Goubaux et Barrier, De l’extérieur du cheval, Paris, 1884.
Général E. Daumas, Les chevaux du Sahara et les mœurs du désert, 8e édition. Paris, 1881.
Commission d’hygiène hippique, Cours abrégé d'hippologie, Paris, 1875.

Chapitre X
De l'âge
(Pl. IV).

De tous les moyens mis en pratique pour reconnaître l’âge du cheval (examen des ganaches, pincement de la peau du front, exploration des nœuds de la queue, etc.), un seul, l’inspection des dents, permettant d’arriver à des déterminations précises, nous nous en occuperons à l’exclusion des autres.

Mais, comme il est impossible de bien comprendre les principes sur lesquels est basée la connaissance de l’âge par les dents sans connaître auparavant la forme, la structure, les divers changements p. 188que ces organes éprouvent à mesure que l’animal vieillit, nous commencerons notre étude par leur description sommaire.

A. — Des dents
Définition, nombre, répartition, structure générale

Les dents sont des corps solides tenant à la fois des os par leur aspect général, et des poils par leur mode de formation et d’accroissement.

Fig. 97. — Arcade dentaire (mâchoire supérieure)

Fig. 98. - Arcade dentaire (mâchoire inférieure).

Au nombre de trente-six à quarante, ces organes sont implantés à la suite les uns des autres dans les cavités ou alvéoles que leur fournissent p. 189les mâchoires, et forment ainsi, à chacune de celles-ci, une espèce de courbe parabolique, l’arcade dentaire, interrompue de chaque côté par un espace appelé interdentaire (fig. 97 et 98 du texte).

Leur sortie a lieu à des époques assez fixes. Il en est qui apparaissent peu de temps après la naissance pour tomber à l’âge adulte ; ce sont les dents de lait, caduques ou de première dentition ; elles font place à celles de remplacement, de cheval ou de seconde dentition.

D’autres enfin, dont la venue est plus ou moins tardive, ne tombent jamais ; on les dit, pour cette raison, persistantes.

On distingue, dans chaque dent, deux parties : une saillante en dehors, couronne ou partie libre ; l’autre, logée dans l’alvéole, ou racine.

Trois substances bien distinctes entrent dans la composition de ces organes : une fondamentale, l’ivoire ; deux de revêtement, le cément et l’émail.

Le cément (fig. 3, II, 8. 8) forme une couche superficielle d’un blanc jaunâtre directement appliquée sur l’émail ; il enveloppe toute la dent et se replie dans ses anfractuosités, au fond desquelles il forme une couche plus ou moins épaisse suivant les sujets et les dents qu’on examine.

L’émail (fig. 3, II, 6. 6, 7. 7), substance blanche très dense située immédiatement au-dessous du cément, s’enfonce, comme ce dernier, dans certaines cavités, et constitue la véritable couche protectrice des dents.

L’ivoire (fig. 3, II, 5. 5), de couleur jaunâtre, et beaucoup moins dur que l’émail, occupe l’intérieur de la dent, dont il forme le corps.

Pendant toute la vie de l’animal, les dents étant chassées des alvéoles et s’accroissant par leur racine (fig. 3, II, 9) à mesure qu’elles s’usent au dehors, il s’ensuit que leur longueur reste à peu près toujours la même. La forme, le volume et la direction de ces organes changent seuls avec l’âge, comme nous le verrons par la suite.

On divise les dents en incisives, canines et molaires.

a. — Incisives

(Fig. 1, 2, 3, 4).

Ainsi nommées parce qu’elles servent à couper, à inciser les aliments, les incisives se trouvent placées à l’extrémité de chaque mâchoire p. 190et forment, par leur réunion, dans l’âge adulte, un demi-cercle assez régulier (fig. 1) qui se déforme à mesure que l’animal vieillit et finit par ressembler à une ogive de plus en plus aiguë (fig. 2).

On compte en tout douze incisives : six à la mâchoire supérieure, six à la mâchoire inférieure, qui ont reçu les noms particuliers de pinces, mitoyennes, et coins.

Les pinces (fig. 1, 1. 1) sont situées près de la ligne médiane, l’une à gauche, l’autre à droite ; les mitoyennes (fig. 1, 2. 2), en dehors des pinces ; enfin, les coins (fig. 1, 3. 3), en dehors des mitoyennes. Il y a, en somme, deux pinces, deux mitoyennes, et deux coins dans chacune des mâchoires.

