Introduction de l’œuvre

Par François Vallat,
Docteur en médecine vétérinaire (Lyon I, 1973), et Docteur en histoire (Caen, 2008)

CUYER Édouard, peintre, prosecteur d’anatomie à l’École nationale des Beaux-Arts de Paris, professeur d’anatomie à l’École des Beaux-arts de Rouen, ALIX Eugène vétérinaire militaire, lauréat du Ministère de la guerre (médaille d’or), Le Cheval. Extérieur : régions, pied, proportions, aplombs, allures, âge, aptitudes, robes, tares, vices, vente et achat, examen critique des œuvres d’art équestre, etc. Structure et fonctions : situation, rapports, structure anatomique et rôle physiologique de chaque organe. Races : origine, divisions, caractères, production et amélioration, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1886, 2 volumes 29 x 23 cm.

Les éditeurs J.-B. Baillière ont conçu ce livre comme une réédition augmentée des Allures du cheval démontrées à l’aide d’une planche coloriée, découpée, superposée et articulée1CUYER Édouard, Les Allures du cheval démontrées à l’aide d’une planche coloriée, découpée, superposée et articulée. Texte et dessins d’après nature, introduction par M. Mathias Duval, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1883., publiées trois ans plus tôt à l’attention de ses confrères par le peintre Édouard Cuyer (1852-19..), spécialiste de l’anatomie artistique. L’auteur avait voulu mettre à la portée de ceux-ci les clichés d’Eadweard Muybridge. Arrivés en France en 18822MAREY Étienne-Jules, « Analyse du mécanisme de la locomotion au moyen d’une série d’images photographiques recueillies sur une même plaque et représentant les phases successives du mouvement », Comptes rendus de l’Académie des Sciences, tome XCV, 3 juillet 1882., sous la forme d’une série photographique, ils élucidaient le « mystère » du galop du cheval avant même l’invention du cinéma.

Pour élargir son audience au public des cavaliers, le nouvel atlas est accompagné d’un copieux volume de texte, synthèse des parutions vétérinaires contemporaines, sorte de mise à jour scientifique – sans l’alimentation, l’hygiène, la ferrure et la pathologie – du Traité d’Hippologie d’Alexandre Vallon3VALLON Alexandre, Cours d’hippologie à l’usage de MM. les officiers de l’armée […], 4e éd., Paris, L. Baudoin, 1884, 2 vol.. Eugène Alix (1855-19..), vétérinaire militaire diplômé d’Alfort en 1878, s’acquitte avec conscience de la rédaction. Il ne se fera vraiment connaître que quatre ans plus tard, avec un livre de « psychologie animale », témoignage de son ardente sympathie pour les bêtes4 ALIX Eugène, Vétérinaire militaire, Membre de la Société Centrale de Médecine vétérinaire, Lauréat du Ministère de la Guerre (Médaille d’or) et de la Société Protectrice des Animaux, L’esprit de nos bêtes, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1890, in-8°, VIII-656 p., 121 fig. Il avait donné entre-temps : Notice sur les principaux animaux domestiques du littoral et du sud de la Tunisie, Paris, L. Baudoin et Cie, 1883 ; « La ladrerie des bêtes bovines en Tunisie », Recueil des rapports de la Commission d’hygiène hippique, XI, 1887.. Après un chapitre de « généralités » – définitions nécessaires à la compréhension de la suite (p. 3-36) –, le passage consacré à l’extérieur (p. 37-278), aussi méritant soit-il, peine à supporter la comparaison avec le récent manuel d’Armand Goubaux et Gustave Barrier5 GOUBAUX Armand, directeur de l’École d’Alfort, membre de l’Académie de médecine, BARRIER Gustave, Professeur d’anatomie et d’extérieur à l’École vétérinaire d’Alfort, membre de la Soc. centrale de médecine vétérinaire, De l’extérieur du Cheval, Paris, Asselin, 1884.. Il contient seulement un chapitre original consacré à l’« Application de la connaissance de l’extérieur du cheval en peinture et en sculpture », préfiguration d’un livre du Lt-colonel Duhousset6DUHOUSSET Émile, Le Cheval dans la Nature et dans l’Art, Paris, Laurens, s.d., (1902).. Alix envisage ensuite l’anatomie et la physiologie équines (p. 279-566). S’il cite scrupuleusement ses sources, il semble hélas transcrire mot pour mot les notes prises durant sa scolarité, avec d’inévitables scories : « L’instinct de la reproduction porte les animaux à se reproduire… » « On reconnaît également un membre postérieur droit et un membre postérieur gauche, parfaitement symétriques. » Les renvois aux planches de l’atlas allègent heureusement la lecture. Après avoir consacré plus de cent pages aux « races chevalines » (p. 567-673), Alix finit avec un « appendice » sur « la production et l’amélioration du cheval » (p. 673-703), ajouté comme à regret en petits caractères, comme a été insérée plus haut (p. 468-477), une indigeste parenthèse de physiologie fondamentale. Les gravures insérées sont prises aux titres de la maison Baillière7 COLIN Gabriel, Traité de physiologie comparée des animaux […], 2e éd., Paris, J.-B. Baillière, 1871 ; CHAUVEAU Auguste, ARLOING Saturnin, Traité d’anatomie comparée des animaux domestiques, 3e éd., Paris, J.-B. Baillière, 1879. et aux publications contemporaines les plus significatives8 Notamment à MOLL Louis, GAYOT Eugène, La connaissance générale du cheval, 1861 ; MÉGNIN Pierre, Hygiène du cheval, ferrure, 1879 ; DUHOUSSET Émile, Le Cheval, allures, extérieur, proportions, 2e éd., 1881.. En bref, ce premier tome, qui ambitionne de synthétiser les connaissances biologiques générales autant que leur application au cheval, s’avère trop technique. Son exhaustivité ne saurait séduire un large public, à l’inverse de publications anglaises analogues, plus simples, plus pratiques, et sans relation avec l’anatomie artistique9 Pragmatiques, les auteurs anglais insistent sur les soins vétérinaires au détriment des généralités sur l’anatomie et la physiologie : MAYHEW Edward, The Illustrated Horse Management, London, Wm. H. Allen & Co., 1867 ; ARMATAGE George, Every Man his own Horse Doctor, London, Frederick Warne and Co., 1886 ; AXE J. WortleyThe Horses [...], London, The Gresham Publishing Company, 1906, 9 vol. (Planches découpées superposées : “The Development of the Teeth of the Horse”, vol. III; “The Hoof of the Horse”, vol. VI.).

