Colonel Duhousset, Le Cheval, Paris, 1881. Desfossés et Cie.
Ch. Blanc, Histoire des peintres de toutes les époques.
De Solleysel, Le véritable parfait mareschal, 3e édition. Paris, MDCLXXII, p. 8.
p. 265

Chapitre XX
Application de la connaissance de l'extérieur du cheval en peinture et en sculpture

S’il est indispensable, comme le dit M. Ch. Blanc1, que l’artiste purifie la matière par le style, souffle une âme à ses corps et dégage du spectacle de la nature toutes ses poésies ; si la forme ne doit pas être le fond même dans l’art, il n’en résulte pas, ajoute le même auteur, qu’il faille rabaisser celui-ci au rôle de « courtisane inféconde, n’ayant d’autre mission que le plaisir ».

Si l’art, enfin, ne peut simplement consister en une servile « imitation de la nature », il est néanmoins admis par tous les critiques actuels qu’il doit en être une fidèle « interprétation ».

Or, il suffit de jeter un coup d’œil sur les œuvres des artistes anciens et modernes pour s’assurer que trop souvent les peintres et les sculpteurs se sont contentés de nous montrer des vérités de convention, de faire de l’art pour l’art, surtout en ce qui concerne la reproduction du cheval.

Excusable autrefois, cette tendance à faire beau en dehors du vrai ne l’est plus aujourd’hui, que nous sommes mieux renseignés, que les artistes possèdent toutes les indications théoriques pour arriver sûrement à une exactitude que leurs prédécesseurs ne pouvaient guère atteindre qu’inconsciemment de temps en temps.

C’est dans le but de bien mettre en évidence la nécessité, pour les peintres et les sculpteurs, de connaître la conformation extérieure du cheval, et surtout les proportions, les aplombs et les allures de cet animal, que nous allons examiner quelques œuvres très connues où le manque absolu des connaissances ci-dessus a entraîné des erreurs, des difformités qui déparent réellement ces œuvres.

Examen des œuvres de quelques peintres ou sculpteurs de chevaux

Parmi les rares artistes anciens qui ont échappé à la routine de leur époque, Phidias (431 avant J.-C.) tient certainement le premier rang. p. 266À part quelques irrégularités de détail, on peut, en effet, dire des chevaux qui décorent les bas-reliefs du Parthénon que nulle autre sculpture ne s’approche autant de la forme naturelle.

Non seulement « les chars des Panathénées décorant la frise du sud sont attelés de chevaux bien plus longs que ceux des nombreux cavaliers qui les escortent au galop, se cabrant et piaffant » ; mais on observe sur les deux sculptures de la figure 106 « la reproduction très exacte du premier temps du galop2. »

Fig. 106. — Les chevaux du Parthénon (Phidias).

Le colonel Duhousset a, d’ailleurs, remarqué dans le cours de ses voyages en Italie, en Grèce et en Perse, que les peintres et les sculpteurs anciens différenciaient généralement les formes des animaux montés de celles des animaux attelés, montrant par là qu’ils n’ignoraient pas que telle conformation, défectueuse chez le cheval de selle, p. 267qui doit souvent porter un poids considérable, ne l’est plus et constitue même quelquefois une qualité en ce qui concerne le cheval de trait léger.

Le fameux cheval du général Bartholomo Coléone de Bergame, dont la statue équestre décore, à Venise, la place de l’église Zanipolo, malgré ses défauts et son apparence massive, malgré la critique qu’en a faite M. Cherbuliez dans son intéressant récit À propos d’un cheval, est lui-même d’un grand caractère et présente des appuis vrais comme direction et trace sur le terrain ; le membre gauche de devant seul, d’après M. Duhousset, devrait être moins avancé et moins loin de terre.

Nous avons pu nous-même vérifier l’exactitude de cette appréciation sur la reproduction du cheval en question, que l’on peut admirer dans l’une des salles de la collection Thiers au Louvre. Toutefois, ajoutant une critique à celle de l’auteur précité, nous nous demandons pourquoi le sculpteur a gratifié son cheval de quatre pieds malades (pieds cerclés) ?