De forme générale conique, ces dents sont incurvées en arc suivant leur longueur (fig. 3, 1), aplaties d’avant en arrière à leur extrémité libre, rétrécies d’un côté à l’autre à leur racine, et enfin trifaciées dans leur partie moyenne. Pour en faciliter la description, on est dans l’habitude de leur reconnaître une face antérieure et une face postérieure ; deux bords : un interne (fig. 4, 1) et un externe (fig. 4, 2), celui-ci toujours plus étroit que le précédent ; enfin, deux extrémités : l’une libre, l’autre enchâssée.

La surface de frottement, ou extrémité libre, dont on se sert surtout pour reconnaître l’âge, présente de grandes différences suivant qu’on l’examine chez un cheval jeune ou chez un cheval vieux.

Dans la dent vierge, c’est-à-dire non encore usée, cette surface n’existe pas et se trouve remplacée par deux bords tranchants : un antérieur (fig. 3, II, 2) et un postérieur (fig. 3, II, 3), celui-ci moins élevé que le premier.

Ces deux bords limitent une cavité dite dentaire extérieure (fig. 3, II, 1), que circonscrit le cornet dentaire (fig. 3, II, 6. 6) et au fond de laquelle se trouve une substance noirâtre, cémenteuse, appelée germe de fève.

À l’intérieur de la racine, on trouve encore une autre cavité connue sous la dénomination de cavité dentaire intérieure (fig. 3, II, 4), renfermant la pulpe dentaire, organe sécréteur de la dent. Cette cavité se prolonge dans la partie libre, entre la face antérieure de l’organe et le cul-de-sac externe, avec lequel elle se chevauche.

Lorsque l’âge a amené la disparition, l’oblitération de la cavité interne, la substance qui la remplit se reconnaît à sa couleur plus jaune p. 191que le reste de l’ivoire. Cette particularité nous fournira, par la suite, un caractère secondaire important pour la détermination de l’âge.

À mesure que la dent s’use, la cavité dentaire extérieure disparaît et l’émail ne se continue plus. Alors se trouve constituée une véritable surface de frottement, ou table dentaire, sur laquelle on distingue deux cercles d’émail : un périphérique, dit émail d’encadrement (fig. 3, II, 7. 7 et fig. 4, 6), l’autre concentrique, ou émail central (fig. 3, II, 6. 6 et fig. 4, 5), englobant entre eux la substance éburnée ou l’ivoire (fig. 3, II, 5. 5 et fig. 4, 3), toujours un peu plus enfoncée que l’émail, parce que le frottement l’use plus facilement. Sur un point de cette surface d’ivoire, on voit apparaître, à une époque déterminée, entre la partie antérieure de la dent et le cul-de-sac du cornet dentaire externe, une tache jaunâtre qui, d’abord allongée d’un côté à l’autre, se rapproche plus tard de la forme arrondie. C’est l’étoile dentaire de Girard (fig. 4, 7), constituée par l’ivoire de nouvelle formation qui a rempli la cavité où se trouvait la pulpe de la dent.

La forme de la table dentaire varie beaucoup suivant l’âge du cheval.

Il est facile de s’en rendre compte à l’aide d’une incisive sciée en travers, de 3 en 3 millimètres, jusqu’à sa racine, comme l’indiquent les traits A, B, C, D, E de la fig. 3. On obtient ainsi des coupes figurant successivement une table aplatie d’avant en arrière (fig. 4, A), ovale (fig. 4, B), arrondie (fig. 4, C), triangulaire (fig. 4, D), aplatie latéralement ou biangulaire (fig. 4, E).

Nous verrons dans un prochain paragraphe que cette particularité forme la base principale de la connaissance de l’âge du cheval à partir de huit ans.

Les incisives caduques, de lait, ou de première dentition, se distinguent de celles de remplacement, de seconde dentition, ou d’adulte par leurs dimensions plus petites, leur blancheur et l’étranglement ou collet qui sépare la partie libre de la racine.

Que l’incisive soit caduque ou de remplacement, elle ne fait jamais son éruption par ses deux bords tranchants à la fois : c’est le bord antérieur qui sort le premier. Le bord postérieur n’est apparent qu’un certain temps après.

p. 192

b. — Cannines ou crochets
(Fig. 1).

Situés entre les molaires et les incisives, les crochets des solipèdes n’existent que chez le mâle. C’est tout à fait par exception qu’on les rencontre quelquefois chez la jument.

