Chapitre IV
Conformations anormales
Maintenant que nous connaissons l’organisation générale du cheval construit d’après le type spécifique ou normal, il nous reste à dire un mot des quelques cas de conformations anormales qu’on rencontre exceptionnellement chez certains sujets.
Nous entendons par conformation anormale toute dérogation aux conditions ordinaires de la structure du corps. Aussi, examinerons-nous sous ce titre les anomalies, les vices de conformation, les monstruosités, les mauvaises conformations, les déformations et les hermaphrodismes.
1° Anomalies. — Bien que, scientifiquement, le mot anomalie soit pris comme synonyme de vice de conformation, de monstruosité, on le réserve d’ordinaire pour désigner tout ce qui s’éloigne de la règle, qui est contraire à l’ordre naturel, sans toutefois modifier sensiblement la forme extérieure du corps, sans même apporter aucun trouble dans ses fonctions.
En physiologie, il y a anomalie quand les phénomènes ne suivent pas les lois connues. La digestion de la viande par le cheval, animal herbivore, constitue un exemple, non absolument rare, d’anomalie physiologique.
En anatomie, on donne le nom d’anomalie à tout ce qui s’éloigne du type commun à l’âge, à l’espèce, au sexe. Elle consiste généralement alors en un changement dans le nombre ou la position de certains organes. Telle l’augmentation ou la diminution du nombre des vertèbres et des côtes ; la présence d’un muscle dans une région où p. 34on ne le rencontre pas d’ordinaire ; la persistance de la cavité dentaire extérieure sur la surface de frottement, à une époque où elle aurait dû disparaître (voy. IIe partie, Âge, Cheval bégu) ; la présence de cornes rudimentaires chez certains chevaux, etc., etc.
2° Vices de conformation. — L’anomalie prend plus particulièrement le nom de vice de conformation quand l’organisation est affectée d’une manière profonde. Nous signalerons comme exemples de vices de conformation : l’atrophie de la vessie ; la non-perforation de l’anus, de la vulve ; l’adhérence de la langue à la face interne de la joue, comme nous avons eu l’occasion d’en observer un cas tout récemment à l’autopsie d’un poulain de pur sang anglais qui, n’ayant pu téter sa mère par suite de ce vice de conformation, dont on n’avait pas soupçonné l’existence durant sa vie, était mort de faim peu de temps après sa naissance.
3° Monstruosités. — Nous appliquerons spécialement le mot monstruosité aux déformations les plus considérables qu’apporte l’animal en naissant, et qui lui donnent un aspect hideux ou bizarre (monstre).
Dans l’antiquité, l’apparition d’un monstre était regardée comme un signe de la colère des dieux, et les populations s’en affligeaient comme d’une calamité. À Athènes et à Rome, on faisait des prières publiques lorsqu’il naissait des enfants difformes. Il y a peu de temps encore, chez nous, la naissance d’un monstre était considérée comme un mauvais présage et attribuée à l’influence des astres, des sorciers, du démon, etc.
La plupart des médecins et des naturalistes ne voyaient eux-mêmes dans les monstres que des jeux de la nature, des êtres affranchis de toute règle et de toute loi. Ce n’est que vers la fin du dix-huitième siècle et au commencement de celui-ci que la vérité s’est fait jour sur la nature de ces êtres, qui sont généralement regardés aujourd’hui comme résultant d’un arrêt de développement, d’une altération quelconque que le nouvel animal éprouve dans le sein de sa mère par suite de chute, de coup, d’impression morale violente, de l’influence de la vue d’objets qui frappent l’imagination, de l’hérédité, de la grande différence de taille des reproducteurs, etc., etc.
Comme on constate, d’un autre côté, que les monstres n’échappent pas aux lois générales de l’organisation, que la plupart représentent, p. 35d’une manière plus ou moins parfaite, l’état normal des animaux des classes inférieures, les naturalistes, entre autres Buffon, Meckel, Martin Saint-Ange, Etienne Geoffroy Saint-Hilaire et plus tard son fils Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, etc., en ont fait une classification à part.
C’est ainsi qu’Isidore Geoffroy Saint-Hilaire divise les monstres en deux classes : les monstres simples ou unitaires, et les monstres composés, doubles ou triples.
Chaque classe comprend plusieurs ordres renfermant un certain nombre de familles.
Comme exemples de monstres simples, nous citerons ceux chez lesquels il y a avortement plus ou moins complet des membres (ectromêliens), réunion des membres (syméliens), etc.
Parmi les monstres doubles, on peut signaler les bicéphaliens, qui présentent deux têtes sur un ou sur deux corps ; les monocéphaliens, dont les corps, tantôt séparés, tantôt réunis, sont surmontés d’une tête unique et simple ; les polyméliens, où il y a tête et corps uniques avec membres surnuméraires : tel ce cheval didactyle sauvage que l’on faisait voir à Paris, il y a quelques années, et qui présentait, à chaque membre, un doigt supplémentaire parfaitement développé.
Certaines monstruosités, enfin, peuvent être dues à des maladies du fœtus (rachitisme, ankylose, hydrocéphalie, etc.).
Quoique l’on ne conserve généralement pas les chevaux présentant une des anomalies précédentes, il y a lieu de supposer que les monstruosités sont héréditaires chez ces animaux, comme elles le sont chez l’homme, le chien, etc.
La plupart du temps, surtout en vétérinaire, où il ne suffit pas de conserver la vie à l’individu, mais où il faut le rendre propre à un service, on n’a pas de bons résultats à espérer de l’opération, et il vaut mieux immédiatement faire le sacrifice du sujet.
4° Mauvaises conformations. — On doit entendre par mauvaise conformation, chez le cheval, toute conformation indiquant un manque de force, de vigueur, d’énergie (voy. IIe partie, Notions préliminaires, défectuosités).
5° Déformations. — La déformation est l’état d’une ou de plusieurs parties du corps dont la forme naturelle, primitive, a été altérée.
p. 35Les déformations sont toujours artificielles et reconnaissent pour causes, chez le cheval, le travail, la nourriture, le dressage, etc. C’est ainsi que les animaux de selle et de bât présentent souvent une déformation de la région dorsale (dos ensellé), et que les chevaux exclusivement nourris de foin et de paille ont le ventre tombant (ventre de vache).
6° Hermaphrodismes. — L’hermaphrodisme est un vice de conformation particulier consistant en la réunion, chez un même individu, des sexes ou de quelques-uns de leurs caractères.
L’hermaphrodisme vrai, avec présence des testicules et des ovaires bien développés sur le même sujet, n’existe que chez certains animaux inférieurs. On ne l’observe jamais chez les mammifères supérieurs, où l’hermaphrodisme, quand il existe par hasard, consiste tout simplement en la présence, sur le même individu, de quelques vestiges des attributs des deux sexes.
Si incomplets que soient les détails dans lesquels nous venons d’entrer relativement aux conformations anormales, ils permettront néanmoins au lecteur de se faire de celles-ci une idée suffisamment exacte pour les distinguer de la conformation ordinaire, en saisir les inconvénients, et souvent même les causes.