Quatrième partie
Chapitre premier
Origine du cheval
Comme nous l’avons vu déjà1 , le genre Cheval, ou Equus, renferme plusieurs espèces, tant fossiles que vivantes, parmi lesquelles se trouve rangé le cheval proprement dit (Equus caballus), qui comprend lui-même un certain nombre de races, les unes éteintes, les autres encore vivantes : telles les races arabe, percheronne, etc.
C’est à l’étude de ces races dans les temps historiques et préhistoriques que nous allons consacrer ce chapitre.
I. — Le Cheval dans les temps historiques
Bien que les auteurs ne soient pas encore près de s’entendre sur l’histoire des premiers âges du cheval, nous devons constater qu’un grand jour s’est fait sur cette difficile question.
Ce résultat est en grande partie dû à M. le vétérinaire Piètrement2 , qui a su profiter des données de la zoologie, de la paléontologie, de la philologie et de l’histoire pour reculer très loin les limites de nos connaissances en ce qui concerne l’origine du cheval.
Nous savons maintenant que l’Equus caballus existait déjà depuis p. 568bien des siècles à l’état domestique chez certains peuples, quand il fut introduit pour la première fois dans l’Arabie Heureuse, jadis considérée comme le berceau de toutes nos races chevalines.
Les Aryas, par exemple, ancêtres des Hindous, des Perses ou Iraniens, de la plupart des anciennes populations de l’Asie Mineure, et de l’immense majorité des peuples de l’Europe actuelle, ont originairement soumis et utilisé une race de chevaux indigènes dans l’Asie centrale, à une époque antérieure à l’an 19000 avant J.-C.
Les Scythes ou Touraniens, de leur côté, ont très anciennement possédé le cheval ; ils paraissent même l’avoir domestiqué à une époque aussi reculée que les Aryas.
C’est un fait démontré par l’histoire et accepté par la zoologie, dit M. Piètrement, que les Touraniens n’ont reçu leurs chevaux de personne, puisqu’au moment des premiers conflits qui eurent lieu entre les Touraniens et les Aryas, c’est-à-dire à l’origine des temps védiques, lors de la première migration des Aryas hors de leur berceau, ceux-ci rencontrèrent, sur les affluents supérieurs de l’Indus, une nation touranienne à laquelle ils donnèrent le nom de Dasyus, et qui était très riche en chevaux.
La Chine était originairement dépourvue de chevaux, et ce sont les Chinois qui les introduisirent dans cette contrée quand ils vinrent s’y établir, au plus tard vers l’an 3225 avant J.-C.
L’Égypte ne paraît pas non plus avoir possédé originairement le cheval, puisque, du temps de Sésostris, on ne le voit encore ni mentionné ni représenté dans les textes hiéroglyphiques, les peintures ou les bas-reliefs conservés sur les hypogées ou tombeaux de cette époque. D’après M. Piètrement, il y fut introduit et naturalisé lors de l’invasion et de l’occupation du pays par les Pasteurs, Hyksos ou Khétos, arrivés du nord de la Palestine et du bassin de l’Oronte, région couverte de chevaux dès la plus haute antiquité (2898-1599 avant J.-C). À partir de cette époque, en effet, les textes hiéroglyphiques, les peintures (fig. 156 du texte) et les sculptures démontrent que les chevaux et les chars de guerre jouent le principal rôle dans les armées égyptiennes3 .
p. 569Malgré leur séjour prolongé en Palestine, pays qui était alors et depuis longtemps couvert de chevaux, les Hébreux eux-mêmes n’ont adopté l’usage de ces animaux que sous les règnes de David et surtout de Salomon ; jusqu’à l’époque de ces rois, ils ont exterminé les chevaux qu’ils ont rencontrés, d’abord dans les cantons de la Palestine qu’ils ont conquis, puis chez les ennemis qu’ils ont vaincus ; et cela était la conséquence d’une loi religieuse de Moïse, qui est tombée en désuétude seulement à l’époque où le régime théocratique a été remplacé par le gouvernement des rois.
Quant aux Assyriens et aux Phéniciens, ils ont possédé le cheval dès la plus haute antiquité, et si la date ne peut en être déterminée, il est néanmoins certain qu’elle est antérieure à celle de l’utilisation de cet animal par les Arabes péninsulaires, par les Hébreux et même par les Égyptiens.
Fig. 156. — Fragment d’une peinture murale dans un temple égyptien
Il s’ensuit qu’en considérant le cheval arabe comme le cheval primitifp. 570 et en lui assignant l’Arabie Heureuse comme centre d’origine, on s’est sensiblement éloigné de la vérité, puisque cette contrée ne le reçut qu’environ 180 siècles après qu’il était déjà domestiqué au plateau central de l’Asie.
Il ne faut pas en conclure, toutefois, que partout, excepté chez les Aryas et les Touraniens, le cheval était absent avant la date à laquelle il a été utilisé ; car, alors, on serait obligé d’admettre que tous les chevaux qui peuplent actuellement le globe ne sont que les descendants des chevaux asiatiques, transportés sur toute la terre par les migrations des Touraniens et des Aryas, ce qui nous paraît rien moins que démontré.
La vérité est, d’après M. Piètrement, qu’au delà de son centre d’irradiation, la population chevaline asiatique s’est implantée de toutes pièces dans certaines contrées initialement dépourvues de chevaux, tandis qu’en différents endroits elle a tout simplement exercé une influence plus ou moins considérable sur les races équestres qu’elle a pu rencontrer lors de son arrivée.
En ce qui concerne l’Europe occidentale, par exemple, où l’utilisation du cheval domestique paraît avoir été synchronique de celle du bronze, il est bien démontré que les Aryas y introduisirent le cheval et le bronze dès une époque très ancienne ; mais rien ne prouve qu’ils n’y ont pas dès lors trouvé ce métal et cet animal déjà en usage chez les peuplades qui les y avaient précédés ; rien ne prouve, enfin, qu’ils n’ont pas dompté et croisé avec leurs chevaux asiatiques ceux qui étaient naturels à l’Europe et qui paraissent n’avoir jamais cessé de l’habiter depuis l’âge du grand ours des cavernes.
Nous disons « qui paraissent », car on ne connaît absolument rien de l’histoire des races chevalines européennes dans la haute antiquité, ces races habitant des contrées dont la civilisation est relativement récente, et qui sont dépourvues de très anciens documents historiques et archéologiques.
Dans l’état actuel de nos connaissances, il n’est pas possible de reconstruire l’histoire des premiers âges du cheval domestique en Europe au-delà des Proto-Grecs.
Or, il paraît certain que ceux-ci n’ont pas trouvé de chevaux quand ils vinrent s’établir en Grèce4 .
p. 571Ces animaux ont dû y être importés de l’Asie-Mineure par les Scythes5 ; on dit même qu’à l’arrivée de ceux-ci en Thrace, les habitants furent si effrayés qu’ils crurent que l’homme et l’animal ne formaient qu’un seul corps : l’on assure même que c’est là l’origine de la fable des Centaures. On sait, d’ailleurs, que les Mexicains eurent les mêmes craintes et commirent la même méprise lorsqu’ils virent pour la première fois les cavaliers espagnols que Cortès lança contre eux. Quoi qu’il en soit, la domestication du cheval en Grèce est antérieure aux temps héroïques, puisque Homère6 parle des nombreux haras possédés par Priam.
Quant aux autres races chevalines européennes, la seule chose sur laquelle on ait pu s’appuyer pour déterminer leurs lieux d’origine est la connaissance de leurs aires géographiques actuelles. Or, d’après M. Sanson7 , qui a spécialement étudié la question, les races chevalines de l’Europe occidentale résultent de la domestication sur place, à une époque qu’il est impossible de déterminer exactement, des races quaternaires de cette région ; tandis que la plupart de celles de l’Europe méridionale sont d’origine asiatique et datent des migrations successives des diverses populations aryennes. ,
Les chevaux de ces populations rencontrèrent ou non un cheval autochthone et exercèrent sur celui-ci une influence plus ou moins considérable ou s’implantèrent dans les contrées dépourvues de races chevalines à leur arrivée.
Puis, par suite d’autres mouvements de peuples qui se produisirent successivement et à des époques plus rapprochées de nous, tels que l’invasion des barbares, les croisades, etc., les chevaux autochthones et d’importation, de même que ceux résultant du croisement de ces deux types, durent éprouver quelques modifications plus ou moins sensibles et même disparaître de certaines contrées, comme nous essayerons de le mettre en évidence en parlant des races chevalines qui ont successivement peuplé la péninsule italique.
En ce qui concerne les États Barbaresques, on admet qu’il existait p. 572des chevaux au nord du Sahara au moins 2000 avant Jésus-Christ, à l’époque où les Sémites (Cananéens et Arabes) y fondèrent des établissements, et peut-être antérieurement, du temps des Berbères. Il est même possible qu’il y eut là, comme nous le verrons plus loin, une race aborigène.
Tout le monde sait, d’un autre côté, que les chevaux numides jouissaient d’une grande célébrité comme beauté, énergie et rapidité, et que le cheval était devenu le symbole de Carthage.
Bien qu’il y ait, en Amérique, des traces paléontologiques de l’existence ancienne du cheval, il est presque hors de doute que la présence des chevaux domestiques actuels dans les deux Amériques n’est pas antérieure à la conquête de ces régions par les Espagnols, puisque ceux-ci ne les rencontrèrent pas à leur arrivée dans le pays.
C’est à une date moins ancienne encore que le cheval a été introduit en Australie.
Nous constatons, en somme, que les races chevalines dites orientales et celles de l’Europe occidentale paraissent peupler à elles seules toute la surface du globe.
Les premières, de beaucoup les plus nombreuses, sont représentées par les races aryenne8 et mongolique ou tour antenne9 ; d’où M. Piètrement propose d’appeler Equus caballus aryanus la race aryenne, dite arabe, à front plat et à chanfrein droit, et de désigner sous le nom Equus caballus mongolicus la race touranienne ou mongolique, dite dongolâwi ou turcomane, à front bombé et chanfrein busqué.
Quant aux races de l’Europe occidentale, les auteurs ne s’entendent encore ici ni sur leur nombre ni sur leurs caractères. Toutefois, M. Sanson en admet six : les races irlandaise (Equus caballus hibernicus), britannique (E. C. britannicus), germanique (E. C. germanicus), frisonne (E. C. frishis), belge (E. C. belgius), séquanaise (E. C. sequanius).
II. — Le Cheval dans les temps préhistoriques
Grâce aux documents historiques laissés par les antiques civilisations de l’Orient, nous avons pu retrouver des traces de la domestication p. 573du cheval à une époque antérieure à notre ère de près de 200 siècles.
Voyons maintenant s’il nous est possible de remonter plus haut encore vers les premiers âges du cheval.
L’histoire nous faisant ici défaut, nous sommes obligé de recourir à la paléontologie. Or, celle-ci démontre qu’il existait à peu près partout des représentants de l’Equus caballus pendant la période quaternaire : en Europe, en Amérique et même en Asie.
Toutefois, pas plus que le cheval aryen, le cheval quaternaire ne peut être considéré comme étant le prototype, la souche de l’Equus caballus ; car si la paléontologie n’a pas encore reconnu ce prototype, elle prouve néanmoins que les races qui en sont dérivées existaient déjà à une époque assez reculée de la période quaternaire ; si, d’autre part, elle n’a pu, jusque-là, nous montrer le cheval proprement dit dans les terrains tertiaires, elle nous a signalé, par contre, plusieurs débris fossiles du genre Equus dans les terrains pliocènes ou tertiaires supérieurs et même miocènes ou tertiaires inférieurs ; tels les débris de l’Equus sivalensis. C’est donc, selon toute probabilité, dans les terrains supérieurs ou inférieurs qu’on aura des chances de rencontrer la souche de l’Equus caballus.
Nous avons fait remarquer précédemment que certaines contrées ne possèdent pas de races chevalines propres, que, d’après différents documents historiques, plusieurs de ces contrées étaient dépourvues de chevaux avant l’importation des types asiatiques ; nous avons vu, d’autre part, qu’on avait trouvé partout des représentants quaternaires de l’Equus caballus, aussi bien dans les pays qui paraissent n’avoir jamais cessé de posséder le cheval depuis les premiers temps de la période quaternaire, que dans ceux où son absence à un moment donné est enregistrée par l’histoire. Partant de là, on est obligé d’admettre que certaines races chevalines ont disparu du globe ; c’est là, d’ailleurs, un fait indéniable depuis les travaux de Pallas, de Lamark, de Cuvier et des paléontologistes plus récents.
Pour montrer que, depuis le commencement de l’époque quaternaire, le genre Equus a été décimé comme tant d’autres genres, il suffit de citer, parmi ses anciennes espèces, l’Equus neogœus, l’Equus Devillei, l’Equus curvidens, l’Equus plicidens, etc., dont on ne retrouve plus les débris, ni dans les gisements de l’âge du renne, ni dans ceux des âges plus récents.
p. 574Il nous reste à rechercher quelles sont les races chevalines qui ont ou qui paraissent avoir disparu :
Nous avons d’abord la race chevaline quaternaire de l’Amérique septentrionale, dont la disparition ne paraît guère douteuse si l’on tient compte de ce fait que les Espagnols ne rencontrèrent pas de chevaux dans le pays lorsqu’ils y arrivèrent.
La paléontologie des États Barbaresques nous fournit aussi la preuve de la disparition d’une race chevaline dans ces contrées. On y a trouvé, en effet, de os quaternaires d’âne et d’une race chevaline remarquable par la finesse de ses extrémités. Or, celle-ci s’est évidemment éteinte, la population chevaline actuelle des États Barbaresques étant exclusivement composée, d’après M. Sanson10 , de sujets appartenant aux trois races dongolâwi, arabe et allemande.
Dans la Péninsule Hispanique, de même que dans les départements français situés au sud du bassin de la Loire, nous constatons encore la disparition de plusieurs races chevalines, puisqu’on y a trouvé des ossements quaternaires d’Equus caballus et que tous les chevaux qui foulent aujourd’hui leur sol appartiennent aux deux races d’origine orientale.
Dans la Péninsule Italique on a également trouvé de nombreux débris quaternaires d’une race chevaline depuis longtemps disparue, puisqu’on ne rencontre plus aujourd’hui de chevaux propres à l’Italie et que la race allemande, d’après M. Sanson, la peuple exclusivement11 .
Enfin, la Pologne, la Russie, la Bohème, l’Hongrie, etc., sont elles-mêmes exclusivement occupées aujourd’hui par des chevaux d’origine asiatique. Or, comme on a trouvé des ossements quaternaires d’Equus caballus dans le bassin du Danube, il est probable que, là encore, il y a eu disparition d’une race chevaline quaternaire.
Est-il possible de déterminer l’époque à laquelle sont disparus les p. 575chevaux des régions actuellement dépourvues de races propres ? En ce qui concerne la région située au sud du bassin de la Loire, les débris de ces chevaux, dit M. Piètrement, ont été retrouvés en place, non seulement dans les dépôts ossifères de l’âge du renne, mais aussi dans d’autres plus récents qui sont caractérisés par l’usage des armes en pierre polie dans nos contrées, et par la retraite de l’aurochs en Suisse et vers le nord.
Il s’ensuit que les races chevalines quaternaires de nos départements méridionaux paraissent s’être éteintes vers la fin de l’âge de la pierre polie, c’est-à-dire un peu avant ou lors de l’arrivée des plus anciennes migrations aryennes en Occident, migrations qui ont introduit dans nos contrées l’usage du bronze et les chevaux orientaux, lesquels y furent dès lors définitivement naturalisés.
Il est évident, d’un autre côté, que l’homme existait en même temps que les représentants du genre Equus, dès l’époque tertiaire.
Les preuves deviennent surtout nombreuses et incontestables, sur les rapports de l’homme avec diverses races de chevaux, pendant toute la durée de l’époque quaternaire.
La paléontologie prouve, en outre, que le cheval, du moins en Europe, a été chassé, tué et mangé par l’homme quaternaire de cette contrée, avant d’être réduit en domesticité, depuis le commencement de la période quaternaire jusqu’à l’époque de l’âge de bronze, c’est-à-dire pendant un laps de temps qui ne paraît pas pouvoir être évalué à moins de 300,000 ans.
Dans un remarquable mémoire sur les chevaux quaternaires de la station de Solutré, qui appartient à l’âge de la pierre taillée et où l’on a trouvé un tel amas d’ossements fossiles de chevaux qu’on a pu les considérer comme ayant appartenu à 50,000 et même à 100,000 sujets, M. Toussaint, de l’École vétérinaire de Lyon12 , déclare bien que ces chevaux ne vivaient point à l’état sauvage et qu’ils étaient déjà réduits en domesticité. Mais, se plaçant chacun à un point de vue différent, MM. Sanson et Piètrement ont successivement démontré le contraire , 13 . ,
Chapitre II
De l'espèce et de la race en général
De même qu’il nous a paru indispensable de donner une idée générale de l’organisation du cheval avant d’entreprendre l’étude à part de chacune de ses régions, de même nous pensons qu’il est nécessaire de rappeler brièvement ici ce qu’on entend par espèce et par race. Cette définition permettra, d’ailleurs, de se rendre plus facilement compte de certains détails dont nous aurons à nous occuper par la suite.
I. — Définition de l'espèce
Le règne animal ne se compose que d’individus ; mais, parmi ceux-ci, un certain nombre ont entre eux une grande ressemblance et se reproduisent avec les mêmes caractères essentiels.
Ce sont ces réunions d’individus constitués d’après le même type qui forment les espèces. Ainsi, les hommes, les chevaux, les chiens, constituent autant d’espèces distinctes.
Généralement, un nombre plus ou moins considérable d’espèces se ressemblent beaucoup et ne diffèrent entre elles que par quelques caractères peu importants ; tels le cheval et l’âne, le chien et le loup.
C’est la réunion de ces espèces qui constitue les genres, etc.
Si donc l’on s’en tient à l’exposé des faits qui tombent immédiatement sous les sens, rien n’est plus simple que la définition de l’espèce.
Il n’en est pas de même lorsqu’on admet, avec Geoffroy Saint-Hilaire contre Cuvier, que le naturaliste n’est pas seulement un observateur, un classificateur, mais un penseur, et que son œuvre est de synthèse autant que d’analyse ; car, ainsi envisagée, l’histoire naturelle comprend l’étude comparée des êtres qui vivent ou qui ont vécu à la surface du globe, et la définition de l’espèce se complique fatalement de l’expression du résultat de cette comparaison. Or, quel est ce résultat ? Pour les uns, c’est la fixité absolue ; pour les autres, c’est la variabilité limitée ou illimitée des types spécifiques.
p. 577Aussi, ne s’étonnera-t-on pas, dit Isidore Geoffroy Saint-Hilaire14 , de voir la définition de l’espèce placée par les maîtres de la science au nombre des plus grands problèmes dont l’esprit humain ait à se préoccuper. ,
D’après Linné, Buffon et Cuvier, les types végétaux et animaux sont, depuis l’origine, ce qu’ils sont actuellement : « Il y a, dit Linné, autant d’espèces diverses que l’Être Infini a créé de formes distinctes originairement15 » . ,
Plus tard, toutefois, Linné et Buffon, embrassant une croyance contraire, firent une part très large à la variabilité et admirent la transformation des types spécifiques ; mais, tandis que d’après Linné le croisement et l’hybridation sont à peu près les seuls procédés mis en œuvre par la nature pour atteindre ce résultat, d’après Buffon, cette transformation des espèces reconnaît pour cause première l’influence des milieux.
Plus linnéen que Linné lui-même, Flourens conclut catégoriquement à la fixité : « Les diverses espèces sont et restent éternellement distinctes16 , » dit-il. ,
Au contraire, Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire, Darwin, et avec eux toute l’école philosophique, proclament que, loin d’être indépendantes l’une de l’autre, les diverses espèces sont simplement les rejetons diversement développés d’une même forme primitive17 , dont les caractères ne sont fixes qu’autant que les circonstances restent les mêmes , 18 .
Enfin de Quatrefages, de Blainville lui-même, quoique l’un des plus illustres représentants de l’école positive, admettent une certaine constance jointe à une certaine variabilité19 et la formation de « variétés fixes » sous l’action des influences locales. ,
Somme toute, malgré la divergence des opinions sur l’espèce, il résulte clairement des définitions précédentes que la plupart des naturalistes modernes admettent, au moins une certaine variabilité des p. 578types spécifiques. Cela nous suffit pour le moment ; car il est bien entendu que nous n’avons ni l’intention ni la prétention de discuter si cette variabilité est simplement limitée, comme l’admet M. de Quatrefages, ou illimitée, comme le veulent Lamarck, Darwin, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, etc.
Une seule chose, pour nous, est intéressante à noter, c’est que, sous la pression de certaines influences de milieux, telles que le climat, la nourriture, l’exercice, etc, de nouvelles formes peuvent naître des formes préexistantes et constituer des variétés dans l’espèce.
« ... C’est ainsi que, chez les animaux domestiques, nombre d’organes s’atrophient par suite du changement de genre de vie qui les a réduits à l’inaction. Les canards et les poules qui, à l’état sauvage, volent très bien, perdent plus ou moins cette faculté à l’état domestique... De même que, dans ce dernier cas, la fonction et, par suite, la forme de l’organe, s’amoindrissent par le défaut d’usage, il arrive, au contraire, qu’elles s’exagèrent par un exercice forcé... Citons spécialement le chien et le chat, si étonnamment ennoblis par la domestication, et si supérieurs à leurs frères sauvages par le développement de l’activité fonctionnelle ; or, évidemment, ici la transformation correspondante du cerveau est due en grande partie à un exercice persistant... Nombre d’exemples d’amphibies et de reptiles montrent avec quelle puissance l’influence extérieure des habitudes agit sur le genre de vie des animaux et les transforme morphologiquement. Notre serpent indigène le plus commun, la couleuvre à collier, pond des œufs qui, pour éclore, ont encore besoin de trois semaines. Mais, si l’on tient ces animaux captifs dans une cage, en ayant soin de ne pas la joncher de sable, alors ils ne pondent pas et gardent leurs œufs jusqu’à leur éclosion. Ainsi, il suffit de modifier le sol pour effacer toute différence apparente entre des animaux ovipares et des animaux vivipares... 20 . » ,
En ce qui concerne nos races chevalines, combien aussi sont profondes les modifications qu’un changement de milieux peut imprimer chez elles ! Quelle différence, par exemple, entre le type oriental des plaines de Tarbes ou de l’Andalousie et celui de la Camargue, de la p. 579Corse ou de la Sardaigne ; entre le cheval breton élevé dans le Perche ou la Beauce et le même animal élevé dans son pays natal ; entre le cheval arabe et son descendant redevenu libre des pampas de l’Amérique du Sud !
Il est bien hors de doute, en somme, que, sous l’action d’influences naturelles ou artificielles plus ou moins bien déterminées, les espèces sont susceptibles d’éprouver au moins certaines modifications secondaires qui ont une durée tout à fait éphémère ou se reproduisent avec une fixité relative.
Ce sont ces modifications que nous allons examiner sous les noms de variété et de race.
II. — Définition de la variété et de la race
On entend par variété « tous les individus de même espèce qui diffèrent par la forme extérieure, le volume, la couleur ou autres propriétés secondaires, sans que les différences se perpétuent par la génération, sauf dans un très petit nombre de circonstances déterminées et généralement identiques. »
Quant à la race, c’est la « collection des individus de même espèce qui présentent un ensemble de différences de même ordre que dans la variété, différences prononcées, et qui, une fois produites, se reproduisent dans un certain nombre de circonstances qui ne sont pas complètement identiques21 » . ,
Bien d’autres définitions de la race ont été données ; mais, quels que soient les termes acceptés par les naturalistes, la plupart se font évidemment de celle-ci une idée tout à fait identique : c’est toujours une catégorie morphologique du règne animal.
Toutefois, M. le professeur Sanson, de l’Institut agronomique, le représentant le plus autorisé de la zootechnie en France, n’admet pas que la race soit une variété spécifique ; c’est, selon lui, la collection de tous les individus construits d’après un type figuré par l’espèce. Chaque race, en somme, est d’une espèce particulière et « représente la série des générations successives issues d’un couple pris à un moment indéterminé, admis comme celui de son commencement, et p. 580dont l’origine nous est et nous sera peut-être toujours inconnue [•] 22 ».
D’où sa division de l’Equus caballus en huit espèces distinctes23 comprenant chacune un certain nombre de variétés.
Malgré la légitime autorité dont jouit l’auteur de cette classification, nous croyons devoir nous en tenir, tant parce que la lumière n’est pas encore définitivement faite sur la caractéristique et l’origine de ses espèces, que pour être plus facilement compris de la majorité de nos lecteurs, à l’ancienne division de l’Equus caballus en un certain nombre de races à caractères plus ou moins bien déterminés. Nous aurons soin, toutefois, de signaler, pour chaque type chevalin que nous examinerons, le groupe spécifique auquel il appartient d’après l’auteur précité.
Très logique avec lui-même, avec ses idées bien arrêtées sur l’immutabilité de l’espèce, M. Sanson n’admet ni la formation de races nouvelles ni la transformation de celles qui existent : La race, dit-il, se conserve, se détruit et s’éteint ; elle ne s’améliore pas. S’il subsiste des doutes à cet égard, c’est que l’on ne s’est pas rendu suffisamment compte de la différence qu’il y a lieu d’établir entre les divers caractères qui distinguent les individus d’un même groupe spécifique. »
Selon lui, les espèces possèdent des caractères typiques et naturels qui n’ont pas changé, ne changent pas et ne changeront probablement jamais. Si l’influence des milieux, l’intelligence de l’homme, provoquent chez les animaux des aptitudes spéciales, des transformations plus ou moins profondes, celles-ci ne portent que sur les caractères secondaires ou zootechniques ; les caractères typiques, zoologiques, étant immuables, les altérations qu’ils peuvent subir accidentellement ne sont jamais que temporaires et ne se reproduisent point par la génération. La preuve, ajoute-t-il, c’est que les individus issus de deux souches paternelles ou maternelles dissemblables, accouplés entre eux, reviennent fatalement, par atavisme, soit au type de leur aïeul paternel, soit au type de leur aïeule maternelle. La puissance héréditaire ancestrale finit toujours par l’emporter sur la puissance héréditaire individuelle24 .
À l’appui de cette thèse, M. Sanson reproduit un certain nombre de têtes de chevaux anglo-normands où s’observe constamment le p. 581type de l’un ou de l’autre des ascendants. Le type intermédiaire n’existe pas.
Cependant, s’il est bien évident que les caractères se transmettent d’autant plus sûrement, en général, qu’ils sont plus anciens et que, par ce fait même, l’hérédité ancestrale est plus puissante que l’hérédité individuelle, il est non moins indiscutable que les modifications acquises, celles artificielles exceptées, sont héréditaires.
Reste à déterminer la valeur, ou plutôt l’étendue de ces modifications : D’après M. Sanson, nous le savons déjà, elles ne portent que sur les caractères secondaires ou économiques de la race et n’infirment en rien la fixité des caractères primaires ou zoologiques ; cette faculté de varier sous l’action d’influences naturelles ou artificielles caractérise même, selon lui, les caractères économiques. Ce qui le prouve, c’est que les caractères crâniens, les seuls réellement typiques, ne varient point.
Tel n’est pas l’avis de M. Magne, ex-directeur de l’École d’Alfort, qui dit textuellement que « par des croisements rationnels et de bons appareillements des métis, on peut faire disparaître en quelques années des caractères quasi-spécifiques ; sept à huit générations suffisent, ajoute-t-il, pour supprimer les cornes et pour modifier les formes de la tête dans le bœuf et dans le mouton25 » . ,
Pour notre compte personnel, nous ne saurions trop admirer les belles recherches que M. Sanson a faites sur la question si difficile de la caractéristique des races26 et les résultats réellement remarquables auxquels il est arrivé ; nous reconnaissons même qu’il n’est guère possible de ne pas admettre avec lui que, parmi tous les caractères pouvant servir à distinguer une race d’une autre, ceux fournis par le crâne sont les plus constants, les plus sûrs, les plus vrais. Mais, où nous ne sommes plus tout à fait du même avis que l’auteur précité, c’est en ce qui concerne la fixité, la valeur absolue de ces caractères. Nous ne croyons pas, en effet, qu’ils soient complètement à l’abri des p. 582modifications profondes qu’ont imprimées chez nos races chevalines les milieux, la nourriture, la sélection, le croisement, etc. Nous ne distinguons pas clairement, d’un autre côté, le point où s’arrêtent les caractères zoologiques et où commencent les caractères zootechniques.
La différenciation de ces caractères, si ingénieuse, si utile même que nous la considérions au point de vue pratique, nous paraît présenter ce grave défaut d’être artificielle et, conséquemment, sujette à erreurs. C’est ainsi que telle transformation s’arrête, pour les uns, aux caractères zootechniques, tandis que, pour les autres, elle atteint les caractères zoologiques.
Nous admettons, en somme, qu’il se passe chez nos races chevalines ce que les médecins allemands établis aux États-Unis ont observé en ce qui concerne l’anglo-saxon américain : celui-ci, disent-ils, présente, dès la seconde génération, des traits du type indien qui le rapprochent des Lenni-Lennapes, des Iroquois, des Chérokees... La peau devient sèche comme du cuir. La tête se rapetisse et s’arrondit ou devient pointue. Elle se couvre d’une chevelure lisse et foncée en couleur. Le cou s’allonge. On observe un grand développement des os zygomatiques et des masséters. Les fosses temporales sont profondes, les mâchoires massives. Les yeux sont enfoncés dans des cavités très profondes et assez rapprochées l’une de l’autre. L’iris est foncé, le regard perçant et sauvage. Le corps des os longs s’allonge, principalement à l’extrémité supérieure. Le larynx est grand, la voix rauque et criarde27 .
La preuve, d’ailleurs, que des modifications analogues, sinon plus profondes, peuvent se produire chez le cheval sous la seule influence d’un changement de milieux et de régime, nous est fournie par les races marronnes28 : « Les chevaux libres des pampas de l’Amérique, dit M. de Quatrefages, comme ceux des steppes de la Sibérie, ont perdu en partie les belles formes que l’homme leur avait données. La taille a diminué, les jambes et la tête ont grossi, les oreilles se sont allongées et rejetées en arrière, le poil est devenu grossier, les teintes du pelage se sont en partie uniformisées, et les robes les plus tranchées, telles que les noires et les pies, ont entièrement disparu29 . »
p. 583Aussi, notre conclusion est-elle que, sous l’action des changements de milieux, d’une nourriture différente, de la gymnastique fonctionnelle, du croisement, etc., la plupart de nos anciennes races ont subi certaines transformations qui ont à la fois porté sur les caractères zootechniques et sur les caractères zoologiques.
Des variétés et des races sont nées des anciens types ; puis, sous l’influence de nouveaux croisements, de nouvelles conditions hygiéniques, etc., les races de formation récente ont à leur tour donné naissance à de nouvelles variétés qui, suivant qu’on les a abandonnées à elles-mêmes ou qu’elles ont été maintenues avec leurs caractères acquis par des appareillements et des soins bien entendus, sont retournées au type de l’un des procréateurs ou se sont conservées et reproduites avec les caractères qui les distinguaient de la race primitive.
Or, grâce à la grande facilité des moyens de communication, aux progrès de l’agriculture, aux nécessités du commerce, et surtout aux croisements intempestifs avec le pur sang anglais, dont on a eu la fatale manie de faire l’améliorateur par excellence de toutes nos races chevalines, comme s’il ne fallait pas des gens et des animaux pour tous les métiers, bien rares aujourd’hui sont les races anciennes qui se sont conservées pures ; bien rares aussi sont celles qui, une fois constituées sur les débris des premières, n’ont pas dû subir quelques transformations nouvelles nécessitées par la mode, les besoins de l’armée ou du commerce.
Les races pures, en somme, et c’est là où nous voulions en venir, ont existé. Nous n’avons plus maintenant qu’une population chevaline comprenant un certain nombre de groupes constitués eux-mêmes par des éléments plus ou moins homogènes.
Ces groupes arrivant le plus souvent épars et subissant une même élaboration dans les mêmes conditions, il s’ensuit que les ressemblances sont surtout produites par les milieux, qui font contre-poids à l’hérédité ancestrale, impriment leur cachet propre et tendent ainsi à transformer plus ou moins les formes organiques, suivant que la prépondérance dans la lutte entre l’hérédité et les milieux appartient à l’une ou à l’autre de ces deux forces.
« Il n’est pas possible, dit M. Magne, d’établir entre les races une distinction rigoureuse, une distinction scientifique. C’est autant par l’aptitude à répondre à des besoins locaux, à des habitudes agricoles, p. 584par des dispositions à prospérer sous certains climats, à vivre, à prendre racine sur certains sols, que par les caractères zoologiques des animaux, que nous distinguons les races dans les cours de zootechnie et d’économie rurale30 . »
C’est pourquoi, en donnant plus loin les caractères des principales races chevalines françaises et étrangères, nous faisons cette réserve que le lecteur ne devra jamais leur accorder une valeur absolue.
Notre étude des races en particulier est plutôt un exposé circonstancié de l’état actuel de la population chevaline dans chaque centre important d’élevage ou de production, des efforts qui ont été tentés pour l’améliorer, des résultats obtenus, et, enfin, de la valeur comparative des types actuels et des types anciens.
Chapitre III
Des races chevalines en particulier
(Pl. XV et XVI).
Maintenant que nous savons ce qu’on entend par race et que nous connaissons les idées les plus généralement admises en ce qui concerne l’origine du cheval, nous allons étudier en particulier chacune des races chevalines les mieux connues.
Nous commencerons tout d’abord par diviser les chevaux en chevaux sauvages ou errants et en chevaux domestiques.
De ces divisions, la seconde, bien entendu, nous occupera plus spécialement. Les chevaux sauvages étant, en général, assez mal connus, niés même comme tels par certains auteurs, et se rapprochant plus ou moins des races chevalines domestiques, dont ils ne paraissent être, d’ailleurs, que les représentants redevenus libres, leur description sera très courte.
§ I- Chevaux sauvages ou errants
Les chevaux errants vivent dans une indépendance plus ou moins p. 585grande. Les uns, de moins en moins nombreux, meurent sans que l’homme les ait jamais soumis ; les autres perdent momentanément leur liberté. Ils sont, dans tous les cas, incomparablement moins beaux que ceux qui vivent à l’état domestique. Leurs éminences osseuses sont plus saillantes, leur tête plus grosse, leurs oreilles plus développées, leurs poils et leurs crins ordinairement plus longs, plus grossiers, plus ternes. On ne rencontre pas chez eux ces robes à reflets brillants des chevaux domestiques.
Et pourtant, il n’est guère douteux que la plupart, sinon tous, sont du type arabe ou barbe !
Comme la majorité des animaux sauvages, ils vivent en troupes conduites par un mâle, le plus beau, le plus fort généralement, qui, en chef courageux, s’offre le premier à tous les dangers : « Il veille à la sécurité de la bande ; mais, en retour, il exige l’obéissance. Il chasse les jeunes mâles, et tant que ceux-ci n’ont pas réuni quelques juments autour d’eux, ils sont condamnés à ne suivre la bande que de loin. Dès que le troupeau aperçoit un objet qui ne lui est pas familier, le chef renifle, remue les oreilles, court la tête haute ; s’il flaire quelque danger, il hennit bruyamment, et toute la bande s’enfuit au galop, les juments en avant, les étalons fermant la marche et protégeant la retraite. Souvent les juments disparaissent comme par enchantement : elles se sont cachées dans un bas-fond et attendent les événements. Les étalons ne craignent pas les carnassiers. Ils courent sus aux loups et les frappent de leurs membres de devant... L’on avait dit que, pour résister à leurs ennemis, ils se plaçaient en rond, la tête au centre, et lançaient continuellement leurs pieds en arrière : il y a longtemps que cette fable est démentie. Ce qu’il y a de vrai, c’est que les étalons forment un cercle autour des juments et des poulains quand un carnassier s’approche... »31 . ,
Dans tous les cas, les chevaux sauvages se défendent si bien des carnassiers que rarement on les voit périr par leur dent.
Ils n’ont pas de refuges fixes pour s’y livrer au repos.
La plupart d’entre eux se domptent facilement ; quelques-uns, cependant, sont absolument rebelles à l’éducation.
À l’exemple de Brehm, nous diviserons les chevaux libres en chevaux p. 586errants asiatiques, de l’Amérique du Sud, de l’Amérique du Nord, de l’Océanie et de l’Afrique.