La statue équestre de Gattamelata de Padoue, et la plupart de celles qu’on rencontre en grand nombre dans les églises de Venise, sont, d’un autre côté, à l’allure calme et régulière du pas.

Mais, à côté de ces exceptions, combien de peintres ont voulu frapper notre imagination en nous montrant des vérités absolument conventionnelles ! combien ont oublié que la vérité est la source du beau dans les arts et le moyen de s’en éloigner le moins !

Léonard de Vinci (1452-1519), entre autres, pour ne pas remonter trop haut, malgré la « profonde et rare connaissance qu’il avait du cheval3, » n’a pas toujours été exempt de reproches en ce qui concerne la reproduction de cet animal. Ainsi, dans sa fameuse bataille d’Anghiari, dont il ne nous reste aujourd’hui qu’un morceau (encore n’est-ce qu’une copie de Rubens) : deux cavaliers se disputant un drapeau, les chevaux, animés par le combat, ouvrent démesurément la bouche et laissent voir un nombre incalculable d’incisives, sans espace interdentaire4; ils ont, d’ailleurs, plutôt l’air de féroces carnassiers que de vaillants coursiers. Il est vrai de dire que, d’après M. Ch. Blanc, les principaux défauts de la composition en question sont imputables à Rubens : sous son crayon, « ...l’animation des p. 268chevaux paraît uniquement bestiale. C’est une bataille où le tempérament, le sang et les viscères ont plus de part que l’âme et le courage5 ».

L’œuvre que nous venons de passer en revue ne nous offre, après tout, qu’un exemple de l’engouement général des peintres et des sculpteurs de cette époque pour l’antique.

Déjà, en 1653, le sieur de Solleysel, escuyer ordinaire de la grande escurie du roy, s’élevait fortement contre l’attitude fausse que les artistes donnaient à leurs chevaux, par imitation des anciens : « Quoique ceux-ci aient observé les proportions en beaucoup de parties, dit-il,.... la pluspart des attitudes qu’ils ont données aux chevaux ne doivent pas être imitées au temps où nous sommes ; les chevaux des anciens n’avaient aucune écolle, et mesme très peu d’obéissance ; ils étoient plus étrangement bridez que les Cravattes et les Turcs ne le font en leurs pais ; et toutes les actions qu’ils faisoient sous l’homme approchaient des mouvements de rage et de furie, parce que le cavalier ne sçavoit ce qu’il demandoit à son cheval, qui, plein de fougue et de désespoir, faisoit des actions plus capables de faire remarquer son emportement qu’aucune marque d’obéissance et de subjection aux volontez du cavalier...

« Je demande à tout homme de bon sens si l’on doit imiter les anciens en ce qu’ils ont fait de mal ; s’ils n’ont peint que des chevaux dans des postures de rage et de désespoir, ils n’ont pu faire autrement, ils n’en voyaient point d’autres ; mais, présentement, de représenter sous un roy, un grand prince, ou un général d’armée, un cheval dans ces actions de furie et d’emportement, ce seroit faire croire aux spectateurs que celuy qui est à cheval, ou ne peut le faire obéir, ou n’a pas eu un cheval obéissant, ce qui seroit ridicule à penser au temps où nous sommes, puisque les personnes de cette condition ne montent que sur des chevaux parfaitement bien ajustez, et qui sont dans une entière obéissance »6.

Raphaël (1483-1520) (1483-1520), qui idéalisait si bien le type humain, n’a jamais accordé la moindre attention au cheval. Aussi, le représente-t-il absolument difforme et critiquable dans toutes ses parties.