Le second tome, par Édouard Cuyer, relève plus de l’objet pédagogique que de l’atlas ordinaire et c’est lui qui assure le renom du livre auprès des cavaliers bibliophiles. Suivant l’invention d’Achille Comte10 COMTE Achille, Organisation et physiologie de l’homme, expliquées à l’aide de figures coloriées découpées et superposées, 3e éd., Paris, l’auteur, 1841. et dans le même esprit que les maquettes anatomiques démontables du Dr Auzoux11DEGUEURCE Christophe (texte), GAILLARD Didier (photos), Corps de papier, l’anatomie en papier mâché du docteur Auzoux, Paris, La Martinière, 2012., les planches chromolithographiées découpées et superposées tentent de fournir une vision tridimensionnelle du corps du cheval. Échappant à l’aridité des descriptions, le lecteur imagine découvrir, couche après couche, la topographie des organes. Ces planches « à système », courantes dans l’édition médicale populaire jusqu’en 1914, font figure d’exception en anatomie équine. Les tentatives analogues n’approchent ni en qualité, ni en complexité, celles de Cuyer12 THIERRY Émile, Le Cheval […], Paris, Librairie agricole de la Maison rustique, s.d. (1901) ; Mégnin Paul, Le Livre d’Or de la santé des animaux domestiques. Mémento pratique de zootechnie et d’hygiène permettant de reconnaître et de traiter soi-même les maladies les plus communes, 129 fig., 11 pl. coloriées, 6 tableaux démontables, P., Bong et Cie, s.d., (1905)..

Pour ce qui concerne la locomotion (planche VI, texte : tome 1, p. 169-187), Cuyer reprend son travail de 1883. Il s’agit pour le lecteur, à l’aide d’un matériel rassemblé dans un portefeuille collé à l’intérieur du deuxième plat, de reconstituer les allures du cheval, vu latéralement. Une silhouette articulée de l’animal est destinée à être fixée en son centre par une épingle (un « rivet ») sur un carton support. Huit feuilles de vélin fort sont successivement glissées sous ce mannequin. Chacune porte les repères numérotés qui permettent de positionner les membres, le corps, la tête et la queue de celui-ci aux différentes phases d’une allure : amble, pas, trot, ruade, reculer, galop, cabrer et saut. À l’usage, ce positionnement peut s’avérer maladroit et fautif, ce que n’explique qu’en partie l’absence d’articulations au niveau de l’épaule et sur les phalanges du modèle. Le constat peut surprendre dans la mesure où cette figuration des allures prétend se conformer aux clichés de Muybridge commentés dans le premier tome (p. 150-163). Dans sa préface, le physiologiste Mathias Duval ne s’y trompe pas : conscient du caractère simpliste du procédé, il recommande d’y adjoindre « l’étude sur le vif ».