Toutefois, nous ne comprendrons pas dans la catégorie des chevaux sauvages les races libres d’Europe, que nous décrirons en même temps que les races domestiques.
A. — Chevaux errants asiatiques
Aujourd’hui encore, on trouve dans les steppes de la Haute-Asie des troupeaux nombreux de chevaux assez peu différents de ceux que nous possédons, sans que l’on sache d’une façon certaine s’ils descendent des chevaux domestiques ou s’ils en sont la souche. Un grand nombre ressemblent tout à fait à des animaux sauvages ; d’autres, au contraire, se rapprochent beaucoup des chevaux domestiques.
Parmi, les chevaux sauvages asiatiques, on distingue le tarpan, le muzin, le cheval des steppes et le cheval nu.
a. — Tarpan
Le tarpan est généralement considéré par les Cosaques et les Tartares comme réellement sauvage (fig. 157 du texte).
Il vit en grand nombre dans toutes les steppes de la Mongolie, le désert de Gobi et les montagnes du nord de l’Inde ; mais il paraît avoir été plus répandu encore autrefois et avoir existé, il y a environ un siècle, dans la Sibérie et même dans la Russie d’Europe.
Sa taille est moyenne ; son encolure est mince et assez longue ; sa tête est relativement épaisse, à front bombé, à oreilles pointues, inclinées en avant, à yeux petits, vifs, étincelants, méchants. Ses poils sont épais, courts, ondulés, presque crépus en été ; ils sont plus longs en hiver. Sa crinière est courte, touffue et crépue. Son pelage d’été est brun ou fauve brun ; celui d’hiver est plus clair, presque blanc.
Les tarpans parcourent en tous sens les vastes steppes de la Mongolie et s’avancent généralement contre le vent. Par les temps de neige, ils gagnent les montagnes, les forêts, et grattent la neige pour paître. Les frères Schlagintweit les ont rencontrés à une altitude de 6,000 mètres au-dessus du niveau de la mer.
p. 587Dès que ces animaux aperçoivent une voiture traînée par des chevaux domestiques qui, avant l’asservissement, étaient leurs camarades, ils courent à eux, les entourent et les entraînent de gré ou de force. « Malheur aux personnes qui se trouvent dans la voiture ! En dépit des cris et des coups des gardiens, les chevaux des steppes, pris de fureur, brisent les voitures en morceaux à coups de pied et de dents, arrachent les harnais de leurs camarades, les rendent à la liberté ; puis, joyeux et hennissants, les emmènent avec eux en triomphe32 . »
Fig. 157. — Le tarpan.
Les tarpans sont difficiles à dompter. Leur force et leur sauvagerie défient l’adresse des Mongols eux-mêmes.
Qu’on les prenne jeunes ou à l’âge adulte, ils ne peuvent jamais être que mal apprivoisés. Ils restent toujours sauvages et rétifs.
p. 588D’ailleurs, la plupart des tarpans captifs succombent au bout d’un an ou deux. Les Mongols chassent ces animaux à cause des dommages qu’ils leur causent en enlevant leurs chevaux domestiques.
b. — Muzin
Les muzins ne sont autre chose que les chevaux domestiques redevenus libres. Ils se mêlent le plus souvent aux tarpans et les adultèrent plus ou moins.
Ces animaux attirent également les chevaux domestiques et les engagent à partager leur liberté.
C. — Cheval des steppes ou tartare
Le cheval des steppes de la Tartarie (fig. 158 du texte) n’est qu’à demi sauvage. Sa race est fort pure et il « paraît, dit Brehm, avoir du sang de la race arabe ». Doué d’une force et d’une vigueur extraordinaires, cet animal est surtout employé comme bête de selle. Les chevaux montés sont, d’ailleurs, seuls gardés à la maison et nourris de foin et d’orge ; les autres vivent toute l’année dans les steppes et doivent pourvoir eux-mêmes à leur nourriture. Cependant, on les fait rentrer toutes les vingt-quatre heures au village, et l’on trait les juments, qui se laissent assez facilement faire lorsqu’elles ont leurs petits devant elles.
Le lait de la jument tartare se boit pas frais : on le laisse fermenter, et on obtient ainsi le koumiss ou cumis, boisson enivrante, qui est pour les Tartares ce qu’est le vin pour nous33 .
« Le cheval des steppes rend au Tartare les plus grands services. Il le porte, lui et sa maison ; il bat son blé ; il lui aide à forcer le gibier. On emploie à divers usages sa peau et ses poils. On mange sa viande, sa graisse et ses viscères. La viande de cheval est pour les Tartares le mets le plus délicat... Chez les Iakoutes, la jeune épouse offre à son fiancé une tête de cheval cuite, entourée de saucisses faites avec la chair de la bête. Les crins de la queue, attachés aux arbres, réjouissent le génie de la forêt34 ».
Pour prendre un animal des steppes, le Tartare, monté sur un cheval p. 589agile et bien dressé, jette un nœud coulant sur le cou de l’animal dont il veut s’emparer, le sépare adroitement des autres, l’amène dans les champs et le fait galoper ventre à terre devant lui, à coups de fouet, jusqu’à ce que le cheval tombe épuisé. Il le bride ensuite, le garrotte de toutes parts, et le force ainsi à la docilité. Mais, sur dix chevaux, il s’en trouve toujours un ou deux absolument indomptables.
Fig, 158. — Le cheval des steppes ou tartare.
d. — Cheval nu
Le cheval nu n’a été signalé que depuis peu ; aussi, est-il mal connu. On ne peut pas bien préciser quelle est sa véritable patrie ; mais il a surtout été rencontré dans l’Afghanistan.
Fig. 159. — Le cheval nu.
Il est de taille moyenne et à peu près complètement nu. L’on peut dire même qu’il n’a ni crinière ni queue.
Sa peau, dit Brehm, est si sensible que le moindre harnais le blesse ; aussi ne peut-on le recommander comme animal domestique.
B. — Chevaux errants de l'Amérique du sud
On trouve encore dans l’Amérique du Sud de nombreuses troupes de chevaux errants, sur lesquels certains voyageurs nous ont laissé des détails intéressants.
p. 591D’après ces derniers, la population chevaline errante de l’Amérique du Sud serait née de juments andalouses importées par les Espagnols vers le milieu du seizième siècle : « Don Pierre de Mendoze, dit d’Azara35 , venu avec une flotte, fonda en 1535 la cité de Buenos-Ayres. Elle se dépeupla bientôt après, parce que les habitants passèrent au Paraguay, mais d’une manière si incommode et si précipitée, qu’ils ne purent emmener avec eux toutes les juments et qu’ils se virent obligés d’en abandonner plusieurs. ,
« Don Jean de Garay établit Buenos-Ayres de nouveau, le 11 août 1580, avec soixante habitants du Paraguay, qui y trouvèrent déjà un assez grand nombre de chevaux sauvages, provenus de ces juments »
Telle est l’origine de l’innombrable quantité de chevaux sauvages qu’on rencontre dans l’Amérique du Sud.
a. — Cimarrones
Les cimarrones habitent maintenant tous les pampas situés au sud de la rivière de La Plata ; ils se sont même, dit-on, propagés dans toute la terre des Patagons.
Ce sont des animaux très vigoureux, très résistants, de taille moyenne et ordinairement bai-châtain ou bai-brun. Ils ont la tête et les membres plus gros, l’encolure et les oreilles plus longues que les chevaux domestiques.
On les rencontre en troupeaux nombreux, comprenant quelquefois jusqu’à 1,200 individus.
Les habitants considèrent ces chevaux marrons comme nuisibles, en ce sens qu’ils dévastent les pâturages et entraînent les chevaux domestiques, comme font les tarpans.
Les Indiens mangent la viande des cimarrones ; mais les Espagnols la dédaignent.
On prend rarement un de ces chevaux pour le dompter ; seuls, les Indiens le font quelquefois.
b. — Mustang
Les mustangs habitent le Paraguay et ne sont qu’à demi errants. Cependant, l’indépendance dans laquelle ils vivent ne diffère guère de l’état sauvage.
Abandonnés presque à eux-mêmes, ils passent l’année à la belle étoile. On se contente de les réunir tous les huit jours pour qu’ils ne se dispersent pas trop. Ils ont une taille moyenne, une tête grosse, des oreilles longues, des jointures épaisses, etc.
Sur le sol tour à tour desséché ou inondé des llanos du Paraguay, la vie du cheval errant ne peut être, d’ailleurs, que misérable.
Quand l’ardeur du soleil a tari l’eau sur la surface de la terre, on voit des troupeaux de chevaux, tourmentés par la soif et la faim, errer de tous côtés, le cou tendu contre le vent et aspirant avec force, afin de reconnaître, à l’humidité de l’air, la présence d’une flaque d’eau qui ne soit pas encore entièrement évaporée.
Puis, lorsque la saison des pluies est arrivée, que les rivières ont inondé la plaine, ces mêmes animaux qui, dans la première moitié de l’année, languissaient épuisés de soif sur un terrain poudreux et desséché, se trouvent contraints par la nature à vivre en amphibies, à chercher à la nage, dans le domaine des crocodiles, qui leur brisent quelquefois les os avec leur queue dentelée, de misérables panicules fleuries de graminées qui s’élèvent au-dessus des eaux fermentées et noirâtres.
Que l’on joigne à cela la présence du jaguar et de nombreux essaims d’insectes armés d’aiguillons, et l’on s’expliquera facilement pourquoi les chevaux du Paraguay abandonnés à eux-mêmes vont en périclitant chaque jour.
D’ailleurs, ces animaux, dit Brehm, portent encore en eux un ennemi plus dangereux et jusque-là inconnu. « Plus que les chevaux qui errent dans l’Amérique du Sud, les mustangs sont souvent pris de panique. Ils se précipitent, comme des furieux, par centaines, par milliers : rien ne les arrête ; ils vont se briser contre les rochers, ou disparaissent dans les précipices. L’homme qui est témoin d’une pareille scène est saisi d’horreur ; l’Indien, le froid Indien lui-même, sent son cœur courageux rempli de crainte...36 . »
p. 593Bien nourris et bien soignés, les mustangs acquièrent vivement un poil court et luisant, des chairs fermes, un port noble et fier, etc. Ils se montrent, d’un autre côté, très vigoureux et très résistants à la fatigue.
À ce propos, nous devons noter en passant que, dans ces dernières années, de notables progrès ont été réalisés en ce qui concerne l’élevage et l’hygiène du cheval. Espérons donc que bientôt le triste tableau qu’il nous a fallu tracer des mustangs aura passé dans le domaine de la légende.
On chasse beaucoup ces chevaux pour se procurer leur peau et leur chair.
C. — Chevaux errants de l'Amérique du nord
On rencontre aussi un assez grand nombre de chevaux sauvages dans les plaines de l’Amérique du Nord, et notamment dans les prairies du Mexique. Comme ceux de l’Amérique du Sud, ces animaux descendent des chevaux domestiques primitivement amenés d’Espagne.
D’après Audubon37 , ils sont loin d’être élégants : leur tête est grosse, dit-il, avec une proéminence considérable au milieu du front ; leur crinière, épaisse et en désordre, pend jusque sur le poitrail ; leur queue, quoique peu fournie, balaye presque la terre ; mais, en revanche, ils ont une poitrine ample et profonde, des membres fins et nerveux, des pieds excellents, des yeux aussi bien que des naseaux annonçant beaucoup de vigueur et de fond. Aussi, la conclusion de l’auteur précité est-elle celle-ci : « ...L’introduction dans notre pays (États Unis) de cette espèce de chevaux des prairies de l’ouest devrait servir généralement à améliorer nos races ; et, si j’en juge d’après ceux que j’ai vus, je suis porté à croire que certains d’entre eux pourraient devenir propres à la course... » ,
La robe de ces animaux est baie.
D. — Chevaux errants de l'Océanie
« La Nouvelle-Galles du sud et la côte orientale de l’Australie ont aussi leurs chevaux errants. Ces chevaux, en grande partie importés p. 594du cap de Bonne-Espérance et de l’Inde, ont une poitrine étroite, un dos effilé, des hanches peu saillantes ; ils sont naturellement ombrageux et ont le pied peu sûr ; aussi sont-ils peu estimés38 . »
E. — Chevaux errants de l'Afrique
Ces chevaux sont très mal connus et paraissent peu nombreux.
Kumrah
« Le cheval que les Arabes des bords du Niger nomment kumrah, dit Brehm, ressemble beaucoup au poney : il est petit, mais bien proportionné ; il a la tête grosse, le front large, les oreilles assez grandes, les yeux médiocres, la queue et la crinière touffues, les poils plats, excepté sur le front, où ils sont laineux. La couleur de sa robe est le gris cendré ou le blanc... Sa voix tient le milieu entre le hennissement du cheval et le braiment de l’âne. Les indigènes le prennent et le domptent. Quoique d’abord très sauvage, il ne tarde pas à se soumettre et à s’apprivoiser39 . »
§ 2. - Chevaux domestiques
La plupart des auteurs, se basant sur ce fait que le cheval porte ou tire, divisent les races chevalines domestiques en deux grandes catégories : les races de selle et les races de trait.
Cette division, exacte au fond, a le tort de confondre certaines aptitudes qu’il est utile de distinguer.
La plupart des races, en effet, ne sont ni exclusivement de selle, ni exclusivement de trait, et ne peuvent être, par ce fait même, raisonnablement rangées dans un groupe plutôt que dans l’autre.
Pour les raisons que nous avons fait valoir précédemment (voy. Définition de la race), nous n’adoptons pas non plus la division des races chevalines en races brachycéphales et en races dolichocéphales. Cette division présente, d’ailleurs, l’inconvénient de ne donner, à première vue, aucune indication sur la conformation d’ensemble et p. 595les aptitudes générales des animaux compris dans chaque catégorie.
D’autre part, la détermination rigoureuse du type céphalique nécessite l’intervention de procédés de précision, d’instruments crâniométriques peu pratiques ; si même il est possible d’obtenir un résultat suffisamment exact en comparant la distance qui sépare la base de l’oreille de l’angle externe de l’œil (diamètre longitudinal), avec celle qu’il y a entre les deux bases des oreilles (diamètre transversal), il n’en résulte pas moins qu’il faut encore, pour cela, une grande habitude et une faculté d’observation toute spéciale. Or, il n’est pas douteux que de telles exigences ne répondent qu’imparfaitement au but que nous poursuivons.
Nous rejetons également la division en races dont l’allure naturelle est le trot et en races dont l’allure naturelle est le pas, cette division, comme la première, englobant dans un même groupe des chevaux dont les aptitudes sont absolument différentes.
Nous n’acceptons pas plus la division des races d’après la situation géographique du pays qui les produit, c’est-à-dire en races de l’ouest, de l’est, etc. À notre avis, cette division ne peut être utilisée qu’en second lieu.
Quant à la division en chevaux de course, de guerre, de luxe, d’industrie et de commerce, que nous avons adoptée pour la description des aptitudes (voy. IIe Partie, Aptitudes), elle n’est plus acceptable ici, certaines races fournissant des chevaux qui peuvent être rangés indistinctement dans l’un ou dans l’autre des groupes ci-dessus.
Nous préférons la division en races fines et en races communes ; mais, eu égard aux nombreux croisements qu’ont subis la plupart de nos races domestiques, aux tendances de plus en plus marquées des éleveurs vers le cheval fin, etc., nous nous voyons obligé, sous peine de nous butter à des inconvénients analogues à ceux qui nous ont fait rejeter les divisions précédentes, de proposer une classification nouvelle qui, intercalant un groupe intermédiaire entre les races fines et les races communes, permettra au lecteur de se faire plus facilement, à première vue, une idée des différents types renfermés dans chaque division.
Cette classification que nous proposons, et qui se rapproche, d’ailleurs, de celle adoptée par M. Gayot, partage nos races chevalines domestiques en trois groupes : les races fines ou légères, les races intermédiaires p. 596ou demi-fines, et les races communes ou lourdes, subdivisées elles-mêmes en races de l’est, du nord, du centre, de l’ouest, etc.
Maintenant, afin d’éviter toute ambiguïté et de prévenir certaines critiques, nous ferons observer que, par races fines, nous n’entendons pas exclusivement « celles qui sont de pur sang ou qui ont été croisées avec un animal de pur sang », de même que, dans la catégorie des races communes, nous ne comprenons pas seulement « celles qui n’ont jamais été croisées avec une race de pur sang ».
Tenant relativement peu compte de l’origine, nous nous laisserons surtout guider, pour ranger une race dans telle ou telle catégorie, par les caractères extérieurs et les aptitudes.
Notre division, enfin, est basée sur la forme et les aptitudes, et non sur l’origine.
I. Races fines ou légères
Parmi les races fines, nous comprenons celles dont les représentants, utilisables au trot ou au galop, peuvent se monter ou s’atteler, et même souvent s’atteler et se monter tout à la fois.
C’est dans cette catégorie que l’on range les races dites de pur sang (cheval anglais de course, cheval arabe), et celles qui fournissent la plupart des chevaux de cavalerie légère et même de ligne.
Nous étudierons successivement ces races dans les différents pays où on les rencontre.
A. — Races fixes orientales
Beaucoup d’auteurs, avec M. Sanson, n’admettent qu’une seule race orientale : la race asiatique (E. C. asiaticus), dont le principal représentant est l’arabe.
D’autres, au contraire, avec M. Piètrement, affirment que deux races sont nées en Asie : la race asiatique proprement dite, à laquelle ils donnent le nom de race aryenne (E. C. aryanus), et la race mongolique, dongolâwi ou turcomane (E. C. mongoliens), représentée principalement par le cheval barbe, et que M. Sanson croit originaire de la Nubie ; d’où le nom de race africaine ou nubienne (E. C. africanus) qu’il lui donne.
Sans prendre catégoriquement parti pour les uns contre les autres, p. 597nous avons fait valoir, à propos de l’origine du cheval, les raisons qui nous semblent militer en faveur de la thèse de M. Piètrement, et nous avons accepté sa manière de voir.
C’est pourquoi nous décrirons, parmi les races orientales, les races arabe et barbe40 .
Que celles-ci, d’ailleurs, soient originaires ou non d’Orient, cela n’a guère d’importance en ce qui concerne leur description. Le principal est que nous connaissions leurs caractères et leurs aires géographiques actuelles.
a. — Race arabe
Considéré avec raison comme le modèle achevé du cheval de selle et de guerre, le cheval arabe (Pl. XV, fig. 1) se distingue entre tous par son élégance, l’harmonie de ses formes, son énergie, sa résistance à la fatigue et aux privations.
Nul autre cheval ne possède à un aussi haut degré que lui les qualités fondamentales de l’espèce. Dans son organisation, tout est au titre le plus élevé et dans un équilibre parfait.
Pur de tout mélange, il est le type de la beauté artistique dans son espèce ; c’est une œuvre d’art.
Sa tête surtout est remarquablement belle par sa forme, par son attache et par son expression. Le front est large, carré ; l’œil grand, bien ouvert, à fleur de tête, annonce l’intelligence et l’énergie ; les paupières sont entourées d’un cercle noirâtre qui donne à la physionomie une expression particulière de douceur et fait dire du cheval arabe qu’il a le regard ami ; les oreilles sont bien dirigées, petites et très mobiles ; la face est relativement courte et le chanfrein droit ; les naseaux sont larges, très ouverts ; la bouche est moyennement fendue ; les lèvres sont minces et fermes ; les joues sont plates ; l’auge est bien évidée.
L’encolure, bien sortie et gracieuse, ne paraît un peu courte que parce qu’elle est très musclée.
Le garrot, sec et élevé, se prolonge fortement en arrière ; la ligne p. 598dorso-lombaire, bien dirigée, bien musclée, bien soudée à la croupe, peut être donnée comme un type de beauté ; la croupe a une conformation irréprochable ; la queue est élégamment portée et garnie de crins très longs, fins et soyeux ; la poitrine est ample ; les côtes sont bien descendues et arrondies, surtout en arrière de l’épaule ; les flancs sont courts.
Les membres sont ordinairement bien dirigés et toujours solidement charpentés : l’épaule surtout est remarquable par sa longueur, sa musculature et sa direction ; l’avant-bras est long, bien musclé ; le genou large ; le canon court ; les tendons sont forts, denses, nettement détachés ; le paturon est souvent un peu long ; la jambe bien descendue et bien musclée ; les sabots, enfin, sont grands, larges, et constitués par une corne dure et élastique41 . La taille du cheval arabe est un peu petite : 1m,48 en moyenne, mais « dans cette race, comme dans toutes les autres, dit Vallon, elle est en rapport avec la quantité et la qualité des aliments que les animaux reçoivent. Elle est élevée dans les pays fertiles ; petite dans ceux qui ne le sont pas. Le cheval des contrées arides, rocheuses et accidentées, comme le Nedj, n’a que 1m40, au plus ; tandis que celui qui vit dans les pays riches et fertiles, tels que les plaines de la Mésopotamie arrosées par l’Euphrate ou le Tigre, dans les vallées de la Bekaka, d’Antioche et de l’Oronte, dans le Hauran, en Syrie, atteint jusqu’à 1m,58 [•] 42 ».
La robe est le plus souvent blanche ou gris clair ; mais les sujets de robe foncée, noire, baie ou alezane ne sont cependant pas rares.
Le cheval arabe est doué d’un tempérament sanguin et nerveux que décèlent la finesse de sa peau, de ses crins et de ses poils, la fermeté de ses chairs et la densité de sa corne.
Il supporte admirablement les privations et se contente d’aliments et de boissons que ne prendraient pas les chevaux européens. Il résiste supérieurement aux fatigues, et sa robuste organisation lui permet de vivre sous tous les climats, dans les contrées très chaudes et dans les contrées très froides. Sa douceur et sa docilité le rendent d’un dressage facile et prompt.
p. 599« On pense encore généralement en Europe, dit Vallon, que depuis plus de 2000 ans, les Arabes inscrivent la généalogie de leurs chevaux sur des registres ; que la saillie de leurs juments et la naissance de leurs poulains ont lieu en présence de témoins ; qu’un acte authentique, dûment légalisé, est établi pour constater la généalogie des produits. Rien n’est moins vrai que cette opinion, introduite chez nous par des voyageurs européens, et qui a pris sa naissance dans les récits inventés à plaisir par les maquignons des bords de l’Euphrate, de Damas, d’Alep, de Hamah, etc., pour exploiter la crédulité des Européens et vendre leurs chevaux bien au-dessus de leur valeur... Si, au désert, on demandait à un Anezé, ou à tout autre nomade, l’extrait de naissance du cheval qu’il vend, il se rirait de notre crédulité. Il est vrai que les maquignons qui conduisent des chevaux aux marchés de Bagdad, de Bassora, de Damas, d’Alep, de Médine, de la Mecque, ont soin de leur mettre au cou des sachets contenant un soi-disant extrait de naissance, mais ce sont là, nous le répétons, des moyens frauduleux, employés pour exploiter la crédulité des Européens. Il serait, du reste, très curieux, ajoute l’auteur précité, qu’un peuple qui n’a pas d’état civil, eût, pour ses chevaux, une généalogie établie depuis plus de 2000 ans et tenue parfaitement en règle [•] 43 ».
La vérité est que les Arabes ne connaissent la généalogie de leurs chevaux que jusqu’à la deuxième et rarement à la troisième génération.
Ils ne s’entendent, d’ailleurs, ni sur le nombre des variétés ou familles diverses que comprend la race arabe, ni sur les caractères propres à chaque variété. Tous les habitants de la Syrie s’accordent pourtant pour diviser les chevaux en deux grandes classes : 1° les chevaux nobles, koheil ou nedjdi ; 2° les chevaux communs, ou guédich.
Quoi qu’il en soit, le coursier arabe fait partie intégrante de la famille nomade ; il est le compagnon aimé du musulman, l’agent principal de sa puissance, et il inspire aux poètes de la tente leurs chants les plus enthousiastes.
« Chez un peuple pasteur et nomade, dit le général Daumas, qui rayonne sur de vastes pâturages, et dont la population n’est pas en rapport avec l’étendue de son territoire, le cheval est une nécessité p. 600de la vie. Avec son cheval, l’Arabe commerce et voyage, il surveille ses nombreux troupeaux, il brille au combat, aux noces, aux fêtes de ses marabouts ; il fait l’amour, il fait la guerre ; l’espace n’est plus rien pour lui44 . »
Aussi, de tout temps, chez les Arabes, le cheval a-t-il été l’objet de la plus grande sollicitude, et cette sollicitude, le Prophète n’a négligé aucune occasion de l’entretenir, de la développer ou de l’augmenter par le sentiment religieux. C’est lui qui a dit :
« Le bonheur dans ce monde, un riche butin et les récompenses éternelles sont attachés au toupet des chevaux...
« L’argent qu’on dépense pour les chevaux passe, aux yeux de Dieu, pour une aumône qu’on fait de sa propre main...
« Chaque grain d’orge qu’on donne au cheval est inscrit par Dieu dans le registre des bonnes œuvres etc., etc. »
Alliés à des exercices gradués, les soins que les Arabes prodiguent à leurs chevaux conduisent rapidement ceux-ci à ce haut degré de puissance qu’ils atteignent à l’âge adulte.
Malheureusement, nous devons à la vérité de dire que, dans un grand nombre de contrées où jadis il atteignait ses plus hautes qualités, le cheval arabe n’est plus aujourd’hui que l’ombre de lui-même.
Sa production, d’ailleurs, n’est pas seulement moins soignée, mais elle diminue dans des proportions considérables.
Nous constaterons surtout ce fait en ce qui concerne le cheval des États Barbaresques.
Les principaux centres de production du cheval arabe sont maintenant en Arabie, en Syrie et en Mésopotamie, surtout en Syrie. C’est de là que se tirent les étalons les plus estimés. Mais la race peuple actuellement tous les pays musulmans de l’Asie, de l’Afrique et de l’Europe, depuis la Perse jusqu’au Maroc, en passant par l’Arabie, l’Égypte, la Turquie, la Tunisie et l’Algérie.
b. — Race barbe ou berbère
La race barbe, que nous avons considérée, avec la race arabe, comme originaire de l’Asie, d’où elle aurait été introduite en Égypte lors de p. 601l’invasion des Hyksos45 , est décrite par M. Sanson sous le nom d’espèce africaine (Equus caballus africanus), cet auteur la considérant comme née en Nubie.
C’est elle qui est connue des égyptologues sous le nom de race dongolâwi et que M. Piètrement propose d’appeler race touranienne ou mongolique (E. C. mongoliens), en raison de l’origine qu’il lui assigne.
Le cheval barbe est plus anguleux que l’arabe. Sa tête est busquée ; ses oreilles sont bien dirigées ; ses naseaux relativement étroits. Son encolure, généralement grêle et renversée (encolure de cerf), présente souvent le coup de hache. Sa poitrine est moins ample, sa croupe plus étroite et plus oblique que chez le cheval arabe. Son garrot est bien sorti et sec. Ses membres sont un peu longs, avec des cuisses généralement grêles et des aplombs souvent défectueux. Le cheval barbe, en effet, est fréquemment panard du devant et clos du derrière. De plus, les avant-bras et les jambes sont un peu courts.
Il a, d’ailleurs, tous les caractères de finesse et de distinction qui appartiennent aux chevaux orientaux sans exception.
Ce cheval est peut-être le plus sobre et le plus rustique de tous ceux de l’Orient.
Suivant l’émir Abd-el-Kader, le cheval berbère, loin d’être une dégénérescence du cheval arabe, lui serait au contraire supérieur. Les Berbères auraient autrefois occupé la Palestine et c’est là qu’ils auraient élevé ce cheval, qui est devenu le modèle des chevaux de guerre. Amenés en Afrique par les vicissitudes de leur vie aventureuse, ils y auraient soigneusement conservé l’hôte de leurs tentes, l’instrument de leurs chasses, le compagnon de leurs combats. Leurs chevaux auraient gardé des qualités si éminentes qu’un souverain d’Asie, engagé dans une guerre périlleuse, aurait fait venir des coursiers berbères46 .
Cinquante années de guerre en Afrique et surtout la campagne de Crimée ont, d’ailleurs, démontré qu’il est excellent cheval de guerre et qu’il résiste aussi bien aux plus grandes chaleurs qu’au froid le plus rigoureux. « Tandis que les beaux chevaux anglais tant vantés, et d’ailleurs pouvant rendre de bons services dans certaines conditions données, dit M. Richard, périssaient si rapidement en Orient, nos p. 602petits chevaux d’Afrique y supportaient la fatigue d’une manière admirable47 .»
M. le général Daumas a publié à ce sujet un certain nombre de lettres qui, toutes, se rapprochent plus ou moins de la suivante : Nos chevaux d’Afrique ont admirablement supporté les rigueurs de l’hiver, les privations et les fatigues. On croyait qu’ils ne pourraient endurer ni le froid, ni la neige, ni la gelée, et cependant ils sont sortis victorieux de toutes ces épreuves qui, Dieu le sait, ne nous ont pas fait défaut, sans autre abri qu’une simple couverture
C’est une race admirable ! Vous l’avez popularisée en France par votre ouvrage des Chevaux du Sahara ; la guerre d’Orient vient de la populariser en Angleterre
Les Anglais nous offrent des prix fabuleux des chevaux barbes que nous avons ici, mais vous comprenez que les marchés sont très rares : nous en avons besoin et nous les gardons
La taille du cheval barbe est généralement plus élevée que celle de l’arabe.
La robe est la même.
Le cheval berbère se trouve en Perse et surtout en Égypte, en Nubie, en Algérie, en Tunisie et dans le Maroc.
Bien que ses caractères généraux restent les mêmes dans les différentes contrées où on le rencontre, il présente cependant, dans chacune d’elles, quelques particularités assez saillantes pour qu’il soit utile d’en dire un mot.
C’est pourquoi nous allons décrire brièvement ici les chevaux algériens, marocains et tunisiens.
1° Chevaux algériens. — Les trois départements algériens sont loin d’avoir une population chevaline homogène. Celle-ci présente, dans chacun d’eux, des différences assez notables, tant comme nombre que comme qualité des individus.
Relativement au nombre, la division de Constantine est la plus riche ; celle d’Alger la plus pauvre.
Quant à la qualité, le cheval qui vient d’Oran est plus grand, plus p. 603étoffé, mieux membré, présente plus d’harmonie que ceux des autres provinces, et la remonte est aussi plus homogène.
Le cheval d’Alger a généralement moins de taille, le corps bien développé ; mais ses membres sont souvent un peu grêles.
Le cheval de Constantine a la taille élancée, de la force, de l’énergie ; mais il laisse aussi à désirer sous le rapport des membres, dont les articulations sont étroites, notamment celle du jarret.
2° Chevaux tunisiens. — Les chevaux de la Régence de Tunis furent longtemps les plus beaux représentants de la race barbe. Mais, actuellement, à part quelques exceptions, la population chevaline est dans un complet état d’abâtardissement. Voici, d’ailleurs, les principaux caractères du cheval tunisien, d’après la notice que nous faisions paraître en 188348 : Tête expressive, bien portée ; oreilles un peu longues, mais droites et bien plantées ; œil vif, intelligent ; chanfrein ordinairement busqué, plus rarement droit ; naseaux généralement étroits ; ganaches très rapprochées ; poitrine étroite ; dos court, droit, souvent de mulet ; garrot élevé, sec, tranchant, très reporté en arrière ; reins assez bien attachés, quoique un peu longs la plupart du temps ; croupe légèrement oblique et longue ; fesses bien descendues ; cuisses et jambes longues, obliques, bien musclées ; épaules généralement droites ; avant-bras longs, bien musclés ; canons faibles et tendons presque toujours fortement faillis ; paturons longs et obliques ; jarrets assez larges et épais, mais ordinairement beaucoup trop coudés.
La taille est petite et oscille entre 1m,38 et 1m,48.
Les aplombs se montrent généralement défectueux : les chevaux tunisiens sont presque toujours sous eux du devant et du derrière ; ils sont, en outre, la plupart du temps, panards des membres antérieurs et clos du derrière.
Aussi, malgré une énergie, une force de résistance étonnantes, le cheval tunisien ne peut-il faire, dans la plupart des cas, qu’un piètre cheval de cavalerie.
Le plus regrettable, c’est que cette décadence du cheval arabe est plus ou moins manifeste dans tout le nord de l’Afrique.
3° Chevaux marocains. — Comme le cheval tunisien, et peut-être p. 604plus encore, le cheval marocain est en pleine décadence. D’après Vallon, c’est le plus mauvais des chevaux barbes.
B. — Races légères françaises
La France possédait autrefois un grand nombre de races chevalines légères, en général très estimées. Toujours soumises aux mêmes conditions de milieux et de nourriture, pures de tout mélange, ces races se conservaient avec leurs caractères particuliers et se distinguaient facilement l’une de l’autre.
Mais aujourd’hui, grâce aux progrès de l’agriculture, à la facilité des moyens de communication, et surtout aux croisements souvent intempestifs dont nos anciennes races légères ont été l’objet, fréquemment même les victimes, « elles se sont plus ou moins profondément modifiées, à tel point qu’on a de la peine à retrouver, dans les chevaux de nos jours, les types d’autrefois ; quelques-uns ont même complètement disparu49 ».
« Aujourd’hui, dit d’autre part M. Richard, il n’y a plus de trace des anciennes races légères de chevaux français. En examinant nos régiments de cavalerie, ce que nous avons fait bien souvent, il est impossible de reconnaître un cheval né en Auvergne, en Limousin, aux Pyrénées, ou ailleurs : on a défait les races50 . »
C’est donc surtout aux races légères que s’applique la conclusion que nous avons cru devoir tirer de notre définition de la race.
Comme nous le verrons, la plupart ont une origine orientale.
1. — Races légères du Centre
Le cheval limousin occupait jadis le premier rang parmi les chevaux fins français ; il était même considéré à juste titre comme le type du cheval de guerre :
« Dans le passé, la race limousine plane sur toutes les autres et les p. 605domine ; de toutes, elle a été la plus accréditée en Europe ; on en avait fait une gloire nationale51 . »
D’après Vallon, le cheval limousin était plein de bonnes qualités ; il était doux, souple, élégant, adroit, sûr dans les mauvais chemins, intelligent et sobre. « C’était, dit d’autre part M. Sanson, le cheval de selle le plus élégant et le plus estimé de nos pères. Il avait les membres fins et nerveux, d’une solidité comparable à celle de l’acier, et avec cela un courage et une énergie sur lesquels son cavalier pouvait toujours compter52 . »
« Lorsque la race limousine, la plus belle de France, écrit enfin Grognier, était dans toute sa vigueur productive, elle fournissait les écuries de la cour, montait les grands seigneurs et les officiers généraux ; ce qu’elle offrait de moins distingué servait aux remontes de deux régiments de hussards et de deux régiments de dragons. »
Cette opinion des auteurs précités sur l’ancien cheval limousin est, d’ailleurs, celle de tous les hippologues réellement dignes de ce titre. Aussi, nous dispenserons-nous de réfuter les dires de certains auteurs fantaisistes qui, dans ces derniers temps, ont voulu nous prouver que les qualités de certaines de nos anciennes races, parmi lesquelles la race limousine, étaient absolument négatives.
La plupart des hippologues s’accordent à regarder le cheval limousin comme datant de l’occupation de l’Espagne par les Maures et de l’invasion des Sarrasins dans toute la partie méridionale de la France.
Ce cheval, dont les caractères distinctifs étaient ceux du barbe, avait son centre de production dans la Haute-Vienne ; mais on ignore l’époque de sa plus grande splendeur : Dès 1770, en effet, Bourgelat écrit qu’il est en pleine décadence ; tandis que, d’après Houël, il aurait atteint son apogée vers la fin du règne de Louis XV.
Quoi qu’il en soit, sous la première République et le premier Empire, le Limousin fournit encore un grand nombre de bons chevaux de troupe. Tout le monde sait, en effet, que les vieux soldats de cette époque les avaient baptisés du titre pittoresque de mangeurs de baïonnettes, voulant par là faire allusion à l’ardeur avec laquelle ils se précipitaient sur les rangs ennemis.
p. 606D’ailleurs, en 1814, on a remarqué que, de tous les types de chevaux utilisés par les armées françaises et alliées, le cheval limousin avait incomparablement le mieux résisté.
Les différents croisements que l’ancienne race limousine a successivement subis avec le cheval arabe, le cheval espagnol, le pur sang anglais, l’ont profondément modifiée. Aussi, le cheval limousin actuel n’a-t-il plus la même conformation physique et les mêmes qualités que son ancêtre.
