De livre en livre : galop pour l’été

Petit tour de France hippique : Prix du Jockey club (Gr1) début juin et, pour les spécialistes, un record absolu, celui d’Ace Impact qui gagne mais surtout réalise le meilleur chrono jamais enregistré sur les 2100 m de la piste de Chantilly. Quinze jours plus tard, c’est le Prix de Diane Longines (GR1) où Blue Rose Cen, la favorite qui a tiré le numéro un à la corde, l’emporte réalisant ainsi un triplé historique pour une pouliche de trois ans : Prix Qatar Marcel Boussac (Gr1), Poule d’essai des pouliches (Gr1)… Quel Printemps mes amis ! Et maintenant, après les fermetures estivales des hippodromes parisiens (Longchamp et Auteuil) toutes les regards (et les jumelles) qui se tournent vers Deauville, pour son meeting annuel.

Stop, stop… stop !  Arrêtez-le ! Ce n’est pas une chronique sportive, qu’on a commandé au Monsieur ! Tout juste! Puisque le calendrier des courses de galop (le trot, ça viendra) l’y autorise, un petit tour de bibliothèque s’impose; certes pas la bibliothèque la plus complète, la plus exhaustive, la plus riche sur le sujet, mais celle d’un passionné constituée au fil des années, à coups d’opportunités et d’emportements !

Alors, prêts pour un canter ?

Fabuleux

En progression alors… Avec un départ facile, engageant, invitant et donc ce livre d’images signées du photographe Vincent Godeau et les courtes notices de Christophe Donner qui raconte en cinq chapitres, dans un livre publié en 2011, aux éditions La Martinière, l’histoire, le parcours d’un cheval de course de la naissance à la gloire tout simplement nommé Le Fabuleux. Toute ressemblance avec le crack au nom éponyme, né et élevé au Haras du Quesnay serait évidemment pure coïncidence.
On le sait, Christophe Donner journaliste (Chroniqueur à France Soir, fondateur du magazine Of Course) mais aussi auteur de : Le cheval qui sourit,  illustré par Philippe Dumas (L’École des loisirs, coll. « Mouche », 1992) ; Tempête au haras, (L’École des loisirs, coll. « Neuf », 2012) ; Passion Cheval, avec Hubert de Watrigant (Les Trois Crayons, 2012), À quoi jouent les hommes? (Grasset, 2012), La Mode aux courses: un siècle d’élégance 1850-1950 avec Christophe Dubois Rubio et Christine Germain-Donnat (Liénard, 2014), est passionné par le cheval, mais pas que ! Il est aussi auteur d’une quarantaine d’autres romans. Serait-il le seul journaliste que la plume titille ?
Que ses confrères se rassurent ! Pierrette Brès, Homéric, Jacques Pauc, Jean-François Pré, Emmanuel Roussel, feu André Théron et tous ceux que nous oublions ici, d’autres été suivront !

Le Fabuleux ou la vie d’un pur-sang, Christophe Donner,  Vincent Godeau La Martinière, 2011

Même en B.D.

Pur-sang, Franz, Éditions du Lombard, 1985

Pur illustré encore et plutôt anecdotique, Pur-sang, album singulier qui traite uniquement du cheval de course, signé par Franz Drappier, (1948-2003) dit Franz, né à Charleroi dessinateur et scénariste de bande dessinée belge, titulaire du Grand Prix Saint-Michel en 1982 pour le premier tome de Lester Cockney, l’une de ses meilleures série de BD.
Avec Pur-sang, Franz se fait plaisir et conte une dizaine de petites histoires vraies ou romancées où sont mis en scènes chevaux, jockeys, entraineurs, parieurs, courses mythiques. La préface signée de Renaud (Renaud Depauw), son confrère avec lequel, cavaliers du dimanche il aimait se « ballader » en forêt. Vous avez bien lu: deux L pour la balade du dimanche, ce qui en dit long…
Publié par les éditions du Lombard en 1985, Pur-sang a trouvé place dans la collection bien nommée, Phylactère, substantif grec utilisé pour désigner les petites bulles possédant une queue ou un appendice dont la pointe se rapporte au personnage qui parle.

