La grande bibliothèque de Tim Cox

Avec plus de 18 000 références et donc autant de livres et de documents consacrés exclusivement aux courses et au pur-sang  collectionnés pendant quarante ans, Tim Cox pourrait apparaître excentrique, boulimique, insensé.
C’est un tout autre homme, discret, affable, sensible, mesuré qui nous a reçu dans son petit manoir de Dorking (Surrey) qu’il a agrandi au soir de sa carrière professionnelle afin d’y loger « the Cox Library ».

X.L. — On dit, Tim, que vous êtes celui qui possède la plus grande collection privée de livres et de documents sur les courses de galop et sur le pur-sang au monde… Est-ce exact ?

T.C. —Je ne le sais pas parce qu’il n’y a pas de vérification des bibliothèques consacrées à ces thématiques. Mais je pense que oui.

X.L. — Avant de revenir à la constitution de votre fonds, de combien d’éléments parlons-nous globalement?

T.C. —Je n’ai jamais compté les livres, mais j’estime qu’il y a environ 18 000 pièces à la Bibliothèque.

X.L. — Et des livres seulement ?

T.C. —J’ai défini ma politique de collecte comme « livres et autres documents imprimés relatifs à l’histoire mondiale et à l’organisation des courses de chevaux et de l’élevage pur-sang, en fait et fiction ». Les autres documents imprimés sont très variés et comprennent des magazines, des journaux, des programmes, des agendas, des imprimés, des cartes postales, des cartes commerciales, des cartes-cigarettes, des photographies, des timbres-poste, des jeux et du matériel éphémère comme des billets de pari et des insignes de course en carton des documents divers et variés ; donc, presque tout ce qui peut être lié aux courses de chevaux de pur-sang.

X.L. — Que autre collectionneur aurait été aussi loin dans le même domaine, à votre avis ?

T.C. —Je ne connais personne d’autre qui ait tenté de construire une telle collection. Mais s’il y en a une, je serais heureux de la rencontrer.

X.L. — D’où et à quand remonte ce goût pour le cheval et surtout le monde des courses?

T.C. —Mon intérêt pour la course de chevaux remonte à 1970, lorsque je suis allé pour la première fois aux courses, pour voir Nijinsky gagner la King Georges Cup et la Queen Elizabeth Stakes à Ascot. Cependant, ce n’est qu’en 1975 que j’ai commencé à collectionner sérieusement les livres.

X.L. — Une histoire de famille ?

T.C. —J’ai travaillé dans des agences de publicité jusqu’à ma retraite. Ma famille n’avait rien à voir avec les chevaux ou les courses.

X.L. — Vous montez à cheval ?

T.C. — J’ai monté des chevaux dans le passé, mais sans beaucoup d’enthousiasme ni de compétence.

X.L. — Avez-vous eu des chevaux de course? Combien de temps?

T.C. —Nous avons été propriétaires de chevaux de course de 1977 à 2002. J’ai abandonné peu après ma retraite.

X.L. — Parlez-nous de ce parcours de propriétaire…

T.C. —J’ai commencé comme membre associé d’un syndicat composé d’amis, au boulot. Après environ deux ans, le syndicat s’est dissous et j’ai ensuite partagé les chevaux avec un ami sur une base de 50/50, ce que je préférais de loin. Il fallait se rapprocher des chevaux, parler directement avec l’entraîneur. Vous comprenez mieux ce qui se passe.

X.L. — Vos meilleurs souvenirs? Vos joies?

T.C. —Les meilleurs souvenirs sont les victoires. J’ai une photographie de chaque victoire accrochée sur les murs de la bibliothèque. Et le meilleur cheval que nous possédions était Ashover, qui a gagné neuf courses pour nous.

X.L. —Le pire?

T.C. — Dès les premiers temps ; un de nos chevaux s’est coupé un tendon lors d’un galop d’entraînement et a dû être abattu. Il est toujours difficile d’accepter de tels accidents.

X.L. —Les chevaux ? De passionnantes rencontres humaines également n’est-ce-pas ?

T.C. —J’ai préféré garder les chevaux et tout cela à une certaine distance.

X.L. — Quelle avait été votre activité professionnelle au cours de ces années?

T.C. —J’ai passé près de 35 ans à travailler dans de grandes agences de publicité, d’abord à Londres, puis à l’étranger, à New York.

X.L. —Qu’en est-il donc de cette attirance pour les livres et toute la documentation sur la vie des courses et des pur-sang ; d’où vient-elle?

