
La gloria del cavallo par Pasquale Caracciolo
Une encyclopédie du cheval ante litteram
Le dictionnaire de la langue française Larousse définit le mot-clé « encyclopédie » comme « un ouvrage où l’on expose alphabétiquement l’ensemble des connaissances universelles ou spécifiques à un domaine du savoir ». Le mot « encyclopédie » nous renvoie immédiatement à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, publiée à Paris de 1751 à 1772, et c’est à partir de cette date que le mot est utilisé dans le sens que nous lui connaissons. Une date historique dans la diffusion de la culture, fruit de la pensée des Lumières de l’époque.
De l’Antiquité (pensons à Aristote) au Moyen Âge (par exemple les œuvres d’Isidore de Séville), puis à la Renaissance, le mot englobe tous les savoirs.
C’est au début du XVIIᵉ siècle, avec Francis Bacon, qu’apparaît l’encyclopédie au sens moderne du terme. La première encyclopédie moderne en Italie a été rédigée par Marco Coronelli (1650-1718) et a commencé à être publiée à partir de 1702. Jusqu’à 45 volumes étaient prévus. La Cyclopaedia de l’écrivain anglais Ephraim Chambers, qui a donné naissance à la célèbre Encyclopédie française, a connu un grand succès.
C’est Diderot qui a imposé le classement des articles par ordre alphabétique et mis de l’ordre dans les différentes matières. D’un ouvrage qui rassemblait toutes les connaissances en une seule publication, on est passé, au fil du temps et surtout au siècle dernier, à différentes encyclopédies : cuisine, fleurs, animaux, chiens, chats, chevaux…
Si nous portons notre attention sur la littérature équestre, nous découvrons que, dès la seconde moitié du XVIᵉ siècle, un ouvrage complexe consacré au cheval a été publié, différent des livres écrits dans le passé, qui se limitaient uniquement aux maladies et à leur traitement ou, toujours à partir de la seconde moitié du XVIᵉ siècle, à l’entraînement dans un sens très large. C’est au Napolitain Pasquale Caracciolo que revient le mérite de cet ouvrage, que l’on peut qualifier d’« encyclopédie ».
Pasquale Caracciolo, contemporain de Federico Grisone et de Giovan Battista Pignatelli, né dans une noble famille napolitaine de grande tradition équestre, a pratiqué l’art de l’équitation toute sa vie, dès son plus jeune âge comme cavalier, puis comme maître dans les Académies de Naples, et, suivant la tradition familiale, comme éleveur produisant des sujets de grande classe.
En plus d’être une sommité dans l’art équestre, il était un homme de grande culture : il connaissait les classiques latins et lisait leurs œuvres dans la langue originale. L’étude de la littérature devait faire partie de la vie d’un chevalier. À cet égard, il écrivait : « [... je souhaite qu’à l’exercice des armes j’aie toujours joint celui des lettres, me persuadant fermement que ce sont là les deux ailes avec lesquelles le cheval ailé peut porter le cavalier dans les airs partout où brille le soleil et le conduire dignement au mérite immortel de la gloire équestre. »
Tous ses contemporains et les spécialistes de l’équitation se souviennent de Pasquale Caracciolo non seulement pour ses qualités équestres exceptionnelles, mais aussi en tant qu’écrivain, pour son œuvre, une véritable encyclopédie du cheval, ante litteram.
La gloria del cavallo. Opera dell’illustre S. Pasqual Caracciolo divisa in dieci libri: Nei quali oltra gli ordini pertinenti alla Cavalleria, si descrivono tutti i particolari, che son necessari all’allevare, custodire, maneggiare e curare cavalli; accomodandovi esempi tratti da tutte l’historie antiche e moderne, con industria e giudicio degnissimo d’essere avvertito da ogni Cavalliero. Con due tavole copiosissime, l’una delle cose notabili, l’altra delle cose medicinali. (La Gloire du Cheval. Un ouvrage de l’illustre S. Pasqual Caracciolo, divisé en dix livres : dans lequel, outre les ordres relatifs à la chevalerie, sont décrits tous les détails nécessaires pour élever, garder, manipuler et soigner les chevaux; avec des exemples tirés de toutes les histoires anciennes et modernes, avec une industrie et un jugement dignes d’être notés par tous les cavaliers. Avec deux planches copieuses, l’une des choses notables, l’autre des choses médicinales.)