Monsieur Patardot

L’écurie Patardot, E.Thélem, Société française d’éditions d’Art, 1903

Un siècle exactement plus tôt (1903), Ernest Thélem, peintre, dessinateur, illustrateur, affichiste hippique et, par dessus tout humoriste (n’a t’il pas fondé la Société des dessinateurs humoristes ?) a bien amusé le monde du turf avec les tribulations de ce propriétaire, Monsieur Patardot — pas si vieillot que ça— qui, fort d’une récente réussite dans les affaires et en quête de notoriété, décide de s’offrir une écurie de courses !
Un cartonnage illustré de l’éditeur (Société française d’éditions d’art), grand in-4 oblong d’une cinquantaine de pages où le trait d’humour parfois plus lourd que le trait du crayon, l’emporte de bout en bout.

Crafty et croquis

Sur Le Turf, Crafty, Plon, Nourrit et Cie, Imprimeurs Editeurs, 1899

Et on remonte encore dans le temps; fin XIXe, la belle époque. Les courses de chevaux ont trouvé place dans la société, le pari mutuel contribue à leur développement. Cela n’a pas échappé à cet artiste au regard acéré et à la plume éloquente que le cheval, sous toutes ses formes –mais surtout sociétales- inspire. Crafty,  de son vrai nom Victor Cérusez (1840-1906) signe avec Sur le turf, l’ouvrage le plus enrichi qu’il ait publié. Et il en fit quelques uns de Paris au bois, Paris à Cheval, La province à cheval, L’équitation puérile et honnête, etc., quasi tous chez le même éditeur, ce qui mérite d’être souligné : Librairie Plon, E. Plon, Nourrit et Cie.
Pas une page, sans une planche, un dessin, un croquis, une esquisse, un crobar, un cabochon, une vignette.
Après avoir brossé un joyeux tableau de l’activité, son « mécanisme », notamment à Paris, Crafty emmène, au fil de plus de 400  pages, dans le sillage des galopeurs et des hommes qu’ils passionnent, à Chantilly, La Croix de Berny, Marly-Le-Roi, Auteuil, Colombes, Fontainebleau, Saint-Ouen, Enghien, Maisons-Laffitte, La Marche, Rambouillet, Longchamp, Caen, Deauville, Dieppe, Pau, Vincennes. Autant de lieux et de personnages dont les noms sont, pour la plupart, toujours aussi familiers de nos jours qu’hier, pour les passionnés de cheval, à commencer par le Baron Finot (1826-1906), veneur, éleveur et propriétaire de l’une des plus grandes écuries de steeple-chase de l’époque, mais surtout, lui aussi, dessinateur et aquarelliste de talent, dont les scènes de chasse à courre ont contribuées à la renommée.

Humour noir

Signé par Georges de la Fouchardière (1874-1946), en 1923, Le Petit guide du parieur aux courses, aux Éditions du siècle, bat des records de parutions puisque celle que nous vous présentons ici est la 15 e du genre, dans l’année même de son lancement ! Longévité aussi puisqu’il est réédité 99 années plus tard, en 2022, aux Éditions de la Germonière. La clé du succès ?  Satyre, humour et bons tuyaux d’un univers qui semble, n’exister que pour les générer !
L’auteur, journaliste, commence sa carrière à Paris-Sport en 1908 par une chronique fantaisiste, puis rejoint Le Canard enchaîné où, dans le même registre il crée une série autour d’un personnage quasi-légendaire : Alfred Bicard dit  « le Bouif », qu’il développe ensuite sous forme de héros de romans policiers. L’univers des courses est omniprésent dans son œuvre. Ainsi Le crime du Bouif qui s’ouvre par la découverte du cadavre d’un homme écorché et décapité, perché dans un arbre, près d’un champ de course parisien.

Petit guide du parieur aux courses, Georges de la Fouchardière, Éditions du siècle, 1923

Un registre, auquel Georges de La Fouchardière s’est déjà essayé dès 1910 notamment dans La Machine à Galoper, Éditions Tournayre, publié dans la collection dite « les romans fantaisistes », ce qui en dit long sur le sujet, et qui fut republié en 1919 mais cette fois sous le titre L’Affaire Peau-de-Balle, à la Librairie des Lettres !
La Fouchardière est  aussi l’auteur de nombreux scénarios, notamment Le Bouif chez les pur-sang, un moyen métrage  réalisé en 1934 par  Léo Joannon.