T.C. —C’est toujours difficile de dire quand un intérêt est devenu une obsession. Je savais que je voudrais faire quelque chose lorsque j’aurais à prendre ma retraite ainsi la Bibliothèque me fournit elle cette occasion, sans compter les amitiés nouées dans le monde entier. Les courses de chevaux couvrent tellement d’aspects différents de la vie culturelle et du sport qu’elle devient un tout-absorbant.

La Bibliothèque est disponible pour les chercheurs sérieux et cela me surprend toujours de découvrir la variété des projets, parfois inattendus, sur lesquels ils travaillent. Il y a les questions simples de course comme qui a gagné quoi, ou qui a engendré quel gagnant classique. Mais en un jour, je peux répondre à des questions sur l’histoire des hippodromes au XVII e siècle, la carrière d’un jockey en France dans les années 40 pour un projet d’histoire de la famille, ce qui a été servi lors des dîners organisés pour le Jockey Club par le roi Edward VII au XIX e siècle, ou l’histoire architecturale des tribunes des hippodromes.

X.L. —Comment tout cela est-il arrivé? Comment votre collection s’est-elle constituée?

T.C. —Lorsque je voyageais pour le travail, dans le monde entier, de Buenos Aires à Tokyo, j’essayais toujours de visiter des librairies. La collection s’est construite lentement au fil du temps. L’un des premiers livres que j’ai recueillis était un recueil de résultats des courses en Angleterre de 1727. Une fois que vous avez le premier volume, vous devez avoir le deuxième. Et ainsi de suite…

X.L. —On dit qu’il y a quelques années, pour organiser et développer votre fonds dédié au monde des courses, vous avez décidé d’agrandir votre maison à Dorking (Surrey) en y ajoutant une aile…

T.C. —La plupart des gens réduisent leurs besoins lorsqu’ils prennent leur retraite. Nous, nous avons augmenté de 50 % la taille de la maison pour loger la bibliothèque.

X.L. —On parle de combien de mètres carrés ?

T.C. —C’est environ 1590 mètres carrés sur trois étages

X.L. —Fallut il imaginer des aménagements spéciaux à cette occasion?

T.C. —Oui, en raison du poids des livres ; les fondations sont constituées de deux mètres de béton sous le plancher et la structure est un cadre de poutres en acier.

X.L. — Qu’ont pensé vos voisins quand ils ont vu l’agrandissement ?

T.C. —Il n’y a eu aucun problème avec les voisins. Ils vivent loin.

X.L. —Et – si je puis me permettre- votre femme?

T.C. —Mon épouse était satisfaite. Nous avions des livres partout dans la maison et des pièces pleines d’entre eux. Elle a soupiré de soulagement lorsqu’ils ont été déplacés.

X.L. —Comment avez-vous classé, organisé, votre fonds?

T.C. —La collection est organisée selon la bibliographie Loder. Eileen Loder a publié en 1978 sa Bibliographie des livres sur les courses de chevaux et l’élevage de pur-sang anglais. Elle a classé les livres en grandes catégories comme les jockeys et les courses, la propriété, la formation et les méthodes de formation, ou la poésie et j’ai continué cette classification. J’ai ajouté un groupe, qui était ‘Fiction’.

X.L. —Physiquement dans la Bibliothèque? Ou sur Internet?

T.C. —Je poursuis la même classification d’Eileen Loder sur les étagères et j’ai mis une liste complète des livres sur Internet sous www.thecoxlibrary . La collection est répertoriée par ordre numérique, mais peut être consultée de plusieurs façons.

X.L. —Quels livres vous tiennent le plus à cœur ?

T.C. —Je suppose une édition originale de The Anatomy of the Horse de George Stubbs. L’impression originale date de 1766 et mon édition a été publiée en 1786, comme le prouve le filigrane dans le papier utilisé pour l’une des planches. Je n’aurais jamais pensé pouvoir me payer un tel livre. Heureusement, une copie est arrivée sur le marché mais avec des tampons de bibliothèque sur chacune des planches. Cela a évidemment dévalué le livre aux yeux de nombreux collectionneurs, mais cela signifiait que je pouvais l’acheter.

X.L. —Lesquels furent les plus difficiles à trouver?

T.C. —C’est étrange. Vous cherchez un livre pendant de nombreuses années. Dès que vous le trouvez, vous le cataloguez, vous parcourez les pages et vous le mettez à sa place sur l’étagère. Après cela, il ne se semble plus si difficile à trouver. Je suppose que le plus difficile à trouver sont ceux dont je suis toujours à la recherche et qui figurent sur la liste originale de la bibliographie de Loder. Je pense que je suis toujours à la recherche d’environ 500 ouvrages de cette liste originale de 1800 titres.