L’étalon anglais, qu’on a presque exclusivement employé dans les croisements à partir de 1830, agrandi sa taille et lui a donné des allures plus rapides ; mais ses membres sont devenus moins solides, ses côtes se sont aplaties, et sa résistance aux fatigues, sa sobriété, sa douceur même, ont considérablement diminué.
En somme, l’introduction du pur sang anglais dans le Limousin a été plus nuisible qu’utile. « Aussi, dit M. Richard, le pays renonce-t-il à l’accepter aujourd’hui après des épreuves qui lui ont coûté cher ; il livre ses juments au baudet, malgré son goût naturel pour l’élevage du cheval léger.
« Pour multiplier et améliorer le cheval auvergnat, produit brut de la nature des montagnes et si renommé comme cheval de guerre, il faut, poursuit l’auteur précité, un cheval qui, comme lui, soit produit brut et ne doive pas ses qualités aux raffinements longtemps étudiés d’un élevage artificiel. Non seulement une saine théorie l’indique, mais les faits le prouvent53 . »
Malgré tout, le Limousin est encore un centre important de production. Les départements de la Haute-Vienne, de la Creuse et de la Corrèze élèvent un assez grand nombre de chevaux ; mais la production dépassant de beaucoup l’élevage, une partie des poulains est exportée chaque année, dès l’âge de un an à deux ans, dans les différents départements du sud, du sud-ouest et de l’est.
C’est dans la Haute-Vienne que se trouvent les plus beaux représentants du cheval limousin ; toutefois, leur conformation les rend plus propres aux services du luxe qu’au rude métier de la guerre.
Moins grands et moins distingués que ceux de la Haute-Vienne, les chevaux de la Creuse sont plus solides, mieux proportionnés et forment p. 607la majeure partie des animaux que le dépôt de remonte de Guéret envoie dans les corps de troupe.
Les chevaux auvergnats, également d’origine orientale, diffèrent des chevaux limousins par une moindre élégance. « Leur tête paraît plus forte, parce qu’ils sont plus petits ; leur croupe est plus courte, plus anguleuse et plus basse ; leurs membres postérieurs sont moins longs ; ils ont les jarrets crochus et ils sont clos, avec des paturons courts54 . »
Comme le cheval limousin, l’auvergnat a été complètement modifié par les croisements étrangers, surtout par le pur sang anglais : il est plus grand, plus distingué de l’encolure, de la tête, de la croupe, que celui d’autrefois ; mais il a la côte plate, les reins mal attachés, les membres grêles, et se montre beaucoup moins sobre, moins rustique, en même temps que très quinteux.
« C’est un des effets ordinaires de l’intervention de l’étalon anglais, dit M. Sanson. Avec l’énergie native de cet étalon, les produits héritent d’une constitution physique insuffisante, dont ils souffrent ; leurs membres longs, grêles et mal articulés, ne peuvent répondre aux mouvements que commande la volonté ; le caractère s’aigrit et ils deviennent promptement vicieux55 . »
Le Cantal fournit les meilleurs chevaux de l’Auvergne. Ceux-ci, d’ailleurs, quoique moins bons qu’autrefois, font un service convenable dans les régiments de chasseurs et de hussards.
2. — Races légères du Midi
Introduit en France, selon les uns, après qu’il eut été implanté en Andalousie par les Maures, en même temps, d’après les autres, mais, comme toujours, accompagné de l’autre type oriental, le cheval arabe a formé, dans le sud-ouest de la France, une population chevaline très renommée, connue autrefois sous le nom de race navarrine.
p. 6081° Cheval navarrin. — Bien qu’on ne sache pas au juste quelle était la conformation de l’ancien cheval navarrin, il y a tout lieu de croire qu’il tenait, le milieu entre le cheval arabe et le cheval andalou.
On n’est pas plus fixé, d’ailleurs, sur l’époque de sa plus grande prospérité. Tout ce que l’on sait à ce sujet, c’est que déjà les auteurs de la fin du siècle dernier le représentent comme en pleine dégénérescence ; il lui manquait, disait-on, « des membres et du corps ».
Fig. 161. — Le cheval bigourdan.
Quoi qu’il en soit, depuis longtemps ce cheval n’existe plus à l’état de pureté ; les croisements qu’il a successivement subis avec le cheval arabe et le cheval anglais l’ont profondément modifié.
Sous l’Empire et la Restauration, le cheval arabe fut à peu près exclusivement employé à améliorer la race navarrino, dont on fit ainsi le cheval tarbéen.
2° Cheval tarbéen. — Le cheval tarbéen avait une taille moyenne p. 609de 1m,50 ; une tête petite, expressive, large supérieurement comme celle du père ; une encolure bien sortie et bien musclée ; un poitrail large ; une croupe puissante ; des membres courts, bien musclés, secs et d’aplomb. À ces qualités, le cheval tarbéen joignait une douceur, une sobriété et une rusticité qui le faisaient très estimer dans les corps de troupe.
3° Cheval bigourdan. — À partir de 1833, on voulut élever la taille du cheval tarbéen, allonger ses allures, sous prétexte de le mettre plus en rapport avec les besoins de l’époque. Dans ce but, on introduisit à Pau et à Tarbes l’étalon de pur sang anglais, et le cheval bigourdan (fig. 161 du texte) fit place désormais au cheval tarbéen.
Le cheval bigourdan a plus de taille que son prédécesseur : il arrive jusqu’à 1m,60. Par son encolure, il ressemble à son père ; mais sa tête, quoique large dans la région du front, est plus longue que celle du type améliorateur. Il a, d’autre part, un garrot bien sorti, une croupe longue et horizontale ; mais ses côtes sont plates ; ses membres, longs et grêles, ont des articulations étroites et sont très prédisposés aux tares.
Il s’ensuit que ses allures sont plus allongées et plus vites, mais qu’il est beaucoup moins doux, moins sobre, moins résistant aux fatigues que le cheval tarbéen. « On en a fait, disent MM. Moll et Gayot, une bête bâtarde et disgracieuse, plate et décousue, qui n’a plus rien d’harmonique dans la structure et qui ne présente plus aucune des conditions qu’on recherche avec raison chez les types, chez les reproducteurs d’élite, même dans les races secondaires56 . »
« Si on avait bien étudié les ressources des cultivateurs éleveurs, écrit d’autre part M. Richard, on se serait gardé de les prendre pour des lords anglais, de les croire capables d’élever des chevaux comme eux. Au lieu de leur imposer des Fang, des Kam, des Reveller, des Marc-Antoine, etc., etc., qui ont empoisonné leurs races, on leur aurait donné des étalons bien adaptés à leur genre de culture, à leurs ressources et à celles de leur sol57 . »
Seules les contrées riches et fertiles produisent quelques beaux chevaux bigourdans ; encore est-il indispensable que les éleveurs s’en tiennent à un premier ou à un second croisement. Les Hautes et les p. 610Basses-Pyrénées sont les principaux centres de production des chevaux bigourdans ; mais on en trouve aussi dans le Gers.
Les plus beaux viennent des plaines de Tarbes, des environs de Bagnères, de Lourdes, de Vie, de la vallée d’Argelès.
Tel qu’il est, le cheval dont nous nous occupons est une précieuse ressource pour la remonte de la cavalerie légère.
Avant de terminer ce qui a trait au cheval bigourdan, nous devons insister sur ce point que, malgré ses défauts, c’est encore un cheval d’élite. Il pourrait même, à notre avis, constituer la matière première d’un cheval au moins égal en son genre au pur sang anglais. Grâce à ses caractères mixtes entre ceux du cheval de luxe et ceux du cheval de guerre, rien ne s’opposerait, d’ailleurs, à ce qu’on en fît deux variétés : l’une qui tournerait vers le luxe par la gymnastique fonctionnelle, les soins, la nourriture, etc. ; l’autre, plus robuste, qu’on destinerait à l’armée.
Nous livrons cette réflexion, sans plus de commentaires, aux hommes spéciaux qui voudront bien nous lire.
Le cheval de l’Ariège a tous les caractères du type des montagnes. Sa taille est petite : 1m,45 à 1m,50 au plus ; sa tête est lourde et son encolure grêle ; son garrot est bas et sa croupe avalée ; ses pieds antérieurs sont panards et ses jarrets clos ; sa poitrine, enfin, est étroite. Tous ces caractères, que n’a fait qu’accentuer l’introduction dans le pays de quelques étalons anglais, rendent le cheval ariégois plat, anguleux et disgracieux.
C’est, toutefois, un animal qui joint à une grande agilité et à beaucoup d’adresse un tempérament robuste, une santé à toute épreuve et une ardeur infatigable. Aussi s’acclimate-t-il très bien dans les corps de troupe et y rend-il de bons et longs services.
Quoique élevé sur un des plateaux des Pyrénées-Orientales appelé la Cerdagne, situé à 1600 mètres au-dessus du niveau de la mer, le cheval cerdan a une taille relativement élevée ; celle de la cavalerie de ligne p. 611(dragons). Cela tient à l’abondance et à la bonne qualité de la nourriture.
Tout porte à croire qu’il est originaire d’Espagne, car il a conservé en grande partie les caractères du cheval andalou : de robe ordinairement noire, il ne manque ni de cachet ni de distinction. Sa tête est busquée, son encolure rouée, sa poitrine ample, son garrot bas, sa croupe tranchante ; ses membres, enfin, sont solides, et ses pieds excellents.
La remonte et le commerce français achètent peu de chevaux dans la Cerdagne ; le principal débouché de la race est l’Espagne.
Le cheval landais naît dans le département des Landes, y vit sans abri, à demi sauvage, et n’a pour toute nourriture que celle qui lui est fournie par le sol aride des landes.
Aussi est-il d’une sobriété remarquable et d’une grande rusticité.
« Sa taille, disent MM. Moll et Gayot, varie de 1m,10 à 1m, 30 ; sa tête est petite et carrée, son œil vif et intelligent ; il a le garrot saillant, le, poitrail étroit, la croupe déclive, la membrure mince, mais nette et solide. Ces imperfections ne rendent pas le cheval gracieux ; elles n’ôtent rien cependant aux qualités réelles dont le cheval landais fait preuve au travail : il y est plein de bonne volonté et infatigable58 . »
On a toujours obtenu de mauvais résultats du croisement de ce cheval avec des étalons de haute taille, en particulier avec le pur sang anglais ; « mais, dit M. le vétérinaire principal Goux, on a eu de bons chevaux, lorsqu’aux petites juments indigènes on a donné des étalons arabes, petits eux-mêmes, et que les produits ont été convenablement nourris. »
Malgré tout, le cheval landais est rarement propre aux services militaires ; mais il convient pour les travaux agricoles.
Ce cheval naît dans la partie sud du département de la Gironde p. 612(Bas-Médoc) et résulte du croisement de la jument indigène avec l’étalon anglais ou anglo-normand.
Par sa taille relativement grande il est propre au service de la cavalerie de ligne ; mais, par ses autres caractères, il convient peu à l’armée. Il a la tête forte et empâtée, l’encolure droite, le garrot bas, les reins longs, la croupe courte, les côtes plaies, le ventre volumineux, les membres faibles, les articulations étroites et les aplombs irréguliers. D’autre part, « la fierté sauvage de la variété naturelle a fait place au caractère quinteux qui est le propre de la faiblesse corporelle, associée avec une grande susceptibilité nerveuse, des natures nobles que la misère a dégradées59 . »
La Camargue nourrit, à l’état demi-sauvage, une race équestre que l’on fait descendre, comme toutes celles que nous venons d’examiner, du cheval oriental.
« S’appuyant sur l’histoire, dit M. Gayot, la tradition voit l’origine du cheval Camargue dans l’introduction de chevaux arabes ou numides aux environs d’Arles, lorsque, vers l’an 629 de Rome, Flavius Flaccus vint pour occuper le pays. Cette première importation aurait été fortifiée, accrue, lors de l’établissement de la colonie de Julia, puis renouvelée à deux reprises différentes pendant le séjour des Sarrasins en Provence, vers 730, et ensuite à l’époque plus récente des croisades60 . » Dans le delta du Rhône, comme dans les landes de Gascogne, d’ailleurs, l’usage des ferrades, ou courses pour marquer les taureaux et les vaches, a été conservé, non seulement pour fournir aux hommes et aux chevaux l’occasion de montrer leur vigueur et leur adresse, mais encore pour faire les preuves à la suite desquelles le plus digne des coursiers est choisi comme étalon ou grignon de ces troupeaux de chevaux qui, dans la Camargue, forment de véritables haras sauvages connus sous le nom de manades.
Le cheval de la Camargue est petit et ne dépasse guère 1m,32 ou 1m,34. Sa robe est toujours grise. Sa tête est un peu grosse, mais bien attachée ; son œil est vif ; son encolure grêle ; son garrot ne manque p. 613pas d’élévation, quoique l’épaule soit droite et courte ; ses reins sont longs et mal attachés ; sa croupe est courte et avalée ; ses cuisses sont maigres ; ses jarrets clos, mais épais et forts ; l’articulation du genou est faible et le tendon failli ; le pied est solide, très sûr, mais large et souvent un peu plat.
Cet animal est sobre, robuste, très résistant ; mais il est à peu près perdu aujourd’hui, et perdu sans retour.
« C’est devant une agriculture progressive qu’il s’efface et s’éteint ; le dépiquage était sa spécialité, et voilà que le battage des grains s’effectue par un procédé meilleur, plus économique, à l’aide d’un moyen plus rationnel ; c’est le sort inévitable de toutes choses dont l’usage est aussi restreint61 . »
Il est pourtant certain qu’à l’aide d’étalons utiles à la bonne reproduction, d’étalons arabes, par exemple, et d’une très légère amélioration dans la nourriture et l’hygiène, on peut arriver à donner aux animaux une plus-value considérable. L’expérience a toujours été tentée avec un plein succès ; mais elle n’a malheureusement pas été pratiquée avec l’esprit de suite nécessaire par les propriétaires, toujours absents de leur île.
Toutefois, comme le besoin du cheval ne disparaîtra pas, il est à présumer que celui-ci s’améliorera, petit à petit, tout naturellement, comme l’agriculture elle-même. D’autres individualités naîtront alors ; la population renouvelée, d’abord incertaine et mêlée, se confirmera plus tard sous les efforts du temps et sous l’action d’une nourriture meilleure, de soins mieux entendus, toutes influences nouvelles issues d’un système général d’agriculture plus avancée.
« En Corse, dit M. Sanson, les chevaux ont de 1m,15 à 1m,35 ; ils sont de robe noire ou alezane, baie quelquefois, rarement grise. Quant à leur conformation générale, elle ne diffère point de celle des variétés voisines du continent62 . » Ils en possèdent, d’autre part, toutes les qualités et tous les défauts.
Tout ce que l’on pourra tenter en faveur de la population chevaline p. 614de la Corse sera inutile si l’on ne révolutionne pas auparavant l’agriculture du pays. C’est, d’ailleurs, une vérité applicable à tous les pays pauvres ou arriérés dont on veut améliorer les chevaux. Pour ne pas l’avoir comprise, nous avons perdu quelques-unes de nos meilleures races chevalines.
3. — Races légères de l’Ouest
Les départements de l’ouest fournissent peu de chevaux fins. Seule, « la vieille terre de Bretagne possède de temps immémorial une population chevaline d’une rusticité, d’une sobriété et d’une vigueur à toute épreuve, d’un aspect sauvage comme ses landes et ses halliers, qui se rattache en toute évidence au type asiatique, et dont l’introduction en occident remonte certainement jusqu’à l’époque celtique des menhirs et des dolmens63 » .
C’est cette population que nous allons passer en revue sous le nom de race bidette ou des landes de Bretagne.
Le bidet breton est élevé partout dans les contrées montagneuses et les landes de la Bretagne ; mais son principal centre de production comprend les environs de Guingamp, de Carhaix, de Loudéac, de Brest, de Morlaix et de Redon. Il a la tête carrée, courte, camuse, expressive, l’encolure courte et rouée, le garrot bien sorti, les reins bien attachés, la croupe un peu courte et oblique, les membres secs, les jarrets larges, mais souvent clos. Sa taille ne dépasse pas 1m,50. Il est sobre, rustique, vigoureux et docile. Ce type existe encore aujourd’hui ; mais il est rare de le rencontrer pur. Par suite des croisements qu’il a subis avec l’anglais, il a perdu une grande partie de ses bons caractères.
Parmi les chevaux fins de Bretagne, ce qui domine maintenant, ce sont les individus à encolure fine, à côtes plates, à membres grêles, très irritables, mais incapables de résister à la fatigue et aux moindres privations. « C’est, dit M. Sanson, à quoi l’on aurait pu s’attendre en opérant des mariages aussi disproportionnés par les p. 615mœurs que par les qualités physiques entre les juments bretonnes et l’étalon anglais, quel qu’il fût64 . »
Déjà, en 1879, dans un rapport que nous adressions à M. le vétérinaire principal de l’école de cavalerie, au retour d’une tournée en Bretagne, nous signalions les funestes effets du croisement des chevaux fins et même des gros chevaux de Bretagne avec le pur sang anglais ou avec l’anglo-normand très près du sang. Nous insistions surtout sur ce fait que la nature avait acquis là une force, une puissance, des droits contre lesquels il était imprudent de lutter et dont on n’aurait raison qu’en bouleversant complètement le système d’élevage. Tenter l’amélioration d’une race sans assurer à ses produits des moyens d’existence en rapport avec leur organisation nouvelle nous paraissait, en effet, une fatale utopie, une coupable négligence.
Or, nous ne sachions pas que dans les landes de Bretagne on ait encore remplacé les ajoncs et les genêts par l’avoine. Aussi, nous avons vu quels résultats ont été obtenus.
4. — Races légères du Nord-Est
Les petits chevaux des départements de la Meuse, de la Moselle, de la Meurthe et des Vosges, que M. Sanson considère comme issus du sang arabe, ne le cédaient jadis à aucun pour leur courage inépuisable, leur résistance à la fatigue et leur longévité. « De formes très irrégulières, dit l’auteur précité, à la croupe avalée et aux jarrets crochus, l’absence de toute élégance était rachetée chez les chevaux de l’ancienne province de Lorraine par des qualités de fond fort appréciées lorsque, attelés jusqu’à quatre de front à la charrue, ils en défrichaient le sol si compacte. À l’heure qu’il est, la race en est à peu près perdue. C’est à peine si l’on en rencontre encore quelques rares débris chez les paysans les plus pauvres du pays65 . »
Aussi, M. Servoles66 , qui a fort bien étudié le cheval de la Meuse , p. 616regrette-t-il qu’au lieu de continuer l’amélioration de ce cheval par le croisement avec celui de l’Ukraine, de même nature que lui, introduit par le prince Stanislas à son arrivée en Lorraine, on ait livré les produits issus de ce croisement à des étalons normands, belges, de Deux-Ponts, provenant du haras de Rozière, institué en 1767. Ce mode de reproduction fut, en effet, pour l’ancienne race, le point de départ d’une décadence que ne firent qu’accentuer, à partir de 1807, époque à laquelle on réorganisa les haras supprimés par la première République, de nouveaux croisements avec les chevaux belges, percherons et anglo-normands.
Incontestablement supérieurs au point de vue de la taille et de la distinction, les produits de ces derniers ont malheureusement trop souvent des reins mal attachés, des membres grêles et des aplombs irréguliers. Il est vrai de dire que ces mauvais résultats sont en grande partie dus, d’après M. Servoles, aux imperfections des mères, à une nourriture insuffisante et à des soins hygiéniques mal entendus.
Quoi qu’il en soit, les groupes chevalins plus ou moins hétérogènes qu’ont laissés en Lorraine les différents croisements dont nous venons de parler ne peuvent nous empêcher de regretter les anciens petits chevaux du type asiatique, dont l’énergie, la sobriété et la force de résistance étaient vraiment remarquables.
Anciennement, l’Alsace possédait de petits chevaux du type asiatique, rustiques et très sobres. Aujourd’hui, les chevaux alsaciens sont grêles, décousus et sans fond.
D’ailleurs, la population chevaline du pays comprend surtout des chevaux étrangers : allemands, belges, etc.
Dans le Morvan (Saône-et-Loire et Nièvre) existe également une population chevaline du type asiatique, absolument identique à celles des landes de Bretagne, des monts d’Auvergne et des Pyrénées ariégeoises.
Autrefois très estimés, les chevaux du Morvan ont bien perdu p. 617aujourd’hui de leur réputation. « Sous Louis XIV, dit M. le vétérinaire Quivogne, le marquis de Brancas signalait le Morvan comme pouvant offrir, au point de vue de la production chevaline, d’immenses ressources à l’État...
« Sous le règne de Louis XV, cette race chevaline du Morvan n’avait pas perdu sa brillante réputation, car le duc de Choiseul, alors qu’il était ministre de la guerre, s’en occupait tout spécialement dans le haras qu’il avait institué sur sa belle terre de Chassy...67 . » ,
En ce moment même, malgré sa décadence, la race morvandelle a encore conservé assez de qualités, assez d’énergie et de fond, pour être recherchée par les courtiers étrangers, qui viennent en grand nombre dans le Morvan et y achètent à tout prix les chevaux à l’état de poulain.
Aussi n’y a-t-il guère qu’une sélection rigoureuse et des soins bien entendus qui puissent conserver et accentuer ces brillantes qualités originelles du cheval dont nous nous occupons. Le croisement avec les étalons anglais et anglo-normands a, d’ailleurs, donné d’assez piètres résultats dans la contrée pour que sa condamnation soit définitive.
C. — Races légères anglaises
L’Angleterre possède une population chevaline fine très nombreuse et généralement très estimée, au premier rang de laquelle se trouve le cheval anglais de course.
a. — Cheval anglais de course
Les auteurs ne sont pas d’accord sur l’origine du cheval anglais de course ou de pur sang (Pl. XVI, fig. 1). Les uns le font descendre de juments barbes et d’étalons arabes introduits en Angleterre au dix-septième siècle ; les autres prétendent qu’il résulte de l’union des chevaux orientaux avec les juments du pays, « car, dit M. de Lagondie, quoique le pur sang passe pour être uniquement de sang oriental, le fait n’est point exact si l’on remonte au temps où l’on a commencé à p. 618enregistrer les faits. Dans la généalogie d’Éclipse, on trouve les noms de non moins de treize juments de sang non tracé, et la même quantité de sang impur, ou presque autant, se trouve dans tous les chevaux de son époque, c’est-à-dire éloignés au même degré des sources primitives de nos meilleures familles chevalines68 . »
Quoi qu’il en soit, un grand nombre de chevaux orientaux ont servi à la création du cheval de pur sang anglais : « Le premier étalon étranger, dit M. Sanson, dont l’introduction soit mentionnée dans les anciennes Chroniques saxonnes, est un cheval turc appelé the White-Turk (le turc blanc), acheté par Jacques Ier d’un sieur Place, qui devint plus tard, dit le chroniqueur, maître des haras d’Olivier Cromwell.
« Villiers, premier duc de Buckingham, introduisit ensuite the Helmsley-Turk, puis Fairfax’s Morocco, étalon qualifié de barbe69 . »
Mais les faits enregistrés par le Stud-Book ne remontent pas au delà des premières années du dernier siècle.
En tête du livre généalogique figure Darley-Arabian, étalon né en Syrie, dans les environs de Palmyre, et qui, introduit en Angleterre vers 1712, fut le père d’une lignée de coursiers célèbres, parmi lesquels on remarque les deux Childers et Éclipse, le plus beau type du cheval de course et aussi le plus renommé de tous par ses succès d’hippodrome et ses admirables proportions.
C’est environ vingt ans après l’introduction de Darley-Arabian, en 1731, que Lord Godolphin admit dans son haras l’arabe ou barbe Godolphin-Arabian, qu’il avait rencontré dans les rues de Paris traînant la charrette d’un porteur d’eau, et dont l’un des principaux descendants est Matchem.
Quant à Byerley-Turk, que l’on range aussi parmi les principaux ancêtres du cheval anglais de pur sang, on ne sait rien de lui, d’après M. de Lagondie, sinon qu’il a été le cheval de guerre du capitaine Byerley en Irlande (1689) et qu’il a donné naissance à une vaillante progéniture, parmi laquelle se trouve King-Herod.
Des trois chevaux précédents : Byerley-Turk, Darley-Arabian et Godolphin-Arabian, sont, en somme, dérivés les meilleurs types des chevaux de course, bien qu’on rencontre dans leur généalogie bon p. 619nombre de descendants d’autres chevaux ou juments. Les particularités qui distinguaient jadis les descendants de Darley-Arabian de ceux de Godolphin-Arabian ou de Byerley-Turk n’existent plus aujourd’hui, et tous les chevaux de pur sang anglais actuels ont des caractères identiques.
Presque toujours plus hauts de taille que les chevaux arabes, ils ont la tête carrée, un peu allongée et sèche ; les oreilles plus longues que celles du cheval oriental ; les yeux vifs et expressifs ; le chanfrein droit ; les naseaux bien ouverts ; l’encolure droite, longue et fine ; le garrot élevé et sec ; la croupe horizontale ; la poitrine haute et profonde. Les membres sont conformés pour embrasser un grand espace de terrain : l’épaule est longue et oblique ; l’avant-bras, la jambe et la cuisse sont également longs ; le canon est court et le paturon long-jointé. Particularité digne de remarque, l’arrière-main est plus élevé que l’avant-main. Enfin, plus long que l’arabe dans toutes ses parties, le cheval de pur sang anglais en diffère encore par sa robe, où le bai et l’alezan sont dominants, presque tout à fait exclusifs. « Du reste, ajoute M. Sanson, il a toute la noblesse, toute la distinction et toute la finesse de l’arabe, ainsi que sa vigueur et son énergie foncière, moins la rusticité et la sobriété que ne comporte point le régime d’après lequel il est élevé70 . »
Tels sont les principaux caractères du cheval que Percivall, avec cet orgueil anglais qu’une suite de défaites sur la terre d’Orient n’a point réussi à abattre, appelait « une perfection que le monde ignorait avant nous ».
Mais aux brillantes qualités que nous venons d’énumérer succinctement, le cheval anglais de pur sang oppose de grands défauts : il a les sabots secs, cassants et très sujets à se resserrer. Il est très exigeant comme nourriture et très sensible aux intempéries : « Sous l’influence d’une nourriture peu riche en principes alibiles, dit M. Magne, il perd ses formes, devient ventru, sans que les parties essentielles, la poitrine, les muscles, prennent un développement proportionnel à celui des organes digestifs. Même parvenu à l’état adulte, après son développement complet, il ne peut être conservé que par un très bon régime et en étant préservé avec soin des intempéries71 . » ,
p. 620Son tempérament nerveux, sa peau mince, son poil fin, ne peuvent le garantir ni d’un mauvais régime alimentaire, ni du froid, ni de l’humidité, ni des insectes. C’est ainsi, nous a assuré un officier supérieur d’artillerie, qui a fait la guerre dans les Indes avec les Anglais, que ceux-ci sont souvent obligés, en campagne, non seulement d’attacher leurs chevaux à la corde, mais encore de leur entraver les quatre membres.
Ces défauts, toutefois, seraient presque secondaires si le cheval de pur sang anglais était resté avec les caractères qu’il présentait dès le principe, c’est-à-dire « un puissant animal aux formes élégantes, qui avait autant de vitesse qu’on en peut désirer, et qui joignait à cela une puissance d’action inépuisable72 . » Mais, le but pour lequel on l’avait créé étant la vitesse, il n’appartenait pas à la nature humaine d’être satisfaite, même de la perfection, et on essaya si l’on ne pourrait pas obtenir plus de vitesse encore. ,
On réussit, on eut des chevaux plus rapides, plus longs, plus légers, « aussi beaux que leurs prédécesseurs, sinon plus, dit William Youatt, mais laissant voir aux yeux du véritable connaisseur des muscles moins développés, des tendons moins saillants, un garrot plus tranchant, recouvert de muscles moins puissants. La vitesse fut portée au degré le plus extrême qui ait jamais pu être rêvé ; mais le fond, la force de résistance à la fatigue, l’endurance, furent incroyablement diminués. On ne tarda pas à en avoir la preuve. Ces chevaux de nouvelle création ne purent parcourir la distance que leurs prédécesseurs franchissaient avec tant de facilité. Les épreuves tombèrent de mode ; on les qualifia, avec trop de vérité, hélas ! de dures et de cruelles, et force fut bien de raccourcir la moitié des distances consacrées aux épreuves ordinaires... »
« Aujourd’hui, ajoute l’auteur précité, une seule course, comme celle du Derby, rend le gagnant incapable de courir jamais, et cependant la distance est de un mille et demi...73 . » ,
« Le cheval de pur sang, écrit d’autre part M. Gayot, qui entend que son jugement soit applicable au cheval anglais élevé en France, a perdu p. 621la meilleure partie de lui-même en cessant d’être symétrique, en perdant ce qu’on nomme le gros, en achetant l’élégance au prix de l’ampleur. Il est plus fashionable si l’on veut, il est moins fort de toute part, des os, des tendons et des muscles. Tout le système s’est atténué, aminci plutôt en s’allongeant ; l’élongation s’est faite, répétons-le, aux dépens de la force ou de l’épaisseur de la charpente, aux dépens du volume, de la grosseur des muscles74 . »
Quoique M. de Lagondie ne considère pas le cheval de pur sang actuel comme réellement dégénéré, il avance cependant qu’en s’attachant à produire des poulains qui, à deux ans, soient formés comme de vieux chevaux et en état de lutter avec eux pour de courtes distances, l’éleveur sacrifie en grande partie leur durée par une diminution de force de leur constitution et de leurs organes locomoteurs. « Le bois dont on les fait n’est plus du chêne, dit-il, mais du sapin, et ne peut pas plus être comparé aux matériaux dont on faisait les chevaux à l’ancienne mode que l’on ne peut assimiler ces bois de construction75 . »
Seul, ou à peu près, William Day considère le cheval de course actuel comme supérieur à l’ancien ; mais il est utile de prendre en considération que cet auteur fut jockey et entraîneur pendant trente ans et que, reléguant au second rang le rôle du pur sang anglais en tant qu’améliorateur de nos races chevalines, il admire naturellement ce que nous lui reprochons, c’est-à-dire sa spécialité comme cheval de vitesse.
En somme, l’immense majorité des hippologues est d’avis que le cheval de course actuel arrive, par une pente rapide, à un état de décadence dont il aura bien de la peine à se relever : « C’est un prodige, sans doute, dit M. Gayot, qu’une race capable de courir si vite ; mais où donc est l’utilité pratique d’un tel déploiement d’activité ? Il a détourné la race anglaise de sa voie en la spécialisant, résultat tout moderne, provoqué par la passion du jeu et né de l’exagération du système auquel elle a dû ses plus grands avantages76 . » Car il est évident que les courses, telles qu’on les comprend aujourd’hui, ne peuvent qu’être funestes à l’amélioration du cheval de pur sang anglais p. 622considéré comme type améliorateur. « Que fait-on, en effet ? quel est le but ? Il s’agit d’abord de gagner le prix. C’est là la première condition du coureur, nous pouvons dire même presque l’unique. Que lui importe l’amélioration des races, s’il perd toujours ? Que lui fait aussi leur dégénérescence, s’il gagne ? Le joueur songe-t-il à autre chose qu’à gagner ? Eh bien ! qu’a-t’on fait pour gagner ? On a tout sacrifié à la vitesse ; rien au fond, rien à la puissance de la constitution... On a cherché, en un mot, à disposer toute la machine pour une grande vitesse de quelques minutes. C’est un tour de force de la science des Anglais, rien n’est plus vrai ; mais il en est résulté qu’un très bon cheval peut être battu par un grand échassier, chargé d’un poids léger, sur un terrain choisi et préparé à l’avance77 . »
Jointe aux épreuves prématurées et excessives de l’entraînement, cette spécialisation du cheval de course a eu pour résultat de multiplier les individus aux membres faibles, tarés, nerveux à l’excès, et dont la force de résistance n’est plus en rapport avec l’énergie.
Pourtant, nous devons à la vérité de dire, avant de terminer, qu’il nous a été donné de visiter tout dernièrement plusieurs grandes écuries de course où nous avons eu le plaisir de constater une tendance marquée de quelques produits vers l’ancien beau cheval de pur sang anglais.
Serait-ce l’aurore d’une rénovation de la race ? Si oui, nous la saluons avec joie ; mais nous n’avons guère d’espoir quant à présent. Car il est bien évident que rien de sérieux ne se fera dans le sens que nous désirons sans une réforme complète du règlement des courses.
b. — Poneys
En Angleterre, tous les chevaux de petite taille sont connus sous la dénomination générale de poneys.
On trouve plus particulièrement ces chevaux dans l’Irlande, le pays de Galles, l’Écosse et les îles Shetland.
D’après M. Sanson, ils sont tous originaires de l’Irlande et appartiennent, ainsi que les chevaux du littoral de la Bretagne, à l’espèce Equus caballus hibernicus (race irlandaise).
p. 6231° Poney irlandais et du pays de Galles. — Les chevaux irlandais et du pays de Galles sont plus spécialement appelés doubles poneys, parce qu’ils joignent à une taille peu élevée une corpulence relativement forte.
Ils ont la tête courte, camuse et très expressive, l’encolure assez forte et pourvue de crins longs, abondants, leur donnant une physionomie un peu sauvage, qu’accentue encore un toupet de crins qui leur descend au-dessous des yeux. Le poitrail est large ; le corps arrondi, près de terre ; la croupe un peu courte et bien musclée ; la queue touffue. Les membres sont solides et couverts de crins depuis le genou jusqu’aux talons. Le pied est petit et solide.
L’allure des doubles poneys irlandais n’est pas très allongée ; mais ils rachètent ce défaut par une sobriété, une énergie, une force de résistance au-dessus de tout éloge.
Gracieux et souples, d’un caractère très doux, ces petits animaux rappellent, d’ailleurs, plus ou moins le type oriental de l’ancien cheval andalou.
La couleur de leur robe varie ; mais la teinte qui domine est le bai ou l’alezan.
Leur taille, ainsi que nous le savons déjà, est petite et dépasse rarement 1m,45. Ceux qui atteignent cette hauteur sont généralement les plus estimés.
Jadis utilisés surtout par les tenanciers du Royaume-Uni pour visiter à cheval les pâturages et les terres de la verte Erinn, de l’Angleterre et de l’Écosse, et par les jeunes filles des lords pour leurs promenades, les poneys d’Irlande et du pays de Galles ont aujourd’hui des aptitudes beaucoup plus multiples.
Croisés avec le pur sang anglais étoffé, qui a grandi leur taille, en même temps qu’il les a rendus plus élégants, les chevaux irlandais sont maintenant partout utilisés pour la selle, le trait léger et même les attelages de luxe.
Les anglo-irlandais ont une taille moyenne, de la distinction, beaucoup d’énergie, et sont en général assez harmoniques. Aussi, les recherche-t-on pour la cavalerie légère et, en général, pour tous les services qui exigent à la fois de la vitesse et du fond.
Nous avons souvent, eu l’occasion de les admirer aux cabs de Londres, sous les cavaliers anglais, etc., et toujours nous sommes resté p. 624persuadé que ces chevaux méritent d’être mieux connus en France.
Les notes que nous avons prises sur place, et que nous feuilletons après plusieurs années d’oubli, trahissent toutes une grande admiration pour le cheval irlandais amélioré, bien que de temps en temps nous exprimions le regret qu’un croisement poussé trop loin ait répandu par-ci par-là un certain nombre d’individus sans harmonie, c’est à-dire pleins d’énergie, assez élégants, mais manquant de fond.
2° Poney écossais. — Cet enfant des montagnes et des bruyères de l’Écosse a la tête petite et camuse, le poitrail bien ouvert, la croupe large, le corps arrondi, les membres robustes, le pied bien fait et sûr. Ses poils, longs et abondants, sont le plus souvent d’un noir mal teint. La taille est toujours petite.
« Il semble fait pour gravir les montagnes, dit M. Gayot, et se fraye un passage à travers les marais et les marécages avec une sagacité merveilleuse. Hors cela, il est lent et paresseux ; il manque d’ardeur, mais il est sobre, vit de peu et n’exige presque aucun soin d’hygiène78 . »
3° Poney des îles Shetland. — Le poney des îles Shetland est très petit. Il a la tête forte ; l’encolure épaisse ; les épaules courtes, charnues et peu obliques ; la croupe large ; mais les membres sont un peu minces. Ses poils sont très longs et généralement bais ou noir mal teint.
Il est intelligent, doux, rusé et très robuste.
