F. H. Huth, le bibliomane cosmopolite

L’anglais Frederick Henry Huth (1844-1918) est l’auteur de deux ouvrages bibliographiques équestres reconnus : le premier, dédicacé au duc de Cambridge, est sorti en 1887; il s’agit du Works on horses and equitation (London, Bernard Quaritch). Le second Works on horsemanship and swordsmanship in the library of F.H. Huth (Bath, Charles Seers) est paru trois ans plus tard.

En bibliophile éclairé, il a pu sélectionner autant de titres des quatre coins du globe que possible, incluant dans sa recherche non seulement des livres imprimés, mais également des manuscrits perses ou arabes, des tablettes en grec ou quelques incunables. Comme le général Mennessier de la Lance (1864-1924) et d’autres auteurs de bibliographies, il était conscient de la difficulté de la tâche, comme il le mentionne dans la préface de son premier titre. Il y précise toutefois que son intention de départ était de réaliser un inventaire à titre personnel et n’était pas destiné à être publié : « Il y a quelques années, alors que j’étais un collectionneur de livres rares et curieux sur le cheval, j’ai été amené à établir, pour ma propre satisfaction et mon propre usage, un catalogue contenant des informations bibliographiques très complètes sur les travaux sur ce sujet en ma possession. Il m’a ensuite été suggéré d’étendre la portée de mon catalogue et de constituer un index sur la bibliographie du cheval. En agissant de la sorte, j’ai été multiplié par des recherches longues et pénibles, le nombre de livres a été multiplié par dix et, au fur et à mesure que l’ouvrage s’est développé, j’ai effacé toutes les remarques superflues; des détails qui, bien que intéressants pour moi, n’auraient pas compensé l’augmentation du volume de leur conservation. Alors au moins, j’ai jugé à l’époque, et bien que j’ai parfois regretté de ne pas l’avoir fait depuis, il est encore trop tard pour changer le caractère du travail. »

C’est probablement la raison pour laquelle l’ouvrage propose des relevés succincts de notices sans nom d’éditeur, relevés sur des catalogues de libraires, comme ceux des maisons Huzard, Quadritch, etc. ou de bibliothèques, comme celui de la British Library. On y trouve néanmoins une belle liste de manuscrits perses que l’on retrouve dans les collections du British Museum issus de l’inventaire établi par Charles Rieu (T. II, Londres, Longman, 1881), des titres parus en Inde, alors colonie britannique, ou encore des ouvrages d’hippiatrie arabe ou le résultat des courses à Saint-Pétersbourg. On y découvre des mentions à Salihotra (07..?) ou Ibn Akhi Hizam (0825? – 0892?), élargissant la connaissance des auteurs en dehors du bassin méditerranéen traditionnellement exploité. Le second ouvrage de 1890, correspond au catalogage de sa propre bibliothèque et renferme beaucoup plus de détails. Les deux sont accompagnés d’un index des noms d’auteurs en fin d’ouvrage.
Il est vraisemblable que de nombreuses notices se trouvent présentes dans les deux titres, le premier ayant probablement servi à alimenter les achats correspondants au second.

Huth motive sa sélection et les difficultés qui en ont résulté ainsi : « Sous « chevaux et équitation »,  j’ai inclus tout ce qui appartient au Cheval. La fiction est exclue, et généralement tous les livres dont seulement une partie concerne les chevaux ; mais il y a des exceptions, telles que les Essais de Montaigne, A History of inventions de Beckmann et Thoughts on medicine de Reynold. En effet, plus une classe de livre se rapproche de la ligne de démarcation, moins l’Index devient naturellement parfait, et plus les exceptions aux règles générales que j’ai essayé de respecter sont nombreuses. Les livres sur l’agriculture, l’histoire naturelle et similaires sont donc loin d’être complètement représentés; il en va de même pour les journaux sportifs . » Il mesure l’imperfection de la sélection mais assume ses exceptions aux règles qu’il s’est fixé : ainsi, il a inclus ce qui classe comme une fiction A Dialogve betwixt a Horse of Warre and a Mill-Horse (Londres, 1643), non seulement parce que les chevaux dialoguaient entre eux, mais on y apprenait également foules de détails sur la vie des chevaux de l’époque. Il conclue à regret: « l’Index est loin d’être parfait, et je pourrais probablement continuer à y ajouter pour le reste de ma vie naturelle; dans ce cas cependant il ne verrait peut-être jamais la lumière du tout, et c’est peut-être mieux vaut donc le publier tel quel. »

Il est à noter que l’éditeur du premier volume, Bernard Quarich (1819-1899), était avant tout un libraire fameux spécialisés en livres rares du monde entier . L’ensemble des plus de 1 400 catalogues de livres anciens qu’il a publiés restent d’une grande valeur bibliographique. L e libraire était né en Allemagne, comme le grand-père de Huth, et s’était installé à Londres en 1842. Il participait aux principales ventes de livres en Europe et en Amérique et raflait alors la majorité des fonds. Comment était-il lié aux Huth ? Était-il un client de la Frederick Huth & Co.? La famille lui achetait-elle beaucoup de livres? C’est bien probable. Son commerce de livres anciens est resté florissant à la City : la librairie Bernard Quarich Ltd. existe toujours à Londres.