Ces dents sont au nombre de deux à chaque mâchoire : une à droite, l’autre à gauche (fig. 1, 4. 4). Elles ne poussent qu’une fois, et l’époque de leur apparition est tellement variable qu’elles ne peuvent guère aider à la détermination de l’âge. Aussi, n’en parlerons-nous pas plus longuement.

c. — Molaires
( Fig. 5, 6, 7, 8).

Les molaires occupent la partie postérieure de l’arcade dentaire ; ou en compte douze à chaque mâchoire : six d’un côté, six de l’autre, divisées en avant-molaires et en arrière-molaires.

Considérées d’une manière générale, les arcades molaires n’ont pas la même disposition aux deux mâchoires : elles sont plus écartées l’une de l’autre à la mâchoire supérieure qu’à la mâchoire inférieure ; d’un autre côté, comme elles s’opposent par des plans inclinés, il en résulte que la face interne est plus élevée que l’externe dans les molaires inférieures, tandis que le contraire se fait remarquer pour les supérieures.

Comme les incisives, les molaires présentent une partie libre (fig. 5) et une partie enchâssée.

La partie libre, à peu près carrée, offre à étudier quatre faces : une externe, une interne, une antérieure, une postérieure, et une surface de frottement.

La face externe (fig. 5 et fig. 7) présente deux sillons longitudinaux dans les molaires supérieures (fig. 5, 3, 3) et un seul, peu marqué, dans les molaires inférieures.

La face interne (fig. 6, 4 et fig. 8, 4) n’offre qu’un sillon très peu prononcé aux deux mâchoires.

La face antérieure (fig. 5, 1 et fig. 7, 1) et la face postérieure (fig. 5, 2 et fig. 7, 2) sont à peu près planes et ne présentent rien de p. 193particulier ; elles se trouvent en rapport avec les faces correspondantes des molaires voisines.

La surface de frottement (fig. 6 et fig. 8), inclinée en dehors à la mâchoire inférieure et en dedans à la mâchoire supérieure, ainsi que le font voir les figures 5 et 7, présente des caractères particuliers, suivant l’époque à laquelle on l’examine. Dans la dent vierge, elle est complètement recouverte de cément et d’émail, irrégulière, et ressemble assez bien à un B gothique dont les boucles, tournées en dedans à la mâchoire supérieure et en dehors à la mâchoire inférieure, circonscrivent des cavités profondes plus ou moins comblées de cément.

Avec le frottement, les cavités primitives disparaissent et une vraie table dentaire se forme ; mais, loin de rester plane, celle-ci, grâce à la densité différente et à l’usure inégale des substances qui la constituent, présente bientôt en relief des rubans d’émail (fig. 6, 8, 9 et fig. 8, 7) séparés par des rubans d’ivoire (fig. 6, 7 et fig. 8, 6) et de cément (fig. 6, 5. 5, 6. 6 et fig. 8, 5. 5).

Ce sont ces reliefs et ces creux de la surface de frottement des molaires du cheval qui les ont fait comparer par Cuvier à des meules se repiquant incessamment d’elles-mêmes.

Les molaires qui terminent les arcades, soit en avant, soit en arrière, soit à la mâchoire supérieure, soit à la mâchoire inférieure, ont trois racines. Les molaires intermédiaires en ont quatre à la mâchoire supérieure et deux seulement à la mâchoire inférieure.

Les trois premières dents molaires de chaque arcade, seules, sont caduques ; les autres sont persistantes.

B. — Des caractères fournis par les dents pour la détermination de l'âge
(Fig. 9, 10, 11, 12, 13)

Bien que les renseignements fournis par les dents puissent seuls permettre de déterminer l’âge du cheval d’une façon un peu précise, nous devons pourtant faire observer qu’il est bon de ne pas leur accorder une valeur absolue.

Les effets du frottement sur la table dentaire, par exemple, varient tellement suivant la texture des matières alimentaires, la configuration p. 194et la dureté des dents, suivant les pays et les races, qu’on ne peut vraiment tirer de l’usure des dents que des indications générales.

Le lecteur devra de toute nécessité y suppléer par ses connaissances théoriques, son coup d’œil, son sens pratique, par les renseignements qu’il aura pu se procurer relativement à la provenance, à la race du cheval, etc.

Transporté dans un pays où la population chevaline lui est inconnue, il se verra obligé de s’habituer, de s’adapter aux nouvelles bouches, aux nouveaux types d’usure qu’il rencontrera exclusivement désormais, et ne pourra se prononcer en toute connaissance de cause, fût-il un praticien consommé, qu’après avoir bouché un certain nombre de chevaux.

