Vous avez dit Stud-book !

À juste titre, les stud-books trouvent grâce aux yeux de la BNF.

Vous avez dit Stud-book ! Alors allons y ! Chez Larousse pour commencer : stud-book, stud-books, nom masculin (mot anglais, de stud, haras, et book, livre).
Livre généalogique pour l'espèce chevaline, dont il existe un par race reconnue en France.
Un peu mieux peut-être ? Le dictionnaire de l'Académie Française ? Nom masculin. Prononciation : (u se prononce eu ; oo se prononce ou) Étymologie : XIXe siècle. Emprunté de l'anglais stud book, de même sens, lui-même composé de stud, « écurie, haras », et book, « livre ». Registre où est consignée la filiation des équidés de race (on préfèrera à cet anglicisme la locution Livre généalogique).
Mais encore ? Et pourquoi, surtout, un article consacré à ce qui s'apparente à première vue à un registre, un truc qui relève davantage de ce que l'on appellerait aujourd'hui une base de donnée qu'un livre (book), au sens littéraire s'entend.

Circonstances… Circonstances. « Quand les planètes s'alignent » notait avec beaucoup de justesse, il y a quelques semaines, François Huot Marchand, Adjoint à l'Écuyer en chef du Cadre noir Saumur (IFCE), Secrétaire du Comité culture, patrimoine et UNESCO. Il nous annonçait que la Bibliothèque nationale de France, qui a intégré le patrimoine équestre à sa bibliothèque numérique Gallica, avait décidé, dans le cadre de sa mission de coopération documentaire, avec l'IFCE et La Bibliothèque Mondiale du Cheval, de relancer deux axes d'inventaires, primo l'approfondissement du corpus existant des périodiques (magazines) ainsi qu'un nouvel axe inédit : les stud-books.

Une aubaine pour les associations de races

Un programme qui sera développé entre 2025 et 2027 et qui atteste de l'importance « basique » de ce patrimoine généalogique des chevaux français qui sera donc numérisé, classé, indexé avec le triple objectif d'améliorer la connaissance et la recherche, de conserver durablement et qualitativement les documents et de permettre un enrichissement concerté permanent.
Une prise de conscience et une aubaine pour les associations de races locales ou à faible effectif qui seront privilégiées dans cette démarche afin de palier au risque de disparition de fonds documentaire à cause de manque de moyens de conservation et d'archivage. Les grandes associations de races pourront compléter les ressources dans un second temps avec leurs propres fonds documentaires. On pense ici évidemment au Selle Français, à l'Anglo-arabe pour le cheval dit « de sport » et au Trotteur Français et au Pur sang pour ceux « de courses ».
Ce qui nous amène naturellement à évoquer « le pourquoi du comment » du père de tous les stud-books de chevaux, le premier du genre, le plus ancien, le plus riche, le plus large car unique pour les chevaux produits sur cinq continents…

Cher et unique Monsieur Weatherbys

Il s'agit de celui du pur-sang anglais, lequel serait né de l'importation en Angleterre au XVIIIe siècle de chevaux dits aujourd'hui « arabes » mais qui en réalité, comme le relève Adrien Cugnasse, rédacteur en chef du quotidien des courses Jour de Galop, étaient plus généralement « orientaux ». Les recoupements permettent de penser que la base de l'édifice du pur-sang anglais résulte du croisement d'environ 200 chevaux (venant « d'Arabie » dont trois mâles majeurs qui, croisés avec les juments anglaises autochtones, croisements dûment enregistrés à partir de 1770, par un certain Monsieur Weatherbys (aujourd'hui c'est la société du même nom qui continue de gérer la base de données du pur sang) constituèrent la base du stud-book (livre de haras) dit « pur-sang anglais ».

