Le trésor équestre du palais du Quirinal qui fascina la reine d’Angleterre

La bibliothèque du Quirinal abrite l’une des plus riches collections de livres sur l’équitation et les chevaux en Italie. Héritage de la période savoyarde, il témoigne du lien historique profond entre l’édifice qui est le siège de la Présidence de la République et la « civilisation du cheval », qui a caractérisé la culture européenne pendant des siècles.

Des témoins racontent que, lorsqu’elle a été reçue au Quirinal par le président Napolitano, lors de sa visite d’État en Italie en 2014, la reine Elizabeth a affiché un air courtois mais vaguement ennuyé. Il semble qu’un éclair d’intérêt, sinon un véritable enthousiasme, n’ait enflammé ses yeux que lorsque la directrice de la Bibliothèque du Quirinal, Lucrezia Ruggi d’Aragona, lui a montré quelques volumes anciens. La passion viscérale de la monarque anglaise pour les chevaux était universellement connue. En revanche, on sait moins que le palais du Quirinal détient, ce qui est probablement, la plus grande collection de livres équestres d’Italie. Ce sont précisément certains ouvrages les plus précieux de cette collection qui ont suscité l’intérêt d’Elizabeth II, abandonnant le protocole, a admiré leurs belles illustrations et s’est enquise de leur provenance.

Cette collection unique de volumes, qui comprend près de cinq cents ouvrages consacrés à l’équitation et à la médecine vétérinaire, est un héritage de la période savoyarde. Raoul Antonelli, qui leur a consacré un beau catalogue raisonné (consultable sur le site du Quirinal), estime que les œuvres ont été rassemblées dans la période allant de 1770 jusqu’à la fin du XIXe siècle. Superviser l’ensemble des écuries royales incombait au Grand Écuyer du Roi, personnage clé de la cour savoyarde, avec le Ministre de la Maison Royale, le Premier Aide de Camp du Roi, le Préfet du Palais et du Maître des chasses. Outre l’intendance des écuries royales proprement dites, le Grand Écuyer se voyait également confier la politique d’élevage équine du Royaume. Tous les haras et dépôt d’étalons du Royaume étaient sous son contrôle (à Chivasso, Venaria Reale, Annecy, Paulilatino et, après 1860, également à San Rossore, Monterotondo, Persano). De plus, en 1769, une école vétérinaire avait été créée à côté des fermes à la Venaria Reale, la première d’Italie et la deuxième d’Europe, après celle de Lyon.

Selon Antonelli, la collection de livres sur des sujets équestres aurait été constituée aux écuries royales, à l’école vétérinaire et à l’école d’équitation militaire, également basée à la Venaria Reale, avant que la collection soit transférée au Quirinal. Comme en témoignent de nombreuses dédicaces, manuscrites ou imprimées, présentes sur les volumes de la collection, une partie de ces livres a appartenu à Emilio Sailer, inspecteur de l’école d’équitation militaire, qui devint plus tard Premier Cavalier de Vittorio Emanuele II et, au lendemain de l’unification de l’Italie, directeur des courses royales de San Rossore.

La collection comprend une grande partie de ce qui a été écrit et publié en Europe entre le XVIe et le XIXe siècle au sujet des chevaux en italien, mais aussi en français et en allemand. Un véritable trésor caché, qui va du Ordini di cavalcare de Federico Grisone, le premier traité d’équitation publié sous forme imprimée, au milieu du XVI e siècle, jusqu’à l’édition de 1940 de l’ Annuario ufficiale delle corse ad ostacoli e corse piane per cavalli da caccia. On y trouve quelques-uns des plus beaux livres de l’histoire des traités équestres, comme le Cavallo frenato, magnifique répertoire d’embouchure de la Renaissance de Pirro Antonio Ferraro, publié à titre posthume en 1602, puis réédité en 1620 (il s’agit de l’édition détenue par le Quirinal ), ou la Scuola equestre (1805) de Federico Mazzuchelli, illustrée par les splendides tableaux représentant les exercices d’équitation créés, par l’atelier des frères Bordiga, d’après des dessins de Basilio Lasinio.