En général, tous les poulains, sauf ceux de pur sang, sont supposés naître au printemps ; toutefois, les exceptions à cet égard n’étant pas rares, il est indispensable de connaître certaines expressions à l’aide desquelles il est possible de préciser assez exactement l’époque réelle de la naissance du cheval : on dit qu’un cheval prend tel âge, lorsqu’il est sur le point de marquer l’âge auquel on fait allusion. Il a tel âge, dans le cas où il marque réellement cet âge. Enfin, il a tel âge fait, quand les caractères de l’âge dont on parle commencent à disparaître.

Les bases principales sur lesquelles on s’appuie pour déterminer l’âge des chevaux sont les suivantes :

L’éruption des incisives de première dentition ;

Leur rasement ;

L’éruption des incisives de seconde dentition ;

Le rasement de ces dernières ;

Les formes successives qu’elles présentent une fois rasées et usées, et les détails qui se font observer sur leurs tables1.

D’autres indices fournis par les crochets et les molaires peuvent s’ajouter aux renseignements tirés des incisives ; mais, comme on y a rarement recours et que, d’un autre côté, ils sont assez peu sûrs, nous nous dispenserons d’en parler.

p. 195Première période. — Éruption des incisives de première dentition.

À sa naissance, le poulain est généralement dépourvu d’incisives ; cependant, on distingue déjà très bien, sous la gencive, les pinces et même les mitoyennes, ainsi qu’on peut s’en rendre compte par l’examen de la figure 9, I.

Les pinces sortent du sixième au huitième jour ; les mitoyennes, du trentième au quarantième jour (fig. 9, II) ; les coins, de six à dix mois (fig. 10, III).

Deuxième période. — Rasement des incisives de première dentition.

Il est fort heureux qu’à cette période les renseignements fournis par les formes, la taille et la physionomie du jeune sujet viennent s’ajouter à ceux tirés de l’usure des dents ; car celle-ci se fait vite, et les changements de forme des tables dentaires sont très peu saisissables. Toutefois, à dix mois (fig. 10, III), les pinces sont rasées ; à un an (fig. 10, IV), les mitoyennes ; à quinze ou vingt mois (fig. 10, V), les coins.

Troisième période. — Éruption des incisives de remplacement ou d’adulte.

Prenant trois ans (fig. 11, VI). Les pinces de remplacement sortent à deux ans et demi environ par leur bord antérieur, et arrivent à hauteur des mitoyennes de lait à trois ans.

Prenant quatre ans (fig. 11, VII). Les mitoyennes sortent à trois ans et demi environ et arrivent à hauteur des pinces à quatre ans.

Prenant cinq ans (fig. 11, VIII). Les coins sortent à quatre ans et demi et arrivent à hauteur des mitoyennes à cinq ans. De sorte qu’à cet âge, un cheval doit avoir toutes ses incisives ; les deux bords des pinces sont usés ; ceux des mitoyennes sont au niveau.

Quatrième période. — Rasement des incisives de remplacement.

Six ans (fig. 12, IX). — Le rasement des pinces inférieures est complet, celui des mitoyennes a commencé ; le bord postérieur des coins est au niveau de l’antérieur, mais il reste encore vierge.

Sept ans. — Les mitoyennes ont aussi rasé, et souvent, à cet âge, une échancrure, appelée queue d’hirondelle, apparaît aux coins de la mâchoire supérieure.

Huit ans (fig. 12, X). — Toutes les incisives inférieures sont rasées et de forme ovale : l’étoile dentaire commence à paraître, sous forme p. 196d’une bande jaunâtre, entre le bord antérieur des dents et l’émail central.

Cinquième période. — Nivellement des incisives et formes successives de leurs tables.

Neuf ans (fig. 12, XI). — Les pinces inférieures s’arrondissent ; l’émail central se rapproche du bord postérieur, et l’étoile dentaire, plus étroite, mais mieux marquée, occupe presque le milieu de leurs tables.

Dix ans. — Les mitoyennes s’arrondissent ; les coins sont ovales, l’émail central diminue d’étendue et se rapproche encore du bord postérieur de la dent. L’étoile dentaire est plus apparente dans toutes les incisives.

Onze ans (fig. 13, XII). — Les coins s’arrondissent ; l’émail central ne forme plus qu’un petit point très étroit et touche presque le bord postérieur de la dent.

Douze ans (fig. 13, XIII). — Toutes les incisives sont arrondies. Généralement l’émail central a disparu dans les pinces et l’étoile dentaire occupe le milieu des tables de frottement.