Et discutable…

Est-ce bien acceptable sur le site de La Bibliothèque Mondiale du Cheval ? Nous voulons parler ici, d’oser publier les définitions de Francis Claude, auteur du Dictionnaire des courses et du tiercé – présenté par Léon Zitrone, publié en 1964 aux Éditions de la Pensée Moderne et illustré par  G. de Sainte-Croix qui offre sur la jaquette de ce 1/8 cartonné une toute autre facette de son talent.
L’auteur (mais il ne devait pas être tout seul !) se lâche ainsi de bout en bout dans un style qui n’est pas loin de celui des « Grosses têtes » millésimes Philippe Bouvard, avec qui il a dû frayer.
Un exemple ? Dès la lettre A, avec avoine : « aliment de base symbolique du cheval de course. Quand on dit d’un cheval « il gagne son avoine » cela signifie qu’il ne mettra pas son propriétaire sur la paille, sans aller jusqu’à mettre du foin dans ses bottes… ». Voulez qu’on voie pour « paddock » ?

Dictionnaire des courses et du tiercé, Francis Claude – Présenté par Léon Zitrone,
La pensée moderne, 1964

Big Léon

Vingt chevaux et un cœur, Léon Zitrone, Solar, 1968

Zitrone donc ! Léon Zitrone ! L’un des journalistes les plus populaires des années 1960 à 90, qui n’hésite pas à se caricaturer lui-même dans une autobiographie titrée Big Léon (Hachette/Carrère, 1989).
Véritable VRP des courses et du tiercé, Léon Zitrone, signe en trente ans, bon nombre de livres aussi faciles que populaires, usant et abusant de la notoriété du journaliste star de la «première chaine » pour « vendre ».
Ainsi, entre autres : Léon Zitrone vous emmène aux courses à l’heure du tiercé (Del Duca, 1962), Léon Zitrone, Mon tiercé, peut-on gagner (Solar, 1964), Au bout de mes jumelles (Buchet/Chastel, 1975), Chevaux et grandes courses (Nathan, 1981), L’Arc en vingt cinq triomphes (en réalité, il sert de « pavillon » au travail  d’Henri Duthu et de Marc Gaillard chez Lavauzelle Sport, 1990), La vie d’un cheval de course (Hachette pratique, 1992), etc.
Pourquoi avoir retenu précisément, ici, Vingt chevaux et un cœur (Solar, 1968) ? Parce que sous ce titre qui, à priori, avait pour vocation de faire craquer le grand public, est finement conjuguée une préface en forme de clin d’œil et de déclaration d’amour à sa femme, Laura, dont une photo est publiée en pleine page au cœur du livre attestant qu’elle aime vraiment les chevaux. Et que lui l’aime ! Ça, c’est tout Zitrone et les paradoxes d’un bourreau de travail à l’appétit d’ogre qui fait encore parler de lui aujourd’hui, si l’on en juge par les récents commentaires acides de celle qui lui succéda sur la « Une »: Pierrette Brès !

On pourrait en citer tant d’autres de ces journalistes hippique qui se sont lancés un jour ou l’autre dans le grand bain de l’édition : d’ Eugène Chapus qui publiait dès 1853 le premier livre d’histoire du genre Le turf ou les courses de chevaux en France et à l’étranger ( Ed. Hachette et Cie) qui précéda en 1890 Les courses de Chevaux en France (Ed. Hachette et Cie) d’ Albert Huot de Longchamp de Saint Albin (voir articulet ci après) ou encore Les courses en France et à l’étranger (Ed. Lahure) signé en 1894 par SF  Touchstone, pseudo de M.Teyssier des Farges.
En 1914, sort le monumental Historique des courses de chevaux en France et à l’étranger (Charpentier et Fasquelle) d’ Henry Lee, également présenté plus loin dans cette chronique.
Suit Maurice de Noisay, l’un des grands noms du journalisme hippique d’entre les deux guerres avec Tableau des courses (Ed. de la Nouvelle Revue Française, 1921), puis Voilà les courses (Ed. du Siècle, 1925).  Après la Libération, Jean Trarieux enchaîne : Journal d’un homme de courses 1900-1945 (Ed. Paillard, 1945) puis Les courses dévoilées (Ed. Calmann Levy, 1947).