Huth a conçu et publié l’ensemble de son travail bibliographique en utilisant la présentation par ordre chronologique. Ainsi :« Les œuvres écrites avant l’invention de l’impression, sont placées sous l’année au cours de laquelle on peut présumer qu’elles ont été écrites. Il serait absurde, par exemple, de placer Xenophon après Juliana Barnes ou Gwyllame Twici après Bracy Clark. »
Cette nomenclature a été suivi par quelques bibliophiles comme Torrecilla (1864-1925) ou Ercolani (1819-1883). Il est à noter que son oncle, le très grand bibliophile Henry Huth (1815–1878), tout comme le bibliographe Jacques-Charles Brunet (1780-1867), ou encore Mennessier, ont privilégié plutôt l’ordre alphabétique.
Ce choix de tri par date présente un inconvénient que la Bibliothèque Mondiale du Cheval devrait pallier : la bibliographie des auteurs d’importance se révèle souvent lacunaire. D’autre part, son corpus devient difficilement préhensible dans son ensemble, malgré la présence d’un index. Grâce aux outils numérique, nous avons pu redécouper son travail en adoptant l’ordre alphabétique, à l’instar de Mennessier, pour visualiser plus rapidement et compléter autant que possible le corpus des auteurs cités. Le travail sur les premiers fichiers a montré qu’il était possible d’enrichir chaque entrée de la même manière, c’est-à-dire en incluant les données d’éditeurs, une courte description et des indices biographiques lorsque cela était possible. On a également entrepris la recherche de lieux de conservations. À l’issue des premières phases de traitement, nous avons pu ajouter de très nombreuses numérisations découvertes au fil des recherches. De même, nous avons pu consolider des fiches issues du travail de Mennessier déjà enregistrées, en ajoutant les données trouvées par Huth.
L’ensemble va permettre d’élargir la connaissance du fonds français présenté par Mennessier : en effet, il sera aisé de regarder le nombre de titres publiés et traduits par auteur ; ainsi on va pouvoir mesurer l’importance du rayonnement de nos grands classiques français comme La Guérinière, Bourgelat et Lafosse ou D’Aure et Baucher. Grâce au travail de Huth, on trouve du Bourgelat en allemand, du Baucher en espagnol, etc.

Page de titre de la bibliographie de F. H. Huth (1887)
Page de titre de la bibliographie de F. H. Huth (1887)

 

Une vie à l’ombre de la finance et du commerce international

Pour le moment, peu d’élément ont été trouvé sur la vie du bibliophile, malgré l’importante notoriété de sa famille dans le Londres du XIXe siècle : on sait qu’il est né le 22 février 1844 à Marylebone. Frederick Henry tient dans l’origine de ses prénoms un hommage appuyé à ses proches aïeuls: il est le fils de Charles Frederick Huth et de Francès Caroline Marshall, également petit-fils du puissant banquier Frederick Huth (1777–1864) et neveu du bibliophile Henry Huth (1815–1878). Il a épousé le 7 octobre 1865 à Tonbridge dans le Kent, sa cousine germaine Manuela Caroline Kindermann (1843-1915), fille d’Augustus Hermann Kindermann et de sa tante Manuella Huth (1814–1887),  et dont il aura douze enfants. Le mariage entre parents proches semble être une valeur familiale défendue, notamment par son oncle Henry, dans un livre qu’il a signé en 1875 (The Marriage of ner kin, considered with respect to the laws of nations, the results of experience, and the teachings of biology , Londres, J. and A. Churchill).
Frederick Henry Huth a été capitaine au 19e Hussard et au 1er Dragon. Il est décédé le 14 mai 1918 à l’âge de 74 ans et est enterré au cimetière de Lansdown dans le Somerset. Sa collection d’art, vendue en 1916 chez Christie, révèle un goût affirmé pour les beaux objets : les catalogues listent des vases de Sèvres, des ivoires du Japon, des porcelaines de Chine, quelques bronzes de nymphes, des tapis persans, autres tabatières en écailles de tortue ou des miniatures de toutes sortes, un portrait de Madame Récamier signé David, etc.. S’il n’est fait là mention de peinture ou objet équestre, cela ne veut pas dire qu’il n’en possédait pas : soit ils ont été conservés par les héritiers, soit ils ont fait l’objet d’une autre vente dans une autre maison sans que le catalogue correspondant ait été trouvé pour le moment. Sa bibliothèque équestre sera vendue à sa mort au grand amateur de sport, Hugh Lowther, comte de Lonsdale.