Treize ans.— Les pinces inférieures commencent à devenir triangulaires. L’émail central n’existe plus sur les incisives inférieures. Dans les pinces supérieures, il a une forme arrondie.

Quatorze ans. — Triangularité complète des pinces ; les mitoyennes se rapprochent de la forme des pinces.

Quinze ans (fig. 13, XIV). — Triangularité des mitoyennes.

Seize ans. — Caractères plus accusés que dans l’âge précédent.

Dix-sept ans. — Toutes les incisives inférieures sont triangulaires.

Dix-huit ans. — Les pinces s’aplatissent d’un côté à l’autre (biangularité).

Dix-neuf ans (fig. 13, XV). — Les mitoyennes sont aplaties dans le même sens.

Vingt ans.— Les coins ont la même forme.

Trente ans (fig. 13, XVI). — À partir de vingt ans, on considère le cheval comme étant arrivé presque au terme de sa vie. Aussi les caractères de l’âge de trente ans sont-ils ceux de l’extrême vieillesse : les incisives inférieures sont, ou très longues et très horizontales, ou très courtes et usées jusqu’au ras des gencives ; leurs tables s’aplatissent de plus en plus sur les faces latérales, et de larges interstices séparent les pinces des mitoyennes et celles-ci des coins ; enfin, qu’elles p. 197soient longues ou courtes, il ne reste plus qu’une faible partie de leur racine enchâssée dans les alvéoles.

Ce sont là les principaux caractères à l’aide desquels on peut reconnaître l’âge jusqu’à l’extrême vieillesse du cheval ; mais il en est d’autres, très remarquables aussi, qu’on peut tirer des changements qui se manifestent dans l’arcade incisive, considérée dans son ensemble, à mesure que l’animal vieillit. Il est utile que nous en disions un mot, à titre de renseignement complémentaire : dans le jeune âge, chacune des moitiés de l’arc représenté par les incisives s’oppose à l’autre, « comme le feraient deux demi-circonférences accolées par leur diamètre .. » Mais, comme, par suite des progrès de l’usure, la table de frottement appartient à des régions de plus en plus rapprochées de la racine, le demi-cercle se déforme et ressemble à une ogive de plus en plus aiguë2...

D’un autre côté, dans la jeunesse, par le fait de l’aplatissement latéral de la partie enchâssée, les incisives se montrent toutes convergentes au niveau de leur racine ; mais, chassées des alvéoles à mesure que l’usure entame la partie libre, ces dents diminuent nécessairement de largeur en même temps que l’animal avance en âge, et leur ensemble suivant cette diminution, il arrive une époque où les deux arcs incisifs sont beaucoup plus étroits d’un côté à l’autre et moins convexes en avant.

On se rendra parfaitement compte de ces faits en se reportant à la description anatomique des incisives et en jetant un coup d’œil sur les figures 1 et 2 qui représentent, l’une, les incisives d’un cheval de cinq ans vues de profil ; l’autre, celles d’un cheval d’âge avancé.

Nous le répétons, ces changements de forme de l’arcade incisive peuvent être d’un utile secours dans certains cas douteux.

C. — Irrégularités du système dentaire incisives

De même que nous n’avons consulté que les incisives pour la détermination de l’âge, de même nous nous occuperons exclusivement ici des anomalies ou irrégularités que présentent ces dents.

Ces anomalies, dont l’importance est plus ou moins grande, portent p. 198sur le nombre (fig. 99 du texte), la forme générale des dents, la forme du cornet dentaire, la profondeur de ce même cornet, sur le défaut de longueur ou l’excès de largeur de l’une des mâchoires, sur l’excès ou le défaut d’usure. Elles peuvent être, enfin, la conséquence de l’usure produite par le tic ou de l’emploi de moyens frauduleux.

Fig. 99. — Deux pinces, a, c, et une mitoyenne, b, surnuméraires, de seconde dentition (mâchoire supérieure).

Parmi les irrégularités que nous venons d’énumérer, quelques-unes sont intéressantes seulement sous le rapport de la physiologie ; d’autres, au contraire, s’opposent à ce que l’on puisse reconnaître l’âge des chevaux ou en rendent l’appréciation plus difficile. C’est de ces dernières que nous nous occuperons exclusivement ici.

a. — Irrégularités de profondeur du cornet dentaire

1° Chevaux bégus. — Un cheval est dit bégu quand les incisives inférieures conservent leur cornet dentaire externe presque intact après huit ans. Pour reconnaître l’âge réel de l’animal, il faut laisser de côté les renseignements fournis par le rasement et ne consulter que la forme, la direction des dents, et la situation de l’étoile dentaire.