Ces trois pur-sang « dominants » dans le stud-book du pur-sang anglais se nommaient respectivement Darley Arabian, Godolphin Arabian et Byerley Turk. Dans un article publié le 12 octobre 2024 par Jour de Galop, Adrien Cugnasse, rédacteur en chef, explique le bien-fondé de disposer et de mettre à jour systématique un « livre de haras » ou livre généalogique fiable :    

 

The Darley Arabian
The Godolphin Arabian

« Le fait de connaître la généalogie des chevaux a permis à la sélection de faire un bond en avant, en identifiant les bons reproducteurs et les bonnes familles. Et la qualité des chevaux a elle aussi fait des progrès spectaculaires. Depuis, ce ne fut qu'une longue et lente amélioration. Chaque génération apporte sa pierre à l'édifice.  Et tout le monde essaye d'améliorer son taux de gagnants, mais aussi sa proportion de bons chevaux. »

Ce qui vaut pour le pur sang, résultant de la connaissance approfondie de pedigrees dûment référencés, et de croisements avisés, l'est également, aujourd'hui, pour le cheval de sport et, en particulier, pour le Selle Français qui apparaît, sur la scène internationale, comme le plus performant du genre. Il convient à ce stade de préciser que, contrairement à l'élevage du cheval de course où ne prédomine qu'une race -le pur sang-, celui du cheval de sport à développé un autre modèle. Il n'y a pas qu'un seul stud-book en ma matière, mais près de quatre vingt de par le monde, obéissant à des critères de reconnaissance et d'adhésion identiques par la Fédération internationale qui les regroupe, à savoir la World Breeding Federation for Sport Horses (WBFSH).

80 stud-books de chevaux de sport reconnus par la World Breeding Federation for Sport Horses (WBFSH)

Cette fédération mondiale qui est à la production du cheval de sport ce que la FEI est à son utilisation et à l'organisation et la réglementation du sport, fêtait cette année, lors de son Assemblée Générale à Lisbonne, son trentième anniversaire.
Quand les planètes s'alignent !

Cette domination actuelle du cheval de Selle Français dont le stud-book —le registre—, est tenu, comme pour tous les autres stud-books de races de chevaux françaises par l'Institut du Cheval au travers du SIRE (Système d'Information Relatif aux Équidés) sis à Pompadour, s'est traduite en 2024, par d'impressionnants succès à commencer, pour la deuxième saison consécutive, par la première place des WBFSH LONGINES BREEDERS AWARDS en saut d'obstacles, l'une des trois disciplines équestres (avec le concours complet et le dressage) dites olympiques. Ce titre est décerné aux stud-books dont les six meilleurs représentants sur la scène internationale, ont été les plus performants toute la saison sportive durant. Fin septembre 2024, à Valkenswaard au Pays Bas, le stud-book Selle Français s'est à nouveau distingué dans ce qui apparaît désormais comme un championnat des stud-books pour jeunes chevaux en saut d'obstacles. Intitulée WBFSH STUDBOOKS JUMPING GLOBAL TROPHY, cette compétition voit s'affronter, par équipes, les meilleurs produits d'avenir au travers d'épreuves réservées aux chevaux de 5,6,7 et 8 ans ainsi qu'aux étalons (les reproducteurs) de 9 ans et plus. Le Selle Français y a remporté trois des six titres disputés. Et ce n'est pas tout. Aux Jeux olympiques, soit au tout meilleur niveau mondial, cet été à Versailles, les chevaux nés « Selle Français » ont fait des prouesses. Dans son bulletin L'actu mensuelle du Selle Français,  daté du mois de septembre 2024, le stud-book jubilait « Il étaient 20 chevaux Selle Français au départ des Jeux olympiques de Paris 2024. Une médaille d'Or, 4 médailles d'Argent et 5 médailles de Bronze plus tard.... QUELLE FIERTÉ ! »
Le résultat, comme l'indiquait Adrien Cugnasse, comme pour le pur-sang, d'une patiente politique de sélection et d'une belle motivation des acteurs du stud-book, les éleveurs : « chaque génération apporte sa pierre à l'édifice. Et tout le monde essaye d'améliorer son taux de gagnants, mais aussi sa proportion de bons chevaux. »