X.L. — Les bonnes surprises, celles que vous ne vous attendiez pas à trouver ?

T.C. —Le livre que je choisis comme l’incarnation de la Bibliothèque est Le Cheval Mongol de Salim Beck, publié en 1926. Je le cherchais depuis une dizaine d’années. Les poneys mongols étaient les chevaux utilisés pour les courses dans les villes chinoises de Shanghai, Hong Kong et Hankow à la fin du XIX e et au début du XX e siècle. J’ai finalement trouvé le livre dans la salle d’archives de The Lyrical Ballad à Saratoga, New York, USA. Si j’avais demandé le livre, je suis sûr que le propriétaire de la librairie aurait nié l’avoir en stock. J’ai simplement eu de la chance qu’il me laisse entrer dans la réserve.

Le livre représente la portée internationale de la Bibliothèque. Il traite des chevaux utilisés par les propriétaires européens pour les courses dans les villes chinoises. Il a été écrit en russe et traduit en anglais. Il a été publié par les éditeurs de langue française à Tientsin, une région dominée par les Allemands à l’époque. Je n’en ai vu qu’un exemplaire.

X.L. —Quels sont les ouvrages que vous cherchez encore ?

T.C. —Il y en a des centaines que je cherche encore. Bon nombre d’entre eux sont des tomes ou des numéros qui doivent compléter des séries (notamment pour les périodiques (NDLA).

X.L. —Lequel pourrait vraiment être appelé « livres rares »?

T.C. —Je pense que le livre le plus rare que je possède est : Notes on the Thoroughbred de Kentucky Newspapers de John L. O’Connor.

Une note au crayon qui y figure, dit que c’est l’un des six exemplaires édité.

Après des recherches j’ai, en réalité, découvert qu’il y eut neuf exemplaires d’imprimés, mais ils sont tous dans des bibliothèques, aux États-Unis, sauf peut-être un. Je pense que John O’Connor s’est ennuyé avec le projet et a détruit les plaques après que ces copies d’essai aient été imprimées.

X.L. —Pouvez-vous nous donner le nom d’un ou de plusieurs collectionneurs avec lesquels vous échangez?

T.C. —Je ne suis pas particulièrement en contact avec d’autres collectionneurs sérieux. Cependant, je suis reconnaissant envers les chercheurs et auteurs qui ont travaillé sur la base d’ouvrages ou de documentation trouvés dans ma bibliothèque de m’adresser ensuite une copie du résultat de leur travail. Je ne facture pas pour l’utilisation de la Bibliothèque, et je pense qu’une copie de leur livre ou de leur article est une compensation suffisante. J’ai ainsi l’impression que la Bibliothèque est dans son meilleur rôle, celui du travail qu’elle enrichit, permet.

X.L. —Et votre relation avec les institutions du monde de la course : le Jockey Club ? France Galop ?

T.C. —J’ai maintenu mon indépendance, principalement parce que je veux pouvoir décider de ce que je fais sans qu’il soit question d’un comité. Je suis heureux de faire des travaux de recherche pour le Jockey Club, France Galop ou le Direktorium für Vollblutzucht und Rennen en Allemagne.

X.L. —Quel est finalement votre objectif, votre ambition à travers ou avec cette collection? Commercial ? Philanthropique ?

T.C. —Mon ambition, au delà de l’intérêt personnel, est de construire la bibliothèque la plus fine et la plus complète couvrant tous les aspects des courses de galop et de l’élevage du pur-sang, depuis les premiers jours jusqu’à aujourd’hui.

X.L. —Que reste-t-il à faire pour rendre votre fonds le plus accessible possible?

T.C. — J’aimerais pouvoir produire un index détaillé du contenu de tous les livres de la Bibliothèque. Ainsi, la recherche serait beaucoup plus facile et rapide. Hélas, je pense que cela dépasse mes ressources.

X.L. —Est-ce une priorité?

T.C. — Pas vraiment. J’aime toujours chercher des livres et les ajouter à la collection.

X.L. —Comment voyez-vous l’avenir de votre collection?

T.C. — Idéalement, si des dispositions peuvent être prises, j’aimerais que la collection soit conservée, qu’elle soit déménagée à Newmarket et qu’elle serve de stock de départ à une collection nationale consacrée aux courses et aux pur-sang au Royaume Uni.

X.L. —Croyez vous qu’un jour vous direz : « assez » ?

T.C. — Non. Je pourrais devenir un peu plus sélectif à mesure que l’espace devient un problème. Mais pour le moment, je ne vois pas la fin de la collecte. Tant que des livres seront publiés, je resterai sur le marché.

X.L. —Avez-vous l’intention de transmettre vos fonds à vos descendants?