Du zoo et des fauves

1947, donc. C’est précisément cette année-là, qu’ Henri Thétard, après une première chronique sur le cheval titrée Évolution du cirque et de l’hippodrome, retrouvée dans le Miroir du Monde du 20 décembre 1930, publie son seul et unique livre sur le cheval de course Histoire et secrets du turf (Ed. Robert Laffont, 1947). Henri Thétard (1884-1968) est un cas ! Une sorte de touche à tout! Journaliste notamment au Petit parisien puis plus tard à la Revue des deux mondes, où il signe des « papiers » sur le turf  et le cirque, il paye physiquement de sa personne. Avant tout passionné par les animaux, les fauves en particulier et leur dressage, auquel il s’initie avec Edmond Pezon, propriétaire avec son frère d’une ménagerie parisienne, on le retrouve, toujours avant la grande guerre, qu’il sert en tant qu’artilleur, jouant les belluaires avec de grandes figures du cirque, Alfred Court, puis François Bidel, célèbre dompteur, pour s’intéresser, petit à petit à tout ce qui touche à l’univers circassien.
Il est promu directeur de zoo pour l’Exposition Coloniale de 1931 sur recommandation du maréchal Lyautey, qu’il a connu en Algérie lors de son service militaire, puis Fondateur du Club du cirque en 1949. Homme aux facettes multiples on apprend, par une préface que l’écrivain Edmond Jaloux signe en 1934 pour Coulisses et secrets du cirque (Librairie Plon, les petits fils de Plon et Nourrit), que son penchant pour le cheval, tout comme son parcours excentrique,  lui vient de son père : « Monsieur Henry Thétard a peut être été conduit à cette connaissance (le cheval NDL) par les hasards de sa vie aventureuse, je crois plutôt qu’il le doit à sa vocation. Son père, qui est aujourd’hui Général de division en retraite, est un écuyer remarquable. M. Henry Thétard fut destiné d’abord à la vie militaire, mais elle comporte, en sa préparation, un côté abstrait qui n’était pas du tout son fait. Après avoir fait son service militaire en Algérie où le Maréchal Lyautey le tira de plus d’un mauvais pas, ce fut à son retour qu’il entra comme employé au Crédit Lyonnais. Je crois bien que de toutes les formes de l’activité humaine, (si j’ose m’exprimer ainsi), c’était bien la moins capable de satisfaire l’esprit mouvementé de M. Thétard. »  Auteur de nombreux ouvrages comme Les Dompteurs ou la ménagerie des origines à nos jours (Gallimard, 1928’), La Merveilleuse Histoire du Cirque en deux volumes (Prisma, 1947), Des hommes des bêtes, (édition de la Table ronde, 1947) dans lesquels il retrace l’histoire du cirque moderne de sa naissance à la seconde guerre mondiale, était-il le plus qualifié sur le cheval, pour qu’on s’y attarde dans cette chronique ? La lecture de l’avant propos de son ouvrage (voir facsimilé, ci-contre), vous convaincra-t-elle ?