Le stud-book Selle Français en grande forme

Pascal Cadiou, Président du stud book Selle Français, dont la création remonte à 1958, dans la longue et consistante note qu'il nous a adressée, ne dément pas et remonte dans le temps pour tenter d'expliquer d'où vient cette « race » telle qu'elle est considérée aujourd'hui, mais qui ne l'était pas, hier. À le lire, historiquement, elle est tout bonnement  la résultante de considérations économiques, sociales et politiques à un moment donné; la mise en place d'une organisation pour répondre à une nécessité. Au débuts étaient les besoins de l'armée, de la cavalerie (surtout sous l'Empire), mais aussi de transport : « Les Haras royaux d'abords puis nationaux ensuite ont été créé pour répondre aux besoins de l'époque en chevaux de « tirage « et de « portage ».
Il a fallu beaucoup d'énergie, d'ingéniosité et de patience aux hommes en charge de ce dossier pour améliorer par des croissements notamment, nos chevaux autochtones considérés comme « dégénérés », car trop petits, pas assez forts.
La mise à disposition dans les élevages d'étalons achetés à l'étranger pour leurs qualités va se répandre dans toutes les provinces de France.
Nous ne pouvons pas véritablement parler de races de chevaux à cette époque car ils n'ont que peu de chose en commun et leurs généalogies ne sont pas enregistrées même si des caractères récurrents peuvent s'observer en fonction des territoires comme pour le Carrossier noir du Cotentin par exemple.
Il faut attendre, le milieu du XIXe et le besoin des paysans d'échanger sur leurs productions végétales et animales et l'apparition des comices agricoles pour voir la création, en espèce bovine par exemple, de la race Charollaise ». Nous ajouterons ici, que c'est à partir de la fin du XIXe que se caractérisent de la même façon d'autres « races » comme celles dites « lourdes » nécessaires à l'agriculture ou aux transports : le Percheron, le Trait du Poitou, l'Ardennais, le Boulonnais, le Nivernais, le cob breton, le Comtois, etc. Mais on pourrait aussi évoquer, à la même époque, les besoins spécifiques de l'armée, de la remonte de la cavalerie…
Oui l'évolution d'une race procède des besoins et de la capacité des éleveurs de répondre à une demande donnée par une sélection « savante » avec tous les aléas que cela entend. C'est avant tout une aventure humaine, comme le Président du Selle Français le développe : « La connaissance du cheval et les compétences agronomiques de nos directeurs des Haras nationaux seront essentielles pour créer nos races équines et commencer à parler d'amélioration génétique.
La notion de race de chevaux est intimement liée aux hommes qui les élèvent mais aussi :
-   à l'histoire, comment en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi nos ainés ont-ils fait tels ou tels choix à ce moment là ?
-   à la géographie, les territoires et les terroirs qui façonnent les chevaux
-   à la connaissance de la parenté existant entre les individus
-   à la sélection et à la transmission, identifier les caractères héritables pour répondre aux attentes du marché et mettre en place un programme d'élevage qui inspire les éleveurs
-   à un contrôle de performance précoce et audacieux qui suscite l'adhésion et la reconnaissance.
-   à l'évolution des temps et des besoins, l'éleveur ne peut être ni collectionneur, ni nostalgique
-   à un savoir-faire équestre, sportif et agricole qui implique une grande connaissance du cheval et de ses besoins.

Un siècle plus tard (dans les années 1960/70),  les attentes, dans les pays dits développés (Europe, Amérique), ont évidemment évoluées. La mécanisation de l'agriculture, de l'armée et des transports est passée par là. L'automobile a détrôné le cheval dont le salut n'aura résidé, après la seconde guerre mondiale, que dans sa capacité à répondre essentiellement à la demande d'une évolution vers les loisirs et les sports dits « équestres ». La production change donc d'orientation en partant de bases, de sélections antérieures connues.

