Le tableau synoptique des écuyers
Le Tableau synoptique des écuyers français du XVI e au XX e siècle par René Bacharach
Un écuyer, déterminé, passionné et minutieux, a entrepris d’établir un grand tableau historique mettant en scène près de 150 des écuyers les plus importants à connaître. Cet homme s’appelait René Bacharach.
Son travail a été publié dans un supplément de l’Année Hippique en 1962. Bacharach avait reporté noms, indications bibliographiques et relations des écuyers entre eux sur une frise chronologique, formant un immense tableau synoptique, lequel était accompagné d’un memorandum d’une dizaine de pages sur l’histoire de l’équitation.
Un travail minutieux
Pour représenter le degré d’influence de chaque personne sur l’évolution de l’équitation, Bacharach a ajouté à chacun une marque d’importance. Une frise chronologique marque une division de temps tous les 25 ans pour faciliter la lecture. Choisir la bonne date à laquelle faire apparaître un nom s’est avéré parfois un peu arbitraire lorsque peu de détails biographiques sont connus . Bacharach estimait qu’un écuyer atteignait son meilleur niveau à la cinquantaine environ. Chaque date peut se pondérer par sa charge d’écuyer ou la parution d’un de ses livres s’il en a écrit.
Il existe un travail préparatoire, resté jusqu’à aujourd’hui dans un grand carton à dessin. Mis à jour par son élève et ami Patrice Franchet d’Esperey, cette esquisse se révèle toute aussi précise et bien plus complète que sa version définitive dont une cinquantaine de noms ont été retranchés. Mis à part cette suppression, on constate très peu de repentirs entre les deux, excepté pour une relation supprimée entre Cazeau Nestier et Pierre d’Abzac ou Alain Garsault et De Bournonville, ou un dilemme avec Bernardi, présent deux fois dans l’ébauche et une seule dans la version finale (d’après Duplessis il pourrait s’agir du même homme). Bacharach a procédé à quelques ajouts dans la dernière version comme le comte de Lionne, Jean-François d’Abzac ou Auguste Raux. Cela est vraiment peu au regard de l’ensemble. On peut supposer que des discussions fournies avec Oscar Cornaz, responsable de la mise en page de l’ Information Hippique , ont dû le conduire à alléger l’ensemble pour le rendre plus lisible en amputant d’un quart le nombre d’écuyers. L’esquisse ne présente pas les marques de valeur d’importance comme l’étoile ou le point. Est-ce le fruit des conversations entre lui et Cornaz ? Idem pour l’impression en bichromie verte et noire ?
Bauchériste dans l’âme, on ne s’étonnera pas que Baucher et Beudant soient signalés par une très grosse étoile, tandis celle de D’Aure est trois fois plus petite et d’une couleur moins lisible… D’autre part, il manque des écuyers d’importance, pourtant contemporains de Bacharach, comme son ami Jean Licart ou Nuno Oliveira qu’il avait rencontré. C’est un choix assumé de l’auteur, pris pour éviter de froisser la susceptibilité de ses semblables.
On peut lire l’ensemble comme une interprétation de la transmission du bauchérisme compris par Bacharach. Indiquer les «filiations» entre les écuyers fait écho à sa propre philosophie et à sa vocation de transmettre grâce à une forme de compagnonnage, tel qu’il l’a pu le faire avec son élève Patrice Franchet d’Espérey qui, d’ailleurs, en a tiré un livre, La main du maître (Odile Jacob, 2008).
La transmission de l’équitation est un art délicat du ressenti où il ne s’agit pas de copier mais bien de retrouver l’innocence originelle de son maître, en s’aidant de livres, tout en ayant un excellent professeur. Son ancien élève se souvient de longues discussions, suivies d’une correspondance soutenue et de lectures des classiques de l’équitation annotées. Transmettre est devenu une école de vie, à l’image de sa devise «Look, love, think and do» .
L’homme, né à l’orée du XX e siècle en 1903 et mort en 1991, a traversé le siècle. Tombé dans la marmite très tôt, il avait été mis à cheval dans le régiment de son père. Chimiste-parfumeur de métier, le cavalier a eu la chance de monter une grande partie de sa vie pour son plaisir. Sa profession lui imposait une grande minutie de gestes pour doser chaque composant à la juste proportion. Pour cela, il a développé une concentration et une habilité dignes d’un maître d’arts martiaux. Cette qualité se retrouve dans l’ébauche du tableau : elle révèle une écriture fine, élégante, les noms sont tirés au cordeau, sans une seule rature. Elle a également eu une grande influence sur son tact équestre.