2° Chevaux faux bégus. — On dit que le cheval est faux bégu quand les incisives inférieures laissent voir l’émail central ou cul-de-sac du cornet dentaire après douze ans. Ici encore, on doit s’en rapporter principalement à la forme de la dent.

b. — Irrégularités par excès ou par défaut d'usure

On sait, d’après les données de Girard et de Pessina3, que la partie libre des incisives, depuis la gencive jusqu’à la table, mesure p. 199environ 15 à 16 millimètres et use de 3 millimètres à peu près chez les chevaux fins, et de 4 et demi seulement chez les chevaux communs.

Or il est des chevaux chez lesquels l’usure est plus prompte et d’autres où elle est plus lente, ce dont on peut s’assurer à l’aide des données précédentes. Comment, alors, rectifier l’indication nécessairement fausse fournie par leurs tables dentaires ? Rien de plus simple : si les dents sont trop longues, il faut les ramener par la pensée à leur longueur normale en vieillissant le cheval d’un an pour 3 ou 4 millimètres. Si, au contraire, elles sont trop courtes et que l’animal paraisse ainsi plus vieux qu’il n’est réellement, il faut lui retrancher autant d’années que les dents ont de fois 3 ou 4 millimètres de moins en longueur.

Ainsi, lorsqu’un cheval marquera douze ans, et que ses dents n’auront que 13 millimètres à peu près de longueur, il faudra lui donner onze ans seulement, l’usure ayant dépassé de 3 millimètres sa limite ordinaire.

c. — Irrégularités résultant de l'usure produite par le tic

Le tic est cette habitude vicieuse qui porte le cheval à déglutir de l’air, soit en prenant un point d’appui sur un corps quelconque, soit sans point d’appui ; dans le premier cas, on dit que le cheval tique à l’appui ; dans le second, qu’il tique en l’air.

Fig. 100. — Usure anormale de la face antérieure des incisives due au tic.

Dans le tic à l’appui, dont nous nous occuperons exclusivement ici, il est évident que le frottement des corps extérieurs détermine, sur le bord antérieur des incisives, des caractères anormaux, qui varient suivant le mode que l’animal a choisi pour tiquer. La plus fréquente des p. 200irrégularités dues au tic est la transformation en plan incliné de ce même bord antérieur. Cette irrégularité, dès le début, ne nuit pas à la détermination de l’âge ; mais il peut arriver un moment où l’usure, ouvrant le cornet dentaire dans sa longueur, déforme assez la table pour rendre la connaissance de l’âge difficile ou impossible (fig. 100 du texte).

d. — Irrégularités procédant de l'emploi de moyens frauduleux

1° Moyens employés pour vieillir le cheval. — Dans la plupart des pays d’élève, on est dans l’habitude, aussitôt que les poulains ont fait leurs dents de trois ans, de leur arracher les mitoyennes et quelquefois les coins de lait, afin de hâter l’apparition des remplaçantes et de leur donner un an de plus. On reconnaît cette manœuvre frauduleuse à la rougeur, à la sensibilité des gencives si l’opération est récente, et à l’irrégularité de l’arcade dentaire si elle est ancienne.

2° Moyens employés pour rajeunir le cheval. — Les dents longues étant généralement regardées comme un indice de vieillesse, on cherche quelquefois à les raccourcir, en les sciant, pour rajeunir l’animal.

Cette ruse est très facile à reconnaître, en ce sens que la scie n’opérant pas une section nette, on se voit obligé de recourir à la lime, qui laisse généralement des traces de son passage sur la dent, en même temps qu’elle détache de petits éclats sur les bords de l’organe. D’un autre côté, les arcades incisives raccourcies ne se joignent plus, la longueur des molaires étant restée la même.

Le plus ordinairement, on ne se contente pas de raccourcir les incisives ; mais, sur la table de ces dents raccourcies ou naturellement courtes, on pratique, à l’aide d’un burin, une cavité factice dont on noircit le fond avec du nitrate d’argent ou un fer rougi au feu.

Connue sous le nom de contre-marque, cette manœuvre dolosive ne doit tromper que les ignorants ou ceux qui ne se donnent pas la peine de regarder, ainsi que nous allons le démontrer.