T.C. — Aucun de mes descendants ne veut être propriétaire de la Bibliothèque, mais si l’un de mes petits-enfants manifestait un réel intérêt, peut-être.

X.L. —Avez-vous l’intention de le vendre au plus offrant un jour ?

T.C. —Non. Il ne s’agit pas d’une entreprise commerciale. Mais je sais que j’ai utilisé l’argent de ma famille pour bâtir la collection, alors le jour où il le faudra, j’aimerais que la collection soit payée à son juste prix. Même avec des conditions. Si ce n’est pas possible, je suppose que mes exécuteurs testamentaires devront la vendre en lots individuels.

X.L. —Dans le monde, y a-t-il des amateurs pour une telle somme de connaissances?

T.C. —J’ai répondu aux questions de chercheurs et de collectionneurs de tous les continents. À mesure que le monde se rétrécit grâce à de meilleures communications, il y a une soif de savoir. La seule chose que j’ai apprise au cours des 40 ans et plus de collecte, c’est combien nous ne savons pas.

X.L. —Donneriez-vous un jour à une institution pour qu’elle poursuive son développement?

T.C. —Comme je l’ai déjà dit, j’aimerais que la collection forme la base d’une collection nationale.

X.L. —Avez-vous déjà regretté d’avoir lancé un tel projet?

T.C. —Absolument pas de regrets.

X.L. —Cette masse de documentation accumulée vous permet aujourd’hui d’avoir un point de vue sur l’évolution des courses et des chevaux au cours des trois derniers siècles. Pouvez-vous essayer de résumer?

T.C. —Les courses de chevaux sont un sport simple. Je parie que mon cheval est plus rapide que le vôtre. Et pour le prouver, je suis prêt à dépenser des millions pour acheter les meilleurs chevaux, pour embaucher les meilleurs entraîneurs, et pour courir autour du monde dans des endroits qui organisent les meilleures courses. Peu d’entre nous peuvent dépenser des millions, mais nous avons tous le même rêve. Avec tous ces investissements et cette matière grise, ce qui me surprend, c’est le peu de connaissances que nous avons sur l’élevage d’un cheval meilleur et plus rapide. Le facteur chance  est encore important dans l’élevage du cheval champion. Et c’est pourquoi les courses de chevaux restent très amusantes.

X.L. —Que pensez-vous de ce qui pourrait advenir des courses et des chevaux de courses; de la perception de l’usage des chevaux dans nos sociétés de plus en plus « urbaines »?
En Angleterre et en Irlande ?
En Europe?
Worldwide ?

T.C. —Je m’inquiète de l’avenir à long terme des courses de chevaux. Depuis deux cents ans, on s’inquiète de plus en plus du bien-être des chevaux et de l’utilisation des chevaux (et d’autres animaux) pour le divertissement humain. Nous observons une réduction de l’utilisation des animaux vivants dans les cirques, car les sociétés du monde entier deviennent plus éclairées.

Il existe un fossé évident entre les attitudes ‘urbaines’ et ‘rurales’ à l’égard des sports ruraux, y compris les courses de chevaux. Alors que la vie urbaine continue de croître, je m’attends à ce que les attitudes urbaines dominent le débat. Je pense que les autorités responsables des courses doivent en être conscientes et veiller à interdire toute pratique, comme l’utilisation abusive de la cravache, qui pourrait mettre en péril l’avenir à long terme du sport.

X.L. —En fin de compte, si vous aviez su, avant de commencer à collectionner, jusqu’où auriez-vous été en termes de temps et d’argent (n’importe quel chiffre)?

T.C. —J’ai choisi de ne pas tenir de registre des sommes que j’ai consacrées à ce projet. C’est un travail d’amour. Parfois, je me demande si j’aurais dû consacrer autant d’énergie et de ressources à un tel projet, puis je réponds à une autre question pour un chercheur qui m’interroge sur telle question ou tel ouvrage et je pense que tout cela est justifié.

X.L. —Un souhait ou un regret ?

T.C. —Pas de regrets. Et un souhait que le projet de la World Horse Library (La Bibliothèque Mondiale du Cheval) soit un succès à long terme.

X.L. —Votre conclusion…

T.C. —J’ai fait beaucoup de chemin pour atteindre mon objectif à long terme, mais le travail n’est pas terminé. Je me demande si, dans le monde numérique de cinquante ans, un tel projet fondé sur la vieille technologie de l’imprimerie aura du sens. Je pense que ce sera le cas. Le papier des vieux livres semble avoir une longévité qui fait défaut dans le monde numérique.

En savoir plus:

The Cox Library

 

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