18 Germinal An second) — etc., etc. Tous ces décrets sont suivis d’instructions particulières pour leur exécution. Mais il y eut aussi — au moins sur le papier — quelques mesures conservatrices : Décret du 26 Avril 1790, promulgué le 5 Mai par le Roi et accordant une indemnité aux Maîtres de Poste pour la suppression de leurs privilègesDécret des 24-30 Juillet 1793 qui exempte leurs personnes, leurs employés, leurs postillons, leurs chevaux, leurs fourrages, provisions, etc., de toute saisie ou réquisition. (C’est le plus important) — Arrêté du Comité de Salut public du 18 Floréal An II, prescrivant aux Municipalités chargées de procéder à la levée des Chevaux décrétée le 15 Germinal de n’y comprendre ni les Juments pleines ou nourrices, ni les Étalons ou Chevaux destinés «notoirement» à la reproduction. Mais ce « notoirement » était bien élastique, et Huzard, dans le passage cité ci-dessus, nous apprend de quel effet ces bonnes intentions furent suivies — Loi du 29 Brumaire An III relative aux avances à accorder aux Maîtres de Postes, pour achat de chevaux, etc.
2.Incidemment, il est permis de remarquer que l’Empereur manquait de connaissances hippologiques et que cette lacune, bien mise en lumière par M. Bidault dans son ouvrage Les Chevaux de l’Armée sous la République et l’Empire, contribua pour une certaine part à l’effroyable consommation de chevaux due aux guerres de l’époque impériale.
4.Comme exemple d’un Maître de Poste cultivateur éleveur, voyez Flandre-Despinay qui élevait aussi des chevaux de selle.
5.L’effectif total de cette cavalerie était variable; on peut l’estimer à plus de 20.000 chevaux vers 1840.
6.D’après Jouhaud, il existait 1830 relais en 1841. Ils disparurent successivement à mesure des progrès des Chemins de fer. Celui de Rouen dura jusqu’en 1872; celui de Paris, conservé par l’Empereur Napoléon III pour ses déplacements à Saint-Cloud et à Versailles, disparut le dernier, en 1873. (Anxionnat.)
7.Le dernier Livre de Poste qui ait été publié par l’Administration a paru vers 1859.