D. — Races légères allemandes
a. — Cheval de Trakehnen (Prusse orientale)
Véritable pépinière du cheval de guerre prussien, le haras de Ivakehnen (Prusse orientale) fut fondé à l’aide des ressources locales et de quelques étalons étrangers, au commencement du dix-huitième siècle, par le roi Frédéric-Guillaume Ier. Mais c’est seulement sous le règne de Frédéric-Guillaume II, à partir du moment où, rompant avec les traditions du passé, le gouvernement comprit qu’au lieu d’imposer au producteur l’élève du cheval comme une taille ou une corvée, il p. 625fallait l’en récompenser en raison de ses peines et de ses déboursés ; que la production du cheval de Trakehnen prît son véritable essor.
Les étalons défectueux furent réformés et remplacés par les meilleurs étalons orientaux, anglais et de Deux-Ponts qu’on put trouver. « Tout allait donc pour le mieux, dit M. Schwarznecker79 , quand, vers la fin des guerres (de 1815 à 1830), par une réaction assez ordinaire après les temps de crise, les mœurs tournèrent à l’amollissement et à la frivolité. L’engouement fut aux modes grecques ou prétendues telles. Ce fut le temps des vêtements collants et des tailles courtes, des cravates montantes et empesées, des perruques à queue de rat, et où les élégants ne marchaient qu’à jarret tendu. Il fallut bien que le cheval fût accommodé à ce singulier goût. On le façonna et on le bichonna si bien qu’en fait de ridicule il ne le céda en rien à son maître. Avec sa queue écourtée et en trompette, ses boyaux vides et son long cou, il s’en venait avec ses grandes quilles raides, tout comme les grenadiers qui le suivaient !... ,
« 1830 vit à Berlin les premières courses à la mode anglaise. L’anglomanie envahit toute la société élégante. Dans le pur sang de course, quelles qu’en fussent les défectuosités de formes, on pensa avoir trouvé la panacée universelle.
« Mais la grande masse des éleveurs ne se laissa pas prendre à cet engouement de fashionables désœuvrés. L’idée du sang, si bonne et si parfaite en soi, mais gardée de tout exclusivisme en faveur de la seule origine, finit cependant par pénétrer peu à peu dans l’esprit des éleveurs.
« Aussi, l’étoffe ne se perdit-elle pas dans la race aussi complètement qu’on eût pu le craindre tout d’abord, et l’on put dès lors espérer, en continuant d’user d’un pur sang ample et symétrique, obtenir, avec les résultats déjà acquis, une espèce qui, par un dressage spécial, pût devenir un cheval de guerre supérieur. »
Après avoir jeté dans leur population chevaline le réactif qui devait faire naître la distinction et l’énergie, les éleveurs allemands s’adressèrent aux meilleurs parmi les chevaux de choix qu’ils avaient déjà obtenus et les employèrent à la reproduction.
p. 626À l’aide de cette sélection rigoureuse et sous l’impulsion des dirigeants du haras de Trakehnen qui, selon leurs instructions, « devaient se pénétrer, avant tout, de l’idée de la création d’un cheval de guerre, » les producteurs obtinrent un cheval à la fois élégant, bien musclé, vigoureux, et, par conséquent, admirablement propre au service de l’armée.
Jointe, d’autre part, à une persévérance qui ne s’est jamais démentie, cette méthode de militarisation a encore eu pour résultat l’homogénéité du cheval de Trakehnen ; mais, bien que cet animal soit à peu près exclusivement de sang oriental, c’est plutôt là de l’adaptation convergente que de la pureté ethnique.
Le cheval militaire de selle que nous venons de passer en revue n’est, d’ailleurs, pas le seul produit du haras de Trakehnen. Un second type destiné aux attelages de luxe et aussi à la selle est né du croisement du premier type avec celui de l’Allemagne du Nord. De sorte, en somme, que le cheval militarisé de Trakehnen peut être considéré comme la souche, le point de départ, le centre d’irradiation des chevaux connus sous la dénomination de trakens.
Ces chevaux, à quelque type qu’ils appartiennent, ont tous conservé l’énergie du cheval oriental ; mais ils n’en ont ni la solidité physique ni la sobriété.
Ceux du type militaire ressemblent beaucoup à nos anciens bons limousins, quoique moins robustes qu’eux.
Les autres ont plus de taille et se rapprochent plus ou moins du cheval anglais de pur sang ; ils s’en distinguent cependant par plus d’élégance et de souplesse dans leurs mouvements.
b. — Cheval wurtembekgeois
La population chevaline du Wurtemberg résulte de l’union des deux types orientaux avec un mélange, en faible quantité, d’anglo-arabes et de trakens.
Cette population est composée de chevaux de selle et d’attelage léger, souples et élégants comme leurs ancêtres orientaux, avec plus d’ampleur de formes. Aussi ont-ils des qualités éminentes de fond, d’énergie et de vitesse.
La race est maintenue aussi pure et homogène que possible par p. 627trois haras privés du roi de Wurtemberg installés près de Stuttgard, où se reproduisent, depuis 1817, des étalons et des juments des deux souches orientales, importés à diverses reprises.
c. — Cheval bavarois
Jadis exclusivement peuplée de chevaux d’origine orientale, la Bavière a maintenant, grâce à l’intervention du pur sang anglais, une population chevaline dont les représentants sont plus grands, plus corsés que l’arabe, et moins exigeants que le véritable anglais.
E. — Races légères russes
a. — Trotteurs d'Orloff
« Le vaste empire de Russie, dit M. Sanson, est en général peuplé de chevaux du type asiatique réduits à un état assez misérable par la rudesse du climat, notamment ceux des Cosaques et ceux de la Lithuanie. Sur divers points, les riches boyards ont établi des haras où ils se sont appliqués, par une sélection plus ou moins suivie et attentive, à créer des familles améliorées de ce même type, en empruntant des reproducteurs aux contrées musulmanes, à l’Angleterre et à la Prusse80 . »
Mais, parmi les différentes populations chevalines de la Russie, une, celle des trotteurs d’Orloff, appelle particulièrement notre attention.
La pépinière des trotteurs d’Orloff est le célèbre haras de Khrénovaya, dans le gouvernement de Voronège, créé en 1778 par le comte Orloff Tchesmensky, qui y accoupla d’abord des étalons arabes avec des juments danoises renommées pour leur élégance et leur rapidité à l’allure du trot.
Puis, après un croisement indiscontinu des pères avec leurs filles et petites-filles, qui dura environ cinquante ans, on considéra la population chevaline obtenue comme suffisamment homogène et constante pour ne plus recourir, par la suite, aux importations étrangères.
p. 628À partir de ce moment, les trotteurs d’Orloff se reproduisirent par eux-mêmes : la population chevaline de ce nom était définitivement constituée.
Dans leur ensemble, les trotteurs russes ressemblent beaucoup aux chevaux anglais de pur sang. L’arrière-main, cependant, est moins élevée.
Fig. 162. — Cheval cosaque et son cavalier (tenue de voyage).
Ils sont, comme leur nom l’indique, exclusivement entraînés au trot, et présentent beaucoup d’élégance et d’énergie.
Tout le monde, d’ailleurs, se rappelle quel légitime et grand effet ont produit sur le public les chevaux russes à l’exposition hippique de 1878 : « Les trotteurs russes, dit M. Desbons, rapporteur du jury international, race aujourd’hui confirmée et provenant de croisements très divers, sont évidemment fort vites. Ils l’ont prouvé aux p. 629courses de Maisons-Lafitte en gagnant les épreuves internationales pour chevaux attelés81 . »
b. — Cheval cosaque
En outre des trotteurs d’Orloff, on trouve en Russie, nous le répétons, un grand nombre d’autres chevaux légers du type oriental, dont les caractères varient beaucoup suivant qu’on les considère dans telle ou telle partie de cette immense empire. Les uns ont été améliorés par la venue d’étalons d’Orient, de Pologne, de Prusse, d’Angleterre, Orloff, etc. ; les autres sont restés avec tous leurs caractères primitifs ; tels la plupart des chevaux cosaques.
Ceux-ci ont tout à fait la physionomie du cheval arabe, avec des formes plus empâtées, une tête plus lourde, une encolure plus courte, plus épaisse ; cependant, ils sont hardis, vigoureux, pleins de fond, et surtout d’une sobriété et d’une rusticité à toute épreuve.
On leur reproche une seule chose : c’est de manquer un peu de taille.
La cavalerie légère russe et les chevaux ordinaires se recrutent encore en majeure partie parmi eux, et l’on sait quels précieux auxiliaires ces infatigables petits chevaux sont pour l’armée russe en campagne.
F. — Races légères autrichiennes
Chevaux hongrois
Grâce à l’immense étendue de ses pâturages et de ses steppes, la Hongrie possède une population chevaline nombreuse et justement renommée.
Les chevaux hongrois appartiennent, pour la plupart, au type oriental plus ou moins modifié. Aussi, sont-ils généralement de petite taille en même temps qu’un peu minces et décousus ; mais leur distinction, leur énergie, leur sobriété, leur force de résistance, rachètent amplement ces quelques défauts.
Ce serait, d’ailleurs, une erreur de croire que tous les chevaux p. 630hongrois sont de taille au-dessous de la moyenne, comme il ressort des lignes suivantes du rapporteur général du jury international de l’exposition hippique de 1878 : « La Hongrie, dit-il, élève des chevaux de toutes les tailles et aptes à toutes les destinations, dans ses grands haras de Kisber, de Babolna, de Mezôhégyes et de Fogaras.
À Kisber, elle fait le pur sang et le demi-sang anglais. Kisber et Kinesen sont deux admirables échantillons de sa production anglaise.
À Babolna, on conserve la race arabe pure et on fait des arabes de demi-sang.
À Mezôhégyes, un haras qui occupe 16 000 hectares de terrain perpétue trois souches très importantes : les gidrans, les grands nonius et les petits nonius.
Les gidrans, sorte de chevaux anglo-arabes, d’une hauteur moyenne de 1m,58, proviennent de l’étalon arabe Gidran.
Les grands et les petits nonius constituent deux races de carrossiers, de grande et de moyenne taille, provenant de Nonius, excellent étalon normand importé en 1815, à la suite de l’invasion.
Le haras de Fogaras, de création récente, a été fondé pour l’amélioration de la race de montagne de Transylvanie.
En Hongrie, en dehors de ces quatre haras, il existe plusieurs dépôts d’étalons : 1800 étalons royaux font la monte dans ce pays d’élevage, l’un des plus considérables d’Europe.
Une société d’encouragement, la Société de Buda-Pesth, avait exposé un grand nombre de juments hongroises provenant, non plus des haras royaux, mais des écuries particulières. Elles étaient exhibées comme types du cheval de guerre proposé par la Hongrie à l’Europe, à un prix moyen de 1000 francs.
Toutes ces juments étaient d’une conformation régulière, d’un bon modèle et avaient des allures convenables. Elles ressemblaient, avec un peu plus de volume et moins de sang, à nos bêtes des Pyrénées.
Les nonius et les gidrans sont des races dignes de toutestoute notre estime. Ce sont des chevaux très pratiques, à la fois susceptibles de faire de bons carrossiers et des chevaux de chasse et de guerre82 . ».
G. — Races légères danoises
Cheval de Frédériksbourg
Le Danemark possède ou plutôt possédait une population de chevaux fins (fig. 163 du texte) dont le centre de production était le haras de Frédériksbourg, fondé par le roi danois Frédéric II, vers la fin du seizième siècle. Ce haras se composait de juments du pays qu’on faisait couvrir par des étalons espagnols, turcs, égyptiens, marocains, napolitains, polonais, anglais, de la Frise, etc. ; mais principalement par des étalons espagnols. On obtint ainsi une famille distinguée, renommée pour sa légèreté, sa souplesse, des allures relevées et fières.
Fig. 163. — Étalon de l’ancienne race de Frédériksbourg.
Mais, à dater de la fin du siècle passé, et surtout depuis 1831, les croisements systématiques avec le pur sang anglais firent perdre au haras son éclat et son crédit. Toutefois, après sa suppression, en 1840, la faveur dont il avait joui parmi les éleveurs donna lieu à une réaction si vive que le gouvernement crut devoir se prêter à un essai de reconstitution ; d’un commun accord, le pur sang fut rejeté, et la nouvelle direction des haras se décida pour le croisement avec le sang arabe ou barbe p. 632se trouve, en somme, aujourd’hui, à peu près au même point qu’il y a cinquante ans83 . ,
H. — Races légères espagnoles
Cheval andalou
La plupart des chevaux de l’Andalousie appartenaient au type berbère dont ils étaient restés très rapprochés.
Ils avaient, toutefois, la tête plus grosse, l’encolure plus forte, le poitrail plus large, les jarrets plus coudés, les canons plus longs que leurs ancêtres orientaux.
Jointe à sa docilité, à la légèreté de son avant-main, cette disposition des canons et des jarrets faisait du cheval andalou le type du cheval de manège.
Mais, aujourd’hui, la race andalouse a presque complètement disparu et ne peut guère être décrite qu’à titre de souvenir.
I. — Races légères italiennes
Chevaux sardes, siciliens et napolitains
Ces chevaux dépassent rarement 1m,35 et sont de robe noire, alezane ou baie, rarement grise. Leur conformation générale est celle des chevaux de la Camargue et de la Corse ; aussi, nous dispenserons-nous d’y revenir ici. Comme eux également, ils sont sobres, vifs, courageux et capables de résister aux longues abstinences comme aux intempéries.
II. — Races intermédiaires ou demi-fines
Nous rangeons parmi les races intermédiaires tous les chevaux ayant à la fois de la taille, de l’étoffe, de l’énergie et de la distinction, tenant enfin le juste milieu entre le cheval fin et le cheval lourd.
p. 633Véritables animaux à deux fins, mais surtout utilisables au trot, les chevaux compris dans cette catégorie peuvent en général s’atteler et se monter tout à la fois.
Comme nous l’avons fait pour les races fines, nous examinerons successivement les races intermédiaires dans les pays où on les rencontre.
A. — Races intermédiaires françaises
a. — Cheval normand
On confond sous la dénomination générale de normands trois types distincts de chevaux ; savoir :
1° Le cheval autochthone ou normand proprement dit ;
2° Le cheval de Caux ;
3° Le métis anglo-normand.
Nous allons dire un mot de chacun de ces types :
1° Cheval autochthone ou normand proprement dit. — Nous entendons par cheval autochthone un type aujourd’hui à peu près disparu dont les caractères généraux sont absolument ceux du cheval danois et que M. Sanson range, pour cette raison même, parmi les variétés de sa race germanique (E. C. germanicus).
Que ce cheval soit réellement autochthone ou qu’il soit d’origine danoise, voici quels sont ou plutôt quels étaient ses principaux caractères ; car, nous le répétons, sous l’influence du croisement, des nouvelles conditions de milieux, etc., il a complètement disparu : Tête busquée ; front étroit, convexe ; face longue ; orbites effacés ; œil petit ; chanfeinchanfrein courbe, convexe ; auge étroite ; naseaux peu ouverts ; oreilles très rapprochées, mal attachées ; membres assez longs ; épaules plaquées ; cuisses et jambes grêles ; canons longs ; pieds larges et plats ; robe ordinairement baie ; tempérament mou, lymphatique ; taille élevée.
Ce cheval se rencontrait un peu partout en Normandie.
2° Cheval cauchois. — « Une gymnastique particulière jointe à l’influence du climat et à une sélection attentive a fait constituer, dit M. Sanson, dans le pays de Caux, qui borde le rivage de la Manche, entre l’embouchure de la Seine et le cap de la Hogue, une variété p. 634de la race britannique dont l’étoile pâlit, depuis que l’amélioration des voies de communication a nécessité l’emploi de véhicules rapides, mais qui brillait encore naguère d’un vif éclat84 .»
C’est cette variété que l’on désigne sous les noms de bidets normands, d’allure, ou cauchois.
Que le cheval de Caux ait une origine propre ou qu’il appartienne à la race britannique (E. C. britannicus), ainsi que l’admet M. Sanson, nous pouvons le considérer comme un second type normand autochthone, puisqu’il paraît exister dans le pays où nous le rencontrons encore aujourd’hui depuis un temps immémorial et que, d’autre part, il est impossible de prouver que le berceau de la race britannique doit plutôt être placé en Angleterre qu’en France.
C’est, dans tous les cas, un animal joignant à une forte corpulence une rapidité d’allure qui lui permet de faire, sans fatigue pour le cavalier, 60 à 80 kilomètres plusieurs jours de suite en marchant de ce pas rapide connu sous le nom de pas relevé. Aussi, le bidet d’allure était-il jadis le cheval des longues routes : c’est lui qui transportait aux foires les marchands de bestiaux ; c’est lui aussi que montait la fermière normande pour aller au marché.
Le cheval cauchois résiste, d’ailleurs, admirablement à la fatigue, « et il n’est pas rare, d’après Vallon, de lui voir parcourir presque d’un trait des étapes de 25 à 30 lieues85 ».
Il a la tête courte, carrée, le front large et à peu près plat, le chanfrein droit et un peu concave, l’auge évidée, les naseaux bien ouverts, les oreilles petites, les yeux grands, doux et intelligents, la croupe forte, presque horizontale, le garrot épais, le dos court, les membres bien musclés, larges et d’aplomb. Sa taille, enfin, est moyenne et ne dépasse guère 1m,48 à 1m,50.
Quant à sa robe, elle n’est pas uniforme : le gris, le gris pommelé, le rouan vineux et le bai se partagent en quelque sorte la population entière :
Le bidet normand est le vrai type des races intermédiaires ; mais il s’en va périclitant chaque jour, obligé qu’il est de céder de proche en proche le terrain au cheval anglo-normand, dont les représentants occupent déjà presque toute la Normandie.
p. 6353° Cheval anglo-normand (pl. XV, fig. 2). — Avant l’introduction du pur sang anglais en Normandie, différents essais avaient été tentés pour l’amélioration des deux races précédentes. C’est ainsi que, sous Louis XV, et grâce à un caprice de la célèbre Dubarry, qui avait mis la tête busquée en vogue86 , un certain nombre d’étalons danois furent importés dans le pays ; mais ceux-ci n’ayant fait qu’accentuer les mauvais caractères des races primitives, le prince de Lambesc, grand écuyer de Louis XVI, eut recours au demi-sang anglais qui, en 1830, céda à son tour la place au cheval anglais de pur sang. De sorte qu’à son arrivée sur le sol normand, celui-ci rencontra les types danois et cauchois déjà plus ou moins adultérés, mais ayant toutefois conservé leur cachet propre. Il fut surtout croisé avec le cheval danois, tant parce que ce dernier était plus répandu que par suite de l’analogie de leurs robes87 , les éleveurs préférant accoupler ensemble des animaux de mêmes nuances. Aussi, le cheval anglo-normand est-il surtout un anglo-danois.
Encore connu dans le monde hippique sous la dénomination de demi-sang, le cheval dont nous nous occupons se rencontre partout en Normandie aujourd’hui, mais plus particulièrement dans certains centres, comme nous le verrons par la suite.
C’est un animal offrant certainement de grandes qualités, mais chez qui, malheureusement, l’ensemble manque souvent d’harmonie. Très remarquable, en général, par la beauté du dessus, il pèche huit fois sur dix par le dessous, c’est-à-dire par les membres, qui se montrent trop fréquemment grêles, démesurément longs, avec des tendons faillis, des articulations étroites et faibles.
Il est, d’un autre côté, très lent à se développer et n’a acquis toute sa force, toute sa croissance qu’à sept ans. Aussi, malgré que nous n’ayons pas à adresser au cheval anglo-normand les mêmes reproches qu’à la plupart des autres produits du croisement avec le pur sang anglais, et que nous le considérions, tel qu’il est actuellement, comme un animal en général suffisamment réussi et bien supérieur à l’ancien cheval danois, nous ne pouvons nous défendre de quelques regrets en p. 636pensant qu’il eût peut-être été possible, à l’aide des seules ressources locales et d’une sélection rigoureuse, d’obtenir, non seulement une amélioration identique, mais encore de créer, au lieu et place du cheval artificiel, hétérogène et sans puissance héréditaire, de demi-sang, une population chevaline homogène, à caractères fixes et sûrement transmissibles.
Le riche sol normand permettait tout au moins de tenter l’expérience, sans danger, dans tous les cas, pour l’avenir des races locales.
La preuve, d’ailleurs, que cet essai n’eût pas été une pure utopie et que le salut de la population chevaline normande pouvait bien être en dehors du croisement avec le cheval de course anglais, nous est fournie par l’ancien cheval cauchois qui, pour être pur de tout sang étranger, n’en était pas moins un animal excellent, « à la fois corpulent et élégant88 ». ,
Mais ce sont là des regrets aujourd’hui forcément stériles. La seule chose maintenant que l’on puisse souhaiter, c’est que l’éleveur revienne à l’ancien bon cheval de pur sang anglais et qu’il proscrive absolument, en tant qu’améliorateur tout au moins, l’échassier de course actuel ; c’est surtout qu’il abuse moins du croisement, car « trop répété, celui-ci défait très rapidement l’œuvre d’une métisation opportunément conduite, dit M. Gayot en parlant du demi-sang anglo-normand : trop de sang détruit l’équilibre entre les formes et les aptitudes, en rapprochant outre mesure le produit de l’un de ses facteurs ; trop de sang emporte le produit vers un ordre de qualités qui le sortent de sa spécialité et lui ôtent partie de son équilibre propre... Ce n’est plus un demi-sang, mais un cheval de sang. La différence est tranchée, la distinction est exacte. En se faisant plus délicates et plus sveltes, toutes les parties du corps deviennent moins résistantes. L’énergie morale, l’ardeur montent ; la force physique, la puissance musculaire, baissent, etc.89 ».
Or, il est malheureusement évident que la plupart des anglo-normands actuels, de l’avis même de leurs partisans les plus convaincus, ont beaucoup trop de sang anglais ; d’où ce manque d’harmonie que nous avons signalé et qui constitue leur plus grave défaut.
C’est que les opérations du croisement sont excessivement délicates p. 637et ne produisent pas souvent la fusion des caractères dont on cherche la réalisation ; les lois de l’hérédité veulent, au contraire, que la transmission de ces caractères ait le plus généralement lieu par lambeaux. Aussi, loin d’avoir un produit intermédiaire aux deux souches procréatrices, obtient-on, en général, un animal dont une partie, le dessus, par exemple, est plus particulièrement normande, tandis qu’une autre, le dessous, est à peu près complètement anglaise. Et même, si l’on répète trop souvent le croisement, le produit ne tarde pas à devenir cet animal sans caractères propres, sans spécialité aucune, morphologiquement identique au pur sang anglais, dont nous avons fait ci-dessus le portrait, d’après M. Gayot.
Cependant, nous devons à la vérité de dire qu’en dehors de ces produits plus ou moins manqués, dont notre cavalerie a le triste privilège d’être le principal débouché, on rencontre un certain nombre de sujets d’élite propres à toutes les armes et à tous les services de luxe de l’époque. Ceux-là ont une taille qui oscille entre 1m,55 et 1m,65 ; une tête belle de forme, expressive et bien attachée ; une encolure longue, droite ou rouée, bien musclée et bien sortie ; un garrot manquant souvent, d’élévation et de netteté ; des reins un peu longs ; des côtes arrondies ; un poitrail bien ouvert ; une croupe horizontale, des membres musclés, surtout aux rayons supérieurs ; des boulets un peu faibles. Ils ont, en outre, la peau fine et souple, garnie de poils courts ; de l’énergie, de la distinction ; un tempérament lymphatico-sanguin, suffisamment de fond, et sont moins souvent affectés de cornage et de fluxion périodique que les chevaux des anciennes races.
En somme, la population chevaline anglo-normande se compose de types assez variés : les uns, de beaucoup les plus nombreux, sans être réellement mauvais, présentent ce défaut capital d’avoir un dessous trop faible pour le dessus ; les autres, et leur nombre augmente malheureusement chaque jour, ont trop de sang, trop de susceptibilité nerveuse, résistent mal aux fatigues, ne répondent plus, enfin, à la spécialité pour laquelle on les avait créés ; les derniers, ceux-là en trop faible proportion, sont réellement bien réussis, et jouissent en France comme à l’étranger d’une grande et légitime réputation. Nous connaissons ces différents types ; voyons maintenant quels sont leurs principaux centres de production.
« Au point de vue zootechnique, dit M. Sanson, la population métisse p. 638de la Normandie se divise naturellement en deux grands groupes correspondant chacun à un centre particulier d’élevage et à des conditions locales différentes90 . »
Le premier de ces centres est le Calvados, principalement la plaine de Caen. Le cheval qu’il produit, connu quelquefois sous la dénomination d’augeron, de caennais, de virois, a une taille élevée « de belles formes, de la branche, du corps, de la longueur de hanche. Quelquefois un peu décousu, ses membres ne répondent pas toujours à son volume, ni ses allures à sa beauté. L’attelage est sa spécialité91 . »
Le Calvados élève beaucoup plus qu’il ne produit ; car ses habitants, fidèles à leur ancienne coutume, vont dans la Manche, l’Orne, en Bretagne, en Poitou, dans les Charentes, etc., acheter de jeunes poulains qu’ils élèvent dans leurs plantureux herbages pour les vendre ensuite, vers l’âge de quatre ou cinq ans, au commerce ou à l’armée.
Le second centre d’élevage est cette partie du département de l’Orne connue sous le nom de Merlerault. Les chevaux qu’on y rencontre ont une taille moyenne (1m,60 au plus) ; la tête belle, carrée ; le chanfrein droit ; les oreilles généralement longues, mais bien plantées ; l’encolure également longue, droite et mince ; le garrot bien sorti ; les reins un peu longs, mais bien attachés ; la croupe tranchante ; les côtes ordinairement plates et courtes ; les membres grêles ; les articulations étroites ; les canons et les paturons longs ; les tendons faibles et souvent faillis ; le pied bon ; les poils et les crins fins et soyeux.
Bâtis tous sur le même patron, les chevaux du Merlerault ont le grave défaut d’être trop légers, trop nerveux, trop amincis par l’abus du pur sang. Leur excès de distinction, en les rapprochant trop du cheval de course, ne leur en donne ni le bénéfice ni les avantages ; dans l’acte reproducteur, il domine et nuit au développement des facultés physiques, sans lesquelles les autres n’offrent point assez de résistance. Ce ne sont donc plus des reproducteurs suffisants, mais des chevaux de service élégants et sveltes, plus fashionnables que résistants.
M. du Hays, grand admirateur pourtant du cheval de l’Orne, reconnaît lui-même que les herbes et les eaux du pays donnent aux os p. 639du volume et de la densité, aux muscles de la résistance et de la force, mais poussent assez peu à la taille. Aussi, proclame-t-il hautement qu’exiger plus de taille que n’en a le hunter et le petit carrossier, c’est forcer la nature. « Ceux qui, dans le Merlerault, ont voulu sacrifier à la mode du grand carrossier ont échoué complètement, dit-il. L’éleveur intelligent n’y conservait autrefois que les poulinières de l’un des modèles qui conviennent à son sol (hunter et petit carrossier), et il ne choisissait parmi les étalons que ceux appartenant à ces catégories. Trop souvent, de nos jours, ajoute-t-il, on est sorti de cette sage réserve, et c’est à ces imprudences qu’il faut attribuer une bonne part des déceptions du Merlerault. Quelques éleveurs reviennent, il est vrai, en ce moment, aux bonnes traditions ; bientôt ils en recueilleront les fruits92 . » ,
Ces quelques lignes sont à noter, car elles ne laissent aucun doute sur l’importance qu’il y a pour l’éleveur à tenir compte des ressources locales dans toute opération zootechnique, à ne pas se laisser entraîner au courant d’une doctrine absolue, à ne jamais oublier, enfin, que ce qui est vrai à Caen peut être faux à Alençon.
Il est, d’ailleurs, deux autres questions sur lesquelles M. du Hays ne s’est pas appesanti et que les éleveurs normands ont, en général, le tort de trop négliger ; ce sont celles relatives au choix des mères et aux soins à donner aux jeunes chevaux.
En ce qui concerne les poulinières, le peu de souci que l’on prend de leur choix contribue beaucoup à produire l’abâtardissement de nos chevaux. Trop souvent, en effet, les propriétaires vendent leurs plus belles pouliches et ne gardent pour poulinières que celles qui sont tarées, estropiées, dont ils ne trouvent pas le placement.
Quant aux soins dont les poulains sont l’objet, voici à quoi ils se résument : entièrement élevés à l’herbage jusqu’à quatre ans, ils sont engraissés à cet âge, puis mis en vente sans avoir été, la plupart du temps, soumis au moindre travail méthodique. De plus, les pouliches ont bien souvent fait un poulain avant d’être vendues. Or, « les bons chevaux, dit M. Sanson, ne se font pas seulement avec des poulinières, des étalons, des herbes et de l’eau. Ces divers éléments fournissent le moule et la matière première. L’intervention active et intelligente p. 640de l’artiste est indispensable pour fabriquer l’objet et le façonner à l’usage qu’il doit remplir93 . »
Pourtant, l’auteur précité reconnaît que dans ces dernières années l’élevage normand s’est beaucoup amélioré sous ce rapport, que l’on tend, d’un autre côté, à revenir au reproducteur anglais fortement membré et étoffé.
C’est ce qui explique le regain de réputation dont jouissent actuellement les chevaux anglo-normands en France et à l’étranger, non seulement comme chevaux d’attelages de luxe, mais encore comme reproducteurs.
« Néanmoins, ajoute le même auteur, sur cent poulains qui naissent il n’y en a pas plus de vingt-cinq qui deviennent de bons chevaux. »
b. — Cheval percheron (petit percheron ou percheron postier)
Le cheval percheron est l’un des types chevalins les plus justement réputés du monde entier. Sa renommée est égale, en son genre, à celle du cheval de course anglais, et ce n’est que justice. Aucun cheval, en effet, ne réunit au même degré les qualités qui distinguent le bon animal de trait.
Son centre de reproduction est l’ancienne petite province du Perche, enclavée aujourd’hui dans les départements de l’Orne, de la Sarthe, d’Eure-et-Loir et du Loir-et-Cher. Il résulte de là que l’aire géographique de la race n’embrasse actuellement qu’une partie de chacun de ces départements.
Les poulains naissent, en général, dans les environs de Mortagne, de Bellesme, de Saint-Calais, de Montdoubleau et de Courtomer, tandis qu’ils sont plus particulièrement élevés dans le département d’Eure-et-Loir, dans le canton d’illiers et les cantons environnants.
La plaine de Chartres est, en outre, peuplée de poulains nés en Bretagne, dans le Boulonnais, la Flandre, la Picardie, la Normandie, etc., et, d’où qu’ils viennent, un mode d’éducation et d’alimentation uniforme courbe ces poulains sous le même niveau et leur imprime un cachet particulier qui ne permet guère de les confondre p. 641avec ceux de leurs similaires qui n’ont pas quitté le lieu de leur naissance.
Plus encore qu’en ce qui concerne le cheval normand, ce fait montre combien est essentiel le rôle de l’alimentation et de l’éducation dans le développement des aptitudes, puisque, par les seuls effets d’un travail méthodique et d’une nourriture forte et abondante, où l’avoine entre pour une grande proportion, tous les chevaux de provenances diverses élevés en Beauce acquièrent la plupart des qualités qui distinguent les animaux du pays et sont achetés comme percherons.
« Mais, dit M. Sanson, quand il s’agit de choisir des étalons parmi la population chevaline beauceronne, on s’exposerait aux plus graves mécomptes, si l’on n’avait pas égard à la distinction des caractères spécifiques propres à la pure race séquanaise, qui se rencontrent plus particulièrement dans la variété des petits percherons94 . »
En somme, il serait à désirer que la voie suivie par les éleveurs de la Beauce et du Perche l’eût été plus généralement. Nous n’aurions pas à regretter aujourd’hui la disparition de certaines races, jadis les meilleures de l’Europe.
Aussi, espérons-nous que ces mêmes éleveurs sont pour toujours convaincus qu’une rigoureuse sélection, une nourriture substantielle et abondante, un travail méthodique, peuvent seuls maintenir et améliorer encore davantage cette race percheronne que le monde entier nous envie.
Tous les auteurs ne sont pas d’accord sur l’origine du cheval percheron. Quelques-uns le tiennent pour un arabe grossi par le climat, par la nourriture et par la rusticité des services auxquels on l’emploie depuis des siècles. D’après d’autres, au contraire, il aurait pour point de départ l’union des races de trait de la Bretagne et de diverses variétés de la race boulonnaise. Enfin, M. Sanson en fait une race à part, la race séquanaise (E. C. sequanius), dont le centre de formation serait le bassin parisien de la Seine, d’où son nom scientifique de sequanius, tiré de celui que portait le fleuve à l’époque gallo-romaine. Or, nous devons ajouter que cette dernière origine doit être considérée comme la seule vraisemblable, sa détermination ayant été récemment p. 642confirmée par la découverte, à Grenelle, d’un crâne fossile d’Equus caballus, le seul crâne quaternaire d’équidé que l’on connaisse jusqu’ici, dont les caractères typiques sont ceux de notre race percheronne actuelle, que M. Sanson avait antérieurement déclarée originaire du bassin parisien.
Quoi qu’il en soit, on distingue dans la contrée le petit percheron et le grand percheron. Le premier seul sera étudié ici, le second appartenant à la catégorie des races lourdes.
Fig. 164. — Le petit percheron (attelage de juments postières).
Petit percheron. — Haut de 1m,55, en moyenne, ce cheval représente (fig. 164 du texte) le type primitif dans toute sa pureté. Au temps des malles et des diligences, c’était le cheval de poste par excellence ; d’où le nom qu’on lui donne souvent de percheron postier.
Il a la tête un peu grosse, souvent camuse ; le front assez large ; l’œil petit, mais vif et intelligent ; l’encolure de moyenne longueur et p. 643ornée de crins longs et fins ; le garrot bien sorti ; le dos et les reins courts ; la croupe arrondie et fortement musclée ; les côtes bien arquées ; l’attache de la queue un peu basse ; les membres forts, à larges articulations, bien musclés ; les paturons un peu courts. Sa robe, enfin, est le plus souvent grise.
Le petit percheron est propre à la selle et au trot rapide, d’une énergie, d’une force, d’une vitesse, d’une solidité et d’une sobriété incroyables. Il alimente le service des omnibus de Paris, celui de l’artillerie et des transports de marchandises à grande vitesse.
C’est pourquoi il serait à regretter qu’il fût dénaturé par l’exagération de la tendance au gros boulonnais, qu’on a voulu lui substituer dans ces derniers temps, comme mieux demandé par les étrangers, les Américains surtout, qui n’achètent plus qu’au poids.
Le percheron postier a, en somme, un but, une spécialité, qui doivent lui assurer pour toujours une place à côté de la variété propre au gros trait.
c. — Cheval ardennais
Le cheval ardennais, dont M. Sanson fait une variété de sa race belge (E. C. belgius), jouissait jadis d’une certaine réputation ; mais il est bien déchu de son ancienne splendeur aujourd’hui, grâce aux différents croisements qu’il a dû subir avec les étalons flamands, percherons, anglo-normands, etc.
Comme tant d’autres, c’est sa petite taille qui l’a tué. Sans tenir compte des droits acquis par la nature, on a voulu faire de ce petit cheval de 1m,45 un grand diable de cuirassier : il est mort de ce traitement.
À l’ancien petit cheval ardennais, sobre, rustique, plein d’énergie et de fond, dont les qualités comme cheval de cavalerie ont été si appréciées pendant la pénible campagne de Russie, a succédé un animal plus grand, peut-être plus élégant, mais certainement moins énergique et moins résistant.
Voici, d’ailleurs, quels sont les principaux caractères du cheval ardennais actuel : taille moyenne ; tête courte à front large et à ganaches chargées ; encolure large, courte et fortement garnie de crins rudes et grossiers ; croupe avalée ; hanches saillantes ; membres un peu grêles.
p. 644Il a cependant conservé de la souche primitive une certaine énergie et un certain fond qui le rendent, malgré ses mauvais caractères, propre au service du trait léger et surtout de l’artillerie.
On rencontre même, mélangés au type précédent, dont l’analogie avec celui du littoral breton est frappante, un certain nombre de chevaux à tête plus légère, à encolure plus longue et moins épaisse, à côtes plus arrondies, à croupe moins avalée, à membres enfin plus solides, susceptibles d’être utilisés à la selle (cavalerie de ligne) et même comme carrossiers (fig. 165 du texte). C’est dans les arrondissements de Réthel et de Vouziers que l’on trouve surtout cette élite de la nouvelle famille ardennaise.
