Le doux rêve de Louis de Pas

Au début des années soixante, il fallait être un sacré visionnaire pour imaginer lancer un élevage de shetland dans une vallée humide de la Normandie où seules les vaches et les moutons pâturaient dans des prés gras. Le cheval de trait y avait progressivement disparu après la guerre, et l’idée d’y mettre des poneys ne convainquaient absolument personne.
Malgré des premières réticences marquées, Louis de Pas (1928-1988) s’est accroché à cette intuition qui révolutionné le monde de l’équitation en France. Il raconte:  « Le directeur du Crédit Agricole ouvre de grands yeux ; il est bougrement sceptique, téléphone aux Haras pour demander leur avis. Rien à faire, on ne fait pas d’équitation sur shetland, c’est l’âne du riche, à laisser dans le fond d’un parc ! « Désolé, vous avez entendu vous-même la réponse, c’est non ». Premier refus des financiers, mon idée est-elle donc si idiote? Les beaux-parents s’emballent, crient au fou, je vais finir de me ruiner. Bien, aucune aide possible de ce côté-là non plus. Que faire? Une ponette pleine coûte environ le prix de deux belles vaches en pleine production. Faut-il vendre quelques laitières en fin de lactation en choisissant les moins bonnes ? J’hésite. Gisèle est la seule à comprendre. L’idée d’avoir des poneys pour les enfants la ravit, elle me fait confiance, et me pousse à réaliser mon projet. »

Son idée avait germé à Paris. L’agriculteur et père de famille nombreuse, était venu concourir avec ses moutons au salon de l’agriculture, lorsqu’il a eu un déclic : « En me traînant moi aussi à travers les stands, je découvre tout à fait par hasard quelques exposants de poneys shetland entre les mulets, les ânes et les chevaux. Depuis longtemps, je rêvais d’avoir un cheval. J’étais tellement monté au Campreux que cela me manquait et tout d’un coup je me dis que, faute de monter moi-même, je pourrai faire monter mes aînés. Renseignements pris il fallait prendre son tour sur une liste d’attente comme pour les “2 CV” et je pourrai avoir un couple de poulains dans quatre ans.
Aux pavillons étrangers, je tombe sur quatre belles juments shetland, bien en vue au stand de la Hollande. Le représentant du Stud Book m’invite à venir dans son pays, il me propose de me piloter à travers les fermes et se fait fort de pouvoir me trouver tout ce que je désire, à condition d’y mettre le prix car la demande est grande. Tout en m’occupant de la vente de mes moutons, je retourne toutes ces idées dans ma tête. Ça chauffe! Que faire? Je ne vais tout de même pas attendre quatre ans! Mes enfants seront trop grands, et puis s’il y a tant de demandes, peut-être y a-t-il un marché à créer? Au lieu d’en acheter deux pourquoi est-ce que Je ne monterais pas carrément un petit élevage? Cinq ou six juments et un étalon par exemple? Cela ne changerait rien à l’organisation actuelle de ma ferme. »

Louis de Pas - portrait
Louis de Pas – portrait

De là à transformer cette expérience familiale en club ouvert à tous, il n’y a qu’un pas que ce pionnier n’hésite pas à franchir. Sa biographie, sortie récemment d’après ses notes posthumes, est un vibrant témoignage d’un jeune agriculteur qui a vu partir les chevaux du quotidien des hommes de ferme et s’est chargé finalement d’en remettre dans le cœur des enfants.

Récit réjouissant, malgré les multiples déboires et leçons cruelles de la vie, il hume bon la terre et la joie du partage. Louis de Pas, ce doux rêveur, a réussi à faire que cette belle utopie devenue réalité, engendre un mouvement qui ne s’est pas arrêté. Sa ferme équestre de Bois-Guilbert est toujours en activité depuis son ouverture en 1965.  On y prône toujours une pédagogie adaptée où la mise en confiance se gagne rapidement grâce à des jeux et des animations, laissant à l’enfant le pouvoir de rêver tout haut grâce aux liens qu’il tisse avec l’animal. Le mantra “ Va, Galope et jette tes soucis aux étoiles !” de la ferme se double d’une découverte toujours salutaire de la nature pour les petits citadins.
« Pour nous, pas de doute, c’est l’équitation à poney. Recevoir les enfants des autres, ici, dans la maison, dans la ferme, leur offrir en y mettant tout notre cœur, toute notre âme, la même vie qu’à nos propres enfants. Non pas la promenade en petit train ou à poney comme à Los Angeles ou Disneyland où l’enfant est le consommateur, considéré comme source de revenus par tous les moyens commerciaux possibles, mais en lui permettant de posséder pendant quinze jours un poney bien à lui, qui devient son ami, son confident, son maître écologique. »
Cette philosophie est toujours de mise.

 

 

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