Histoires et secrets du turf, Henry Thétard, Ed. Robert Laffont, 1947

Le pape a dit

Avec l’ouvrage de Guy Thibault, voilà l’antithèse de « Big Léon » et parmi sa production Un autre regard sur les courses (Castelet, 2007) nous partons sur les traces d’Henry Lee (à suivre) ; un voyage de trois siècles dans la France hippique qui débute en 1683, lors d’une première course internationale, sous le regard de Louis XIV, qui signe, en 1715, l’achat de la terre sur laquelle va être construit le haras du Pin. Le livre, remarquablement illustré (plus de 500 photos, souvent inédites), est encensé par la critique du milieu concerné, et se voit même cité dans divers travaux sur l’histoire des courses, outre-manche, comme dans cet article de Mike Higgins publié dans The International Journal of the History of sport (Volume 36, issue 17-18) publié en 2019. Dernière reprise en date, sa longue narration de la visite de célèbres haras normands par la Reine d’Angleterre en 1967, citée dans la biographie Elisabeth II, dans l’intimité du règne, signée par Isabelle Rivière (Fayard, 2022).
Guy Thibault signe de nombreux autres ouvrages référents. Après s’être essayé par un ABC des courses (Ed. Vendôme, 1966), il fait revivre L’épopée de Gladiateur (UNIC, 1990), ou le récit de la vie mouvementée et triomphale du premier cheval français ayant remporté le derby d’Epsom en 1865 ; Avec Au cœur des Jockeys (Marcadier, 1995), il met en lumière cette profession, son évolution sur plus d’un siècle et demi de courses et croque vingt-quatre portraits de cracks du turf.
Avec les deux tomes, Auteuil, hier et aujourd’hui, 1831-1915 (Castellet, 1998), et le tome II (1916-2003) publié cette année là, chez le même éditeur, il publie une anthologie sans égale de la discipline. Faut-il s’étendre pour conclure sur Un siècle de galop 1900-2000 qui sort à propos pour célébrer un siècle de courses au tournant du troisième millénaire (Filippachi éditions, 2001) ?

Un autre regard sur les courses, Guy Thibault, Éditions du Castelet.

Qui était Henry Lee ?

Guy Thibaut plus historien que journaliste donc et qui nous sert dans cette chronique de transition pour revenir sur Henry Lee, confrère d’hier, qui un siècle avant lui a signé cet ouvrage majeur, disons même fondateur,  que l’on a déjà annoncé : Historique des courses de chevaux en France et à l’étranger.
On ne sait pas grand-chose d’Henry Lee, de son vrai nom Edgard Lée. Journaliste hippique au quotidien Le Temps (1861-1942). Et il faudra continuer à fouiner, tant l’ Histoire des courses de chevaux de l’antiquité à ce jour, publiée en 1914, constitue un travail de recherche et de documentation iconographique, unique, 888 pages illustrées de 22 planches en noir hors-texte et de 63 gravures en noir dans le texte qui mérite que l’on connaisse mieux son auteur, qui y a consacré six années. Un drôle de «fondu» Monsieur Lée! On en voudra pour preuve la longue préface où il explique qu’alors tout lycéen, il organise des courses à pied où les engagés portent les noms de célèbres chevaux de courses du moment ! Un jeu qui décida d’une carrière, le jour où, tout gamin encore, bénéficiant de deux invitations que l’un de ses copains avait obtenu de son oncle qui était membre du célèbre Jockey Club, il parie 5 francs, à Longchamp, sur un cheval nommé Saint-Christophe qui était son «patronyme» de course à pied, lequel battit d’une tête le favori Jongleur, à la côte de 66/1 !
Pour en revenir à l’ouvrage, la table des matières est éloquente quant au contenu qui se découpe en dix tomes : Dans l’antiquité – En Angleterre de l’origine à fin 1833 – En France de l’origine à fin 1833 – De 1834 à fin 1856 – De 1857 à fin 1870 – De 1871 à fin 1890 – De 1891 à fin 1913 – La race de pur sang – Gagnants des grandes épreuves – Décrets ordonnances lois et arrêtés.
Mais c’est la conclusion qui épate le plus ! Elle pourrait avoir été écrite hier, soit plus d’un siècle après et être toujours d’actualité. Sans doute parce que, comme a averti l’auteur dans sa préface « cet ouvrage, nous tenons à le dire hautement, est une œuvre d’indépendance et de bonne foi. Nous ne sommes inféodés à aucune école et la sévérité même de nos appréciations trouve son excuse dans le but que nous avons poursuivi, la sauvegarde de l’élevage national envers et contre tous les intérêts particuliers ».