Dans les années trente, il avait été envoyé aux Philippines pour chercher une fleur très particulière afin de composer un parfum pour une grande maison parisienne. S’étant fait voler ses cahiers de travail avec l’ensemble des formules, il est resté néanmoins là-bas et est devenu écuyer de l’École de cavalerie de l’armée du pays sous les ordres général Mac-Arthur. Lorsque la seconde guerre mondiale éclate, il sera mobilisé en Indochine : il se retrouve à Hanoï où il effectue le recensement de tous les équidés vietnamiens disponibles. Il organisera alors un escadron remonté sur ces petits chevaux locaux plus proches du poney…
Un trio influent, Beudant, Decarpentry, Licart
Bacharach a découvert les livres d’ Étienne Beudant et, curieux, il formera un groupe avec quelques autres passionnés, pour comprendre et retrouver les principes de l’auteur du classique Mains sans jambes (La Guillotière, 1945), qui est lourdement handicapé, et donc incapable de montrer quoique ce soit en selle. Ce groupe a beaucoup échangé de courriers et de photos comparant leurs essais et leurs erreurs et grâce à cette correspondance passionnée, ils arrivent à « reconstituer » la méthode. Quelques rencontres ont eu lieu à Dax à la Libération. Elles ont permis à Bacharach de préparer avec lui une réédition revue et corrigée de son autre classique, Extérieur et Haute école (Actes sud, 2008). Ce projet n’aboutira finalement qu’en 2008 sous l’impulsion de Patrice Franchet d’Espérey, qui aura la bonne idée de mettre en regard la version de 1923 et celle de 1948, afin d’étudier les évolutions du cavalier mirobolant .
Beudant n’est pas le seul à avoir eu une influence sur son équitation. Lorsque Bacharach habitait encore chez ses parents, il montait régulièrement à l’Étrier de Paris. Le général Decarpentry fréquentait également le tout petit manège de la porte Dauphine. Un jour, le général, ayant pris l’habitude de voir Bacharach travailler ses flexions à l’arrêt, lorsque celui-ci démarra au pas, les deux hommes se rentrèrent dedans… Cela ne les a pas empêchés de devenir amis et de travailler ensemble. Decarpentry lui confiait même ses chevaux pendant son absence. Ils ont régulièrement échangé des livres et ont ainsi préparé conjointement la publication de la Méthode de haute école de Raabe (Berger-Levrault, 1957).
Bacharach a réservé à Decarpentry et Beudant une belle place sur son tableau. Ce n’est pas le cas de son ami Jean Licart, toujours vivant à la publication du tableau. Pourtant, il allait passait les mois de juillet chez lui à Arcachon pour l’aider à débourrer des Anglos. Ils s’entendaient très bien tout en ayant une équitation totalement différente, Licart faisant pousser le cheval sur une main qui fait barrière, très loin du bauchérisme défendu par Bacharach. Le frottement a toutefois été fécond et Bacharach lui aurait dit un jour : « Quel dommage qu’un si bon pédagogue enseigne une si mauvaise équitation ! »
Lui-même partagera son expérience et sa culture tardivement dans Réponses équestres (Favre, 1987).
Une modélisation par graphes
Le tableau et son cahier, l’ébauche sont téléchargeables à taille réelle (42 x 60 cm) et imprimables si l’on souhaite l’afficher dans sa sellerie ou son club-house. Ainsi, on peut embrasser d’un seul coup d’œil plus de quatre siècles d’équitation. Le tableau original, tout comme sa modélisation, montrent la place de chacun des grands écuyers et de leurs relations d’influence.
La modélisation développée permet de zoomer sur une période donnée ou sur une personne; On peut rechercher et sélectionner un nom pour afficher son jeu de relations, consulter sa fiche biographique et bibliographique. Ce procédé sert également à visualiser la cinquantaine de cavaliers que Bacharach avait laissé de côté dans l’édition imprimée, à l’instar de la dynastie complète des Dugard ou des Avril-Pignerolle, soit une cinquantaine de noms en plus.
Les échelles de valeur proposées par Bacharach ont été conservées et adaptées :
– Une ★ ou un ● accompagnent chaque nom. Leurs différentes grandeurs reflètent sa valeur relative en fonction de ses écrits et de son talent, tel que le défend Bacharach.
– Un nom en noir est un écuyer qui a fait le mieux briller l’équitation française.
– Un nom en vert est é cuyer ou hippiatre important, français ou étranger.
– Un nom en bleu est un écuyer figurant dans l’ébauche du tableau mais retiré dans la version finale.
– Une relation en rouge est un écuyer qui a été maître d’équitation ou dresseur des chevaux d’un roi ou d’un empereur.
– Un trait plein reflète une relation directe de maître à élève.
– Un trait pointillé reflète une relation de protection, d’amitié, d’association, de parenté ou d’influence.
Marie-Laure Peretti
En savoir plus :
- L’ ébauche du tableau.
- Le tableau définitif et le texte .
- La modélisation par graphes synthétisant l’ébauche et la version définitive.