Guillaume Henry : « je ne manque pas de projets en matière de culture équestre »

Et de deux ! Chevalier de l’Ordre du Mérite Agricole depuis quelques années, Guillaume Henry est devenu Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres lors de l’intéressant colloque sur le Cheval à Paris à travers les âges (déc 2023), organisé à La maison de la Chasse, par la Mission Française pour la Culture Équestre, présidée par Alain Francqueville.
Une reconnaissance, un mérite et une remise de cette distinction au terme d’un très élogieux discours de Pascal Liévaux, conservateur général du patrimoine acquis à la cause du cheval, qui représentait Rima Abdul Malak alors Ministre de la Culture.
En guise de réponse à cet éloquent discours, l’intéressé a évoqué évidemment cette indécrottable passion qui l’anime depuis l’enfance, un environnement familial hier, comme aujourd’hui, plus que favorable et le « cancre » qu’il aurait été. Vrai ou faux ? Souvenirs, émotions, environnement, enseignements d’enfance, qui expliqueraient la suite d’un parcours bien rempli par ce quinquagénaire qui n’a pas dit son dernier mot ?

X.L. - Les premiers galops ?
G.H. - Dans un poney club, là où j’ai grandi, avec mon frère, en Dordogne. J’ai été mis très tôt à poney. J’aime parfois raconter, pour rire, avoir eu une paire de rênes à la place d’un hochet. Je montais quasiment tous les mercredis après-midi, les week-ends, les vacances scolaires. Je me souviens même avoir découvert, vers l’âge de 8 ou 9 ans, que mes petits camarades de classe n’avaient pas de poneys chez eux (!), et m’être demandé, du coup, ce qu’ils pouvaient faire de leurs vacances ! Le poney club était une sorte de deuxième maison.

X.L. - Les lectures décisives ?
G.H. - Mais parents étaient éditeurs. Ils ont publié les ouvrages de Nuno Oliveira, Michel Henriquet et bien d’autres. Nous avions des milliers de livres à la maison, beaucoup sur la nature, le cheval et l’équitation. J’ai donc grandi bercé par l’équitation et les livres. Mes premières lectures équestres ont été les manuels des Étriers et Éperons de bronze et d’argent (les examens fédéraux de l’époque, devenus les Galops), les manuels d’équitation et d’hippologie de la FFSE (Fédération française des sports équestres) publiés par Lavauzelle, et les livres de Crépin Leblond.

X.L. - À 20 ans c’est la création de l’Académie Pégase. Pourquoi ? Comment ? Avec qui ce projet d’Académie, … Anecdotes s’il en est !
G.H. - J’ai toujours été nul à l’école. J’aimais beaucoup apprendre, et j’aime toujours énormément ça, mais je m’ennuyais, je ne parvenais pas à retenir ce qui m’était enseigné, j’avais de mauvaises notes. Je préférais être au poney club ou passer des heures dans la bibliothèque à feuilleter les livres, dessiner, créer des déguisements, m’inventer des histoires, etc. Les images et les dessins avaient beaucoup d’effets sur moi, m’inspiraient, et j’ai retrouvé plusieurs livres de l’époque que je regarde encore avec émerveillement.
L’histoire me plaisait beaucoup. Surtout l’histoire du cheval et de l’équitation, sans que je m’explique pourquoi. J’ai passé le monitorat, à Conches, dans l’établissement créé par Jean-Pierre Buray. Un sacré phénomène Jean Pierre; très attachant, mais on n’avait peu de rapport avec lui. Il était le big boss et construisait, à l’époque, Poney-Village. C’est l’instructrice, Sylvie Mouilleseau qui s’occupait de nous. À l’époque j’ai lu – et même dévoré – les grands maîtres de l’équitation, l’histoire des techniques me fascinait. J’ai créé l’Association pour la Découverte de la Culture Équestre en 1989, à l’âge de 20 ans, tout seul, avec ma petite amie de l’époque (qui n’était pas cavalière) comme secrétaire. D’une manière générale, mes copains se moquaient de moi. « À quoi sert de lire un vieux livre pour réussir à sauter une barre d’obstacle ? ». J’avoue que je ne savais pas quoi répondre. J’ai créé le prix littéraire Pégase en 1990 et, pour sa première édition, j’ai loué une salle de 200 personnes, avec buffet et tout ce qu’il faut. Nous étions… 4. L’auteur (Denis Bogros), l’éditeur (Jean-Louis Gouraud), ma mère et moi. Cruelle désillusion. J’ai compris que la culture équestre n’intéressait personne. Mais comme ça me passionnait, j’ai continué, et j’ai remis (et financé !) ce prix pendant plus de trente ans, avec quelques hauts (rares) mais beaucoup de bas. J’ai été plusieurs fois copié, mais aucune de ces tentatives n’a duré. Aujourd’hui, l’Académie Pégase est à un tournant et j’ai de nombreux projets pour elle.