Historique des courses de chevaux, de l’antiquité à ce jour, Henry Lee, Librairie Charpentier et Fasquelle, 1914

Robert Milton, du Figaro

«Fondateur» disions nous… Pour être parfaitement honnête, peut-on passer sous silence Les courses de chevaux en France publié par la Librairie Hachette et Cie et signé par Albert de Luot de Longchamp de Saint-Albin en 1890, donc antérieur à celui d’Henry Lee ? Mennessier de la Lance nous apprend par un petit articulet et dans le style concis qu’on lui connaît, qu’il est « Littérateur français, 1843-1901. Collabora d’abord au Sport, que dirigeait son père, puis prit la direction du Jockey, en 1884. C’est lui qui créa, dans le Figaro, les compte-rendu des courses et des questions sportives, qu’il signait Robert Milton. Il écrivit aussi de nombreuses pièces de théâtre et des ouvrages sur l’escrime. Il fut le créateur de l’hôpital des Jockeys et des hommes d’écurie, à Chantilly ».
L’antériorité de Saint-Albin sur Lee est donc factuelle et s’impose également à la lecture de la table des matières de ce premier tour d’horizon des courses en France. Que l’on en juge : Origine et but des courses ; la Société d’Encouragement devant la critique ; Questions d’élevage ; Principaux établissements d’élevage ; Sevrage des poulains et dressage des yearlings ; L’écurie d’entraînement et son personnel ; L’entraîneur et le jockey ; langé et l’entraînement des steeple-chaser ; Les steeple-chases ; Profils de sportsmen ; Profils d’entraîneurs et de jockeys ; le handicapeur, le juge et le starter ; Hippodromes parisiens et suburbains ; Chantilly ; Le Grand Prix de Paris ; Le turf à vingt sous ; le jeu aux courses ; le sport et la femme ; Les courses en province ; Nos succès en Angleterre ; Les courses au trot ; Dictionnaire des termes employés sur le turf ; Liste alphabétique des réunions ; Liste alphabétique des propriétaires. »
Justice est rendue !

Les courses de chevaux en France, de Saint Albin, Librairie Hachette et Cie, 1890

Docteur mais Limousine avant tout

Les travaux de Nicole de Blomac, eux sont postérieurs mais de la même veine que ceux d’Henry Lee (et donc de Saint-Albin), justifiant leur place, ici. D’ailleurs ne s’y réfère t’elle pas elle aussi, nommément, dans le livre que nous retenons ici La gloire et le jeu, des hommes et des chevaux (1766-1866), en 1991 ?
La lecture de la jaquette en quatrième de couverture, donne le ton : « À la fin de l’hiver 1766, devant la cour réunie, à la plaine des Sablon transformée en hippodrome, le duc de Brancas défie, par cheval interposé, un gentleman anglais. C’est le début des courses en France. Car le duc, bien que battu, ne renonce pas. Avec une poignée d’aristocrates fortunés qui partagent son goût du jeu et son amour de la gloire, il va se battre pour introduire en France des chevaux rigoureusement sélectionnés depuis des générations par les éleveurs anglais et que l’on appellera  » pur sang « Bientôt, à Vincennes comme à Fontainebleau, les privilégiés se pressent pour admirer des chevaux dont la généalogie est à l’image de ceux qui les élèvent et les possèdent […] ».
Nicole de Blomac est éleveuse de chevaux anglo-arabes pendant trente ans, mais surtout docteur en histoire, diplômée de l’École des hautes études en sciences sociales en 2002 (soit une fois les soixante–dix ans passés), où elle entre dans les années quatre-vingt, après avoir soutenu une thèse sur son sujet de prédilection: Le cheval, moyen et mode de vie. L’œuvre du marquis de Voyer, militaire, philosophe et entrepreneur (1722-1782). Deux ans plus tard, elle publie  chez Belin Voyer d’Argenson et le cheval des Lumières dont Daniel Roche, lui aussi récemment disparu, qui l’a accompagnée dans sa thèse, rédige cette fois la préface. L’historienne effectue  d’autres travaux de recherches et publie outre La gloire et le jeu,  avec Bernadette Barrière Cheval limousin, chevaux en Limousin, (Pulim, 2006), ouvrage collectif sur l’histoire de ce cheval de selle régional qu’elle affectionne.