Fig. 165. — Cheval ardennais (type de selle).
d. — Chevaux de la Champagne, de la Bourgogne et du Nivernais
La Bourgogne, la Champagne et le Nivernais ne possèdent pas de races propres. Tandis que les chevaux bourguignons et nivernais se p. 645confondent avec les comtois, ceux de la Champagne ne diffèrent pas sensiblement des lorrains. Les quelques caractères secondaires qui distinguent ces animaux les uns des autres résultent exclusivement, ou à peu près, des sols différents sur lesquels ils doivent vivre. D’ailleurs, aussi bien dans la Champagne, la Bourgogne et le Nivernais que dans la Franche-Comté et la Lorraine, les chevaux ont subi tant de croisements, soit avec le cheval percheron, soit avec l’anglo-normand, soit même avec le cheval de pur sang, qu’il est difficile de se reconnaître au milieu de la population chevaline hétérogène actuelle des pays que nous venons de nommer. À peu près exclusivement composée de métis, ayant de la taille et une certaine élégance, mais en général décousue, cette population ne se distingue plus que par certaines qualités de sobriété, de rusticité et d’énergie qu’elle tient de la souche primitive.
Toutefois, nous devons à la vérité de dire qu’en Champagne surtout de sérieux efforts ont été tentés pour l’amélioration de la population chevaline, et ce avec un certain succès. Grâce à un meilleur choix de reproducteurs (anglo-normands généralement), à des soins mieux entendus, certains éleveurs ont transformé les anciens types en chevaux plus forts et mieux conformés.
Malheureusement, ces bons résultats ont des chances de rester isolés, les conditions d’une bonne production chevaline n’existant point et ne pouvant guère être réalisées en un tel pays.
e. — Cheval de la Franche-comté
Le cheval franc-comtois se rencontre dans les départements du Doubs, du Jura, de la Haute-Saône et de l’Ain. On le trouve également dans la Haute-Marne, l’Aube et en Suisse, de l’autre côté de la chaîne du Jura. Jadis fort renommé, ce cheval est actuellement en pleine décadence. Et ce n’est pas seulement dans son mérite, dans ses qualités plus ou moins élevées que le cheval de la Franche-Comté s’est affaibli, c’est aussi dans son importance numérique.
« Au temps de sa prospérité, dit M. Gayot, le cheval franc-comtois avait la tête carrée, le front large et l’œil vif ; l’encolure, un peu forte et rouée, sortait du tronc avec quelque grâce, bien que le garrot fût épais et charnu ; le poitrail était musculeux et large, la p. 646côte ronde et bien faite, le rein fort et double, la croupe un peu commune et basse, les membres un peu minces pour le poids à porter, et laissant presque toujours à désirer dans le jarret, qui était le côté faible de la race ; les allures ne manquaient ni de légèreté ni de régularité95 . »
Qu’est devenu ce cheval ? un animal de taille moyenne (1m,50 à 1m,60), de robe baie ou grise, à grosse tête, à encolure maigre, au corps anguleux, à la croupe très oblique et aux membres faibles terminés par de grands pieds.
Pourtant, malgré ces mauvais caractères, le cheval comtois peut encore rendre de bons services : il est, en effet, très doux, très sobre, très dur à la fatigue et va longtemps, pourvu que la tâche qu’on lui impose n’exige pas une trop grande activité dans les mouvements.
Aussi, est-il assez avantageusement utilisé au trait et convient-il quelquefois à l’artillerie.
M. Gayot propose de l’améliorer par un métis anglo-boulonnais.
Le croisement lui a trop peu réussi jusque-là pour que nous partagions cette manière de voir. À moins que les conditions d’une bonne production chevaline n’existent point et ne puissent être réalisées dans la Franche-Comté, comme le pense M. Sanson, nous croyons que la seule tentative d’amélioration qui aurait des chances de succès consisterait dans la mise en pratique d’une sélection rigoureuse agissant de concert avec des soins hygiéniques et un élevage mieux entendus.
Seulement ainsi, à notre avis, on pourrait peut-être refaire cette race franc-comtoise que Huzard père appelait « une race mère, douée de caractères distinctifs qu’elle tient de la nature ».
f. — Cheval anglais-poitevin
Le cheval anglo-poitevin résulte du croisement de la race poitevine, que nous étudierons dans la catégorie des races lourdes sous le nom de race mulassière, avec le pur sang anglais et l’anglo-normand carrossier.
p. 647On le rencontre dans toute la circonscription habitée par l’ancienne race, mais particulièrement dans les prairies de la Vendée et de la Charente-Inférieure, qu’on continue à appeler les marais (marais de Saint-Gervais en Vendée, marais de Saint-Louis dans la Charente-Inférieure), bien que le dessèchement les ait transformés et qu’au lieu et place des terres détrempées et malsaines sur lesquelles ne végétaient que des herbes aqueuses, plus grossières que nourrissantes, on trouve aujourd’hui ces pâturages produits par une alluvion puissante et salés par le vent de la mer, sur lesquels vivent abondamment, en pleine liberté, toutes les sortes de bétail.
Encore appelé Cheval de Saint-Gervais, du nom du village où il se vend, à la foire du 15 juin, l’anglo-poitevin a la tête plus légère, plus expressive que l’ancien cheval du pays ; il est fort de corps, haut de taille, mais grêle de membres et supporté par de larges pieds. D’un autre côté, quoique plus vite, plus énergique, plus élégant que son prédécesseur, il en a conservé le tempérament peu robuste, de même qu’une certaine prédisposition aux tares dures ou molles et à la fluxion périodique.
Il y a toutefois lieu de noter que, dans ces dernières années, un grand pas a été fait dans la voie de l’amélioration rationnelle de la race. Quelques éleveurs intelligents, n’écoutant que leur longue expérience, ont mieux choisi leurs étalons, ont refusé systématiquement de conduire leurs juments à ceux qui étaient de trop haute taille, ont joint, enfin, aux herbes rares et trop humides, dans la saison d’hiver, des rations de fourrage sec et même d’avoine, mises à la disposition des produits sous des abris installés dans la prairie : Ils sont arrivés, par cette sélection attentive, à constituer des familles « d’où sortent maintenant assez souvent des sujets distingués, près de terre, bien proportionnés et se rapprochant du type anglais de service. Ces sujets ont été remarqués aux expositions annuelles de Paris.
« D’ailleurs, les beaux sujets anglo-poitevins ne diffèrent point sensiblement des anglo-normands réussis, et cela n’a rien qui puisse être trouvé surprenant96 . »
B. — Races intermédiaires anglaises
a. — Cheval de chasse anglais (The hunter)
On désigne sous le nom de Hunter (fig. 166 du texte) un cheval qui se montre plus particulièrement apte à soutenir les rudes fatigues de la chasse à courre. Bien que ce cheval n’appartienne pas à une race réellement distincte, il a acquis, grâce à sa destination spéciale, une conformation et des aptitudes qui permettent néanmoins de le classer à part.
Fig. 166. — Le cheval de chasse anglais (the hunter).
Créé parallèlement au cheval de pur sang avec des étalons de race pure et des poulinières bien douées97 , ayant beaucoup d’ampleur, une forte structure et les éminentes qualités qu’on recherche dans un cheval énergique, solide et résistant, le cheval de chasse anglais p. 649avait, dans le principe, un mérite tout à fait exceptionnel ; il était capable d’un grand labeur, portait des poids très lourds et suffisait à toutes les exigences d’un exercice aussi difficile et aussi violent que la chasse.
Aujourd’hui, ce cheval n’est plus guère métis que par l’origine première des familles auxquelles il appartient, et « on lui reproche, sans doute à juste titre, de s’être trop rapproché de la conformation et de l’aptitude des chevaux de course, par une intervention trop fréquente du pur sang dans sa reproduction98 . »
Ce rapprochement est même, en général, tellement marqué qu’on ne saurait souvent distinguer un hunter d’un cheval de course que par l’absence des effets de l’entraînement. Voici, après tout, quels sont les principaux caractères du bon hunter : taille variant entre 1m,51 et 1m,60 ; formes amples ; légèreté de l’avant-main ; garrot, bien sorti et sec ; dos court ; reins larges et bien soudés ; croupe longue ; poitrine ample ; épaules longues et obliques ; avant-bras et jambes longs et bien musclés ; rayons inférieurs des membres courts et solides ; articulations larges. « Le parfait cheval de chasse anglais, dit David Lowe, est incontestablement la plus belle variété chevaline qui existe dans aucun pays ; elle réunit, dans des proportions plus heureuses que celles du cheval de course, la légèreté des chevaux de sang originaires des pays chauds à la force des anciennes races européennes. En comparant le cheval de chasse au cheval de course, dans sa conformation, nous trouvons que, s’il lui est inférieur dans les qualités qui dénotent la vitesse, il le surpasse dans celles que réclame une destination plus utile. »
b. — Cheval de chasse irlandais
À côté du hunter se place le cheval de chasse irlandais. « Celui-ci a fait moins de bruit, dit Gayot, mais il s’est mieux conservé ; il a moins de sang, il est resté plus compact. Moins haut que le hunter, car il dépasse rarement 1m,53, il est doué d’une force musculaire remarquable, doué de beaucoup de fond et d’une aptitude toute particulière pour le saut99 . »
p. 650Le cheval de chasse irlandais résulte du croisement du cheval de pur sang avec les poneys du pays, ainsi que l’indique sa conformation trapue, et « l’habileté des éleveurs, dit M. Sanson, consiste à le maintenir à un juste degré de pondération, en ne faisant pas trop dominer, dans son économie, les aptitudes de la variété de course100 ».
c. — Cleveland bai ou carrossier du Yorkshire
Ainsi nommé à cause du lieu où se trouve son principal centre de production, dans le comté d’York, sur la Tees, et de la couleur ordinaire de sa robe, le cleveland bai est le cheval carrossier de l’Angleterre. On l’élève non seulement dans le comté d’York, mais encore dans les comtés de Lincoln, de Durham et de Northumberland.
C’est le produit du croisement de l’ancienne race cleveland101 avec le cheval de course. Plus fin, plus vigoureux, plus énergique que son prédécesseur, il semble réunir en lui, d’après David Lowe, l’énergie du pur sang avec la vigueur et la puissance des races plus communes ; mais, à force de vouloir donner plus de finesse à ses formes, on en a souvent fait un cheval trop près du sang, « ne possédant pas, disent très judicieusement les auteurs de the Horse, toutes les qualités désirables pour un service ordinaire ».
d. — Trotteur du Norfolk
Comme tous les trotteurs, ceux du Norfolk sont des animaux bien conformés, bien charpentés, énergiques, rapides, très résistants et très sobres, tenant le milieu entre l’animal distingué et l’animal commun. Ils résultent de métissages très divers. « Ceux qui les produisent, dit M. Gayot, s’y prennent avec art et réussissent sans trop suivre la même route. Ils sont le résultat d’intelligentes combinaisons pratiques entre l’étalon de pur sang et diverses variétés carrossières, de chasse ou de trait, améliorées par des alliances antérieures102 . »
Mais, quelles que soient leurs qualités, les trotteurs du Norfolk ne peuvent faire oublier notre admirable percheron, dont « la supérioritép. 651, dit M. Guy de Charnacé, est reconnue d’une extrémité à l’autre de l’Europe103 ». ,
C. — Races intermédiaires allemandes
Les races chevalines intermédiaires allemandes, dont M. Sanson fait de simples variétés de sa race germanique (E. C. germanicus), habitent toutes l’Allemagne du Nord. Leur centre de production paraît être le Sleswig-Holstein ; mais elles se sont ensuite répandues de là dans le Mecklembourg, l’Oldenbourg, le Hanovre, le Danemark, etc. « Les barbares germains et Scandinaves, d’après M. Sanson, quand ils se sont rués sur le monde romain, aux premiers siècles de notre ère, ont, d’autre part, entraîné la race germanique dans leurs excursions vers l’occident et l’ont fait établir, avec les Angles et les Saxons, dans l’île de Bretagne ; avec les Teutons ou Northmans, sur la côte gauloise de la mer Britannique, à laquelle ils ont donné leur nom ; avec les Burgondes ou Bourguignons, dans le bassin du Rhône, en France et en Suisse ; enfin, en Italie avec les Lombards, et jusqu’en Espagne et dans le nord de l’Afrique avec les Vandales104 . »
Malgré un air de famille assez marqué que présentent tous les chevaux intermédiaires allemands, il a été possible de les diviser en trois groupes principaux : les chevaux danois, hanovriens et mecklembourgeois, que nous allons successivement passer en revue.
a. — Cheval danois
Bien que le cheval danois de la variété allemande soit considéré, dans le commerce, comme originaire du Holstein, son principal centre de production, d’après M. Riquet, ancien vétérinaire de l’armée française, est dans la Marche du Oldenbourg. C’était jadis un animal présentant une taille élevée ; une charpente osseuse forte, mais peu compacte ; une tête lourde et souvent busquée ; une encolure longue et bien sortie ; un bon garrot ; une croupe oblique ; des membres grêles et couverts de poils à la partie inférieure ; des pieds plats ; un tempérament lymphatique et des allures plus brillantes qu’allongées.
p. 652Ainsi conformé, on l’utilisait comme carrossier.
Le cheval danois propre à la selle était plus léger, meilleur, moins haut de taille, avait des formes moins lourdes, moins communes ; mais il était beaucoup plus rare.
Aujourd’hui, le type que nous venons de décrire n’a plus aucune réputation et sert aux travaux agricoles du pays qui le produit.
Aussi, s’explique-t-on difficilement la faveur dont il a joui comme reproducteur et comme cheval d’attelage. Il n’a pas moins fallu que le caprice d’une courtisane toute puissante pour imposer un tel animal comme type améliorateur de nos races intermédiaires.
Quant à la concurrence qu’il faisait naguère encore à nos races carrossières, il y avait dans ce fait, de la part des consommateurs et des marchands, une telle absence de bon sens, de bon goût, de patriotisme et d’amour-propre, qu’il vaut mieux ne pas en raisonner la cause, ne pas en rechercher la raison.
Actuellement, l’ancien cheval danois est complètement transformé par suite de son croisement avec le pur sang anglais : la tête a diminué de volume ; les régions supérieures des membres se sont allongées ; la croupe est devenue plus horizontale ; la poitrine s’est élargie ; les pieds se sont rétrécis, etc. ; mais, malgré cette amélioration manifeste, malgré qu’il ait acquis plus de brillant et d’énergie, le danois actuel, ou mieux l’anglo-danois, en outre de l’excès de sang qu’il présente souvent, a conservé un peu du lymphatisme de sa mère.
Il s’ensuit qu’il constitue assez peu souvent un vraiment bon serviteur. Sa seule réelle qualité, c’est d’être très doux et très docile.
b. — Cheval hanovrien
« La race hanovrienne proprement dite, écrit M. Riquet, répandue dans plusieurs parties du royaume, a totalement disparu dans quelques contrées. Sa taille est plutôt moyenne que grande ; elle est assez distinguée ; sa tête est légère, parfois un peu busquée ; l’œil petit, haut placé, ce qui donne à la tête une expression particulière et la fait nommer tête d’oiseau105 , . »
p. 653Depuis l’époque à laquelle ont paru ces lignes, c’est-à-dire depuis 1846, l’ancienne race du Hanovre a fini de disparaître sous l’influence du croisement anglais, dont on a, d’ailleurs, usé si abondamment et si brusquement qu’on a eu beaucoup à se plaindre, là comme ailleurs, de l’abus du pur sang.
Le cheval hanovrien actuel jouit, toutefois, d’une certaine réputation et constitue la principale source de revenu pour les agriculteurs du pays qui le produit.
c. — Cheval mecklembourgeois
La population chevaline du Mecklembourg comprenait autrefois un type de luxe ou carrossier, un type de selle et un type commun ; mais ce dernier peut être considéré comme disparu de nos jours.
Les individus composant cette population avaient, toutefois, des caractères généraux communs bien tranchés, qu’on retrouve encore chez quelques-uns d’entre eux : « la tête carrée, le front large, les yeux grands et beaux, les oreilles un peu longues, l’encolure fournie, droite, le garrot saillant, le poitrail assez ouvert, l’épaule oblique, l’avant-bras bien musclé, la cuisse forte, les jarrets étroits et peu évidés, les canons longs, les pieds volumineux, les allures bonnes, trottant en retroussant... Par l’influence du sang anglais, ces formes se sont modifiées pour se rapprocher du type de ce dernier, et aujourd’hui, presque tous les chevaux de luxe achetés dans le Mecklembourg sont exportés comme chevaux venant d’Angleterre...
« Au dire des marchands étrangers et de ceux du pays, le cheval du Mecklembourg est le meilleur et le plus élégant des chevaux du Nord ; la manière de l’élever en augmente le prix ; il est aussi très remarquable par la douceur de son caractère, par la bonté et la durée de ses services, par sa souplesse, sa légèreté et la bonté de son pied106 . »
Tel était, toutefois, le cheval mecklembourgeois en 1846 ; aujourd’hui, il s’est beaucoup modifié, et, comme celui du Hanovre, comme l’anglo-normand, il a souvent trop de sang anglais. Aussi, beaucoup d’éleveurs regrettent-ils l’ancienne race, d’après Brehm107 , et cherchent-ils à en réunir les débris pour la refaire.
p. 654Malgré tout, le carrossier mecklembourgeois jouit actuellement d’une réputation à peu près égale à celle de notre anglo-normand.
D. — Races intermédiaires hollandaises
Cheval hollandais
Émanation directe de la race frisonne (E. C. frisius), à laquelle, d’après M. Sanson, appartiendraient encore les populations chevalines flamande, clydesdale et poitevine, l’ancien cheval hollandais était le représentant le plus lourd, le plus mou, le plus mauvais, en un mot, de cette race. Il a, d’ailleurs, à peu près complètement disparu de nos jours.
« Depuis longtemps, dit M. Sanson, dans les polders de Groningue, de la Frise, du Northolland et de la Zélande, on a cherché à améliorer les formes des chevaux par l’emploi d’étalons tirés, soit de l’Angleterre, soit du nord de l’Allemagne, soit de la France, afin de produire des sujets propres aux attelages de luxe. On y réussit peu. Le plus souvent les produits ont des formes incorrectes, sans harmonie, une grosse tête avec des membres grossiers et un corps d’une ampleur insuffisante. Le petit nombre des individus qui héritent des formes paternelles sont tardifs et d’un tempérament mou. Ils n’acquièrent un peu d’énergie que longtemps après avoir dépassé l’âge adulte et après avoir été soumis, dans un autre climat que le leur, au régime prolongé de l’avoine108 . »
Ce sont les robes noires et baies qui dominent. Cette particularité, jointe à leur manque d’énergie, à leur tempérament mou, à leur docilité, fait qu’on recherche beaucoup à Paris les chevaux hollandais pour l’administration des pompes funèbres.
E. — Races intermédiaires italiennes
Cheval de la Toscane
« Dans les maremmes de la Toscane vit à l’état demi-sauvage une population chevaline assez nombreuse, puisque, d’après le dernier recensementp. 655, il existe dans les provinces de Florence, de Pise, de Sienne, de Grossetto, de quinze à vingt-quatre chevaux par kilomètre carré109 . »
Appelé maremmano, le cheval de cette partie centrale de l’Italie appartient au type allemand, d’après M. Sanson, et se rapproche, quant aux formes générales de son corps et à ses aptitudes, de l’andalou, qui fut, paraît-il, quelquefois introduit en Toscane, à titre d’étalon améliorateur.
F. — Races intermédiaires américaines.
Trotteur de l'Amérique du nord
« On a fait dans l’Amérique du Nord, dit M. Gayot, pour le trotteur, ce qu’on a fait en Angleterre pour le pur sang : on a cherché les meilleurs, c’est-à-dire les plus vites et les plus résistants ; on les a mariés entre eux, et on a fixé dans leur nature cette admirable aptitude d’une rapidité au trot vraiment extraordinaire et d’une utilité pratique immédiate. Le pur sang est entré comme élément dans la formation de cette famille de chevaux, mais seulement comme élément.
« Le trotteur américain, de taille peu élevée, long de corps, défectueux dans sa croupe, est moins régulier de formes que le trotteur du Norfolk ; il a plus de sang que celui-ci et trotte plus vite110 »
Le plus remarquable est celui des États-Unis. Viennent ensuite le cheval du Texas, élégant et souple, le cheval du Canada, si propre à marcher sur la glace avec une vitesse vraiment étonnante, etc.
III. — Races communes ou lourdes
On entend par races communes ou lourdes celles dont les représentants ont une conformation athlétique, des allures pesantes et ne peuvent être utilisés, en général, qu’au service du trait lent. « Le cheval de trait, dit M. Gayot, épais, lourd et membru, ne saurait être comparé qu’à lui-même ; il est une appropriation à des services p. 656particuliers qui, sans lui, resteraient en souffrance ; il n’est point une dégénération, mais l’expression d’un besoin, et il a eu sa beauté à lui du moment où l’on a cessé de l’abandonner aux seules influences du dehors, à partir du jour où l’on s’est occupé à le produire en de bonnes conditions. Il a, dès lors, monté plusieurs degrés de l’échelle, il a eu ses races d’élite, et la force matérielle a créé chez lui une supériorité d’une autre sorte que celle du sang, non moins réelle cependant et non moins utile111 . »
Les gros chevaux, en somme, sont à hauteur de leur mission. Aussi, leur avenir est-il dans une sélection rigoureuse, des soins hygiéniques bien entendus et une nourriture très substantielle. Infuser du sang anglais ou anglo-normand dans les veines de ces antiques produits du sol et du climat serait vouloir leur enlever la spécialité qui fait leur valeur et les charger d’un bagage qui ne pourrait être pour eux qu’un supplice et une cause de décadence ; ce serait, en un mot, aller contre la nature, et l’on sait combien une telle lutte est imprudente ! « Mieux vaut s’entendre avec elle, dit très judicieusement M. Richard, et réussir suivant ses vues comme suivant les nôtres, en dirigeant convenablement ses opérations dans le sens de nos intérêts bien entendus112 . »
A. — Races lourdes françaises
Nous sommes de ceux qui pensent que nos races de trait sont supérieures, en leur genre, à nos races intermédiaires et aussi à toutes les races communes étrangères. Aucune de ces dernières ne peut lutter, selon nous, avec notre boulonnais et notre gros percheron, pas plus celles d’Angleterre que celles de Belgique.
« Nos races percheronne et boulonnaise me paraissent plus appropriées à nos besoins, dit M. le rapporteur du jury international de l’exposition hippique de 1878, lorsqu’il compare nos chevaux de trait à ceux des pays voisins. Moins volumineuses, elles rachètent par plus de densité dans les tissus et plus d’énergie ce qui peut leur manquer en poids. De plus, elles sont aptes à une autre allure que celle du pas, et font un excellent service d’omnibus et de tramway. Pour le camionnagep. 657, elles ont peu à envier aux races belges et anglaises ; car, avec de meilleurs pieds, elles ont moins à souffrir du pavé des villes et de la dureté du macadam des grandes routes113 . »
1. — Races lourdes du Nord
Variété de la race britannique (E. C. britannicus), d’après M. Sanson, le cheval boulonnais (fig. 167 du texte) est incontestablement le plus beau type connu des races de trait.
Le Boulonnais, d’où il tire son nom, occupe une grande étendue de l’ancienne région appelée Morinie et correspond à peu près au département du Pas-de-Calais. On le subdivise en Haut et Bas-Boulonnais, auxquels s’ajoute encore, au point de vue chevalin, le Calaisis.
Le Haut-Boulonnais, qui commence aux collines de Courcelles et s’étend jusque dans les environs d’Hucqueliers et de Fauquembergue, produit beaucoup moins de poulains que le Bas-Boulonnais. Les amateurs y deviennent rares, les étalons aussi.
Et pourtant, d’après M. H. Charles114 , à qui nous empruntons la plupart de ces détails, le Haut-Boulonnais est presque exclusivement un pays de production : vers 3 à 6 mois, les poulains sont achetés par les éleveurs de la Somme, des environs d’Arras, de la Seine-Inférieure, et aussi par ceux du Bas-Boulonnais, pour être revendus l’année suivante. ,
« Le Bas-Boulonnais et le Calaisis, que nous confondrons ici, dit M. Charles, en raison du même genre d’industrie équestre qu’ils font, offrent des propriétés moins divisées, et, partant, de plus puissants moyens d’exploitation. Les écuries y sont, plus nombreuses et aussi plus importantes. Il se fait là de l’élevage et de la production à la fois.
« Les plus beaux spécimens, comme juments et poulains, se rencontrent dans les environs de Marquise, d’Ardres, de Guines, etc. C’est dans ce rayon que se trouve l’élite du cheval boulonnais.
« On livre à la reproduction, dans le Bas-Boulonnais, environ p. 6582000 poulinières chaque année, ce qui fait en moyenne de 1000 à 1200 poulains115 . »
À l’âge de un an à dix-huit mois, ces produits se vendent en moyenne 700 francs. Ceux d’élite arrivent même à 1,200 et à 1,500 francs.
Les juments du Bas-Boulonnais, du Calaisis et des environs de Bourbourg sont, en général, plus fortes, plus massives que les boulonnaises proprement dites.
Dans le Bas-Boulonnais comme dans le Haut, dit encore l’auteur précité, le choix des étalons laisse à désirer, et s’il n’y avait quelques producteurs distingués, ayant à cœur de soutenir la bonne tradition, la production serait rapidement viciée par les étalons.
Fig. 167. — Le cheval boulonnais (étalon).
De son berceau d’origine, le cheval boulonnais se répand dans la Flandre, l’Artois, la Picardie, le pays de Caux, et les départements de l’Oise, de l’Aisne, de Seine-et-Marne, d’Eure-et-Loir, etc.; mais c’est dans le Vimeu (une des anciennes divisions de la Picardie) que se fait l’élevage du boulonnais d’élite et de la plus grande partie des chevaux p. 659boulonnais ordinaires. Ces animaux arrivent dans le pays dès l’âge de un an ou dix-huit mois et sont vendus à deux ou trois ans aux marchés d’Abbeville, de Ganiaches, et surtout d’Oisemont. Achetés par les marchands des localités où nous les avons vus s’irradier, ils restent dans ces localités pour y être utilisés au travail cultural ; puis ils sont vendus pour le commerce parisien deux ou trois ans après.
Les caractères généraux du cheval boulonnais sont ceux d’une constitution véritablement athlétique : tête petite, caractéristique ; front plat, carré ; œil petit, peu ouvert, mais vif et intelligent ; chanfrein droit et court ; ganaches écartées, mais un peu fortes ; naseaux petits, mais assez ouverts ; oreilles courtes, mobiles ; encolure grosse, rouée, portant une crinière touffue et double ; poitrail très large ; côtes arrondies ; garrot bas ; dos un peu ensellé ; reins courts et larges ; ventre peu développé ; croupe très musclée, double, grâce à la saillie des muscles ilio-spinaux de chaque côté de la ligne médiane ; membres forts, aux articulations puissantes et larges ; épaules peu obliques, mais très musclées ; tendons volumineux et bien détachés ; pieds bons ; taille de 1m,66 au plus ; couleur de la robe variable, mais le plus souvent grise.
Le fond, d’ailleurs, se montre à la hauteur de la forme et l’on peut dire du beau boulonnais qu’il est tout aussi harmonique, sinon plus, que le beau pur sang anglais.
Ce boule-dogue de l’espèce chevaline jouit, d’autre part, d’une grande réputation de docilité et se développe si rapidement qu’on peut déjà l’utiliser dès l’âge de deux ans.
« À cinq ans, dit Vallon, il n’a plus rien à gagner, ni en taille, ni en force, et généralement alors il a des allures rapides. Les juments marayeuses116 , qui transportaient autrefois le poisson de Dieppe à Paris, faisaient ce service à raison de 100 à 120 kilomètres dans une journée et de 16 à 18 kilomètres à l’heure, au trot soutenu. »
L’auteur que nous venons de citer rapporte à ce propos l’anecdote suivante : « Napoléon 1er, se rendant au camp de Boulogne, se sentit si rapidement entraîné par six juments boulonnaises du relais de Saint-Ornerp. 660, qu’il eut des soupçons de trahison... Le maître de poste qui le conduisait, accompagné de ses deux fils, se nommait Cochon, ce qui fit dire à l’Empereur qu’il s’était cru enlevé par six chevaux et trois cochons117 . »
À une époque plus reculée, alors que les cavaliers portaient de lourdes armures, c’était surtout les chevaux boulonnais que l’on recherchait pour les tournois et la guerre. Ce n’est même que depuis la Révolution qu’on ne remonte plus la cavalerie de réserve dans le Boulonnais.
Aujourd’hui, le cheval dont nous nous occupons fournit à Paris la presque totalité des chevaux utilisés par le camionnage ; il traîne même quelquefois les omnibus.
On l’a souvent employé comme régénérateur de nos races de trait ; mais, jusque-là, malgré les tentatives qui ont été faites pour le croiser lui-même avec le pur sang anglais ou l’anglo-normand, le cheval boulonnais est resté l’un des moins adultérés que nous ayons en France. Espérons qu’il se maintiendra longtemps encore ainsi et que les Purgons de la zootechnie en seront pour leurs frais d’infusion de sang anglais dans le Boulonnais !
Les chevaux flamands et picards (fig. 168 du texte) ont des caractères absolument identiques et, par ce fait même, ne méritent pas une description à part. Nous décrirons donc, sous la même dénomination de flamands, aussi bien les chevaux de la Picardie que ceux des Flandres belges et de la Flandre française.
Variété de la race frisonne (E. C. frisius), d’après M. Sanson, de la race boulonnaise d’après d’autres ; simple rameau, enfin, d’un même tronc primitif inconnu qui aurait également donné naissance au type boulonnais, si l’on en croit une troisième opinion, d’ailleurs très rationnelle, le cheval flamand atteint la plus haute taille et aussi la plus forte corpulence ; c’est un véritable géant de l’espèce. Il a la tête grosse, longue ; la bouche grande ; les joues plates ; le front rétréci ; les oreilles très développées ; les yeux assez grands, mais ternes ; les côtes p. 661plates ; le garrot bas ; la croupe mal attachée ; les membres très gros et abondamment pourvus de crins grossiers ; les épaules droites ; les pieds larges et plats. Quant au tempérament, il est remarquablement mou.
« Ses principaux centres de production sont, en Belgique, dans les environs de Bruges, de Garni ; en France, dans ceux de Dunkerque et d’Hazebrouck, dans la vallée de la Lys, c’est-à-dire, en somme, dans le bassin de l’Escaut. Aux environs de Bourbourg et dans les parties voisines de la Flandre occidentale, où l’élevage est le mieux soigné, se trouvent les meilleurs sujets de la variété. C’est de là que viennent ces colosses que les brasseurs de Paris, comme ceux des villes du Nord, attellent à leur camion avec orgueil.
Fig. 168. — Le cheval picard.
« En Picardie, les poulains naissent dans les environs de Compiègne, de Laon, de Vervins. Ils sont élevés dans les arrondissements de Château-Thierry, de Senlis, de Soissons. De là, quelques-uns vont en Beauce se mêler aux chevaux percherons. Ce sont ceux de robe grise...118 . »
Quoique l’un des chevaux les moins croisés qu’il y ait actuellement p. 662en France, le cheval flamand a cependant reçu quelques parcelles de sang anglo-normand, boulonnais et percheron. Il nous semble que là encore la seule chance que l’on ait d’améliorer la population chevaline actuelle réside dans une sélection rigoureuse et une intelligente amélioration des conditions de milieux.
Le cheval percheron ayant été étudié d’une manière générale lorsque nous nous sommes occupé du petit percheron (voy. Races intermédiaires françaises), nous ne parlerons ici que de la variété de gros trait et des caractères qui la distinguent de la variété de trait léger.
Le gros percheron (Pl. XVI, fig. 2) est ordinairement de robe grise et présente une taille qui oscille entre 1m,60 et 1m,65. Sa tête est longue et forte, avec des oreilles également longues et des ganaches lourdes ; mais l’œil est si vif et la physionomie si intelligente, qu’elle ne manque pas pour cela d’une certaine élégance. Son encolure est courte, mais bien musclée ; son garrot un peu empâté ; son dos souvent ensellé ; sa croupe arrondie et puissante, mais ordinairement avalée chez la jument ; sa poitrine très large avec des côtes fortement arrondies. Ses membres sont forts, bien musclés, à larges articulations, et terminés par des pieds excellents.
Ce cheval est, en outre, vigoureux, énergique, et supporte les plus rudes travaux, à la condition qu’on ne lui demande pas des allures trop allongées ou trop longtemps soutenues. Aussi, est-ce l’un de nos meilleurs types de gros trait.
Cependant, il serait à désirer, comme nous l’avons dit déjà, que la tendance actuelle à le substituer au percheron léger, dont l’utilité égale la sienne, prît fin au plus vite.
2. — Races lourdes de l’Ouest
Considéré comme originaire des marais de la Vendée, le cheval poitevin, ou mulassier, ne serait, d’après M. Sanson, qu’une simple variété de sa race frisonne (E. C. frisius).
p. 663Ce type primitif est, dans tous les cas, devenu très rare de nos jours, soit par suite des croisements qu’il a subis avec le cheval flamand, importé dans le pays sous le règne de Henri IV, ou, plus récemment, avec le pur sang anglais, dont nous avons déjà étudié les produits sous le nom d’anglo-poitevins (voy. Races intermédiaires françaises), soit, enfin, par suite de la faveur de plus en plus marquée dont jouit dans le Poitou le cheval de trait breton. Aussi, ne mérite-t-il guère aujourd’hui d’être décrit autrement qu’à titre de souvenir.
Voici quels étaient les principaux caractères qu’il présentait : tête longue avec des oreilles longues également ; naseaux peu ouverts ; œil petit et sans expression ; encolure forte et chargée de crins ; garrot bien sorti ; dos bas ; hanches saillantes ; croupe large et allongée ; côtes plates ; ventre très développé ; membres très gros, avec des articulations volumineuses, des canons longs et surabondamment pourvus de crins depuis le genou jusqu’au paturon ; pied large et plat ; taille très élevée ; robe baie ou grise ; tempérament lymphatique.
La grosse et lourde jument des marais du Poitou a longtemps été réputée comme seule intérieurement mulassière, par suite de l’apologie qu’en avait faite le célèbre cultivateur de Chalouë, Jacques Bujault, dont le type idéal pour la production du mulet était une barrique sur quatre pivots, selon sa propre expression. On croyait, d’ailleurs, naguère encore, que les qualités de l’âne compensaient les défauts de la jument, et réciproquement ; que les produits de deux procréateurs dissemblables étaient mixtes ; que l’accouplement, par exemple, d’une jument aux pieds larges et plats avec un âne, dont la conformation des extrémités est tout à fait dissemblable, nous le savons, donnait seul des mulets aux pieds bien conformés.
Mais, aujourd’hui que l’éleveur est complètement revenu de ces erreurs, qu’il a pu se rendre compte, grâce à l’initiative de hardis et intelligents expérimentateurs, que les juments d’autres pays, bien conformées, étoffées et énergiques, donnent des produits supérieurs à ceux de la laide, lourde et molle jument mulassière, les types poitevin primitif, flamand d’importation et leur métis, ne jouissent plus d’aucune réputation et disparaissent chaque jour.
Les chevaux bretons de trait qui, en vertu de leur force d’expansion propre, tendent à envahir le centre-ouest, et les métis anglo-poitevins p. 664se partagent à peu près exclusivement, à l’heure actuelle, la population chevaline du Poitou.
Les quelques rares débris de l’ancien type poitevin naissent dans le Marais et dans la Plaine, en Vendée et dans les Deux-Sèvres. Ils sont ensuite achetés, vers l’âge de deux à quatre ans, aux foires de la Vendée ou à celles de Saint-Maixent, par les marchands du Berry, de la Beauce et du Midi.
En outre des poneys, que nous avons précédemment étudiés (voy. Races légères françaises), la vieille presqu’île bretonne possède une population chevaline nombreuse qui se divise en deux groupes parfaitement homogènes classés d’ordinaire sous les noms de race de gros trait ou de Léon, et de race de trait léger ou du Conquet.
Ces groupes secondaires diffèrent par quelques points, par la taille surtout ; mais ils tiennent de la constitution particulière du sol breton un ensemble de caractères généraux si tranchés, une physionomie si distincte, qu’il est toujours facile de reconnaître un cheval breton de tout autre cheval.
De toutes les races chevalines françaises, la race bretonne est même celle qu’il est aujourd’hui le plus facile de distinguer.
Cette race, d’après M. Sanson, n’est pas originaire de la Bretagne ; c’est une simple variété de sa race irlandaise (E. C. hibernions). Au contraire, d’après certains auteurs, il a jadis existé une race bretonne autochthone ; mais celle-ci s’est trouvée absorbée, à un moment donné, par l’Equus caballus hibernicus.