Son grand-père, Frederick Huth, surnommé le « Napoléon de la City », a laissé plus de traces : ce banquier d’affaires britannique d’origine allemande est né dans le nord de la Saxe. Après avoir fait ses premières armes chez Brentano Urbieta & Co, une maison de marchands espagnols d’Hambourg, il déménage en Corogne en 1797 et y épouse, en 1805, Manuela Mayfren, avec qui il aura onze enfants dont cinq fils. Selon une légende familiale ajoutant un peu de sang bleu aux origines très modestes de Frederick , sa femme était en fait la fille naturelle de Don Gabriel de Bourbon et d’une dame d’honneur de la cour du roi d’Espagne. Elle aurait été adoptée par Antonio Mayfren ensuite. Il vivra un temps en Amérique du Sud avant de s’installer à Londres, vers 1809, pour échapper à l’arrivée des troupes de Napoléon en Espagne. La même année, ambitieux et travailleur acharné, il y lance sa banque d’affaires, la Frederick Huth & Co . Probablement polyglotte, il excelle dans le commerce du bois, puis du café, entre la Norvège, l’Allemagne, l’Espagne et l’Amérique latine. Frederick Huth devient le conseiller financier de la reine d’Espagne et du gouvernement espagnol en 1829. Cette opportunité lui permet d’élargir son champ d’action à l’Amérique du Nord en s’intéressant, notamment, au négoce du coton. Dès la fin des années 1830, ses affaires englobent un tiers des transactions Outre-Atlantique avec l’Europe entière. Profitant d’un important réseau de correspondants à travers le monde, la banque a fini par avoir un pied dans plus de soixante-dix pays. À la fin des années 1840, la Huth & Co est devenue l’une des principales banques de la City et le restera jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale, avant d’être absorbée par la British Overseas Bank en 1936. Frederick Huth aura réussi à faire de Londres une place forte de la finance dès le milieu du XIX e siècle où il jouait à armes égales aux côtés de la Baring et des Rothschild.

En plus du sens aigu des affaires internationales, le patriarche a transmis à ses fils le goût des arts et des lettres. Tous ont dû être amené à voyager beaucoup, et ont dû rapporter dans leurs malles quelques trésors. L’aîné, Charles Frederick Huth (1806–1895) et père de notre bibliophile, est né en Espagne. Il faisait partie des associés de la Huth & Co paternelle. Il était par ailleurs collectionneur d’art averti : il possédait un bel ensemble d’aquarelles dont plusieurs Constable, Turner et autres Gainsborough. Il aura dix enfants avec Frances Caroline Marshall (1812-1901). Il est à noter qu’une petite sœur de Frederick Henry, Octavia (1849-1929), épousera son cousin germain, Alfred Henry Huth (1850-1910), le fils de l’éminent bibliophile Henry Huth et cadet des fils du patriarche.

En tant qu’associé de la Huth & Co, Henry Huth pouvait assouvir sa passion des livres sans trop de réserve. Il possédait, entre autres nombreuses merveilles, la première édition de A Discovrce of Horsmanshippe de Gervase Markham, datée de 1593, que son neveu a dû sûrement feuilleter lorsqu’il a démarré sa bibliographie thématique. Lorsque Henry lancera la publication en cinq volumes du catalogue complet de sa bibliothèque, il placera en exergue une citation de Brunet assez savoureuse : « L’étude de la bibliographie, si aride en apparence pour qui ne la considère que superficiellement, est loin, pour qui l’examine de plus près, d’être dépourvue d’un certain charme; elle offre à l’esprit observateur bien des faits curieux, bien des anecdotes piquantes, bien des rapprochements singuliers. Voilà pourquoi sans doute plusieurs hommes de lettres distingués, des poètes même, se sont livrés à cette étude avec autant d’ardeur que de succès. »
Son fils, Alfred Henry Huth (1850–1910) [1] , aura la charge de terminer le catalogue que son père avait entreprit et qu’il publiera deux ans après son décès. Il participera à la fondation de la London Bibliographical Society en 1892, dont il sera le trésorier fondateur puis le président. Il lèguera au British Museum les cinquante volumes les plus précieux de la collection dont un catalogue fut publié en 1912. La vente du reste de la bibliothèque aurait rapporté plus de 350 000 £ de l’époque.

Une partie de sa bibliothèque sauvegardée aux États-Unis

Le sort de la bibliothèque équestre de Frederick Henry Huth est partiellement connu : trois cents volumes, allant de de 1553 à 1908, sont actuellement accessibles au National Sporting Library & Museum de Virginie. Cet ensemble avait été acquis par Hugh Cecil Lowther, le cinquième comte de Lonsdale (1857- 1944) après la mort de Huth. Russell Arundel (1902-1978), figure importante de la communauté équestre de Virginie du Nord, a ensuite racheté cette bibliothèque à la mort de Lord Lonsdale en 1944, avant de lui-même en faire don au National Sporting Library & Museum en 1975 par le biais de sa Fondation. Elle porte désormais le nom des trois possesseurs successifs : la Huth-Lonsdale-Arundel Collection.

En savoir plus:

 

[1] et donc cousin de Frederick Henry et également son beau-frère.

 

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