La gloire et le jeu, des hommes et des chevaux, Nicole de Blomac Fayard, 1991

Autour de chez lui

Autour du turf. Hommes et chevaux du sud-ouest, Francis de Luze, Delmas, 1946

Régionalisme… Proximité… Ce sont les mots qui reviennent à l’esprit lorsque l’on a pour la première fois entre les mains ce petit livre intitulé Autour du turf. Hommes et chevaux du sud-ouest de Francis de Luze, (Delmas, 1946). Il n’a été tiré qu’à mille exemplaires, ce qui en fait une petite rareté parmi les ouvrages étudiés dans cette chronique. Moyennant quoi, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’auteur ne recherche un préfacier en phase avec son projet ; une personnalité du milieu et de la région, soit le Vicomte de Vaufreland (1874-1954), figure de l’anglomanie qui régnait en cette première moitié de siècle et qui présida, entre autres activités menées avec et autour du cheval, la Société béarnaise du demi-sang, comme nous l’apprend Xavier Bogon, historien du turf, hélas disparu trop tôt, en 2021, dans l’une de ses recherches sur les courses de Pau.
Élève de Saint-Cyr et officier de cavalerie, Vaufreland est également secrétaire de l’équipage du Pau Hunt, célèbre pour ses drags.
Doué également d’un joli coup de crayon, le Vicomte amuse au travers de quelques albums bien sentis; notamment celui intitulé « croquis de Saint Cyr » (Imprimerie Eyméoud, vers 1900) qui met en scène avec humour la vie des officiers de la célèbre école.
Toutefois c’est à Eugène Blocaille (1873-1961) que Francis de Luze confia la tâche d’illustrer son ouvrage que l’on qualifierait presque, à certains égards, d’intimiste, conformément au titre. L’artiste, cela se sent, sait de quoi il retourne au travers de nombreuses évocations du passé hippique de Pau, de tableaux de cross-country et de steeple-chases, de chasse au renard, etc… Blocaille est côté et nombre de ses œuvres sont visibles au Cercle anglais de Pau, une association, sorte de club privé bien « british », dont l’origine remonte à 1828 et qui détient et assure la conservation d’une collection d’objets d’arts, de tableaux, de meubles et de livres répertoriés à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques (ISMH).
Reste ici à se demander qui était l’auteur de cet ouvrage particulier ? Officier de cavalerie pendant la première guerre mondiale (d’où, peut-être, ses liens avec le Vicomte de Vaufreland ?), blessé et décoré pour faits d’armes Francis de Luze rejoint, selon le site internet du vignoble, « les affaires familiales en 1925 et s’attache non seulement au développement des affaires, mais aussi à celui des sports équestres. Il préside la société de courses de Bordeaux ainsi que la Fédération Française des Sports Equestres (Sud-Ouest) et siège au comité directeur de la Société hippique française (SHF). Remarquable financier, il pilote efficacement les différentes entreprises à travers les écueils de la Grande Dépression et de la seconde guerre mondiale. »
Conclusion ? Un passionné de cheval, attentif et avisé de la cause qu’elle soit hippique (courses) ou équestre (équitation), soucieux de la partager avec justesse et empathie pour son milieu, et sa région, afin de ménager et croire en son avenir.

Jean Stern, puisqu’il faut bien en nommer un

Le Livre d’Or du Turf, Collectif, Nouvelle Édition Française, 1932, préface de Jean Stern