Si la contre-marque a été pratiquée sur un cheval de moins de douze ans, elle se trouve nécessairement creusée entre l’émail d’encadrement et le cul-de-sac du cornet dentaire, et l’on voit de suite, par la seule présence de deux culs-de-sac dentaires, que la marque n’est pas naturelle.

p. 201Si, au contraire, l’on a opéré sur un cheval âgé de treize ans et au delà, la cavité artificielle se trouve creusée au centre de l’ivoire et manque de son enveloppe d’émail.

D’ailleurs, si l’on a égard à la forme de la dent, on voit qu’elle ne s’accorde aucunement avec l’âge accusé par les détails de la table.

Tous ces caractères, en somme, mettent assez facilement la supercherie en évidence.

D. — Périodes et durée de la vie du cheval

La durée naturelle de la vie du cheval se divise en plusieurs périodes comprenant chacune un certain nombre d’années et correspondant à des modifications qui s’opèrent dans sa constitution, sa taille, ses aptitudes, etc.

Ces modifications ont elles-mêmes une grande relation avec l’évolution dentaire, comme nous allons le voir par la suite.

1° Jeune âge ou période d’accroissement. — Depuis sa naissance jusqu’à cinq ans révolus, le cheval s’accroît dans toutes ses dimensions : en hauteur, en largeur et en épaisseur ; c’est la période d’accroissement ou jeune âge, pendant laquelle ont lieu l’apparition successive des dents caduques ou dents de lait et leur remplacement par les dents permanentes ; d’où la subdivision de cette première période de la vie en deux phases : l’une, dite de première jeunesse, qui dure jusqu’au remplacement des dents de lait ; l’autre, celle de la seconde jeunesse, qui succède à la première et se termine lorsque la dentition permanente est complète.

Durant sa première jeunesse, c’est-à-dire jusqu’à deux ans et demi, le cheval est poulain. C’est le temps de son plus grand accroissement.

Il ne devient jeune cheval que quand les dents de remplacement apparaissent, et porte ce nom de deux ans et demi à cinq ans, temps pendant lequel il grandit encore sensiblement.

Quoi qu’il en soit, le jeune cheval étant encore dans la période de croissance, ses articulations n’ayant pas acquis toute la résistance qu’elles offriront plus tard4, ses muscles étant mous, sans énergie, il p. 202est indispensable de le bien nourrir si l’on veut qu’il se développe convenablement, de le ménager dans l’exercice pour ne pas fausser ses aplombs et altérer ses articulations ; en un mot, il ne doit être soumis qu’à un léger travail de dressage. »

2° Âge adulte ou période stationnaire. — À partir de cinq ans5 commence l’âge adulte, caractérisé par la dentition permanente complète. Le cheval a acquis la taille qu’il conservera désormais ; mais il peut encore se développer en épaisseur, et gagner en vigueur, en énergie et en résistance jusqu’à l’âge de huit ans. Alors, il reste stationnaire jusqu’à douze ans, époque à laquelle finit l’âge adulte et commence la vieillesse.

Pendant cette seconde période, c’est-à-dire de cinq ans à douze ans, le cheval peut satisfaire aux exigences d’un service suivi ; mais il n’est réellement un cheval fait, c’est-à-dire dans toute la plénitude de ses forces, de sa vigueur et de sa résistance, que vers huit ans : « Monte toujours pour le combat un traîneur avec sa queue (cheval de huit ans au moins)6, disent les Arabes : le jour où les cavaliers seront tellement pressés que les étriers se heurteront, il te sortira de la mêlée et te ramènera dans ta tente, fût-il traversé d’une balle. »

Il est à remarquer que la première partie de l’âge adulte, qui finit à huit ans, coïncide avec le rasement des incisives ; tandis que la seconde partie comprend le laps de temps nécessaire pour la complète disparition de l’émail central.

3° Vieillesse ou période de décroissance. — Après douze ans, alors que les dents deviennent triangulaires, commence la vieillesse, qui s’accentue de plus en plus jusqu’à la mort de l’animal, mais arrive plus ou moins vite suivant les individus, suivant surtout le travail que ceux-ci ont eu à fournir et les soins qu’ils ont reçus.

« À cette époque, les forces diminuent, les membres deviennent p. 203raides, les formes s’altèrent... Le cheval pourrait encore supporter des privations ; mais il est incapable de résister à de grandes fatigues7. »

Malgré tout, il n’est guère possible de déterminer d’une façon quelque peu exacte la durée moyenne de la vie du cheval. Certains chevaux, en effet, sont usés à douze ans, tandis que d’autres fournissent encore un travail pénible à vingt ans. Cela dépend d’une foule de causes, parmi lesquelles il y a surtout lieu de signaler la tardivité du développement, la taille, le service, les soins, et peut-être aussi la race et le sexe.