Nous nous contenterons de faire connaître ces deux opinions sans les discuter.
Le cheval de gros trait ou de Léon occupe tout le littoral du nord, et particulièrement les arrondissements de Brest et de Morlaix. Saint-Pol de Léon serait son centre de production.
Ce cheval a la tête forte, lourde, souvent camuse ; l’encolure épaisse, avec une crinière double ; le corps court, trapu, avec des reins larges, des côtes très arquées et une croupe fortement musclée, double et avalée ; les membres forts, aux articulations larges et solides, aux paturons courts, munis de crins abondants et terminés par des pieds un p. 665peu grands, quelquefois plats. Les aplombs de l’avant-main sont défectueux en ce sens que l’animal est presque toujours sous lui du devant. La taille oscille entre 1m,55 et 1m,65. Quant à la robe, elle est le plus ordinairement grise ; mais les autres nuances se rencontrent aussi.
La variété de gros trait particulière aux Côtes-du-Nord, celle qu’on trouve de Saint-Malo à Lannion, se distingue par les caractères suivants : la taille est moins élevée et varie entre 1m,48 et 1m,58 ; la tête est carrée, belle et expressive ; l’encolure, encore forte, est devenue moins disgracieuse ; l’épaule s’est allongée, mais elle reste toujours un peu droite ; la croupe a perdu un peu de son avalure ; les membres, tout aussi vigoureux, sont plus secs, et les aplombs en sont meilleurs, même très souvent irréprochables.
En somme, les chevaux des Côtes-du-Nord sont pleins d’énergie et de santé, très doux de caractère, durs au travail et facilement maniables ; malheureusement, comme un peu partout en Bretagne, d’ailleurs, ils sont très souvent atteints de fluxion périodique.
Les qualités précieuses des chevaux bretons de gros trait les font rechercher pour le roulage, les messageries, les travaux agricoles et l’artillerie.
Le cheval de trait léger, dont le Conquet (Finistère) est le centre de production, est le plus ordinairement bai ou alezan, quelquefois noir. Sa taille ne dépasse guère 1m,57. Il a le train antérieur plus léger et plus distingué que le précédent, le garrot élevé, le corps long, la croupe droite, souvent mince et pointue ; les membres, enfin, ont des aplombs moins réguliers et se montrent abondamment pourvus de crins sous lesquels le pied disparaît souvent.
Quoi qu’il en soit, le petit cheval de trait du Conquet se rapproche du bidet des landes de Bretagne par sa rusticité, sa sobriété et son énergie.
Avec des qualités telles que celles dont nous venons de donner un aperçu, qualités qu’elle tient à la fois du sol, du climat et d’une longue suite de générations, qualités jouissant, par ce fait même, d’une très grande autorité héréditaire, la race bretonne semblait naturellement devoir être à jamais préservée de tout mélange avec un sang étranger quelconque ; elle paraissait, enfin, toute choisie pour la sélection jointe à une nourriture plus abondante et à une hygiène mieux entendue. Malheureusement, ce que nous trouvons si logique a été considéré p. 666comme une erreur en haut lieu, et le cheval breton, cette admirable machine animale qui réunit en elle la masse et la vitesse, la force et l’énergie, qui nous représente, par ce fait même, la solution vivante d’un problème jusque-là insoluble de main d’homme, le cheval breton, disons-nous, a dû avaler, lui aussi, sa petite infusion de sang anglais ! Nous avons plusieurs fois constaté en Bretagne même les déplorables résultats de ce traitement empirique sur des produits mal logés, mal soignés, dont toute la nourriture consistait en ajoncs et en genêts !
« La Bretagne, dit Vallon, se divise en cantons de production et en cantons d’élevage ; cette division est d’un grand avantage pour le commerce des chevaux ; elle permet aux producteurs de certaines contrées de se défaire de leurs jeunes mâles dès l’âge de six à dix-huit mois et de les vendre aux éleveurs bretons qui ne peuvent produire. Ceux-ci les gardent jusqu’à l’âge de deux ou trois ans, époque à laquelle ils les vendent à des marchands étrangers qui viennent s’approvisionner en Bretagne. Les exportations annuelles sont considérables. Les juments à croupe large sont achetées pour les habitants du Poitou et destinées à la production mulassière. Les poulains de quinze mois à trois ans sont acquis par les éleveurs de Normandie, du Perche, etc.119 »
B. - Races lourdes anglaises
a. — Cheval noir ou de Norfolk
Le cheval noir (black horse) (fig. 168 du texte) [•] est le produit d’étalons et de juments importés de Flandre et de Hollande par Bakewell. Ses principaux centres de production sont les comtés de Norfolk, Leicester, Warwick, Stafford, Lincoln et Cambridge.
« Sa couleur est ordinairement d’un noir de suie, très fréquemment avec une marque blanche en losange au front et des balzanes aux extrémités ; souvent aussi il y a du blanc aux lèvres et aux naseaux. Le corps est plein, massif, compact et rond ; les membres sont larges et solidement appuyés ; les dimensions de la poitrine sont vastes ; les proportions p. 667des reins et de l’arrière-main sont larges ; quoique très développée, l’encolure ne manque pas de grâce ; la crinière est touffue et un peu frisée ; les extrémités sont très velues. Cependant, toutes ces apparences de force physique ne donnent l’idée ni de la vivacité ni de l’énergie. Ce colosse est beau à sa manière ; il traîne des poids énormes, mais à petits pas et avec une grande lenteur de mouvements120 . »
Pendant longtemps les éleveurs surent se préserver des reproducteurs de sang et conservèrent le cheval sorti des mains du maître dans sa forme et ses caractères spéciaux ; mais, dans ces derniers temps, l’infusion de « quelques gouttes » de sang anglais est venue jeter dans la population chevaline du pays des sujets décousus et manqués dont la valeur est certainement bien inférieure à celle de nos chevaux français de gros trait. C’est principalement des comtés de Cambridge et de Lincoln que se tirent les grands camionneurs noirs.
Fig. 169. — Cheval noir ou de Norfolk (grand camionneur du Lincolnshire).
b. — Cheval de Suffolk ou Suffolf-punch
L’ancien cheval de ce nom (fig. 170 du texte), dont M. Sanson fait une variété de sa race britannique, avait son centre de production dans le comté de Suffolk, d’où il s’était répandu dans les comtés voisins de Norfolk et d’Essex. « Le surnom de punch, qui signifie tonneau, lui est venu, dit M. Gayot, de sa forme trapue et arrondie, d’autres disent de l’état de graisse habituel dans lequel s’entretenaient généralement ses produits sans avoir été pour cela poussés de nourriture...121 »
Fig. 170. — Le cheval de Suffolk ou Suffolk-punch.
Sa taille ne dépassait pas la moyenne ; sa robe était bai clair ou alezane. Plein de vigueur et d’énergie, il convenait pour les services qui demandent un grand déploiement de force et était employé principalement à traîner les camions et les wagons.
Incontestablement supérieur au cheval noir pour l’activité et la persévérance, il a néanmoins dû lui céder le pas, grâce au goût prononcé pour les colosses, qui a prévalu.
p. 669Les éleveurs ont alors eu recours au croisement avec des étalons de demi-sang du Yorkshire, qui a donné un certain nombre de produits supérieurs ; mais, hélas ! un plus grand nombre encore de sujets décousus, sans harmonie aucune et sans fond.
c. — Cheval clydesdale
Le Clydesdale (fig. 171 du texte), d’après M. Sanson, n’est qu’une variété de sa race frisonne. Il prend son nom de la Clyde, rivière d’Écosse, dans la vallée de laquelle se trouve son principal centre de production. « Les hippologues anglais supposent qu’il y a été formé, vers la fin du dix-septième siècle, par le croisement des juments indigènes avec des étalons flamands tirés de la Hollande par un duc d’Hamilton. L’origine de ces étalons et le fait de leur introduction ne laissent point de doute, mais il ne peut être davantage douteux que p. 670les juments réputées indigènes dont il est parlé n’étaient point d’une autre souche que celles des étalons eux-mêmes122 . »
Fig. 171. — Le cheval clydesdale.
Quoi qu’il en soit, voici quels sont les principaux caractères du clydesdale : tête un peu longue, mais légère ; encolure d’une longueur moyenne ; garrot bon ; ligne du dessus bien soutenue et courte ; membres bien d’aplomb et remarquables par la longueur des rayons supérieurs et la brièveté des inférieurs ; robe ordinairement bai plus ou moins foncé ou grise ; taille de 1m,60 en moyenne ; tempérament robuste ; caractère doux et facile ; allures plus allongées et plus franches que celles du cheval noir.
« Les clydesdales, dit M. Sanson, sont, en Angleterre et en Écosse, les chevaux de labour des terres fortes. Ils sont, en propres termes, plus agricoles qu’industriels.... Ils n’ont pas plus qu’aucun des autres, dans les Iles Britanniques, échappé à l’influence de la doctrine du croisement. Ils ont donc, eux aussi, leurs métis, que l’on trouve parfois dans le commerce sous le nom de trotteurs de Norfolk. » Ils sont, d’un autre côté, considérés comme les améliorateurs par excellence des chevaux agricoles.
C. — Races lourdes belges
a. — Cheval du Hainaut et de la Province de Namur
Le Hainaut et la province de Namur sont les meilleurs centres de production de la Belgique. « Plus on produit, mieux on produit, dit M. Gayot. Et, en effet, le gros cheval du Hainaut (fig. 172 du texte) montre de réelles qualités dans sa conformation extérieure et dans sa nature intime. Il est fort et robuste ; il a le poitrail ouvert et musculeux, les épaules puissantes, la côte bien arrondie et le rein court. Sa partie faible est le bas des membres, qui n’a pas assez d’ampleur ; l’articulation du jarret n’offre pas assez de largeur non plus.
« Du reste, la population n’est pas complètement homogène dans toute l’étendue de la province ; on y distingue deux variétés : l’une exclusivement propre au tirage lent, au gros trait ; l’autre plus apte à des services qui réclament plus de rapidité dans l’action. La première, p. 671plus répandue, mesure de 1m,59 à 1m,64 ; c’est l’espèce favorite du cultivateur, du carrier, du charbonnier, du brasseur... La seconde variété, moins haute, moins corpulente, plus légère d’ailleurs, est principalement élevée dans le Borinage, en vue du service, relativement vite, des omnibus et des messageries. C’est, toutefois, le même cheval au fond ; les différences ne se trouvent que dans un développement moindre ou plus considérable, résultant de la nature même des aliments...123 »
Fig. 172. — Le cheval du Hainaut.
Le cheval du Hainaut, de même que les chevaux brabançons, ardennais et crémonais, dérive, d’après M. Sanson, de sa race spécifique belge (E. C. belgius).
b. — Cheval du brabant, de la hesbaye et du condroz
Le cheval brabançon ne se différencie guère de la variété lourde du précédent. Il est massif, commun et un peu décousu dans ses formes. Toutefois, un choix plus judicieux des reproducteurs l’a sensiblement amélioré dans ces dernières années : il est maintenant moins disproportionné et un peu plus énergique.
C’est le moteur agricole des terres fortes de la province.
Le cheval hesbignon est plus commun, moins harmonieux et plus mou encore que le brabançon. Aussi est-il fort peu réputé.
Le condrozien, plus énergique, moins volumineux, paraît avoir eu quelque réputation autrefois ; mais ce n’est plus guère qu’un souvenir aujourd’hui. La tendance actuelle du fermier est à l’élevage des poulains nés ailleurs, achetés de deux à trois ans, et revendus une ou deux années après.
D. — Races lourdes suisses
Chevaux du Laumont, noir d'Erlenbach et de Schwytz
Le cheval du Laumont, que l’on trouve dans le Jura bernois, constitue un excellent animal de trait. Il est bien charpenté, a le poitrail et la croupe larges, beaucoup de force et de fond ; mais on lui reproche d’avoir le garrot par trop bas.
Le cheval noir d’Erlenbach est plus élégant et pourrait presque faire un trotteur.
Quant au cheval de Schwytz, malgré son extérieur peu flatteur, ses formes lourdes, il avance bien et a surtout le pas très sûr.
Ce sont, d’ailleurs, des qualités communes à tous les chevaux suisses d’être prudents, patients, courageux et sûrs dans les chemins les plus accidentés et les plus rapides.
E. — Races lourdes allemandes
Chevaux de Salzbourg, de la Bohême et du Wurtemberg
Les chevaux de trait de l’Allemagne ne jouissent pas d’une très grande réputation ; aussi nous contenterons-nous de les nommer.
p. 673Les plus remarquables, d’après Zundel124 , se trouvent en Autriche, particulièrement en Bohême et dans le duché de , Salzbourg, où ils ont une certaine distinction. L’auteur précité signale encore ceux du Wurtemberg, qui se sont ressentis, ajoute-t-il, des efforts d’amélioration tentés dans le pays.
F. — Races lourdes italiennes
Cheval crémonais
Les chevaux de trait italiens sont également peu réputés et peu nombreux.
La « race crémonaise » est une population chevaline lombarde au corps court et trapu, à l’encolure épaisse, qui fournit quelques sujets d’une distinction relative, figurant dans les rangs de l’armée italienne ; mais la plupart sont utilisés, comme chevaux de trait, aux transports et aux travaux agricoles.
C’est, d’après M. Sanson, une variété de sa race belge, introduite en Italie dès l’antiquité.
Appendice
De la production et de l'amélioration du cheval
Avant de terminer ce qui a trait à la connaissance du cheval, nous tenons à dire un mot des établissements et des mesures qui favorisent ou limitent sa production, ainsi que des agents et des opérations qui, en modifiant l’économie animale, produisent des améliorations.
I. — Institutions hippiques
On désigne sous la dénomination générale d’institutions hippiques les établissements et les mesures destinés à encourager, à diriger et à faciliter la production chevaline.
Ces institutions sont nées de ce principe que, livrée à elle-même, l’initiative privée serait impuissante à assurer la production suffisante, en quantité et en qualité, des chevaux de l’armée et mettrait en péril les intérêts sacrés de la défense nationale.
p. 674Nous n’avons pas à examiner ici si ce principe est vrai ou faux. Cependant, nous devons faire observer que la doctrine économique de l’intervention de l’État, en ce qui concerne la production chevaline, aujourd’hui abandonnée pour toutes les autres productions, est fortement critiquée par des hommes spéciaux, M. Sanson entre autres, le plus autorisé de nos zootechniciens. Cet auteur se base sur ce fait, dans ses critiques, que, malgré la non intervention de l’État dans la production du cheval de trait et du mulet, celle-ci n’a pas cessé de croître en prospérité.
A. — Établissements hippiques
On range sous ce titre les haras, les dépôts d’étalons, les étalons des départements, les étalons approuvés, les étalons autorisés, les étalons routeurs et les étalons de tribus.
a. — Haras
On entend plus particulièrement sous la dénomination de haras les établissements dans lesquels on entretient, pour la reproduction, des étalons, des juments et leurs produits ; mais la signification de ce mot s’étend souvent à tous les établissements hippiques en général.
Suivant les soins que les animaux reçoivent dans les haras, ceux-ci sont qualifiés de haras sauvages, demi-sauvages, ou domestiques.
1° Haras sauvages. — Les haras sauvages sont ceux dans lesquels les chevaux, les juments et leurs produits vivent pêle-mêle, dans d’immenses terrains incultes, exposés constamment aux influences atmosphériques, sans recevoir ni nourriture ni soins de la part de leurs propriétaires. Ces haras n’existent plus guère que chez quelques peuples du nord de l’Europe et en Amérique.
2° Haras demi-sauvages. — Dans les haras demi-sauvages, les animaux ne vivent en liberté, ne se passent des soins de l’homme et de la nourriture aux râteliers que pendant la belle saison. En hiver, on les rentre dans des écuries. De grands haras demi-sauvages se rencontrent dans certaines contrées de l’Europe, en Russie principalement. Chez nous, les chevaux de la Camargue, des Landes, de la Corse, sont élevés à l’état demi-sauvage.
3° Haras domestiques. — « Dans les haras domestiques, les animaux sont sous la surveillance de l’homme, au pâturage comme à l’écurie. Les étalons y sont nourris à l’écurie ; les juments, dans la belle saison, passent une partie de la journée à la prairie avec leurs poulains. Ces établissements sont partout plus répandus que les précédents, et, chez beaucoup de nations, il ne peut en exister d’autres, dans l’état actuel de l’agriculture et de la division des terres125 . »
En France, vu le grand morcellement de la propriété, les haras domestiques sont peu nombreux et relativement peu importants. Le seul établissement de ce genre digne d’être signalé appartient à l’État ; c’est le haras national de Pompadour (Corrèze), rétabli en 1874 dans le but d’y conserver la race arabe pure et d’y faire le cheval anglo-arabe.
p. 675Il existe bien, en outre, quelques haras particuliers, où de riches propriétaires entretiennent des chevaux et des juments ; mais ces haras sont principalement destinés à la production du cheval de course126 .
En Russie, en Allemagne, en Autriche, où le sol est beaucoup moins divisé que chez nous, les haras ont une bien plus grande étendue que les nôtres ; c’est ainsi qu’à Mezôhégyes (Hongrie), on rencontre un haras qui occupe 16,000 hectares de terrain.
Les haras ont pour but, ou de produire des chevaux propres à tous les services (haras de production), ou de s’occuper du perfectionnement des races (haras de perfectionnement), ou de résoudre certaines questions relatives à la reproduction (haras d’études).
b. — Dépôts d'étalons
Les dépôts d’étalons sont des établissements dans lesquels l’État entretient un certain nombre de chevaux entiers, dits étalons nationaux, pour faire la monte des juments des particuliers.
Ils sont au nombre de vingt-deux, dont voici l’énumération par ordre alphabétique :
- Angers (Maine-et-Loire) ;
- Annecy (Haute-Savoie) ;
- Aurillac (Cantal) ;
- Besançon (Doubs) ;
- Blois (Loir-et-Cher) ;
- Cluny (Saône-et-Loire) ;
- Compiègne (Oise) ;
- Hennebont (Morbihan) ;
- Lamballe (Côtes-du-Nord) ;
- Libourne (Gironde) ;
- Montier-en-Der (Haute-Marne) ;
- Pau (Basses-Pyrénées) ;
- Perpignan (Pyrénées-Orientales) ;
- Le Pin (Orne) ;
- Pompadour (Corrèze) ;
- La Boche-sur-Yon (Vendée) ;
- Bodez (Aveyron) ;
- Rozières-aux-Salines (Meurthe) ;
- Saintes (Charente-Inférieure) ;
- Saint-Lô (Manche) ;
- Tarbes (Hautes-Pyrénées) ;
- Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne).
On compte, en outre, trois dépôts d’étalons pour l’Algérie, un dans chaque province : le dépôt de la province d’Alger est à Blidah ; celui de la province d’Oran à Mostaganem ; celui de la province de Constantine à Lalélich, près de Bône.
Le dépôt de Pompadour, nous le savons, sert à la fois de dépôt et de haras : il a beaucoup plus de mâles qu’il n’est nécessaire pour les femelles qu’il entretient, et il en destine une partie aux juments de la circonscription.
Quant à celui du Pin, on y a adjoint une école pour former les fonctionnaires de l’administration des haras.
Les chevaux ne passent qu’une partie de l’année dans les dépôts. À l’époque de la monte, on les dirige sur les stations de la circonscription. L’établissement garde seulement ceux qui sont nécessaires pour couvrir les juments des environs.
L’institution des étalons nationaux remonte à Colbert, qui l’a fondée en 1665.
p. 676Supprimée en 1791 par l’Assemblée nationale, elle fut rétablie en l’an III par la Convention.
C’est l’administration centrale chargée de faire fonctionner cette institution et celle des haras qui, sous le nom d’administration des haras, fut créée en 1806 par un décret de Napoléon Ier.
Administration des haras. — Aucune administration peut-être n’a subi autant de vicissitudes, de changements de direction, que celle des haras. À chaque instant, on voit le passé radicalement condamné, une nouvelle direction imprimée à la marche de l’institution, pour être bientôt remplacée par une autre, condamnée à son tour un peu plus tard.
Plusieurs fois même son existence fut très sérieusement mise en question. Actuellement encore, il est question d’un bouleversement complet dans le recrutement de ses fonctionnaires. Aux termes d’un rapport verbal présenté cette année même par M. Viette, député du Doubs, rapporteur du budget de l’agriculture, l’École des haras du Pin serait transformée en école d’application et exclusivement réservée aux élèves diplômés des Écoles vétérinaires. Ce projet de réforme, dont le M. le ministre de l’agriculture a adopté en principe les conclusions, vient, d’ailleurs, de recevoir un commencement d’exécution par la circulaire ministérielle du 4 septembre 1885 relative à la réorganisation de l’école des haras, qui porte que les élèves diplômés de l’Institut agronomique et des Écoles vétérinaires pourront être admis sans examen jusqu’à concurrence de quatre par année. Pour être si attaquée, si contestée, il faut bien que l’administration des haras ne soit pas à l’abri de toute erreur et qu’elle offre une large prise aux critiques. C’est ce que nous nous contenterons de constater ici.
Chacun a pu, d’ailleurs, se former une opinion relativement à l’influence que l’administration des haras a exercée sur la production chevaline en lisant les quelques lignes que nous avons consacrées précédemment à l’étude de chaque race.
En ce qui concerne le fonctionnement de cette administration, « la France est divisée en un certain nombre d’arrondissements d’inspection et en circonscriptions, qui sont en nombre égal à celui des dépôts. Chaque circonscription est à son tour subdivisée en stations. Les directeurs des dépôts d’étalons répartissent ceux-ci, d’après leurs propres appréciations, entre les stations et leur circonscription...L’administration elle-même est dirigée par l’un des inspecteurs généraux, qui siège au ministère de l’agriculture. Il est assisté par un conseil supérieur des haras, appelé une fois par année à donner son avis sur les questions qui lui sont posées... De ce conseil, en France, comme partout ailleurs où il en existe d’analogues, l’élément scientifique a été jusqu’ici à peu près complètement exclu127 ... »
Les services de l’administration des haras ne coûtent pas à l’État moins de 8 à 9 millions par an.
c. — Étalons départementaux ou provinciaux
En présence des résultats déplorables qu’avait donnés, dans certains départements, particulièrement dans ceux appartenant aux aires géographiques des p. 677races de trait, la méthode de régénération de toutes nos races chevalines à l’aide d’une « infusion » de sang noble à dose variable, préconisée par l’administration des haras, les conseils généraux de ces départements prirent la résolution de pourvoir eux-mêmes aux besoins de la production chevaline, en votant les fonds nécessaires pour l’acquisition d’étalons départementaux plus appropriés à ces besoins.
Ces étalons sont confiés à des particuliers qui prennent l’engagement de les livrer à la monte durant un temps déterminé et à des conditions convenues, pour en devenir gratuitement propriétaires à l’expiration du délai, ou ils sont adjugés aux enchères publiques et à perte, toujours sous la condition expresse d’être employés à la monte dans le département durant un certain temps.
d. — Étalons approuvés
Le nombre des étalons nationaux étant insuffisant, l’administration des haras a, parmi ses attributions, celle d’approuver les étalons qui, bien que ne lui appartenant pas, sont conformes à ses vues. À son approbation se rattache une prime en argent, dont il lui appartient de fixer la quotité et dont le maximum est seulement déterminé.
e. — Étalons autorisés
Ces étalons sont également autorisés par les fonctionnaires de l’administration des haras ; mais l’autorisation n’est accompagnée d’aucune prime ; elle confère seulement à la descendance de l’étalon des droits à concourir aux encouragements distribués par l’administration.
f. — Étalons rouleurs
Les étalons rouleurs sont ceux que des propriétaires entretiennent à leurs frais, et qu’ils conduisent de village en village, de ferme en ferme, pour faire la monte.
Non compris autrefois dans le système de protection de l’État, ces étalons ne peuvent, aujourd’hui, être employés à la monte sans posséder un certificat constatant qu’ils ne sont atteints ni de cornage, ni de fluxion périodique. Valable pour un an, ce certificat est délivré gratuitement après examen de l’étalon par une commission nommée par le ministre de l’agriculture.
D’autre part, d’après cette nouvelle loi relative à la surveillance des étalons (promulguée le 14 août 1885), tout étalon employé à la monte, qu’il soit approuvé, autorisé ou muni du certificat indiqué ci-dessus, sera marqué au feu sous la crinière.
Beaucoup d’hippologues reprochent aux étalons rouleurs de ne se recommander par aucun titre positif, d’être souvent couverts de tares, de faire trop de saillies et de se montrer, par cela même, fréquemment inféconds.
« Ils ne sont cependant point les plus excédés, dit M. Sanson. La raison en est qu’ils sont les plus fortement nourris. Les paysans n’aiment pas à donner de l’argent, mais ils sont moins regardants pour les denrées128 . » Aussi la vérité est-elle que les étalons rouleurs résistent mieux, en général, aux fatigues de la p. 678monte que les autres, et qu’il suffît aux départements, pour obtenir de bons résultats avec eux, surtout depuis la loi protectrice du 14 août 1885, de fonder des prix ou de distribuer des subventions aux éleveurs qui introduisent et entretiennent les meilleurs reproducteurs.
g. — Étalons de tribus
Quant aux étalons de tribus, que l’on rencontre en Algérie, leur institution est due à M. le maréchal Randon. Ils sont achetés aux frais des tribus, et restent leur propriété ; mais leur acceptation, comme reproducteurs, est confiée aux commandants des dépôts, qui statuent aussi sur leur réforme.
B. — Encouragements donnés à la production chevaline
a. — Prix et primes
Les prix sont des encouragements accordés à ceux qui ont le mieux rempli les conditions d’un programme connu d’avance.
Fondés par l’État, par les administrations locales, par les sociétés savantes, par des souscriptions volontaires ou par de simples particuliers, ils sont toujours donnés en nombre déterminé.
Les primes diffèrent des prix en ce que, au lieu d’être accordées en nombre déterminé et annoncé d’avance, à ceux qui ont produit le mieux un effet désiré, elles sont instituées en nombre indéfini, ou plutôt, il n’y a qu’une prime, que l’on distribue à tous ceux qui remplissent les conditions du programme.
« Ce qui contribue à faire confondre les prix et les primes, c’est l’exhibition qui a lieu le plus souvent quand on distribue ces dernières : on réunit dans le même lieu les juments et les poulains des éleveurs qui ambitionnent cette récompense, pour apprécier leurs droits ; mais cette exhibition n’est que facultative, et du moment que les animaux à primer ne sont pas comparés, il ne serait pas nécessaire de les réunir129 . »
Seules les juments poulinières, les pouliches et les poulains dressés, issus des étalons nationaux, des étalons approuvés ou autorisés, peuvent concourir aux primes nationales. Tous les autres en sont exclus.
L’institution des primes nationales a donc visiblement pour but d’attirer aux étalons appartenant à l’État ou patronnés par lui la clientèle des juments. Elle ne vise point à exciter l’émulation entre les éleveurs, en leur laissant le libre choix des moyens de production. Ce n’est qu’un moyen de plus pour étendre l’influence de l’administration.
En France, les Équidés ne sont pas admis dans les concours et expositions d’animaux institués par le gouvernement : « Ils y figurent, dit M. Sanson, dans un certain nombre de régions où la production chevaline en particulier, où la production équine en général, a de l’importance ; mais c’est seulement à titre d’annexé et par l’initiative des associations agricoles ou hippiques locales, qui font en ce cas les frais de leur exposition spéciale.
p. 679« Il existe, en outre, depuis quelque temps, en France, une société puissante par l’argent dont elle dispose, sous le nom de Société hippique française pour l’encouragement des chevaux de service, et qui, chaque année, organise, sur divers points de la France, des concours de circonscription, couronnés par un concours général à Paris130 . »
Instituée sur les bases les plus solides, guidée par le sentiment de l’intérêt public, cette société rend de véritables services à la production et ne saurait être trop encouragée, tant qu’elle restera dans la voie pratique où elle s’est engagée jusqu’ici.
b. — Courses
Le but des épreuves connues sous le nom de courses peut se résumer ainsi : « Régénérer les races communes par l’étalon de pur sang éprouvé par les courses131 . »
Ces épreuves datent de la plus haute antiquité : les fêtes de la Grèce antique, de la Rome impériale, de l’ancienne Byzance, empruntaient aux courses en char, auxquelles prenaient part la noblesse, les princes, les rois eux-mêmes, leur plus brillant éclat. Mais, dans les luttes d’autrefois, le cheval était relégué au second plan ; elles avaient surtout pour but de mettre en évidence la force, l’adresse, l’audace de l’homme.
Les courses modernes, par contre, ne visent que le cheval. Elles ont pris naissance en Angleterre, on ne sait pas exactement en quelle année ; mais l’histoire nous apprend que sous Henri II (1154-83) elles existaient déjà ; qu’Édouard III et Henri IV s’en occupèrent sérieusement ; que Jacques Ier créa celles de Newmarket, de Croydon, d’Enfield-Chase (1603-25) ; que Charles II (1660-85) les protégea beaucoup.
« Dans le principe, les courses n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui. Alors, pas de système d’entraînement, pas d’hippodrome, pas de prix énormes ; elles n’étaient ni un jeu ni une spéculation. En quittant leurs travaux, les chevaux entraient en lice, couraient sur des terrains accidentés, portaient de 70 à 80 kilogrammes, et parcouraient de 6 à 7 kilomètres. Le prix consistait en une cravache ou en une sonnette d’or ou d’argent ; et, après la course, les vainqueurs et les vaincus reprenaient leurs travaux. En 1770, époque à laquelle Éclipse brillait sur les hippodromes, les courses étaient encore de 6 kilomètres, et le poids imposé aux coureurs considérable (77 kilogrammes) ; mais déjà la mode des paris était grande et les prix très élevés, puisque ce célèbre coureur gagna, en dix-sept mois, 625,000 francs à son maître. Aujourd’hui, les courses sont très répandues en Angleterre, et chaque ville a son hippodrome. Les plus renommés sont ceux de Newmarket, de Doncaster, d’Epsom, de Liverpool, d’York, etc.132 »
Il y a eu des courses en France de temps immémorial ; mais celles de vitesse, imitées des Anglais, n’ont été introduites que dans le milieu du siècle dernier. Elles ne furent même régulièrement établies et encouragées par l’État qu’à partir du 31 août 1805.
p. 680À cette époque les règlements des courses étaient beaucoup mieux raisonnés, beaucoup mieux établis que ceux des courses actuelles, où l’on a tout sacrifié à la vitesse, rien au fond, rien à la puissance de constitution, comme le lecteur pourra s’en convaincre plus loin.
Dans une brochure que le comice hippique, dont les membres avaient été choisis parmi les hommes les plus recommandables et les plus instruits sur la question des courses, adressait au pays et aux chambres en 1844, nous trouvons le passage suivant :
« Les courses ne sont plus en Angleterre, et même en France, ce qu’elles étaient à l’origine, ce qu’elles devraient être uniquement, une épreuve nécessaire pour s’assurer de la vigueur et du fond d’un cheval destiné à la génération. Elles sont devenues pour les uns une spéculation, pour les autres une occasion de ruine et d’élégance, pour tous un jeu. »
« Que peut-on attendre de bon d’une semblable institution, poursuit à ce propos M. Richard, auquel nous allons laisser la parole un instant ?
« Que peut-on améliorer par un principe qui a pour conséquence l’escroquerie perfectionnée et organisée, le jeu, la ruine, etc., d’après l’aveu des hommes les plus désintéressés personnellement, comme les plus instruits en semblable matière ? Quels avantages peut en retirer l’agriculture avec sa bonne foi naturelle ? Que peuvent y gagner les éleveurs honnêtes pour l’amélioration de leurs produits ?
« Puisqu’il ne s’agit plus aujourd’hui que de gagner un prix de vitesse, on a disposé les coursiers de manière à être vainqueurs : on ne s’occupe plus des conditions indispensables aux améliorateurs types. On conçoit donc quelle influence ont pu exercer les courses sur le perfectionnement des races. Nous avons suivi les hippodromes, autant qu’il nous a été possible de le faire, partout où nous avons voyagé, et nous y avons rarement vu des modèles comme Agar, Corysandre, Sylvia et même Fitz-Emilius, quoiqu’il ne soit pas d’une forte charpente, comme tant d’autres. Nous avons presque toujours remarqué des chevaux à membres longs et grêles, à corps allongé et aplati. Ces animaux avaient, d’ailleurs, les qualités exigées pour la vitesse ; mais ils péchaient par la courbure des côtes, par trop de longueur des reins et des flancs, par le défaut de développement général des muscles ; ils manquaient aussi par l’écartement des tendons, par la puissance des articulations, par tout ce qui caractérise, enfin, la force unie à la résistance, à la vigueur. On peut dire, en un mot, que les constitutions robustes, fortement charpentées, sont les exceptions sur les hippodromes de notre époque. Cela s’explique. L’expérience a prouvé à tous les coureurs eux-mêmes que ces qualités sont généralement incompatibles avec la grande vitesse exigée. Pour bien courir le temps voulu, il faut un sujet nerveux, irritable, avec de longues jambes, quelque grêles qu’elles soient, un corps allongé et de longs muscles pour une grande étendue de jeu. Avec du sang et cette conformation, le cheval d’hippodrome réunit toutes les conditions de succès éphémère, qui est l’unique but des spéculateurs. Ils n’en veulent pas d’autres.
« Si le mal se bornait là, ce serait peu de chose, mais il réagit sur la production générale du cheval léger, et les résultats sont aujourd’hui malheureux. Puisque les courses sont la meilleure épreuve à laquelle on peut soumettre les reproducteurs, dit-on, ce sont les vainqueurs qui sont les meilleurs types ; ce p. 681sont donc les améliorateurs qu’il faut choisir d’abord pour croiser nos races et leur donner du sang. La conséquence est digne, comme on le voit, de son principe.
Cette triste théorie, soutenue par des hommes influents, et, d’ailleurs, les mieux intentionnés, a déterminé sur beaucoup de points l’industrie agricole à en faire l’application. Mais aujourd’hui l’épreuve est faite. L’agriculture ne veut plus de ces producteurs types de nouvelle espèce ; elle a cent fois raison : elle a été embarrassée de leurs produits, qu’elle a élevés avec perte. Le commerce n’en voulait à aucun prix, on ne savait à quel service les employer.
...« La vicieuse conformation de la locomotive pur sang anglais, que nous avons préconisée à tout prix et par tout moyen, a dégoûté nos éleveurs. Voyez maintenant quelles en sont les conséquences : vous vouliez des chevaux de guerre, vous avez fait faire des mulets133 . »
D’ailleurs, les courses ne font pas toujours connaître les meilleurs coureurs ; car la manière dont les chevaux ont été dressés, entraînés, dont ils sont montés, l’habileté des jockeys, exercent une grande influence sur le résultat de ces concours. Combien de bêtes de bonne race, bien conformées, pleines de fond et d’énergie, sont vaincues par des chevaux médiocres, mais bien préparés !
Et puis, les espérances les mieux fondées ne peuvent pas toujours suffire à contrebalancer, à combattre avec avantage les efforts de ceux qui, n’ayant pas les mêmes chances, « n’hésitent pas, dit M. le comte de Montendre, à employer la ruse et les moyens les plus coupables et les plus étrangers à l’honneur et à la délicatesse134 ». « Ce sont, écrit d’autre part M. Magne , 135 , des charlatans qui prônent un cheval qui n’a aucune valeur pour le faire vendre cher ; ce sont des entraîneurs, des jockeys, qui rendent des chevaux malades, qui les empoisonnent avec l’arsenic, qui les engourdissent avec l’opium, qui s’entendent entre eux, qui font les maladroits pour faire gagner celui qui a fait les plus grands sacrifices pour payer ces friponneries. »
Il est vrai de dire que ces manœuvres ont surtout pour théâtres les hippodromes anglais ; elles sont beaucoup plus rares en France, grâce à la surveillance rigoureuse qui y est exercée par l’administration et la Société d’encouragement.
Il est évident, d’après cela, que les courses actuelles sont loin de pouvoir être considérées comme moyens d’amélioration de nos races chevalines.