Publié par la Nouvelle édition Française en 1932 – Paris est important et imposant, ne serait-ce que « physiquement »:  in-folio, XXVII-(2)-302 pp. La première édition fut tirée à 125 exemplaires,  tous numérotés. Les blasons (casaques) sont  coloriés au pochoir et une photo in-texte en noir illustre l’histoire de chaque écurie.
C’est un remarquable ouvrage où le collectif qui l’a entrepris –et on aimerait savoir qui le dirigeait si ce n’était, on se le demande, justement le préfacier Jean Stern lui-même- propose, avec justesse, les portraits des grandes casaques de l’époque. Une soixantaine au total. Parmi ces « grandes maisons », deux au moins subsistent encore ; que dit-on ! Se distinguent encore, preuve pour le moins de passion et de « savoir-faire » : la bleue, toque jaune, du Baron Édouard de Rothshild, petit fils et Président actuel de France Galop, de celui au prénom éponyme et celle bleue et blanche des Frères Wertheimer (voir ci-contre).
Jean Stern (1874-1962), banquier de son état, était un Monsieur. Tout d’abord un grand sportif. Fine lame (épée), il remporte une médaille d’or en escrime par équipes aux J.O de Londres, en 1908, à trente quatre ans. On ne s’étonnera donc pas (merci Wikipédia) qu’il affronte, quatre ans plus tôt, en duel, le 18 janvier 1904, Robert de Montesquiou, pour laver l’affront d’un article de celui-ci, mettant en cause sa mère. Un simple entraînement !
Mais c’est d’abord un cavalier accompli qui fera son service militaire dans la cavalerie et qui officiera comme capitaine dans cette arme pendant la grande guerre. C’est Henry Thétard (encore lui !) qui nous le rappelle dans un sérieux article de trois pages, publié dans la Revue des Deux Mondes (1829-1971) le 15 Juillet 1961 (p. 327-329) après la victoire de Cousin Pons à Auteuil, soit un bel hommage à l’homme de cheval. « À la fin du dernier siècle, jeune sous-lieutenant de chasseurs à cheval, il montait lui- même ses chevaux à Auteuil, rivalisant avec son cousin Michel Stern, l’as des gentlemen riders qui devait se tuer en course. En même temps, il déclara sa casaque, blanche étoilée de bleu ciel, alors que celle de Michel Stern était semée d’étoiles rouges […] ».
Cavalier, gentleman-rider et bientôt propriétaire-éleveur de chevaux au haras de Saint-Pair-du-Mont, au lieu-dit du Cadran près de Cambremer dans le Calvados, ce qui le conduit à présider plusieurs sociétés de courses de chevaux, notamment celle de Chantilly. Il est par ailleurs bouton de l’équipage Par Monts et Vallons, au comte de Valon.
En tant que propriétaire, Jean Stern remporte quatre fois le prestigieux Grand Steeple Chase de Paris :   En 1905,  avec Canar,  puis par deux fois consécutivement (1946 et 1947) avec  Lindor, enfin en 1961 avec Cousin Pons monté par le crack jockey Jean Daumas qui collectionna dans sa carrière le record de cinq victoires dans cette épreuve mythique, dont trois de rang avec la jument Hyeres III. Inégalé.
En plat, aussi, Jean Stern impose sa production.
Henry Thétard dans la chronique de juillet évoquée, note les succès de celui qui deviendra l’un des étalons les plus recommandés du siècle :Sicambre : « […] s’est montré le meilleur « trois ans »de sa génération, gagnant toutes les courses qu’il a disputées depuis le début de la saison : Prix de Guiché, Prix Greffulhe, Prix Hocquart, Prix du Jockey-Club et enfin ce Grand Prix de Longchamp qui crée tant de millionnaires par la grâce du Sweepstake. Peu de chevaux ont mieux fait dans les annales du sport où le nom de Sicambre sera désormais inséparable de celui de M. Jean Stern qui doit en être particulièrement heureux ».
Mais on ne saurait terminer ce portrait sans évoquer, pour conclure, l’écrivain. Passionné par Balzac, il écrit, sous le pseudonyme de Maurice Serval une bonne demi douzaine d’ouvrages tournant autour de son œuvre. Membre de la Société d’histoire littéraire de la France. Il se voit décerner, en 1931, le prix Charles-Blanc n 1931 pour un ouvrage qu’il signe chez Plon en 1930, de son vrai patronyme : « À l’ombre de Sophie Arnould François-Joseph Belanger Architecte des Menus Plaisirs, Premier Architecte du Comte d’Artois. » Le texte est illustré par 61 gravures de plantes de jardins, de façades et de décorations d’intérieurs de palais, mais pas que ! Le titre mentionne-t-il pas sa charge d’architecte des menus-plaisirs qui le lie à l’univers du Versailles de l’époque de Marie-Antoinette, comme responsable du cadre de fêtes et cérémonies de la cour ? Où il serait question donc de sa relation amoureuse avec la célèbre chanteuse Sophie Arnould…
Et le cheval alors ?
On repassera par la case Henri Thétard, toujours dans cet article de La Revue des deux Mondes pour évoquer, sous sa signature, cet ouvrage difficile à trouver dans sa livrée originale Les courses de Chantilly sous la Monarchie de Juillet (1913) : « […] L’érudit historien du turf, qui a écrit un ouvrage sur les Courses de Chantilly sous la monarchie de Juillet et prépare actuellement un livre sur Lord Seymour […].» Qui ne paraitra jamais. C’était dix huit mois avant son décès.

 

Xavier Libbrecht

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