Un livre aux nombreuses éditions mais jamais traduit
Le livre dédié à Giovambattista et Francesco, « ses fils bien-aimés », a été publié par l’un des libraires et imprimeurs les plus célèbres du XVIe siècle : Gabriel Giolito de’ Ferrari, un nom historique de l’édition, non seulement en Italie. Sa famille a exercé cette activité sans interruption de 1483 à 1606, d’abord au Piémont, à Trino Vercellese, lieu d’origine de la famille, puis elle s’est développée grâce au mérite et à l’habileté d’un descendant, Giovanni Gabriele, dit Gabriel, qui a dominé une grande partie du XVIe siècle après avoir transféré son atelier à Venise, connu sous le nom de « Libreria della Fenice », donnant ensuite naissance à d’autres succursales, principalement à Naples, Bologne et Ferrare. Venise, après l’invention de l’imprimerie, est devenue l’un des centres les plus actifs de l’édition.
Il n’existe pas de traduction connue de cette œuvre, malgré sa notoriété en Italie, comme en témoignent les différentes éditions :
* Venise, Gabriel Giolito de’ Ferrari : 1567, 1585, 1586, 1587, 1589 (avec l’ajout de l’œuvre de Gio. Antonio Cito)
* Venise, Bernardo Giunti, Gio. Battista Ciotti & Compagni : 1608
En 1589, Gabriele de’ Giolito ajouta à l’édition déjà substantielle de Caracciolo — qui en était alors à sa septième réimpression — un court ouvrage de 36 pages : Del conoscere le infirmità che avvengono al cavallo et al bue, co’ rimedii a ciascheduna di esse (De la connaissance des maladies qui surviennent chez le cheval et le bœuf, avec les remèdes pour chacune d’elles.) par Gio. Antonio Cito de Naples. Trois livres, consacré aux maladies du cheval et du bœuf, avec les traitements et remèdes correspondants, selon la tradition classique de l’époque, héritée des auteurs antiques et médiévaux.
Ce thème avait déjà été traité par Caracciolo lui-même dans les derniers livres de son œuvre, consacrés au soin du cheval, à la prévention des maladies, au pansage, et traitant ensuite en détail des mali intrinsechi ed estrinseci, fournissant des recettes d’onguents pour soigner une longue série de maux. Ces recettes étaient tirées des œuvres des « classiques » de la science vétérinaire, tels que Pline, Végèce, Ruffo, Rusio, Crescentius, Apsyrtus, Pelagonius, Columbre, etc. Des remèdes qui aujourd’hui nous font parfois sourire… ou frémir.
Les jugements des spécialistes de l’histoire vétérinaire, même dans les siècles suivants, ne furent guère flatteurs à l’égard du livre de Giovan Antonio Cito, qui se basait sur des textes déjà connus et n’a certainement pas contribué à accroître la notoriété de La Gloria del Cavallo. Le comte Francesco Bonsi (1722–1803), érudit du XVIIIe siècle et autorité reconnue en la matière, auteur d’un traité fondamental sur l’histoire de la médecine vétérinaire, écrivait que « l’on pouvait impunément laisser l’œuvre de Cito dans l’oubli ». Le français Louis Vitet (1736–1809), autre sommité de l’histoire vétérinaire, partageait cet avis et qualifiait l’ouvrage de « mauvais ». Aujourd’hui, étudié de manière critique, ce texte doit être considéré comme un témoignage de la science vétérinaire du XVIe siècle, encore largement influencée par la tradition classique, notamment grecque et médiévale, en matière de soins aux animaux, et au cheval en particulier. L’ouvrage de Caracciolo, dans son édition de 1567, comprenait 969 pages, précédées de 9 pages d’introduction et de 7 pages contenant des poèmes, sonnets et pièces louant l’auteur, écrits en italien et en latin. Ces textes, de peu ou pas de valeur littéraire, sont signés par des auteurs aujourd’hui anonymes, mais qui étaient sans doute bien connus de Caracciolo à l’époque.
Le cheval en Majuscule
Viennent ensuite 25 pages non numérotées, contenant deux tables : un index méticuleux des « choses médicinales » et des « choses les plus notables ». Enfin, six feuilles sont réservées au résumé des dix livres. La numérotation des pages, de 1 à 969, commence avec le livre premier. Chaque page, d’une hauteur de 21 cm, contient 38 lignes.
Toute la page a été utilisée au maximum, sans gaspillage. Il n’y a ni « titres », ni subdivisions en paragraphes. Le corps utilisé est très petit. Ces caractéristiques rendent la lecture plus fatigante, surtout pour un lecteur peu habitué aux œuvres du XVIe siècle.