Et pourtant, il n’est pas douteux qu’elles doivent constituer un bon point de départ de toute amélioration de nos races. « Mais il faut renoncer au passé ; il faut qu’on en fasse justice d’un seul coup ; rien n’est plus facile. Commencez par exclure du concours tout animal taré, quelle que soit son origine ; n’admettez que des coursiers de cinq ans et plus, jamais au-dessous de cet âge ; chargez-les du poids que porte un cheval de dragon en campagne ; puis établissez des distances de 25 à 30 kilomètres et plus, si vous voulez, après avoir modifié la charge suivant les conditions reconnues par une expérience raisonnée ; ou bien mesurez le temps pendant lequel devra durer l’épreuve, ce qui vaudrait peut-être mieux encore ; vous verrez alors les mauvais chevaux coureurs retourner à l’écurie ou rester en route ; les spéculateurs de mauvaise foi, désappointés, disparaîtrontp. 682, et les véritables bons chevaux auront enfin leur tour ; ils amélioreront véritablement alors nos races... Voilà la vérité ; si vous ne voulez pas y croire, le temps, la raison et l’expérience vous y forceront un jour, après bien du mal et bien de l’argent inutilement dépensé136 . »
Nous n’avons rien à ajouter à ces réflexions d’un de nos hippologues les plus autorisés.
On distingue plusieurs sortes de courses : la course plate, la course de haies, le steeple-chase et la course au trot.
1° Courses plates. — Les courses plates sont dirigées et subventionnées par la Société d’encouragement, plus connue sous le nom de Jockey-Club.
« Cette société, dit l’auteur du Carnet des courses, aujourd’hui puissante et prospère, a créé des hippodromes137 , fondé les courses et les prix, patronné et subventionné les courses de province, institué le salon des courses et réglementé les paris. Elle est représentée par le comité des courses, composé de quinze membres fondateurs et de quinze membres adjoints. »
Tout cheval, pour être admis à prendre part aux courses, doit présenter certaines conditions déterminées, sous peine d’être disqualifié, c’est-à-dire de se voir le droit de courir retiré. « Sont admis, sauf conditions contraires, les chevaux entiers et juments inscrits au Stud-book, nés et élevés en France jusqu’à l’âge de deux ans et régulièrement engagés. Les engagements doivent se faire par écrit, dans les termes exigés par les règlements et en temps opportun. Au moment de l’engagement, le propriétaire doit payer l’entrée ou le forfait ; sinon, il n’a pas le droit de faire courir. L’entrée est une somme d’argent fixée par le programme et variant de 25 à 1000 francs. Le forfait est une somme inférieure à celle de l’entrée, qui doit être payée par le propriétaire dont le cheval est engagé et ne court pas.
« La distance de la course est toujours indiquée au programme. Elle varie de 800 à 6,200 mètres. Au-dessous de 1,600 mètres, les courses sont dites à courtes distances. La distance moyenne est de 2,400 mètres.
« Les prix de course sont donnés par les sociétés de courses, par l’administration des haras, par les conseils généraux, les villes, les compagnies de chemins de fer, les cercles, les particuliers, etc. Plus de 1,500,000 francs sont annuellement distribués. Au montant du prix, ou à la somme inscrite au programme, viennent s’ajouter les entrées et les forfaits, qui, parfois, en doublent ou en triplent la valeur.
« L’administration des haras donne des prix classés dits nationaux, principaux, spéciaux, variant de 4,000 francs à 1,500 francs, attribués aux courses plates, et des prix non classés. Un arrêté ministériel répartit les prix classés p. 683entre les hippodromes ; quant aux prix non classés, le ministre, ou plus exactement le directeur de l’administration des haras, en dispose chaque année suivant qu’il lui plaît.
« Il y a des prix à poids égaux, dans lesquels les chevaux et les juments étant du même âge, les premiers rendent seulement aux secondes le poids pour sexe, qui est fixé à 1,500 grammes ; des prix à poids pour âge, dans lesquels une échelle a été établie réglementairement, en vue de permettre aux chevaux d’âges différents de courir ensemble dans des conditions d’égalité, et en faisant varier le poids, non seulement suivant l’âge, mais encore suivant la distance, parce que les chevaux âgés sont considérés comme ayant plus de fond.
« Il y a aussi des prix avec surcharges et décharges, ayant pour but d’empêcher les meilleurs chevaux de gagner tous les prix. Dans ce cas, il est stipulé que le gagnant de tel prix portera dans les autres courses une surcharge déterminée. Ceux qui n’ont pas gagné sont au contraire déchargés.
« Enfin, il y a les handicaps, dans lesquels, à l’aide du poids, on cherche à égaliser les chances de succès de tous les chevaux. Un commissaire, dit handicapeur, est chargé de la tâche difficile d’établir l’échelle des poids, à chaque course, depuis le meilleur cheval jusqu’au plus médiocre, en prenant pour base le pedigree et les performances.
« Ajoutons qu’il y a, en outre, des prix avec exclusion et des prix à réclamer. Les premiers sont disputés exclusivement par les chevaux qui n’ont pas gagné ou n’ont gagné que des prix sans importance. Pour les seconds, les conditions de la course portent que le gagnant sera à vendre pour un prix déterminé138 . »
Paris. — Maintenant, un mot des paris, la great attraction des courses : Les chevaux qui doivent courir sont cotés comme des valeurs et subissent des alternatives de hausse et de baisse. Des coliques, un tendon claqué, etc., par exemple, ont un retentissement énorme sur le marché.
Seuls, les paris à la cote étant aujourd’hui autorisés, une courte explication à leur endroit ne sera pas déplacée ici :
Tout cheval engagé ayant chance de gagner, il s’ensuit que, dans un champ de course de dix chevaux, par exemple, chaque coureur aurait une chance de gagner et dix chances de perdre (sa cote serait de 10 contre 1 ou 10/1) si l’égalité de chances existait. Mais, comme cette condition ne se rencontre jamais, la cote de chaque cheval est basée sur son mérite réel ou supposé, et l’on trouve dans la même course tel cheval à 15 contre 1 (15/1), tel autre à 3 contre 1 (3/1), tel autre enfin, à égalité contre le champ, ce qui veut dire qu’il est considéré comme ayant des chances égales à celles de tout le champ ; quelquefois même il arrive qu’un cheval a des chances estimées supérieures à celles de tout le champ ; alors on parie 2 contre 1, 4 contre 1 pour lui : on paie pour l’avoir.
La cote de chaque cheval est fixée par le Betting, c’est-à-dire par la masse des parieurs. C’est au salon des courses (Betting-room) que se réunissent les parieurs les plus sérieux.
Il y a des parieurs pour et des parieurs contre. Le parieur pour (backer) est celui qui parie qu’un cheval, choisi dans le champ par lui, gagnera. Le parieur p. 684contre (book-maker ou faiseur de livre)139 parie que le cheval ne gagnera pas. Les book-makers de profession s’installent dans l’enceinte du pesage, près d’un tableau qui porte le nom et la cote de chaque cheval et donnent à tout venant tel ou tel cheval à la cote fixée par eux.
Par ce que nous venons de dire, en somme, il est facile de se rendre compte que l’amélioration des chevaux n’est guère que le prétexte des courses plates actuelles140 .
2° Courses d’obstacles. (Courses de haies et steeple-chases). — Comme les courses plates, les courses d’obstacles ont lieu sur l’hippodrome, mais on a placé à dessein sur le trajet de la piste une série d’obstacles artificiels, tels que haies, murs, fossés, rivières, banquettes irlandaises, etc., que l’animal doit franchir successivement avant d’atteindre le but. Sont admis à y prendre part les chevaux de pur sang de tous pays et les chevaux de demi-sang, nés et élevés en France, âgés de 4 à 8 ans.
C’est la Société générale des steeple-chases de France qui dirige les courses d’obstacles. Son règlement, ses mœurs et ses coutumes ne diffèrent point de ceux de la Société d’encouragement.
Notons, toutefois, que les courses d’obstacles n’ont pas seulement pour but l’amélioration des races chevalines ; elles doivent, en outre, développer le goût du cheval et de l’équitation hardie ; mais, comme pour les courses plates, il n’est pas douteux que le plus sérieux de l’affaire se passe au Betting-room et sur le turf, les jours de course, dans les rangs de cette ridicule jeunesse des magasins et des bureaux qui vient là singer les sportsmen. « Les débats de la police correctionnelle nous ont, à cet égard, révélé de curieux détails. Ces Athéniens dégénérés de l’aune et du grattoir tiennent pour la casaque jaune, rouge ou verte, et font leur book tout comme un membre du Jockey Club. Seulement, il arrive que le dépositaire des enjeux s’échappe un jour sans régler ses comptes ; et comme leur Betting-room, à eux, est en plein soleil, ils tombent par là même p. 685en plein droit commun, et c’est à la magistrature qu’incombe le soin de vider, au nom de la morale publique, leurs petits différends141 . »
Tout ce que nous venons de dire s’applique au steeple-chase et à la course de haies, qui n’en est qu’un diminutif.
À l’origine, le steeple-chase était une véritable course au clocher ; mais, aujourd’hui, « on a civilisé cette course, on la prépare avec soin, avec art, de façon à la faire intermédiaire entre une course de haies, qui ne peut avoir lieu que sur un hippodrome et un exercice de casse-cou inabordable ou impraticable, sans portée et sans utilité, par conséquent142 . »
3° Courses au trot. — Les courses au trot sont en usage depuis très longtemps en Hollande, en Italie, en Russie, en Suisse, en Amérique et en Allemagne. Même en Angleterre, certains hippologues auraient voulu substituer aux courses au galop des essais au trot. En Amérique, aux États-Unis surtout, les courses au trot jouissent d’une grande faveur ; aussi, les trotteurs américains sont-ils très réputés.
En France, Huzard s’est prononcé pour ces luttes depuis le commencement du siècle, comme préférables à tous égards aux courses au galop ; mais elles ne furent définitivement introduites chez nous qu’en 1833. Depuis lors, plusieurs villes en ont fondé.
On distingue des courses au trot pour chevaux montés, pour chevaux attelés seuls à des voitures à deux roues, et pour chevaux attelés par paires à des voitures à quatre roues143 .
Malheureusement, ces épreuves ont de la peine à devenir générales ; elles n’excitent pas l’enthousiasme comme les courses au galop et surtout les steeple-chases ; leur seule recommandation est d’être utiles, et cela ne suffît pas.
« Il est certain, pourtant, que l’institution des courses au trot est la seule dont l’utilité ne puisse point être contestée. L’allure du trot est celle à laquelle sont utilisés la plupart des chevaux légers, et exclusivement les chevaux d’attelage et de transport des voyageurs. Il serait, par conséquent, désirable de voir instituer des courses de ce genre dans tous les centres de production de ces chevaux144 . »
L’administration française des haras ne s’intéresse guère aux courses au trot qu’en ce qui concerne l’épreuve publique sur l’hippodrome exigée pour tous les étalons nés et élevés en France — ceux de gros trait exceptés — qui doivent entrer dans les dépôts de l’État ou dans la classe des étalons approuvés.
p. 686Sont admis à courir au trot, dans ce cas, le demi-sang carrossier, soit monté, soit attelé seul, et le trait léger attelé seul.
L’État a bien institué d’autres courses au trot et des primes de dressage pour chevaux hongres et juments de service nés et élevés en France, âgés de 4 ans et 5 ans, montés, attelés seuls ou à deux ; mais la subvention accordée a toujours été trop minime pour que ces épreuves pussent acquérir, du fait même de la protection de l’État, l’importance qu’elles devraient avoir et s’étendre au delà d’un certain centre de production assez restreint.
C’est dans le but de remédier à cet état de choses que s’est constituée la Société d’encouragement pour l’amélioration du cheval français de demi-sang, qui a déjà disséminé des hippodromes sur les principaux points où le cheval de demi-sang naît et se développe.
C. — Mesures qui influent sur la consommation et la vente des chevaux
Remontes de l'armée
Les remontes militaires sont des institutions hippiques qui ont à la fois pour objet de satisfaire aux besoins immédiats de l’armée et d’encourager la production chevaline.
Voyons si l’organisation actuelle est la plus capable de leur faire atteindre ce double but :
Nous avons fait remarquer, en parlant des institutions hippiques en général, que des auteurs très autorisés critiquent vivement l’intervention directe de l’État dans la production du cheval, en se basant sur ce fait qu’elle est aujourd’hui abandonnée pour toutes les autres productions, que les chevaux sont une marchandise comme les denrées alimentaires, le fer, le bois, les chaussures, que l’État, enfin, est un acheteur qui doit subir, ni plus ni moins que les autres, la loi de la concurrence.
Mais si les opinions sont partagées en ce qui concerne l’immixtion directe de l’administration dans la production chevaline, tout le monde, croyons-nous, reconnaît qu’il doit encourager, protéger par les meilleurs moyens en son pouvoir, la fabrication des chevaux de cavalerie : seul consommateur de ces chevaux, qui n’ont guère d’autres emplois en l’état actuel de nos habitudes sociales, il a, en effet, le plus grand intérêt à favoriser leur production, de telle sorte qu’il en existe toujours dans le commerce un stock suffisant pour parer à tous ses besoins éventuels :
« La nécessité militaire en question n’est pas contestable. Elle frappe tous les yeux. Il est évident que la sécurité, la grandeur et les finances nationales sont partout grandement intéressées à ce que cette question soit résolue. On ne peut différer que sur le choix des moyens de la résoudre145 . »
Or, il est à peine utile de dire que la marche suivie jusqu’ici n’a pas donné des résultats très satisfaisants, puisque chaque fois qu’il s’est agi de passer du pied de paix au pied de guerre, la France n’a pu suffire à fournir l’effectif nécessaire aux différents services de l’armée : « En 1859, lors de la campagne d’Italie, p. 687l’armée avait besoin de 56,000 chevaux pour entrer en campagne ; l’administration des remontes ne put mettre à sa disposition que 12,000 chevaux seulement. Il fut constaté qu’avec une population chevaline de trois millions de têtes environ, la France ne pouvait suffire aux différents services de l’armée. En 1870-71, la même pénurie se reproduisait ; on ne put trouver que 20,000 chevaux (rapport de M. Bocher à l’Assemblée nationale, 29 mai 1874). On le voit, en matière chevaline, ce n’est pas le nombre qui nous manque, c’est la qualité ; nos chevaux émanent de reproducteurs ou mauvais ou mal adaptés aux lieux où ils ont été placés146 ... »
Pour remédier à cet état de choses si inquiétant pour la défense de notre pays, il est indispensable, à notre avis : 1° d’éclairer les éleveurs ; 2° de régulariser les achats des jeunes chevaux ; 3° d’élever le prix moyen de ces chevaux.
1° Dans le but d’éclairer les éleveurs, M. Richard propose de constituer, avec le concours de nos trois grandes Écoles vétérinaires, de nos associations agricoles, des conseils généraux, un enseignement consacré spécialement à l’étude des moyens à employer pour refaire et améliorer nos anciennes races de chevaux, telles que celles des montagnes du centre et du midi, qui ont été détruites par des mélanges irrationnels. Les lois, la nature des lieux qui ont présidé à la formation de ces races n’ayant pas changé, on peut les reconstituer en s’aidant des lumières de la science et de l’observation. « Croire, dit l’auteur précité, que quelques cours isolés, professés à quelques jeunes gens, au haras du Pin, remédieront à un mal séculaire qui s’est toujours perpétué et se perpétue sans cesse, c’est, non seulement se tromper, avec l’intention de bien agir, mais induire encore la France dans une erreur dont les événements n’ont jamais manqué de démontrer les funestes conséquences147 . »
2° Il ne suffit pas de conseiller les éleveurs, il faut encore assurer à la production chevaline un débouché constant et régulier ; il faut, enfin, que le producteur sache approximativement quelles seront les demandes de l’État dans sa circonscription, de manière à éviter l’encombrement, dont la conséquence fatale est l’avilissement des prix. Si, en effet, les chevaux produits exclusivement en vue des services militaires ne sont point vendus dès qu’ils ont atteint l’âge réglementaire, le service auquel ils sont propres ne trouvant point d’emploi utile chez le producteur, à mesure que leur valeur réelle décroît, leur prix de revient augmente de la quotité de leurs frais d’entretien.
Mais la régularisation des achats serait sans effet si, en même temps, on ne les réglait de façon à assurer la présence permanente dans le pays, en plus de l’effectif normal, d’un nombre suffisant de chevaux prêts à être incorporés en cas de mobilisation ; car on ne saurait exiger des agriculteurs que, par pur patriotisme, ils se ruinent à produire l’excédent de chevaux qui serait alors nécessaire.
Il faut, en somme, que la production soit réglée sur les achats en temps de paix ; or, on ne le peut qu’en constituant une réserve de chevaux de troupe.
Plusieurs moyens ont été proposés pour obtenir ce résultat ; mais, à notre avis, p. 688le plus pratique serait de limiter la durée du service des chevaux dans l’armée de quatre à dix ou douze ans. « Vendant des animaux moins usés, dit Magne, l’administration militaire rentrera en partie dans ses fonds et éprouvera moins de pertes, parce qu’elle aura moins de mortalité, moins de frais de traitement, et moins de rations consommées sans utilité dans les infirmeries148 . »
D’autre part, d’après M. Sanson, le calcul montre qu’en portant les achats annuels des jeunes chevaux de quatre ans au cinquième de l’effectif normal, et en limitant la durée de leur service à six ans, on arriverait à constituer une réserve de 200,000 chevaux, nombre approximativement suffisant en cas de mobilisation.
3° Après avoir réglé ses achats de manière à ce qu’ils soient d’une quantité constante chaque année, l’État doit en outre se placer, pour les prix, dans les conditions ordinaires du commerce.
Toutes ces conditions remplies, il trouvera facilement, plus facilement, croyons-nous, qu’en multipliant ses étalons nationaux, approuvés ou autorisés, tous les chevaux dont il pourra avoir besoin. Notre pays, après tout, est, sous le rapport des conditions naturelles de production, l’un des plus favorisés, peut-être même le plus favorisé.
Dépôts de remonte
Le service des remontes a pour mission d’acheter les jeunes chevaux destinés à combler les vides qui se sont faits dans les régiments de cavalerie ou d’artillerie. Il dépend du ministère de la guerre et comprend, en France, quatre circonscriptions partagées elles-mêmes en vingt dépôts, dont voici le tableau :
CIRCONSCRIPTION. | CHEFS-LIEUX. | DÉPÔTS. |
1reCirconscription... | Caen. | Caen, Saint-Lô, Alençon, Le Bec-Hellouin, Paris, Suippes et Eu. |
2e — ... | Fontenay-le-Comte. | Fontenay-le-Comte, Angers, Guingamp et Guéret. |
3e — ... | Tarbes. | Tarbes, Agen, Mérignac, Saint-Jean-d’Angély, Aurillac et Arles. |
4e — ... | Mâcon. | Mâcon, Sampigny, Faverney et l’École de dressage de Saumur. |
L’Algérie forme une troisième circonscription avec trois dépôts : Blidah, Mostaganem et Constantine.
Tous les dépôts de remonte, à l’exception de ceux de Suippes et d’Eu, sont des dépôts acheteurs. Aussi, comportent-ils, à part ces deux derniers, une commission d’achat composée du chef d’escadron commandant le dépôt, président, et de deux officiers acheteurs, capitaine ou lieutenant. Particularité digne de remarque, le vétérinaire accompagne rarement la commission dans ses tournées.
p. 689Des prescriptions minutieuses règlent les détails des achats. Chaque propriétaire est libre de présenter lui-même son cheval, ou de le confier à un cavalier mis à sa disposition. Les opérations se font, le plus souvent, à des jours désignés à l’avance ; mais il est des dépôts où l’on achète en permanence : à Caen et à Saint-Lô, par exemple. Quand la commission se déplace, elle se transporte dans les diverses localités qui se livrent le plus à la production chevaline, et fait connaître son itinéraire au public par voie d’affiches ou de circulaires dans les cafés, auberges, bureaux de poste, bureaux de tabac, etc.
La remonte n’achète que des chevaux hongres, entièrement guéris de la castration, et des juments, à l’exception de celles reconnues pleines ou qu’il y aurait lieu de conserver pour la production.
La taille des chevaux varie suivant l’arme à laquelle on les destine (Voy. IIe partie, chap. XIV, Aptitudes).
Ils doivent être, d’un autre côté, propres à cette arme, d’origine française, exempts de tares, à tous crins, âgés de trois ans et demi au moins et de huit ans au plus.
Les chevaux de trois ans et demi sont dirigés sur les dépôts de Suippes, d’Eu et d’Arles. Ceux de quatre ans et au delà restent un temps plus ou moins long au dépôt acheteur, puis sont envoyés dans les régiments pour lesquels ils conviennent.
Les dépôts de Suippes, d’Eu et d’Arles sont donc des dépôts de jeunes chevaux ou d’élevage. Créés sous les auspices du général Thornton, ex-inspecteur général permanent des remontes, ces dépôts ont pour but d’acheter les animaux à meilleur compte et de développer chez eux, à l’aide d’une nourriture substantielle et d’une gymnastique fonctionnelle graduée, des qualités qui se fussent atrophiées avec un régime et des soins moins bien entendus. Pour obtenir ce dernier résultat, les jeunes chevaux sont successivement mis en liberté dans des cours assez étroites, puis dans des paddocks plus étendus.
Malheureusement, la grande division de la propriété en France ne permet pas de consacrer à ces dépôts de jeunes chevaux la quantité de terrain nécessaire à leur bon fonctionnement, et le résultat obtenu, quant au prix de revient annuel de chaque cheval surtout, ne peut être comparé, jusque-là, à celui que donnent en Allemagne les établissements analogues. Véritables fermes d’élevage où se récolte la plus grande partie des aliments nécessaires aux jeunes chevaux, ces établissements présentent en effet, sur les nôtres, l’avantage d’être beaucoup plus économiques.
Le décret du 28 décembre 1883 a institué, dans chaque régiment de troupes à cheval, une commission de remonte permanente composée d’un officier supérieur, président ; de deux capitaines et du vétérinaire en premier, membres. Cette commission se réunit toutes les fois qu’il y a lieu : 1° de livrer un cheval, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux, à un officier étranger au corps ; 2° de recevoir un cheval précédemment livré dans les conditions ci-dessus, un cheval réintégré ou rétrocédé par un officier du régiment, ou d’acheter un cheval présenté par un officier du régiment ayant droit à un cheval à titre gratuit.
La gendarmerie fait ses acquisitions dans le commerce par l’intermédiaire d’une commission du même genre, dans laquelle le vétérinaire a également voix délibérative. En principe, on laisse au gendarme la faculté de refuser le cheval qu’on lui présente, parce que c’est lui qui le paye au moyen d’une première mise que l’État lui avance et qu’il rembourse ensuite par annuités.
p. 690La garde républicaine recrute également sa troupe dans le commerce.
Notons en terminant qu’on a souvent demandé une réorganisation complète des remontes avec suppression des dépôts, comme inutiles, trop onéreux pour l’État, etc. Malheureusement, de tous les systèmes préconisés pour remplacer l’état de choses actuel, aucun ne remplit complètement les conditions voulues. Le plus rationnel, le plus logique, l’achat direct par les corps de troupe, présente cet inconvénient que certains régiments trouveraient peut-être difficilement à se remonter, en raison de leur éloignement des contrées chevalines. Cependant, il y aurait, à ce propos, une nouvelle expérience à tenter ; car nous ne considérons pas comme concluante, quel qu’en soit le résultat, celle qui a été faite en 1885149 .
II. — Moyens d'amélioration
Quoique très nombreuses et très variées, les influences que l’homme peut mettre en jeu pour l’amélioration de ses races animales peuvent être rangées sous trois catégories différentes : 1° les agents extérieurs ; 2° la gymnastique fonctionnelle ; 3° la génération.
A. — Influence des agents extérieurs
On a beaucoup trop négligé, on néglige beaucoup trop encore aujourd’hui l’influence des circonstances extérieures, c’est-à-dire des milieux en ce qui concerne l’amélioration de nos races chevalines.
« Non seulement, dit Magne, on n’a pas cherché à utiliser les agents hygiéniques, mais souvent on a entrepris de lutter contre leur puissance, et le plus souvent, sinon toujours, on n’a récolté, dans ce cas, que de cruels mécomptes150 . »
Il suffit de se reporter aux quelques lignes que nous avons consacrées à chacune de nos races chevalines pour reconnaître le bien fondé de cette critique. Pour ne pas avoir suffisamment compris que le choix des reproducteurs était à lui seul un élément insuffisant d’amélioration, qu’il fallait de toute nécessité que son action s’exerçât parallèlement à celle des agents extérieurs si l’on voulait obtenir un résultat à la fois satisfaisant et durable, nous avons perdu plusieurs de nos meilleures races, et ce, sous prétexte de les améliorer.
Les principaux agents extérieurs dont nous ayons à nous occuper ici sont le sol, le climat, les lieux, la nourriture, etc.
1° Action du sol, du climat et des lieux. — L’action de ces agents sur les p. 691races est des plus énergiques ; ils peuvent les améliorer ou les faire dégénérer, car les modifications qu’ils produisent ne se bornent pas aux individus qui, les premiers, ressentent leur influence : elles se transmettent des pères aux enfants, en devenant de plus en plus marquées dans la suite des générations, jusqu’à ce qu’elles aient acquis tout le développement que comportent les animaux et le milieu dans lequel ils vivent.
Le froid stimule la sensibilité et la circulation capillaire de la peau ; il augmente l’hématose cutanée et la chaleur périphérique, provoque à l’exercice musculaire et, conséquemment, à la dépense du combustible, aiguise l’appétit et rend plus actives les fonctions digestives. Il appelle ainsi des aliments plus substantiels et favorise la nutrition. En définitive, il développe la masse du corps et crée le tempérament sanguin.
La chaleur dilatant l’air, celui-ci fournit, à chaque inspiration pulmonaire, une moindre quantité d’oxygène. Par suite, la combustion des aliments ne peut que se faire d’une manière incomplète, et il est nécessaire que le foie sécrète une quantité plus considérable de bile afin d’éliminer les matières incomburées. Cette sécrétion active amène un plus grand développement de l’organe sécréteur ; d’où le tempérament hépatique propre aux peuples tropicaux.
Aussi, quels que soient son génie et ses inépuisables ressources, faut-il que l’Européen, devenu habitant des régions polaires, prenne quelque chose de l’Esquimau, ou que, transplanté sous les tropiques, il se plie dans une certaine mesure au régime des Africains.
En ce qui concerne les chevaux originaires des pays chauds, ils ont, en général, des formes élancées, un système nerveux développé, des tissus fermes, une peau serrée, une vigueur et une énergie exceptionnelles.
Somme toute, l’action incessante du climat sur les organes élève, abaisse on pervertit les actes physiologiques. Consécutivement, les phénomènes nutritifs et plastiques subissent un changement analogue, car l’activité des fonctions est le véritable régulateur de la nutrition. L’organisme, pour résister à la pression extérieure, réagit avec force, et cette lutte engendre à la longue des altérations de forme, d’étendue, de rapports, que l’habitude fixe et que l’hérédité transmet.
Un sol riche, ombragé, humide, élève la taille et fait prédominer les tempéraments lymphatiques, sanguins.
Un terrain sableux, aride, insolé, produit des effets opposés : brièveté de la taille, sécheresse des tissus, coloration plus intense, etc., etc.
L’eau salée, l’atmosphère maritime, produisent des animaux à taille relativement peu élevée, mais robustes, etc., etc.
Maintenant, il est bon de dire que ces influences extérieures, chez les animaux à l’état domestique, sont modifiées, tempérées par l’homme, qui favorise l’action de certaines d’entre elles et neutralise celle de quelques autres.
Malgré tout, il est indispensable, lorsqu’on veut améliorer une race, de tenir grand compte de l’influence du milieu ambiant.
2° Action de la nourriture. — L’action de la nourriture sur le perfectionnement de nos chevaux est tellement considérable qu’on a pu la comparer à celle des reproducteurs eux-mêmes.
« Une bonne nourriture, en fournissant un chyle riche, dit Magne, produit un sang abondant, active la respiration et rend les voies aériennes spacieuses.
p. 692Sous l’influence du sang fibrineux qui se produit, les muscles deviennent volumineux relativement aux os. En outre, une petite quantité d’aliments substantiels nourrit suffisamment sans distendre les viscères abdominaux.
« Ainsi se produit, avec de belles formes, la constitution sanguine, qui rend les animaux forts, vifs, énergiques, plutôt qu’ardents et irascibles151 . »
Aussi, avant toute tentative d’amélioration, doit-on s’enquérir des matières alimentaires, ou matières premières de la production animale, fournies par le système de culture.
Ces matières, en effet, doivent non seulement être en quantité suffisante, mais présenter telles qualités qui permettent au type chevalin que l’on veut produire de les utiliser avec le plus de profit, le moins de déchet possible.
Or, les matières premières dont on dispose dans un pays dépendant du système de culture suivi, il en résulte que la question agricole est peut-être la plus importante de celles dont il est indispensable de tenir compte dans toute entreprise zootechnique bien conduite.
« Chaque pays, écrit M. Richard, comporte son climat, ses habitudes, son genre d’industrie, son agriculture riche ou pauvre, ses ressources morales et physiques, toutes les conditions, enfin, qui guident l’homme de savoir dans ses opérations d’ensemble ou de détail. La nature à ses lois toujours uniformes, immuables ; leur action est incessante, rigoureuse, comme la marche des éléments qui la subissent ; ceux qui n’en tiennent pas compte en amélioration des races, ceux qui prétendent que l’on peut faire partout les mêmes individus par les mêmes moyens, manquent d’esprit d’observation ou de jugement, ou n’ont pas étudié le principe qui régit la marche de la création ; ils erreront toujours en aveugles. Si des intelligences supérieures luttent avec un certain avantage passager, par des procédés factices que la science enseigne, ce ne sont que des exceptions favorisées par la fortune et les moyens dispendieux dont elle peut disposer sans préjudice152 .... »
C’est pour avoir méconnu cette judicieuse manière d’envisager la question de l’amélioration des races chevalines ; c’est pour ne pas s’être assuré auparavant que les produits en voie d’amélioration trouveraient sur le sol où ils étaient appelés à vivre une nourriture en rapport avec leur nouvelle organisation, que l’on a eu tant de mécomptes avec le croisement de nos anciennes races par le pur sang anglais.
B. — Influence de la gymnastique fonctionnelle
« Nous appelons gymnastique fonctionnelle, dit M. Sanson, l’exercice méthodique ou réglé, dans un sens déterminé, de toute fonction physiologique quelconque153 . »
C’est par la gymnastique fonctionnelle, par les pratiques méthodiques de l’entraînement que l’on arrive à habituer progressivement le système nerveux et le système musculaire des chevaux de course à cette conductibilité nerveuse et à p. 693cette excitabilité instantanée, qui ont pour conséquence une accélération correspondante des échanges moléculaires, un grand développement du système musculaire et enfin une production considérable de force vive ou d’énergie.
Le développement du système musculaire sous l’influence du travail est, d’ailleurs, un fait de connaissance vulgaire. Tout le monde sait que les muscles des bras des forgerons, ceux des jambes des danseurs, etc., etc., acquièrent un volume supérieur à la moyenne.
La sève réparatrice de l’aliment se fixe de préférence là où est le siège de l’activité.
C. — Influence de la génération
La génération est certainement l’un des moyens d’amélioration les plus efficaces, mais non le premier de tous, comme on le croit trop souvent, son action, sous ce rapport, se bornant, en général, à reproduire les modifications créées par les agents extérieurs qui jouent, en somme, le premier rôle dans l’amélioration des races.
C’est même dans la méconnaissance de cette vérité qu’il faut chercher la principale raison des échecs si souvent observés, particulièrement en ce qui concerne la production de ce qu’on appelle les races chevalines légères ou distinguées, dont le perfectionnement est fondé presque exclusivement sur l’intervention des étalons dits de pur sang.
Trois opérations se rattachent à l’amélioration de nos races par la génération :
1° La sélection, ou accouplement de deux individus choisis de la même race, en vue de conserver, de perfectionner cette race autant que le climat, la nourriture, les soins le comportent ;
2° Le croisement, ou accouplement d’un mâle d’une race avec une femelle d’une autre race, dans le but de créer des produits mieux appropriés à nos besoins que leurs ascendants ;
3° Le métissage, ou accouplement, soit des produits du croisement entre eux, soit tout simplement d’un mâle métis avec une femelle de race pure.
Ces différentes opérations ayant pour objet la transmission aux descendants des propriétés qui appartiennent à un titre quelconque aux ascendants, nous devons tout d’abord dire un mot du phénomène en vertu duquel a lieu cette transmission, c’est-à-dire de l’hérédité.
Le présent paragraphe comprendra donc l’analyse succincte des principales lois de l’hérédité et de chacune des méthodes de reproduction que nous venons d’énumérer.
a. — Hérédité
On entend par hérédité la faculté qu’ont les êtres organisés de transmettre leurs formes, leurs qualités aux individus qu’ils engendrent ; d’où l’axiome fondamental de la loi d’hérédité : le semblable engendre le semblable.
Cette faculté, ou puissance héréditaire, se manifeste sous divers modes ; c’est ainsi que l’on distingue : 1° l’hérédité individuelle ou hérédité des modifications acquises ; 2° l’hérédité sexuelle ou influence du sexe ; 3° l’hérédité de race, encore appelée hérédité des ancêtres ou ancestrale ; 4° la consanguinité, ou influence plus ou moins proche des individus accouplés.
p. 6941° Hérédité individuelle. — L’hérédité individuelle est la propriété que possède chaque individu de transmettre à ses descendants les qualités ou les défauts qu’il a acquis sous l’influence de conditions plus ou moins bien déterminées et qui le distinguent des autres individus de la même race.
Cette propriété n’est pas également marquée chez tous : certains la possèdent à un degré relativement faible ; d’autres, au contraire, ont une puissance héréditaire individuelle telle qu’ils transmettent toujours sûrement leurs propres caractères à leurs produits, quels que soient ceux de leur conjoint.
Dans tous les cas, l’hérédité individuelle ne s’exerce que sur les modifications organiques spontanées naturelles154 , ou résultant de nos méthodes zootechniques. Celles qui sont purement accidentelles ne sont pas héréditaires. C’est ainsi que le chien dressé pour la chasse transmet son aptitude à ses descendants, tandis qu’on a beau lui couper les oreilles, les petits qui naissent de couples ainsi mutilés ont des oreilles.
Il est, d’ailleurs, un autre fait d’observation que nous devons noter : c’est que la transmission des modifications héréditaires saute quelquefois une ou plusieurs générations ; ce n’est qu’à la deuxième et quelquefois à la troisième qu’on les voit se reproduire.
2° Hérédité sexuelle. — Dans l’hérédité sexuelle, ou influence du sexe, il y a lieu d’étudier la part d’influence qu’exerce chacun des deux sexes : 1° sur la conformation générale de l’être créé ; 2° sur le sexe même de cet être créé.
1° Influence respective des sexes sur la conformation générale des êtres créés. — Des observations faites sur toutes les espèces démontrent que les deux sexes exercent, dans les circonstances ordinaires, une influence à peu près égale. Les caractères paternels et les caractères maternels se présentent répartis selon des proportions très diverses : tantôt les uns prédominent, tantôt les autres ; tantôt il y a partage à peu près égal. Cela dépend évidemment, comme toujours, des puissances héréditaires individuelles en présence dans la reproduction.
Toutefois, plusieurs circonstances, la vigueur, l’ancienneté de race, une propension à l’acte génital, peuvent faire prédominer l’un ou l’autre sexe.
« Le reproducteur fort, vigoureux, jouissant d’une bonne santé, dit Magne, est bien disposé pour imprimer ses caractères au produit de la conception, et il les lui imprime constamment s’il s’accouple avec un individu faible, lymphatique, exténué par la privation d’aliments, par l’excès du coït, du travail, ayant, enfin, une constitution altérée155 ... »
2° Influence respective des sexes sur le sexe même de l’être créé. — L’influence de l’individualité sur le sexe ne paraît guère discutable : certains étalons procréent plus de mâles que de femelles ; d’autres, au contraire, produisent plus de femelles que de mâles. Mais toutes les explications qu’on a données de ce fait sont plus ou moins erronées.
À propos de l’influence respective des procréateurs sur le produit, nous devons également dire un mot de ce que les uns appellent l’infection de la mère, les p. 695autres l’hérédité par influence, phénomène, dans tous les cas, par suite duquel le mâle qui féconde pour la première fois une jeune femelle l’imprégnerait de telle sorte que toute sa descendance ultérieure se ressentirait de ce premier rapprochement, quels que fussent les autres mâles auxquels seraient dues les nouvelles fécondations.