Avec l’avènement de la République, la collection de livres du Quirinal attira l’attention du deuxième président, Luigi Einaudi, qui fut le premier à résider au Palais. Bibliophile et passionné (il fut, entre autres, le fondateur de la maison d’édition du même nom), Einaudi s’intéressa à la bibliothèque, s’occupant lui-même de son aménagement initial. On en trouve des traces dans une curieuse correspondance avec le philosophe et historien Benedetto Croce, auquel le président Einaudi s’adressa, avec une lettre de sa propre main datée du 1 er février 1951, car un libraire antiquaire lui avait proposé d’enrichir sa collection de livres dédiés « aux chevaux, cavaliers, etc. etc. » avec un « exemplaire avec une superbe reliure napolitaine » de Giuseppe D’Alessandro, duc de Pescolanciano, publié en 1723. À Croce, grand érudit de l’histoire du royaume de Naples, le président demanda si l’auteur du livre était connu, et si, en substance, cela valait la peine d’être acheté. Le même jour, Croce lui répondit ainsi :
« Mon cher Einaudi,
La noblesse napolitaine était célèbre en Europe pour son amour des chevaux. Vasari en parle dans s es Vies des meilleurs peintres,… , mieux, si je me souviens bien, il y a une allusion satirique de Shakespeare, dans le Marchand de Venise. Il n’est donc pas étonnant que de nombreux livres sur l’art de l’équitation soient sortis pendant cette période. L’une des plus connues est celle du duc de Pescolanciano dont j’ai trouvé la citation de la première édition en 1711 et la seconde, celle que vous connaissez, en 1723. Je l’ai vu plusieurs fois chez des libraires et si je ne l’ai pas achetée, c’est que cet art est trop éloigné de mes habitudes. Le livre vaut certainement plus qu’une simple curiosité, pour toutes ses gravures. D’Alessandro a également composé des vers et nous avons une Selva poetica imprimée par lui en 1713 et une Arpa morale imprimée en 1714.
Salutations amicales,
Croce »

Le livre est en fait l’un des plus beaux, du moins d’un point de vue éditorial, parmi ceux publiés en Italie sur des sujets équestres et contient une galerie vraiment splendide de portraits des « plus beaux écuyers du royaume de Naples ». Einaudi suivit les conseils de Croce et acheta le volume, qui figure d’ailleurs dans le catalogue de la Bibliothèque.

En 2008, c’est le président Giorgio Napolitano qui a promu la réorganisation de la Bibliothèque du Quirinale, qui, en plus des collections historiques, dispose d’un important fonds d’études juridiques et de droit constitutionnel, pour soutenir l’activité institutionnelle liée à l’exercice des fonctions présidentielles. Le nouveau siège a été inauguré en novembre 2010, dans les salles adjacentes à l’escalier Mascarino (celui qui mène au Studio alla Vetrata, où le président de la République procède à des consultations pour la formation des gouvernements). La Bibliothèque est ouverte aux universitaires qui en font la demande (informations).

La collection de livres de la Bibliothèque consacrée à l’équitation et à la médecine vétérinaire n’est d’ailleurs qu’un des nombreux signes de la « civilisation du cheval » dont le Palais du Quirinal garde la mémoire. À commencer par le nom de la place devant le bâtiment qui, à partir du XVIe siècle, s’appelait la Piazza di Monte Cavallo. En effet, par la volonté du pape Sixte V, en 1585, deux statues colossales, représentant les Dioscures tenant les brides de chevaux piaffant, furent placées au centre de la place et une fontaine fut construite à leurs pieds. Les statues, datant du IIIe siècle de notre ère, provenaient des anciens thermes de Constantin. Leur emplacement fut ensuite modifié en 1786, tandis que la fontaine fut modifiée en 1818, pour prendre l’aspect qu’elle a encore aujourd’hui. Par extension, le même Palais a été connue pendant des siècles sous le nom de Palazzo di Monte Cavallo. De l’autre côté de la place, se trouvent les écuries monumentales du XVIIIe siècle, qui abritent aujourd’hui des expositions d’art, tandis qu’à l’intérieur du palais, en plus d’une dizaine des plus beaux carrosses de la Maison de Savoie (véritables œuvres d’art sur roues), de précieux harnachements sont également conservés dans le Cabinet dit Historique : comme les harnais du carrosse utilisé par Napoléon à l’occasion de son sacre en tant que roi d’Italie le 26 mai 1805, le harnachement du cheval du vice-roi d’Italie Eugène de Beauharnais et de splendides cadeaux de sultans arabes et de rois d’Afrique du Nord. Enfin, il ne faut pas oublier que le Régiment des Corazzieri, garde d’honneur du Président de la République, est le corps d’élite des carabiniers à cheval. Une raison de plus pour visiter ce splendide palais, siège de la plus haute institution étatique, riche de trésors artistiques et de témoignages historiques.

Article paru initialement 25 janvier 2022 sur le site de La Repubblica

En savoir plus :

– L’ article original
– Le catalogue raisonné établi par Raoul Antonelli
– Le détails des titres (en cours, inventaire partiel)

 

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