Il y a très peu de fautes de frappe, témoignage de la compétence et du professionnalisme de l’imprimeur. L’œuvre est écrite en italien et non en latin, la langue savante du XVIe siècle. À cette époque, l’italien a supplanté le latin. Tous les classiques de la littérature sont rédigés en langue vernaculaire, y compris ceux de la littérature équestre : les écrits de Federico Grisone, Cesare Fiaschi, Claudio Corte, Pirro Ferraro... Cela contraste avec les œuvres du siècle précédent, comme celles de Leon Battista Alberti et de Pie II, encore écrites en latin. Les traités destinés à un domaine spécifique et à un public restreint, comme les traités « scientifiques », restaient encore ancrés dans cette tradition latine. Caracciolo s’excuse presque d’avoir utilisé la langue vernaculaire. Il écrit à ce propos :
« [...] il me sera facile de m’excuser qu’en me servant de cette langue, qui est principalement utilisée dans toute l’Italie, et de ces voix mêmes qui sont utilisées par la majorité de ceux qui pratiquent les arts, sur lesquels je suis venu traiter et raisonner, je me suis efforcé de rendre la substance des choses si ouverte et si claire, que tout le monde, avec peu ou pas d’ennui, pourrait la comprendre [...] »
Dans sa longue introduction à l’ouvrage, Pasquale Caracciolo explique les motivations qui l’ont poussé à écrire son œuvre. Il s’est donné pour tâche de noter « tout ce que les écrivains anciens et modernes ont trouvé appartenir au Chevalier, ainsi qu’au Cheval, me poussant à le faire à cause d’une certaine affection incroyable que j’ai eue pour un si noble animal depuis ma naissance, et des obligations admirables que je sens avoir pour de nombreux services que j’ai reçus de lui dans de grands accidents. »
Et ayant ainsi abordé ce sujet, rassemblant sans ordre d’innombrables éléments pour son utilité et son plaisir, il lui a semblé raisonnable de les organiser et de donner une forme à cette matière confuse, afin que d’autres puissent l’exploiter plus commodément.
Toujours dans la présentation du livre, l’auteur rappelle que, pour pouvoir s’appliquer pleinement à ce gigantesque travail de recherche, il a dû s’éloigner « des clameurs harassantes de la ville, dans certaines des Castella paternelles de l’ancienne Lucanie ». Un détail qui peut passer inaperçu : le mot « cheval » est écrit en majuscules tout au long de l’ouvrage. Cela témoigne de l’attention particulière portée à cet animal, auquel il a consacré toute sa vie. Dans la rédaction complexe de l’ouvrage, Caracciolo indique qu’il a été assisté par « l’excellent philosophe et médecin, Monsieur Decio Bello, un homme de la campagne et d’une vertu distinguée... ».
L’intention de Caracciolo était d’être utile à ceux qui souhaitaient approfondir leurs études sur les chevaux. Il estime que « qu’en y mettant les ordres les plus importants, les plus acceptés et les opinions les plus approuvées, j’ai ouvert la voie à ceux qui souhaitent la diffuser plus largement ». De plus, il observe que si d’autres ont écrit sur les Souris et les Grenouilles, sur l’Abeille et le Moustique, sur le Rossignol et la Puce, ou encore sur la Mouche, et que d'autres auteurs (tous très sérieux) ont traité de sujets tout aussi insignifiants, alors il ne devrait pas être blâmé d’avoir consacré tant de pages à la Gloire du Cheval, animal noble et digne d’honneur, celui qui, après l’homme, mérite de tenir le premier rang.
L’œuvre de Caracciolo, comme il l’avoue lui-même, était à l’origine destinée à un petit cercle de parents et d’amis : « Mon intention était que ces travaux ne soient jamais divulgués... Je n’ai jamais eu l’intention ni le dessein de mériter des louanges avec ma plume; j’ai donc voulu ne pas recevoir de blâme, préférant que les écrits de personne ne soient jamais publiés, afin qu’ils ne deviennent pas la cible des calomnies de ceux qui, par envie ou par malveillance, s’emploient à chercher (comme on dit) le cheveu dans l’œuf. »
Le livre, ou du moins le manuscrit, n’a été produit qu’en quelques exemplaires, « qui sont passés entre les mains de personnes si proches et familières qu’il n’était pas licite de les leur refuser. Et, réalisant que certains d’entre eux étaient sortis du Royaume et risquaient d’être imprimés à mon insu, avec de grandes différences par rapport à mon original, dans lequel je modifiais, supprimais ou ajoutais des choses chaque jour, j’ai été contraint d’en tirer une meilleure copie. » Il compare cette publication à un cheval qui doit sortir de l’écurie, toujours bien « garni et paré ».