X.L. - Revenons à l’auteur qui s’annonce dès ces années, avec une série technique publiée d’abord chez Crépin-Leblond : l’usage des mains, des jambes, l’assiette… Avec quelle légitimité ? Pour quel public ? Avec quelle intention ?
G.H. - Ma mère dirigeait les Éditions Crépin-Leblond, qui publiaient des livres, comme je l’ai dit, mais aussi de nombreux magazines comme Plaisirs Équestres. Je connaissais bien Frédéric et Laurent Chéhu (fils de Bernard Chéhu, propriétaire, à l’époque, de la revue Cheval Magazine). Après mon monitorat, Frédéric, rédacteur en chef de Cheval Magazine, m’a proposé d’écrire des articles pour le mag. Il m’a mis le pied à l’étrier. Cheval mag m’a publié pendant près de 20 ans. Nous avons vendu les éditions Crépin Leblond et quelques années plus tard, j’ai été approché par Guy Devautour, éditeur chez Crépin Leblond, pour publier des livres qui reprendraient une partie des articles. Il ne savait pas que j’étais un des fils de l’ancien propriétaire ( !). J’ai donc débuté une petite série de livres L’usage des mains, L’usage des jambes, L’assiette, etc. sur le modèle d’une série américaine, dans l’idée de faire des sortes de « mémo bac » qui rassembleraient tout ce qu’il faut savoir sur le sujet. J’ai relu tous les maîtres pour l’occasion… Ça a plutôt bien marché, mais ça ne m’a pas valu que des amitiés. Quand j’ai passé les tests d’entrée à l’instructorat à Saumur, une écuyère m’a lancé que « ceux qui réussissent une fois un cercle, pensent qu’ils peuvent écrire un livre dessus… toujours aussi mauvais que leur auteur ». Cinglant. Les « anciens » me reprochaient d’être trop jeune pour écrire, et brandissaient qu’il était impossible de se livrer à ce type d’exercice avant l’âge de la retraite. Une réflexion qui porte évidemment sa part de vérité.

X.L. - À un peu plus de 30 ans c’est l’entrée chez Belin, éditeur de référence du secteur cheval, pourquoi, comment ?
G.H. - Enfant d’éditeur, auteur de (modestes) livres, président d’une asso culturelle et d’un prix littéraire « cheval », instructeur, tout cela a séduit Marie-Claude Brossolet, alors P.-D.G. des Éditions Belin. Elle souhaitait embaucher quelqu’un pour créer une librairie de vente par correspondance en co-création avec les Éditions Jean-Michel Place (avec Jean-Michel Place et Vincent Migenez), du nom de Cavalivres, ce qu’on a fait avec Jean-François Guillotin, Michel Périsse, Line Lebras, Anne Vignau, etc. et tant d’autres gens formidables qui travaillaient alors chez Belin. J’ai aussi développé une ligne éditoriale « cheval ». En 17 ans de carrière aux éditions Belin, j’ai publié plus de 250 livres de tous genres (technique, pratique, beau livre, roman, jeunesse, véto, méthodes, etc.), ce qui a fait de nous le premier catalogue français et un des trois plus gros à l’international. 17 ans pendant lesquelles Marie-Claude Brossolet, une grande dame de l’édition, au caractère bien trempé, m’a tout appris ; mon métier d’éditeur.

X.L. - Quid de ces années apparemment prolifiques et prospères ? Des stratégies d’édition d’acteurs et concurrents comme Crépin-Leblond, Belin, Vigot, Place etc… sur le domaine concerné ? De son développement ?
G.H. - Je garde d’excellents souvenirs de ces années. Je rencontrais beaucoup d’écuyers, cavaliers, passionnés très différents, aux échanges toujours très enrichissants. Et le métier d’éditeur est certes chronophage, mais passionnant. Marie-Claude, toujours avide de nouveautés et de projets, m’a laissé le champ libre. C’est ainsi que nous avons publié, par exemple, notre premier beau livre en 2008, à l’occasion de la représentation des 4 écoles européennes d’art équestre (Saumur, Vienne, Jerez, Lisbonne), réunies pour la première fois à Bercy cette même année. Un livre qui a du mal à s’implanter en librairie car les libraires n’attendaient pas Belin, éditeur scolaire, sur ce marché très particulier. Mais l’équipe de diffusion a fait un travail formidable. Sylvie Macé, qui a pris la suite de Marie-Claude quand cette dernière est partie à la retraite, a continué à me faire entièrement confiance, ce qui a aussi été une immense chance pour moi.
Les relations avec nos concurrents, que l’on aime appeler des confrères, ont toujours été bonnes. Il n’était pas rare que Jean-Louis Gouraud (directeur de collection chez Favre, Actes Sud et les Éditions du Rocher) et moi nous passions les manuscrits qui relevaient plus de l’autre, et nous savons bien avec Claude Lux, longtemps directeur de collection chez Vigot, devenu un ami, que le concurrent d’un jour peut-être l’éditeur ou l’auteur de l’autre le lendemain.
Cavalivres a finalement été vendu au groupe du magazine l’Éperon, dont tu étais l’éditeur et le rédacteur en chef, pour une deuxième vie. Rue du Sentier (Paris 2e) vous avez créé une formidable librairie « cheval » avec Marie-Laure Peretti, en charge désormais de La Bibliothèque Mondiale du Cheval ; Marie-Laure est sans doute la plus calée, de nos jours, en matière de bibliographie équestre !
Quant à Amazon (qui a tué les librairies spécialisées et leurs catalogues de vente par correspondance NDLR) c’est désormais un libraire incontournable, quel que soit le secteur. La vente à distance s’est considérablement accrue, surtout depuis la Covid, il faut faire avec tout en cherchant à faire revenir les lecteurs dans les librairies « physiques »…