« La vie des juments, dit Hartmann à propos du sujet qui nous occupe, est ordinairement plus longue que celle des chevaux. Cette observation, déjà faite par Aristote8, répond à celle faite à différentes époques sur le genre humain, dont les femmes vivent généralement plus longtemps que les hommes.

« C’est, ajoute-il encore, un signe indubitable qu’un cheval de haras est de bonne race, ou du moins qu’il est sain, lorsqu’il tarde longtemps à se former. Celui qui ne cesse de croître qu’à six ans, sept ans, sera, sauf des accidents particuliers, de bon service pendant vingt ans et au delà, et peut même en vivre quarante et davantage...9. »

En ce qui concerne le service et les soins, il est évident que le cheval dont le travail est modéré et l’hygiène bien entendue a plus de chances de vivre vieux que celui qui doit fournir un travail quotidien long et pénible, avec une alimentation insuffisante et de mauvais traitements.

Quant à l’influence de la taille, MM. Goubaux et Barrier pensent, sans en donner la raison, que les petits chevaux durent, en général, plus longtemps que les grands.

D’après Bourgelat, « on peut arbitrer la vie commune du cheval dix huit ou vingt ans, le nombre de ceux qui dépassent ce terme étant très médiocre. Aristote a observé que les chevaux nourris dans les écuries vivent beaucoup moins que ceux qui sont en troupeaux ; l’état d’esclavage et de domesticité est bien fait pour faire opérer quelques différences. Athenaeus et Pline prétendent qu’on en a vu vivre soixante cinq et même soixante-dix ans. Augustus Nipheus parle encore du cheval de Ferdinand Ier comme d’un cheval septuagénaire ; mais ces observations ne sont que des exceptions, semblables, dans l’espèce des p. 204chevaux, aux exceptions qui, quelquefois, ont lieu dans l’espèce humaine...10. »

MM. Goubaux et Barrier citent, de leur côté, des exemples de chevaux ayant vécu trente-cinq, trente-huit, quarante-deux, quarante-trois et quarante-neuf ans.

Mais, bien que les propriétaires ne conservent ordinairement pas les animaux qui ne peuvent plus rendre de service, et qu’on manque, par ce fait même, d’éléments d’appréciation pour juger de la longévité du cheval, il est certain que cet animal atteint rarement un âge aussi avancé que dans les cas ci-dessus.

Aussi, à l’exemple de Bourgelat, acceptons-nous l’âge de dix-huit ou vingt ans comme durée moyenne de la vie du cheval.

1

On dit d’une dent qu’elle a usé quand son bord antérieur a perdu par l’usure la couche d’émail qui le rendait tranchant. On la dit rasée quand le bord postérieur, arrivé au niveau du premier, a également usé.

2

A. Goubaux et G. Barrier, loc. cit., p. 700.

3

J. Girard, Traité de l’âge du cheval, 3e édition. Paris, 1834  . — Pessina, Sul modo di conoscere dai denti l’eta dei cavalli. Milano, 1831.

4

C’est, en effet, à la fin seulement de la période d’accroissement que la soudure de toutes les épiphyses des os longs est terminée et que le squelette se trouve complètement achevé.

5

Quelquefois un peu plus tôt ou un peu plus tard, la précocité des animaux dépendant beaucoup de la nourriture et des soins qu’ils reçoivent, du climat, de la nature du sol, etc.

6

Les Arabes ont l’habitude de couper les crins du toupet, de l’encolure et de la queue des jeunes chevaux. Commencée à un an, l’opération est ensuite renouvelée à deux ans, puis à trois ans. De trois à cinq ans, on laisse pousser les crins, pour couper de nouveau le tout à cinq ans faits. Après cet âge, on ne touche plus aux crins ; mais, comme il faut au moins trois ans pour que ceux-ci aient pris toute leur longueur, ce n’est guère que vers huit ans qu’on peut appeler le cheval djarr (Le traîneur avec sa queue) (Général E. Daumas, loc. cit., p. 119).

7

Commission d’hygiène hippique, loc. cit., p. 101p. 161  .

8

Aristote, Hist. animal., liv. V.

9

Hartmann, Traité des haras, etc., traduit de l’allemand. Paris, 1788, p. 32.

10

Bourgelat, Traité de la conformation extérieure du cheval, 2e édit. Paris, 1775, p. 286.