Inventaire des races de l'époque
Aujourd’hui encore, l’érudit comme le simple amateur de races équines doit se référer à cet ouvrage. Dans le quatrième livre, Caracciolo passe en revue les différentes races de chevaux, plus ou moins connues, italiennes et étrangères. Certaines sont aujourd’hui éteintes, d’autres existent encore, bien qu’elles aient évolué — ou régressé, selon les cas. La liste des éleveurs est très longue, surtout parmi les Italiens, entendus ici comme les habitants des divers royaumes composant la péninsule italienne, et non comme les citoyens d’un État unifié. En évoquant les chevaux français, il note : « Les chevaux de France, proches par nature des chevaux allemands, sont toutefois bien meilleurs en selle. » Il cite ensuite plusieurs auteurs ayant écrit sur cette race : Apulée fait l’éloge des chevaux gallicans pour leur dignité; Poliziano confirme la qualité des chevaux d’au-delà des Alpes; Laurent le Magnifique les juge aptes à la guerre et les appelle destriers martiaux. Un long développement est ensuite consacré aux races italiennes. Il commence ainsi : « J’en viens maintenant à la belle Italie, à laquelle toutes les grâces ont été accordées par la bienveillante nature... On peut affirmer que les chevaux italiens sont de loin supérieurs à ceux de toutes les autres parties du monde. » Et il en donne la raison : l’Italie, convoitée pour sa richesse, a été soumise à de nombreuses guerres et gouvernée de diverses manières selon les caprices de la Fortune. Cela a entraîné une grande diversité de chevaux, enrichie par les croisements, les conditions climatiques, la qualité de l’air, la nature des lieux, et surtout le savoir-faire des excellents cavaliers. Ces conditions ont permis la formation de races aux tempéraments équilibrés, à la morphologie robuste, à la beauté noble et à l’aptitude remarquable. Parmi ces races, celle du Royaume de Naples est la plus estimée.
Il écrit :« Le royaume de Naples est florissant dans toutes ses parties, si bien que l’on peut conclure qu’il occupe le premier rang de gloire. »
Un témoignage prestigieux vient confirmer cela : l’empereur Charles Quint, ayant une excellente connaissance et pratique de toutes les races et de tous les arts de la chevalerie, choisissait toujours les chevaux napolitains pour son service et son plaisir. Après avoir fait l’éloge des Napolitains, Caracciolo reconnaît cependant que d’autres régions d’Italie produisent également des chevaux remarquables par leur courage, leur agilité et leur vivacité. Il cite les chevaux toscans de Rieti, dans la campagne romaine, appelés Rosceani en raison de la rosée qui humidifie leurs pâturages. Il évoque aussi les nobles races d’Urbino, Florence, Mantoue et Parme — en particulier celle des seigneurs Gonzague, issue d’un croisement avec des chevaux barbares sélectionnés, et celle des Farnèse, dont est né le célèbre Leardo, surnommé Saltamuro, très apprécié du marquis de Vasto.
Caracciolo revient ensuite sur les chevaux napolitains et les races du Sud, affirmant : « S’il existe peu de chevaux réunissant toutes les qualités nécessaires à toutes les disciplines, seuls les Napolitains méritent véritablement un tel éloge. Ils excellent au pas, à la promenade, au trot, au galop, à la voltige, à la chasse... Ils sont de belle taille, d’une grande beauté, d’un courage ardent, d’une force admirable, d’une vivacité d’esprit exceptionnelle, d’une stabilité mentale remarquable, d’une bouche souple, d’une obéissance incroyable à la bride. Si dociles et adroits qu’ils semblent presque danser. On retrouve en eux ce que les anciens disaient, peut-être à peine croyable, des Sybarites de Calabre. » Après cet éloge, l’auteur consacre plusieurs pages à dresser la liste des éleveurs de cette race, parmi lesquels de nombreux nobles, aristocrates et religieux originaires de Campanie, des Pouilles, de la Basilicate, de la Calabre et de la Sicile. Il n’oublie pas non plus les chevaux élevés en Sicile. Il écrit : « Il n’est pas de race qui n’ait quelque lien avec les chevaux siciliens, dont la vitesse n’est égalée que par celle des Parthes et des Arméniens. »C’est de cette île que provenaient les meilleurs chevaux présentés aux Jeux olympiques. Leurs qualités étaient reconnues bien au-delà de ses frontières, jusqu’aux oracles. En effet, « on lit encore qu’après avoir échoué avec les races de Cappadoce, celles-ci furent améliorées par le conseil de l’oracle de Delphes, grâce aux chevaux d’Agrigente, et en devinrent bien meilleures. »
Le long cinquième livre est consacré à l’entraînement du cheval. Il y affirme : « Outre l’art, l’imitation et l’exercice sont nécessaires — et surtout le désir d’atteindre l’excellence. Ces qualités sont si puissantes dans chaque profession, que nul ne doit douter de lui-même. S’il renonce aux jeux vains et aux ténèbres ennemies de la vertu, il doit, avec plus d’ardeur encore, s’efforcer de parvenir à la perfection. »
Mario Gennero
Rome. École du sport. 21 mai 2025