X.L. - Aujourd’hui, à l’heure du numérique et de Chat GPT ?
G.H. - Aujourd’hui, le marché de l’édition a changé. Moins de lecteurs, une économie difficile (notamment à cause du coût du papier) mais toujours autant de publications (tous domaines confondus), de plus en plus à compte d’auteur, et des tirages plus faibles. Après avoir pensé que la « tablette » remplacerait l’écrit, on s’aperçoit qu’il n’en est rien. Et qu’il est même bon pour la construction du cerveau, de la mémoire et de la pensée de lire des livres. Le livre n’est donc pas condamné, comme on a pu le croire, mais son usage et son économie changent. Les Éditions France Agricole, dont je m’occupe dorénavant, ont d’ailleurs de nombreux projets en lien avec le monde du cheval, car c’est un secteur qui marche bien.
Quand à Chat GPT, ou l’IA en général, il fait désormais partie de notre univers, il vaut mieux l’accepter et comprendre comment il peut nous aider.

X.L. - Quel avenir pour l’édition spécialisée et en particulier pour la presse spécialisée vue par celui qui travailla quelques années au développement du groupe Cheval Magazine (Cheval Pratique) ?
G.H. - La presse se porte mal, en général. La seule qui s’en sort est celle qui renouvelle complètement son modèle économique. Mais l’avenir semble compliqué.

X.L. - Une idée sur la route à suivre pour s’en sortir ?
G.H. - Vaste sujet ; trop complexe et trop long à traiter !

X.L. - Et celui de la culture équestre ? Progression ? Régression ?
G.H. - La culture équestre retrouve un certain intérêt auprès des cavaliers. L’inscription de l’équitation de tradition française sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité auprès de l’Unesco en 2011, a montré que le cheval ce n’est pas uniquement un sport, mais aussi un patrimoine matériel et immatériel à (re)découvrir et parfois protéger. L’Académie Pégase, que je préside à nouveau à la suite de Stéphane Béchy (qui l’a tenue d’une main de maître pendant plusieurs années), a de nombreux projets culturels. J’anime aussi des formations autour de l’histoire du cheval et de l’équitation – avec une réflexion sur les enjeux actuels et les devenirs possibles de la filière – qui rencontrent un succès croissant. L’IFCE a une commission « culture » qui fonctionne bien, et Pascal Marry, écuyer professeur et figure de notre milieu, a créé une commission « culture » au sein de la FFE qui multiplie les initiatives. La Fédération, d’ailleurs, organise ses premières Journées culturelles les 11 et 12 avril prochains à Lamotte-Beuvron, sur le thème « Les origines de l’équitation ; Le cheval, un acteur permanent du changement social ». De nombreux universitaires spécialistes du sujet viendront y évoquer leurs travaux pendant deux jours, associés, pour l’occasion, à une exposition de matériel ancien, de reproduction d’œuvres art et de maquettes de chars antiques. La Fédération fait les choses en grand, ça promet d’être formidable et le fait qu’elle s’implique sur le sujet est un marqueur fort ! Citons aussi le colloque qu’organise La Bibliothèque Mondiale du Cheval le 1er aout à Versailles sur le thème « Sports équestres, jeux et enjeux » en marge de l’exposition « Cheval en majesté au cœur d’une civilisation ». Les initiatives, sur le plan culturel, se multiplient, et on ne peut que s’en réjouir.

X.L. - Enfin, souhaits et ambition du dynamique quinqua, instructeur, éditeur, auteur, animateur ?
G.H. - Il paraît que la cinquantaine est l’âge de la maturité. En tout cas, je ne manque pas de projets en matière de culture équestre. Mes formations se développent, j’ai de nombreux projets d’écriture de livres et d’articles, j’organise et suis invité à des colloques, je travaille sur la création d’un magazine, l’Académie Pégase prend un deuxième souffle… Je ne m’ennuie pas.

Propos recueillis par Xavier Libbrecht