Et à tire d'exemple…

Cette évolution vers le sport, et des « races » de chevaux adaptés à une pratique de plus en plus performante et agréable s'est faite à une vitesse qui ne peut s'expliquer que par l'accélération de celle de l'information sur les résultats de la production concernée (ce qui permet d'accélérer ou d'inverser plus rapidement des tendances, des modes) et de celles des techniques de reproduction (Insémination artificielle, transfert d'embryons et aujourd'hui ponction ovocytaire en vue de fécondation in vitro) qui sont autorisées pour le cheval de sport là où elles sont interdites dans le pur-sang. « En suivant les compétitions internationales, les éleveurs ont commencé à voir la production de nos voisins et amis. Les Belges ont été avant-gardiste dans leur démarche de sélection en s'inspirant assez largement de ce qui se faisait en Allemagne, en Hollande et en France et surtout en allant acheter des reproducteurs dans tous ces pays. Les éleveurs français n'ont pas échappé à la règle du libre-échange. Oh le gros mot, diront certains ! Pourtant dans libre échange, il y a libre, cela devrait au contraire rassurer les acteurs français tellement attachés et à juste titre à cette valeur fondamentale.
Aujourd'hui, l'utilisation des génétiques s'est uniformisée dans tous les pays producteurs ou ceux qui souhaitent le devenir mais les règles de caractérisations, les approbations et labellisations des reproducteurs, les morphologies, les locomotions, les comportements, les recherches de phénotypes sont souvent différentes d'un pays à l'autre, d'un stud-book à l'autre. Les femmes et les hommes qui sélectionnent, élèvent, éduquent sur des terroirs différents ont des savoir-faire différents liés comme nous le disions plus haut, à l'histoire de l'art équestre dans chaque pays et au marché.

L'originalité d'un stud-book, d'un groupe d'éleveurs qui définissent les règles d'appartenance et le programme de sélection, ne tient pas à l'utilisation de gènes qui seraient exclusifs mais aux choix phénotypiques qu'il opère plus ou moins sévèrement pour autoriser les individus à se reproduire. »

Conclure cet article, serait peut être revenir à ce qui l'a induit, à savoir la décision de la BNF de développer un programme d'archivage du patrimoine généalogique des stud-books de chevaux, comme celui du Selle Français, qui sera donc numérisé, classé, indexé avec le triple objectif d'améliorer la connaissance et la recherche, de conserver durablement et qualitativement les documents et de permettre un enrichissement concerté permanent.

Car au delà de l'aspect austère (on a envie de dire « froid ») que revêt apparemment la recherche, l'archivage, le classement et la mise à disposition des « stud-books » (désormais numérisés et donc plus facilement « interrogeables ») des « races » de chevaux, par la Bibliothèque nationale de France, on aura bien compris, que ces livres de haras ou d'écuries (c'est selon), sont bien vivants au sens ou ils sont la résultante de toute une vie ! De vies ! Celles de chevaux, d'hommes, en l'occurrence d'éleveurs, mais aussi celle de leur longue et patiente œuvre commune. Nous en voudrons pour preuve la tentative d'explication des raisons du succès actuel du Selle Français par son Président. On est bien, dans le présent, dans la vie, dans le concret ! Pour Pascal Cadiou la forme du moment c'est d'abord : « La force d'un groupe qui se ressource tous les  quatre ans par le biais d'élections qui permettent à tous les adhérents de devenir administrateurs. La force d'un corps de juges indépendants choisis à travers des personnalités reconnues dont la formation continue est assurée par le groupe et dont les missions sont de caractériser, de noter, de pointer au profit de la sélection. La force d'un groupe de femmes et d'hommes passionnés qui mettent leurs moyens humains et financiers, qu'ils soient éleveurs ou étalonniers, au bénéfice du projet commun. L'amélioration génétique : mieux produire pour mieux vendre, pourrait être la devise du Selle Français. L'avantage le plus notoire de notre OS est d'avoir su se rassembler dès 1958 autour d'une race nationale sans se passer des compétences des hommes de terroirs qui continuent à faire la richesse du Selle Français aujourd'hui. Nos ainés nous ont montré la voie de la sélection, nous participons aujourd'hui à la professionnalisation de l'organisation et à la structuration de notre segment dans la filière équine. Nous sommes fixés et focalisés sur nos projets comme par exemple l'étude du génome équin, notre ambition commune est de continuer à progresser pour soutenir les éleveurs et leurs donner des outils efficaces à la sélection, la production, l'éducation et formation, la détection précoce, la commercialisation. Nous n'avons pas le temps de chercher nos faiblesses, elles doivent exister sans aucun doute mais nos contradicteurs auront plus le temps de les décrire. »

Vous avez dit « stud-book » !

Xavier Libbrecht