Quoique les faits de cette nature soient beaucoup plus rares qu’on l’a avancé, et que le croient surtout les chasseurs éleveurs anglais, qui considèrent comme absolument perdue, au point de vue de la reproduction, toute chienne qui a subi une première mésalliance ; bien que la doctrine de l’infection soit même considérée comme erronée par quelques-uns de nos zootechniciens les plus autorisés, nous croyons, pour notre part, que, par suite d’une simple habitude organique, la matrice peut acquérir exceptionnellement une aptitude particulière à reproduire ce qu’elle a fait une première fois. Nous citerons à ce propos l’exemple de la jument de lord Morton qui, en 1815, ayant produit un mulet après avoir été fécondée par un couagga, fit ensuite, par trois fois, avec un étalon arabe noir, des poulains dont la robe était marquée de bandes noires transversales comme celle du solipède sauvage.
3° Hérédité ancestrale. — L’hérédité ancestrale ou de race est celle en vertu de laquelle le descendant répète et reproduit l’ascendant.
Selon Hœckel, « c’est la force formatrice centripète ou interne ; elle travaille à maintenir les formes organiques dans la limite de leurs espèces, à faire que la descendance ressemble aux ancêtres, à produire des générations toujours frappées à la même effigie. L’influence des milieux, ou plutôt l’adaptation, au contraire, fait contre-poids à l’hérédité. C’est la force formatrice centrifuge ou externe ; elle tend perpétuellement à transformer les formes organiques sous la pression des influences extérieures, à tirer de nouvelles formes des formes préexistantes156 ... »
Par ce fait même, suivant que la prépondérance dans la lutte appartient à l’une ou à l’autre de ces deux forces, la race reste avec ses caractères ou change et s’améliore.
Or, les caractères ancestraux se transmettent d’autant plus sûrement qu’ils sont plus anciens, mieux fixés dans la race : « L’influence de celle-ci sur la reproduction, dit Magne, est bien sensible quand on croise deux races dont l’une est ancienne, bien formée, et l’autre nouvelle, sans caractères fixes. On voit alors que les individus de cette dernière influent très peu sur la forme de leurs descendants ; que le produit de la conception ressemble principalement à la race ancienne et qu’il peut n’avoir aucun rapport avec l’autre157 ... »
Atavisme. — On entend par atavisme (du latin atavus, ancêtre) la tendance qu’ont les descendants modifiés et croisés à reprendre un ou plusieurs caractères de la souche primitive. En voici un exemple frappant rapporté par Girou de Buzareingues : un chien, braque par caractère, mais qui provenait d’une famille métisse de braque et d’épagneul, fut uni à une femelle braque de race pure : il engendra des épagneuls.
Retour au type, retour ou pas en arrière, réversion. — Lorsqu’on croise deux p. 696métis provenant d’une première union entre deux races distinctes, les produits du croisement de ces deux métis retournent en totalité à l’une des races mères, ou ils se partagent entre l’une et l’autre.
Le caractère commun des métis et aussi des hybrides est la ressemblance, soit avec l’un des parents : alors la ressemblance est dite unilatérale ; soit avec les deux parents : alors la ressemblance est bilatérale.
4° Consanguinité. — La consanguinité, que M. Sanson fait rentrer avec raison, croyons-nous, sous l’empire des lois naturelles de l’hérédité, sert à désigner la reproduction par des accouplements incestueux. On la met en usage quand on fait reproduire le père avec la fille, la mère avec le fils, le père avec la sœur, le cousin avec la cousine. Les produits sont dits consanguins, et particulièrement utérins quand ils sont parents du côté maternel.
« Un préjugé fort ancien et très répandu attribue à la consanguinité des reproducteurs une influence préjudiciable à la constitution du produit de leur accouplement.
D’après ce préjugé, que la plupart des éleveurs partagent encore à des degrés divers, l’influence se manifesterait par des malformations nombreuses et variées, par des altérations constitutionnelles, des affaiblissements de la vitalité et surtout de la fécondité, allant jusqu’à l’extinction de la faculté procréatrice158 ... » Pourtant, la consanguinité n’a par elle-même aucune de ces influences malfaisantes ; son rôle se borne à accentuer les caractères des procréateurs, les bons comme les mauvais, à élever, en somme, l’hérédité à sa plus haute puissance.
Si donc, par le fait même de l’impossibilité de la sélection dans l’espèce humaine, les lois civiles et religieuses ont, avec raison, prohibé l’union entre parents jusqu’à un certain degré, il ne doit plus en être de même lorsqu’il s’agit de nos animaux domestiques. Car ici, la consanguinité est entre les mains des éleveurs l’une des armes les plus puissantes dont ils peuvent disposer ; mais, qu’ils ne l’oublient jamais, une arme à deux tranchants, dont l’usage à contre-sens serait rapidement fatal à la production chevaline.
C’est, d’ailleurs, à l’aide de la consanguinité que les Anglais ont créé leurs races les plus précieuses.
b. — Méthodes de reproduction
Nous distinguons trois méthodes pour reproduire les animaux sujets de la zootechnie : la sélection, le croisement et le métissage, dont la pratique n’est que l’application des lois de l’hérédité.
Elles ont pour but d’imprimer et de perpétuer chez les animaux telles modifications, telles améliorations qui puissent les mettre dans le cas de servir à la satisfaction des besoins nés de l’état social civilisé.
Mais, comme ces méthodes, pour être menées à bien, exigent toutes un choix judicieux des animaux que l’on veut employer à la multiplication de l’espèce, nous devons tout d’abord dire un mot des conditions générales que doivent réunir les reproducteurs.
Choix des reproducteurs. — Les reproducteurs doivent avoir une bonne p. 697santé, une forte constitution, toutes les parties du corps saines, mais principalement les organes qui, comme les poumons, les intestins, sont essentiels à la vie.
Les maladies seront considérées comme des défauts absolus ; mais on placera en première ligne celles qui se montrent héréditaires (fluxion périodique, exostoses, pieds défectueux, etc.).
En ce qui concerne la conformation, on s’attachera à ce que les animaux aient une poitrine spacieuse, des organes génitaux bien conformés, des membres solides, des aplombs réguliers, une taille convenable, une croupe large (pour les femelles surtout).
Ils devront, en outre, être pleins de force, vifs, énergiques, obéissants et doux. Leur robe, enfin, sera celle qui répondra le mieux aux idées reçues dans la localité.
Quant à l’âge, si l’on veut obtenir des animaux forts, robustes, on recherchera des mâles parvenus à l’âge adulte.
Toutes les qualités de santé, de conformation, de taille, etc., doivent aussi bien se rencontrer chez les femelles que chez les mâles. Le peu de soin qu’on apporte, en général, dans le choix des mères, contribue beaucoup à produire l’état d’abâtardissement de nos races.
D’un autre côté, l’expérience seule pouvant apprendre d’une manière positive la valeur des animaux, il est toujours bon d’employer les reproducteurs à titre d’essai.
1° Sélection
Le mot sélection (du latin seligere, choisir, et selectio, choix) est usité aujourd’hui pour qualifier l’opération par laquelle l’homme, voulant créer une race capable de briller par une qualité déterminée, choisit avec soin ceux des animaux de cette même race qui, déjà, possèdent à un certain degré la qualité voulue, et les accouple.
En vertu de la loi d’hérédité, cette qualité se fixe dans la progéniture et y prend d’ordinaire un épanouissement croissant.
Telle est, du moins, la sélection de l’homme, car la sélection naturelle ne se borne pas à ce qui concerne la reproduction ; elle s’étend, au contraire, à tout ce qui agit en même temps pour développer les aptitudes en modifiant la conformation (climat, nourriture, habitude, exercice, lutte pour la possession des femelles, etc.).
L’objection la plus sérieuse qui ait été faite à la méthode d’amélioration des races par elles-mêmes, c’est qu’elle agit avec trop de lenteur comparativement à celle du croisement qu’on lui oppose.
Mais, quant à ses effets, ils sont reconnus comme certains, et personne, au moins en France, ne conteste que la méthode de sélection soit efficace pour contribuer à l’amélioration des populations animales. Sous son influence, la transmission des améliorations créées est sûre, infaillible.
Aussi, ne saurions-nous la proclamer trop haut supérieure à toutes celles dans lesquelles cette même transmission est nécessairement précaire et aléatoire, à quelque degré que ce soit.
Car, si la sélection a le tort d’agir un peu lentement, elle a cet immense avantage de conduire à des résultats toujours certains pour le présent et surtout pour l’avenir.
p. 698Ses effets étant subordonnés à l’état de l’agriculture du pays où on l’applique, c’est-à-dire plus ou moins sensibles et rapides suivant que le terrain est riche ou pauvre, bien ou mal cultivé ; les types améliorateurs étant, d’autre part, tous semblables à eux-mêmes, parfaitement identifiés au sol qui les a vus naître, et choisis parmi ceux qui présentent déjà au plus haut degré les qualités que l’on recherche, les produits obtenus ne peuvent être que l’expression du maximum d’amélioration possible, eu égard aux ressources agricoles locales.
Avec la sélection, aucun de ces mécomptes, aucun de ces coups en arrière qui caractérisent si souvent la méthode de croisement ; aucun de ces sujets décousus, nerveux à l’excès, sans puissance héréditaire, enfin, dont les exigences nouvelles ne peuvent plus se contenter des produits du sol. À la place, des animaux plus ou moins irréprochables sans doute, quelquefois même médiocres, mais dont l’autorité héréditaire intacte est une garantie de succès pour toute tentative d’amélioration nouvelle bien entendue.
Ce n’est pas à dire, toutefois, que la sélection soit une méthode de reproduction dont tout le monde puisse user avec fruit. Elle exige, au contraire, plus que toute autre, des connaissances étendues jointes à un tact, à un savoir-faire parfaits. Son application intelligente, raisonnée, fructueuse, repose, en effet, sur la détermination exacte des caractères de la race, des aptitudes diverses des animaux, des lois de l’hérédité, et surtout de la consanguinité, qui est la réalisation la plus complète de la méthode, etc., etc.
Voici, d’ailleurs, quelles sont les principales règles d’une bonne sélection :
Il faut, avant tout, choisir des reproducteurs présentant les caractères de leur race au plus haut degré et écarter de la reproduction ceux qui s’éloignent du type, fussent-ils même supérieurs sous certains rapports.
Le père et la mère doivent être de taille à peu près égale et autant que possible de même robe.
Relativement à l’âge, « on a toujours remarqué, dit Magne, que les mâles qui ont couvert un grand nombre de femelles sont plus habiles à faire la monte que ceux qui s’accouplent pour la première fois. D’un autre côté, on sait que beaucoup de femelles jeunes, n’ayant jamais porté, ne se laissent couvrir qu’avec difficulté. On doit donc donner aux mâles qu’on emploie pour la première fois à la reproduction, des femelles ayant déjà eu des produits et bien disposées à se laisser féconder159 . »
Mais, où l’éleveur doit surtout concentrer son attention, c’est en ce qui concerne la conformation des animaux : outre les qualités générales de tout bon reproducteur, celui qu’on emploie à l’amélioration des races par elles-mêmes doit présenter au plus haut degré les qualités que l’on veut fixer et accentuer chez les produits. Et cette recommandation s’applique aussi bien à la mère qu’au père. Car il est démontré aujourd’hui que la jument n’a ni un rôle prépondérant, ni un rôle effacé dans la reproduction, et que l’opinion suivante du général Daumas : « Choisissez l’étalon et choisissez-le encore ; souvenez-vous que la jument n’est qu’un sac ; vous en retirerez de l’or, si vous y avez mis de l’or, et vous n’en retirerez que du cuivre, si vous n’y avez mis que du cuivre (2) », repose sur p. 699une erreur d’observation. Il est non moins certain, d’ailleurs, que les défectuosités de l’un des reproducteurs ne peuvent être corrigées, dans la généralité des cas, par des beautés correspondantes ou des défectuosités inverses existant chez l’autre ; aussi, la méthode d’amélioration, ou appareillement, basée sur cette doctrine, doit-elle être rejetée, l’hérédité étant le plus souvent unilatérale (Voy. Hérédité).
2° Croisement
Le croisement est une opération qui consiste à accoupler deux individus de races ou d’espèces différentes, pour les faire reproduire. Le croisement de nos races chevalines domestiques, le seul dont nous ayons à nous occuper ici, a pour objet la création de produits mieux appropriés à nos besoins que leurs ascendants.
Des deux races que l’on croise, l’une est appelée race croisante ; c’est la race améliorante, celle qu’on introduit dans le pays. L’autre est dite race croisée, race à améliorer ; c’est celle que l’on veut modifier.
Quant au produit du croisement, il est généralement connu sous la dénomination de métis. À l’exemple de M. Sanson, nous distinguerons des métis de trois degrés seulement et nous les nommerons premier métis ou métis de premier degré, deuxième métis, ou métis de deuxième degré, et troisième métis, ou métis de troisième degré, désignations correspondant aux expressions demi-sang, trois quarts de sang, et sept huitièmes de sang, par lesquelles sont indiqués communément les degrés de croisement dont il s’agit, c’est-à-dire ceux dans lesquels le reproducteur de l’une des races est intervenu une, deux ou trois fois successives, à l’état pur, dans les générations.
Reste à savoir si la pureté du sang, une fois altérée ou souillée par un mélange d’un degré quelconque, peut se rétablir ou si elle reste à jamais atteinte ? Les uns pensent que, dans ces conditions, il arrive toujours un moment où la fraction d’impureté devient tellement petite, qu’il y a lieu de la négliger dans la pratique. Les autres, au contraire, soutiennent que le sang restera pour toujours impur.
Ce sont là des questions qu’il serait trop long de traiter ici ; il nous suffit de savoir qu’au bout de cinq à six générations, le métis est revenu plus ou moins complètement au type améliorateur.
Le nombre des générations nécessaires pour réduire l’impureté du sang à une valeur plus ou moins négligeable varie, d’ailleurs, suivant que la puissance héréditaire ancestrale est la même chez les ascendants ou qu’elle prédomine chez l’un d’eux :
Si l’hérédité de la ligne paternelle et celle de la ligne maternelle ont des valeurs égales, — et c’est, en principe, toujours le cas, — les produits de la première génération héritent au même degré des caractères du père et de la mère, et dans les générations ultérieures, où la puissance héréditaire maternelle se trouve en conflit avec la puissance héréditaire paternelle, toujours renforcée par l’intervention continuelle d’un père pur accouplé avec une mère métisse, cette puissance héréditaire ne tarde pas à s’affaiblir jusqu’à devenir à peu près nulle.
p. 700Si, d’autre part, la plus forte puissance héréditaire ancestrale appartient au reproducteur mâle, il n’est pas rare de voir des premiers métis reproduire à peu près tous les caractères morphologiques de leur père (hérédité unilatérale). Il suffit même que la prédominance paternelle se renouvelle en présence de la femelle métisse, chez laquelle l’hérédité maternelle n’agit plus qu’à un faible degré, pour que, dès la seconde génération, le produit n’ait plus qu’une fraction d’impureté à peu près négligeable.
Mais, que la prépondérance héréditaire soit, au contraire, du côté maternel, et il faudra cinq, six, sept générations, et plus, pour obtenir le même degré de pureté que dans le cas précédent.
Aussi, les auteurs qui se sont livrés à des dosages mathématiques du sang des métis jusqu’à la vingtième et même jusqu’à la trentième génération n’ont-ils pu obtenir de résultats aussi positifs qu’en négligeant plus ou moins les lois de l’hérédité.
La vérité est que les résultats du croisement sont, en général, très aléatoires et qu’il n’est pas possible de dire exactement quelle quantité de sang possèdent les métis. Ce dosage, dépendant de la puissance héréditaire individuelle ou ancestrale de chacun des procréateurs, ne saurait être déterminé mathématiquement. On ne peut avoir, à ce sujet, que des présomptions plus ou moins sérieuses basées sur la connaissance certaine de la race à laquelle appartient chacun des parents et l’observation attentive des caractères des mères métisses, caractères qui, nous le savons, les rapprochent plus ou moins de la souche paternelle ou maternelle. Si, par exemple, on accouple un étalon arabe de pur sang successivement avec une jument ardennaise et des juments métisses résultant d’un premier, d’un deuxième et d’un troisième croisement, en ayant bien soin de choisir ces juments mélisses parmi celles qui ont hérité au plus haut degré des caractères de leur ligne paternelle, il est évident qu’on aura bien des chances, à la quatrième génération, d’obtenir des produits différant peu de l’étalon arabe. Ce n’est donc que théoriquement et en thèse générale que les premier, deuxième et troisième métis sont des demi-sang, des trois quarts de sang et des sept huitièmes de sang.
Le croisement est né de ce principe posé par Buffon et soutenu par Bourgelat, en ce qui concerne le cheval, que tous nos animaux domestiques, étant d’origine orientale, avaient une tendance naturelle à dégénérer dans nos climats et qu’il y avait lieu, par conséquent, pour y remédier, de les retremper sans cesse à leur source, c’est-à-dire de les croiser avec les types d’Orient. Or, c’est là une doctrine tout au moins exagérée, sinon absolument fausse ; « car les races ne renferment pas en elles-mêmes un principe de destruction réclamant absolument le croisement. Quand elles dégénèrent, c’est parce qu’on néglige de leur donner les soins que nécessite la perfection à laquelle elles sont parvenues160 . »
Cette doctrine, d’ailleurs, qui est celle de « de l’infusion » du sang noble dans les veines de tous nos chevaux pour leur restituer l’énergie, la vigueur et la distinction perdues, a été exagérée outre mesure. Sans tenir le moindre compte des ressources locales, des besoins multiples et absolument divers de l’industrie, du commerce, de l’agriculture, de l’armée, du luxe, etc. ; sans réfléchir que les p. 701chevaux boulonnais, ardennais, percherons, etc., ont leur utilité tout comme le cheval de course et le cheval arabe ; sans prendre en considération, enfin, qu’il faut des chevaux, comme des hommes, pour tous les métiers, on a diffusé partout et sans mesure le pur sang arabe et principalement le pur sang anglais. Le Nord et le Midi, l’Est et l’Ouest, les pays riches comme les pays pauvres, ont dû subir leur petite infusion de sang noble. Par malheur, cette panacée n’eut même pas, comme toutes les panacées, la vertu de guérir au début. Les doses furent si exagérées, si mal distribuées dès sa mise en expérience, que le mot suivant d’un de nos spirituels médecins du siècle : « Hâtez-vous d’en prendre pendant qu’il guérit », ne put jamais être appliqué sans danger au cheval anglais de pur sang comme améliorateur.
Malgré tout, il ne manque pas, aujourd’hui encore, d’hommes de cheval, d’hippologues même, qui considèrent sérieusement le cheval anglais de course comme le seul vrai régénérateur de toutes nos races chevalines. N’avons-nous pas vu dernièrement un de nos écrivains autorisés soutenir dans une revue très répandue, qu’aucune de nos anciennes races ne pouvait rivaliser avec celles que nous possédons actuellement, que les qualités des anciens chevaux limousins, ardennais, etc., étaient tout à fait négatives !
Et cependant, tous les anciens auteurs sont d’accord sur les précieuses qualités de nos anciennes races, surtout pour la guerre ; tous en parlent de telle façon que nous serions fort heureux de les retrouver aujourd’hui avec l’aptitude que nous cherchons partout, et qu’elles n’ont plus. Sans doute, il leur manquait généralement la taille ; mais ne sait-on pas que c’est là une simple question de progrès agricole, une affaire de quelques boisseaux d’avoine ? Ignore-t-on que le développement est là ? Nous avons laissé de côté la cause, pour tout sacrifier à l’effet ; et à quel effet ? Nous avons détruit, d’accord ; qu’avons-nous construit ? Des chevaux en général plus élégants que leurs prédécesseurs, mais sans harmonie, où « les rouages de la locomotive sont si mal coulés, généralement si mal agencés, partout où on les étudie, qu’il est impossible qu’ils fonctionnent convenablement et longtemps161 ».
Nous ne prétendons pas dire, toutefois, que le croisement soit toujours un mauvais moyen d’amélioration ; nous croyons, au contraire, que, judicieusement appliquée, et à propos, cette méthode doit être considérée comme excellente. Ce que nous avons voulu mettre en évidence, c’est l’erreur dans laquelle on est tombé en proclamant le croisement supérieur à la sélection pour l’amélioration générale de notre population chevaline ; c’est l’emploi inconsidéré qu’on a fait de cette méthode ; c’est la faute qu’on a commise, enfin, que l’on commet malheureusement trop souvent encore en choisissant le cheval de pur sang anglais comme type régénérateur de toutes nos races de chevaux.
Aussi, allons-nous terminer ce qui a trait au croisement par quelques mots sur les règles à suivre pour sa bonne exécution :
La première condition de succès, en outre des précautions générales que nous avons énumérées précédemment, est la nécessité de bien appareiller les deux races croisées, quant à la conformation et au tempérament : « On ne croisera pas le cheval arabe ou le cheval de course avec la grosse jument cauchoise, ou flamande, ou p. 702bretonne, propre au gros trait. C’est à tort qu’on a dit : Le cheval noble, anglais ou arabe, donne d’excellents produits avec toutes nos poulinières, avec les plus massives, comme avec les plus légères. Les fauteurs de cette doctrine sont cause qu’on a rempli quelques-unes de nos provinces d’animaux décousus, sans valeur, à jambes grêles, à tête lourde, à croupe charnue162 .
La deuxième condition est d’infuser graduellement le sang étranger dans les races indigènes, de ne pas revenir à chaque génération à la race croisante, au type étranger, de ne pas faire, enfin, de croisement suivi ou continu, sous peine d’obtenir une ressemblance trop grande des métis avec le type améliorateur.
Enfin, comme autres règles à suivre, il y a lieu de signaler : 3° l’importation des mâles de préférence aux femelles ; 4° la fixité aussi grande que possible de la race importée ; 5° la surveillance et la sélection attentives des reproducteurs ; 6° enfin, le choix de ceux-ci d’après les ressources de la localité où on veut les introduire ; importer, comme on l’a fait, le cheval anglais de pur sang dans des contrées où les produits sont destinés à ne vivre que d’ajoncs et de genêts, c’est vouloir charger ces produits d’un bagage de qualités fatalement encombrant et nuisible. Est-ce qu’une huître serait améliorée par le seul fait qu’on l’aurait dotée du cerveau de Pascal ! Est-ce que ce bagage intellectuel ne serait pas pour elle un véritable supplice !
Quant aux avantages et aux inconvénients du croisement, nous les résumerons en quelques mots : Par le croisement, on peut créer rapidement les types les mieux appropriés au but que l’on vise ; mais cette méthode a l’inconvénient de donner des produits sans autorité héréditaire et souvent sans harmonie, décousus, mal charpentés, grâce à ce que les caractères des parents ne se fusionnent pas généralement chez les produits, mais s’y retrouvent le plus souvent par lambeaux.
3° Métissage
Le métissage est la méthode de reproduction dans laquelle les produits du croisement sont accouplés entre eux. On la caractérise de la façon la plus générale en disant qu’il y a métissage toutes les fois que, dans la reproduction, le mâle est un métis, quelle que soit la qualité de la mère, que celle-ci soit pure ou métisse elle-même.
Peut-on, par le métissage, créer des races fixes ? La plupart des auteurs ont résolu cette question négativement ; d’autres, au contraire, et, parmi ceux-ci, Magne, affirment que l’on peut conserver dans la population métisse les caractères que l’on y a introduits.
En ce qui nous concerne, nous nous contenterons de faire observer que les métis possédant, en général, une très faible puissance héréditaire, les produits ont plus ou moins de tendance à retourner par réversion à l’une des races mères : à la souche paternelle le plus généralement si les deux procréateurs sont métis ; à la souche maternelle, au contraire, si le père seul est métis.
Il ne manque pas, toutefois, d’exemples de métis possédant une puissance héréditaire assez forte pour conserver et transmettre à leur postérité les caractères p. 703qu’ils ont acquis s’ils se trouvent dans des conditions de milieux convenables : « Il a suffi, dit Magne, d’importer, au dix-huitième siècle, des étalons danois dans la Normandie, pour donner aux chevaux de la province une encolure rouée et un chanfrein busqué que nous avons de la peine à corriger...
« Dans le cas où une race améliorée tend à reprendre les caractères de la race propre au pays, c’est que les modifications qu’on lui a imprimées ne sont pas en rapport avec les forces hygiéniques qui entourent les animaux163 . »
Malgré tout, il est évident qu’en principe les métis ne doivent pas être employés comme reproducteurs, que le métissage est la plus incertaine, la plus aléatoire, la plus précaire de toutes les opérations de reproduction.
Le seul réel avantage de cette méthode, c’est qu’elle permet, si on la combine avec une sélection rigoureuse, de rétablir l’une ou l’autre des races qui sont intervenues pour former les métis et de réparer ainsi le mal qu’avait fait le croisement.
FIN
1740-84. — CORBEIL. — Typ. et stér. CRÉTÉ.
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2 | Piètrement, Les chevaux dans les temps historiques et préhistoriques. Paris, 1882. |
3 | On a bien essayé de prouver que les chevaux dongolâwi ou nubiens existaient originairement dans la vallée du Nil ; on a même prétendu qu’il avait été trouvé, dans ce pays, des ossements fossiles du cheval. Mais ces faits sont loin d’être démontrés. Et d’ailleurs, aurait-il réellement existé des chevaux quaternaires nilotiques, que l’on ne pourrait pas dire s’ils sont la souche de la race dongolàwi, puisqu’on ne connaît pas les caractères spécifiques de leurs ossements. |
4 | La légende de Neptune produisant le cheval du sein des eaux, lors de la fondation d’Athènes, pour disputer à Minerve l’honneur de donner son nom à cette ville, semble témoigner, en effet, de l’origine étrangère du cheval pour la Grèce. |
5 | On sait que les Scythes, aujourd’hui les Tartares, passent pour avoir inventé l’art de monter à cheval. |
6 | Homère, Iliade. |
7 | Migrations des animaux domestiques et Traité de zootechnie. Paris, 1878. , |
8 | Equus caballus asiaticus de M. Sanson. |
9 | E. C. africanus de M. Sanson, dont le lieu d’origine, d’après lui, serait l’Éthiopie. |
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11 | Ici, nous devons signaler un fait zoologique particulièrement intéressant : Jusqu’au commencement du cinquième siècle de notre ère, et depuis plus de 2000 ans, l’Italie était peuplée de chevaux orientaux introduits par les migrations successives de divers peuples aryens. Mais, dès les premières années du cinquième siècle commencent les invasions de l’Italie par les Visigoths, les Hérules, les Ostrogoths, les Lombards, et leurs chevaux allemands s’impatronisent si bien sur le sol italien qu’ils finissent par anéantir une population chevaline nombreuse et naturalisée depuis plus de vingt siècles. |
12 | Recueil de médecine vétérinaire, 6e série, t. I, 1874. , |
13 | Bulletin de la Société d’anthropologie de Paris, 2e série, t. IX, 1874. , |
14 | Histoire naturelle générale des règnes organiques, t. II, p. 365. Paris, 1859. , |
15 | Systema naturae, 1735. , |
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17 | Discours d’ouverture d’un cours de zoologie pour l’an IX. Paris, 1803. , |
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19 | L’espèce humaine. Paris, 1883. , |
20 | Conférences scientifiques sur la doctrine de l’évolution en général, et celle de Darwin, Gœthe et Lamarck en particulier. , |
21 | Dictionnaire de médecine. 15e édition. Paris, 1885, article RACE. , |
22 | loc. cit., t. II, p. 126. , Traité de zootechnie. Paris, 1877, t. II, p. 126. , |
23 | Voy. Origine du cheval. |
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25 | Le croisement peut former des races (communication faite à la séance de la Société centrale de médecine vétérinaire du 14 juillet 1864). , |
26 | Partant de ce point que « le type spécifique résulte des formes, des dimensions et des rapports réciproques des os du crâne cérébral et du crâne facial... », cet auteur divise les races chevalines en deux grands groupes : les races brachycéphales (du grec brachus, court ; kephalé, tête) et les races dolichocéphales (du grec dolichos, long ; kephalê, tête). |
27 | Desor, l’abbé Brasseur de Bourbourg, Knox, Smith, Carpenter. |
28 | Races domestiques redevenues libres. |
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31 | Merveilles de la Nature : La Vie des animaux illustrée, Les Mammifères, t. II, p. 307. , |
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33 | Voy. Koumiss et Képhir in Science et Nature, 1885, t. III, n° 58, p. 66. |
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35 | Essai sur l’histoire des quadrupèdes du Paraguay. Paris, 1801, t. II, p. 296. , |
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37 | Scènes de la nature dans les États-Unis. Paris, 1857, t. II, p. 169. , |
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40 | « Qu’on appelle les chevaux arabes, barbes, turcs, persans, peu importe, dit le général Daumas, toutes ces dénominations ne sont que des prénoms. Le nom de famille est cheval d’Orient. » (loc. cit., p. 241.) , |
41 | En France, cependant, surtout dans les pays du nord, tout le monde sait que les pieds des chevaux arabes et barbes présentent l’inconvénient de se resserrer et de s’encarteler très fréquemment, par suite des brusques alternatives de sécheresse et d’humidité auxquelles ils se trouvent souvent exposés. |
42 | loc. cit., t. II, p. 585. , Cours d'hippologie à l'usage de MM. les officiers de l'armée, 3e édition, Paris, t. II, p. 585 . , |
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45 | Regardés généralement comme Touraniens. |
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66 | Étude des chevaux de la Meuse (Recueil des mémoires et observations sur l’hygiène et la médecine vétérinaires militaires, 2e série, t. VII, pp. 13 à 28). , |
67 | Des ressources chevalines de la France considérées au point de vue du service de la guerre (Conférence faite au Congrès d’août 1876 de l’Association française pour l’avancement des sciences). , |
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71 | Traité d’hygiène vétérinaire appliquée. , |
72 | Leçon d’introduction au Collège de l’Université de Londres, en 1834. Citation de Youatt dans The Horse. , |
73 | Histoire du cheval anglais, dans The Horse, Londres, 1846 ; traduction de , Bibliothèque vétérinaire. Paris, 1849. , |
74 | E. Gayot, loc. cit.Guide du Sportsman. Paris, 1865, p. 14 et 15 , |
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76 | loc. cit., p. 343. , La Connaissance générale du cheval, p. 343 . , |
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79 | Die Pferdezucht nach ihrem jetzigen rationellen Standpunkt. Berlin, 1878. Traduction de M. J. Mandel insérée dans le Recueil de médecine vétérinaire du 15 août 1878. , |
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81 | Desbons, ancien député, membre du Conseil supérieur des haras, Rapport du jury international de l’exposition hippique de Paris en 1878. Paris, Imprimerie nationale, 1878. |
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83 | Voy. les Haras danois (Journal d’agriculture, 1866, p. 304). , |
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86 | À la suite d’un présent de deux chevaux danois que lui fit certain ambassadeur galant. |
87 | On sait, en effet, que celles-ci sont généralement baies toutes les deux, tandis que la robe du cheval cauchois est le plus souvent grise. |
88 | The Horse. London, 1868. , |
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92 | Le Merlerault, ses herbages, ses éleveurs, ses chevaux et le haras du Pin. Paris, 1866, p. 6 . , |
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97 | Appartenant, d’après M. Sanson, au type germanique introduit en Angleterre avec les Anglo-Saxons. |
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101 | Qui ne serait elle-même, d’après M. Sanson, qu’une variété de sa race germanique. |
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103 | Les races chevalines en France, Paris, 1869, p. 63. , |
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105 | Documents sur le commerce, l’élève des poulains et les ressources chevalines dans la plupart des provinces de l’Europe situées au nord et au nord-est de la France (Recueil de médecine vétérinaire, 3e série, t. III, pp. 819 et suivantes). Paris, 1846. , |
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113 | Rapport du jury international de l’exposition hippique de 1878, p. 25. , |
114 | Histoire du cheval boulonnais. Paris, 1883. , |
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116 | La variété marayeuse résultait du croisement de la grosse jument boulonnaise avec le bidet normand. Un peu plus minces, plus élevés, à encolure plus longue que le boulonnais proprement dit, les sujets de cette variété possédaient un fond, une vigueur et une vitesse extraordinaires. |
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124 | Dictionnaire vétérinaire, art. CHEVAL. , |
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126 | Quant à l’Algérie, elle possède une jumenterie à Tiaret. |
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129 | loc. cit., t. I, p. 35. , Étude de nos races d'animaux domestiques et des moyens de les améliorer. Paris, 1857, t. I, p. 35. , |
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131 | Carnet des courses, publié sous les auspices de la Société d’encouragement (Jockey-Club). |
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135 | loc. cit., p. 51 , . |
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137 | Les hippodromes sont des lieux de réunion appropriés pour les courses aux chevaux et comprenant une ou plusieurs pistes. Toute piste est limitée par deux rangées de piquets reliés à l’aide de cordes et décrit autour de l’hippodrome, en face des tribunes, un circuit de forme ovale sur lequel courent les chevaux. L’intérieur de la piste est l’espace entouré par la piste où se tiennent les cavaliers, les voitures et la foule des piétons. Quant aux tribunes, elles sont exhaussées, de manière à permettre aux spectateurs de bien embrasser toute l’étendue de la piste. Enfin, dans l’enceinte du pesage se tiennent les chevaux de course, les propriétaires, les entraîneurs, les jockeys, l’élite des sportsmen et des parieurs. |
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139 | C’est là un terme figuré dérivé de la nécessité d’inscrire les conditions des divers paris qui ont lieu, conditions, d’ailleurs, assez compliquées pour qu’aucune mémoire ne puisse les retenir. Toutefois, il faut noter que faire un livre, c’est plutôt parier contre que pour (Delaberre Blaine). |
140 | Les cinq prix les plus importants se courent à Paris et à Chantilly. Ce sont : La poule d’essai, 10,000 fr., ajoutés à une poule de 1,000 fr., pour poulains et pouliches de trois ans ; 2,000 fr. au second sur les entrées. Poids 54 kil. Distance 1,000 mètres. Le prix de Diane, 1,500 fr., pour pouliches de trois ans. Entrée, 500 fr. ; forfait, 300 fr. et 250 fr. ; 1000 fr. au second sur les entrées. Poids, 54 kil. Distance, 2,100 mètres. La Grande poule des produits, 1,500 fr., ajoutés à une poule de 1,000 fr., pour poulains et pouliches de trois ans ; les entrées au second jusqu’à concurrence de 2,000 fr. Poids 54 kil. Distance, 2,100 mètres. Le prix du Jockey-Club (Derby français), 30,000 fr., pour poulains et pouliches de trois ans. Entrée, 1,000 IV. : forfait 600 fr. et 500 fr. ; 2,000 fr. au second sur les entrées. Poids 54 kil. Distance 2,400 mètres. (Se court à Chantilly). Enfin, le Grand prix de Paris, 100,000 fr., donnés, moitié par la ville de Paris et moitié parles cinq grandes compagnies de chemin de fer, pour poulains entiers et pouliches de toutes espèces et de tous pays, âgés de trois ans. Entrée 1,000 fr., forfait 600 fr., 500 fr. et 100 fr. ; 10,000 fr. au second et 5,000 fr. au troisième sur les entrées, Poids 55 kil. Distance 3,000 mètres. (Se court à Longchamps). |
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143 | Les voitures de course, appelées sulkys on droschkys, sont excessivement légères. |
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146 | Rapport de M. Frogier de Ponlevoy relatif à une pétition de M. Richard (du Cantal) sur la question des Haras et des Remontes militaires. (Séance de l’Assemblée nationale du 13 novembre 1876.). |
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149 | Cette année, en effet, chaque régiment de cavalerie a été autorisé à acheter, à titre d’essai, cinq chevaux dans le commerce ; mais, les prix fixés étant les mêmes que ceux des remontes ; les chevaux devant être, d’un autre côté, âgés de cinq à huit ans, les commissions d’achat régimentaires ne se sont pas trouvées dans les mêmes conditions que celles des dépôts, qui peuvent acheter à partir de 3 ans ½ et, par conséquent, trouver, pour le même prix, des animaux supérieurs, la valeur d’un cheval augmentant considérablement de 3 ans à 5 ans. D’où le peu d’importance que nous accordons à une telle expérience. |
150 | Étude de nos races d’animaux domestiques et des moyens de les améliorer. Paris, 1857, t. 1er, p. 129 , . |
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154 | Au nombre de celles-ci, il y a lieu de ranger certaines maladies, certaines tares, parmi lesquelles nous citerons : la phthisie pulmonaire, la fluxion périodique, les tumeurs dures des membres, etc., etc. Mais, dans ce cas, c’est plutôt la prédisposition à contracter telle maladie ou telle tare qui est héréditaire que l’affection elle-même. |
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