Le Cheval de Cuyer et Alix a certainement pâti de son statut intermédiaire. Trop exhaustif pour les artistes qu’il submerge de détails scientifiques, superflu pour les vétérinaires, il lui manquait, pour convenir au monde équestre, ce qui en aurait fait une encyclopédie pratique, à savoir l’hygiène, l’alimentation, la ferrure et la pathologie. Le lecteur actuel ne retiendra pas ce constat pessimiste. Outre les qualités esthétiques et la créativité de l’atlas, il appréciera l’ensemble comme un instantané de l’anatomie et de la physiologie équines en 1886.


1.CUYER Édouard, Les Allures du cheval démontrées à l’aide d’une planche coloriée, découpée, superposée et articulée. Texte et dessins d’après nature, introduction par M. Mathias Duval, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1883.
2.MAREY Étienne-Jules, « Analyse du mécanisme de la locomotion au moyen d’une série d’images photographiques recueillies sur une même plaque et représentant les phases successives du mouvement », Comptes rendus de l’Académie des Sciences, tome XCV, 3 juillet 1882.
3.VALLON Alexandre, Cours d’hippologie à l’usage de MM. les officiers de l’armée […], 4e éd., Paris, L. Baudoin, 1884, 2 vol.
4.ALIX Eugène, Vétérinaire militaire, Membre de la Société Centrale de Médecine vétérinaire, Lauréat du Ministère de la Guerre (Médaille d’or) et de la Société Protectrice des Animaux, L’esprit de nos bêtes, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1890, in-8°, VIII-656 p., 121 fig. Il avait donné entre-temps : Notice sur le principaux animaux domestiques du littoral et du sud de la Tunisie, Paris, L. Baudoin et Cie, 1883 ; « La ladrerie des bêtes bovines en Tunisie », Recueil des rapports de la Commission d’hygiène hippique, XI, 1887.
5.GOUBAUX Armand, directeur de l’École d’Alfort, membre de l’Académie de médecine, BARRIER Gustave, Professeur d’anatomie et d’extérieur à l’École vétérinaire d’Alfort, membre de la Soc. centrale de médecine vétérinaire, De l’extérieur du Cheval, Paris, Asselin, 1884.
6.DUHOUSSET Émile, Le Cheval dans la Nature et dans l’Art, Paris, Laurens, s.d., (1902).
7.COLIN Gabriel, Traité de physiologie comparée des animaux […], 2e éd., Paris, J.-B. Baillière, 1871 ; CHAUVEAU Auguste, ARLOING Saturnin, Traité d’anatomie comparée des animaux domestiques, 3e éd., Paris, J.-B. Baillière, 1879.
8.Notamment à : MOLL Louis, GAYOT Eugène, La connaissance générale du cheval, 1861 ; MÉGNIN Pierre, Hygiène du cheval, ferrure, 1879 ; DUHOUSSET Émile, Le Cheval, allures, extérieur, proportions, 2e éd., 1881.
9.Pragmatiques, les auteurs anglais insistent sur les soins vétérinaires au détriment des généralités sur l’anatomie et la physiologie : MAYHEW Edward, The Illustrated Horse Doctor, London, Wm. H. Allen & Co., 1867 ; ARMATAGE George, Every Man his own Horse Doctor, London, Frederick Warne and Co., s.d. (1877) ; FITZWYGRAM Frederick-B., Horses and Stables, 3rd ed., London, Longmans, Green and Co, 1886 ; AXE J. Wortley, The Horse […], London, The Gresham Publishing Company, 1906, 9 vol. (Planches découpées superposées : “The Development of the Teeth of the Horse”, vol. III ; “The Hoof of the Horse”, vol. VI.)
10.COMTE Achille, Organisation et physiologie de l’homme, expliquées à l’aide de figures coloriées découpées et superposées, 3e éd., Paris, l’auteur, 1841.
11.DEGUEURCE Christophe (texte), GAILLARD Didier (photos), Corps de papier, l’anatomie en papier mâché du docteur Auzoux, Paris, La Martinière, 2012.
12.THIÉRRY Émile, Le Cheval […], Paris, Librairie agricole de la Maison rustique, s.d. (1901) ; MÉGNIN Paul, Le Livre d’Or de la santé des animaux domestiques. Mémento pratique de zootechnie et d’hygiène permettant de reconnaître et de traiter soi-même les maladies les plus communes, 129 fig., 11 pl. coloriées, 6 tableaux démontables, Paris, Bong et Cie, s.d., (1905).