Pierre de Laer, dit le Bamboche (1615-1673), qui eut une certaine p. 269célébrité dans son genre, ne représente pas le cheval autrement qu’avec un ventre tombant, des boulets engorgés, des tendons faillis, des pieds énormes, des jarrets et des genoux tout à fait monstrueux. Il suffit, pour se rendre compte de ce fait, de jeter un coup d’œil sur son maréchal ferrant, « tableau précieux à tous les égards, dit M. Lecarpentier, retraçant un événement de la vie malheureuse et agitée de Charles II, roi d’Angleterre7. »

Charles Parrocel (1688-1752), bien que fils d’un peintre de batailles, et très amateur de chevaux lui-même, a complètement négligé la partie anatomique ; ses têtes surtout sont mal construites et rendent les chevaux absolument difformes, comme on peut s’en assurer en examinant son portrait équestre de Louis XV, actuellement au musée de Versailles, et son écuyer, dont nous donnons un calque ci-dessus (fig. 107 du texte).

Fig. 107. — L’écuyer (Ch. Parrocel).

Dans cette œuvre, non seulement la tête du cheval est trop petite et la croupe trop ample, mais le cavalier est absolument disproportionné par rapport au cheval : son pied tombe beaucoup trop au-dessous du profil de la courbe inférieure du ventre.

Rubens (1577-1640), Salvator Rosa (1615-1673), Lebrun (1619-1690), p. 270Van der Meulen (1634-1690), commirent la même faute que Parrocel, et figurèrent leurs chevaux avec des poitrails, des croupes énormes, et des têtes manifestement trop petites. Il n’y a qu’à se promener un instant dans les galeries du Louvre pour reconnaître le bien fondé de cette critique.

Casanova (1730-1805), tout en disproportionnant moins ses têtes, fit aussi des chevaux beaucoup trop massifs. Ses poitrails surtout sont absolument difformes.

De Solleysel reproche également aux artistes de son époque d’avoir représenté les épaules trop massives : ... « Ce sont, dit-il, les meilleures pour les chevaux de tirage, mais tout cheval de selle qui auroit les épaules larges, charnues, grosses et rondes, comme les sculpteurs essayent de les représenter, seroit un parfait cheval de charette, car il seroit lourd, pesant, attaché à la terre » D’autre part, poursuit l’auteur précité, les muscles de ces grosses épaules sont trop apparents :...« en paroist-il à un homme fort gras, il en paroitra aussi peu à ces épaules fort charnues... Si l’on fait des muscles et des nerfs à ces épaules rondes, ils seront contre nature et mal placez... »8.

Fig. 108. — Cheval au galop (Carle Vernet).

Carle Vernet (1758-1835), brillant cavalier et homme à la mode, réagit fortement contre le cheval lourd de Parrocel, Rubens, Salvator Rosa, Lebrun, Casanova, etc. ; « il se permit de regarder la nature et de copier, non pas des chevaux peints, mais des chevaux à peindre9 ». Il eut le tort, toutefois, en réhabilitant les races fines, d’exagérer p. 271leur finesse. Le cheval de son Mameluk au combat, par exemple, a non seulement les membres trop fins, mais beaucoup trop longs pour un cheval arabe ; c’est le dessous d’un cheval anglais de course.

D’un autre côté, dans toute son œuvre, il n’y a pas un animal autrement qu’au trot pour figurer le pas. Ses chevaux donnent la ruade en sautant les obstacles, accusant fortement la divergence des quatre membres ; tous galopent sur des pistes parallèles et le bipède postérieur pressant par les deux pinces, d’un effort égal, pour le départ au galop (fig. 108).

C’est là, d’ailleurs, une erreur qu’on retrouve dans un grand nombre de tableaux. Jean Van Huchtenburg (1646-1733), peintre de batailles et favori du prince Eugène, François Gérard (1770-1837), etc., ne reproduisent pas leurs chevaux au galop autrement que Carle Vernet.

Fig. 109. — Un cheval de la lithographie : le Marchand de chevaux (Géricault).

Gros (1771-1835), élève de David, suivit la même voie que Vernet et fit grand en dehors des sentiers frayés. Son grand mérite, dit M. Ch. Blanc, fut de donner de la « vigueur et de la race » au cheval élégant de Carle. « Il avait, du reste, la conscience de sa supériorité en ce genre, et dans son langage pittoresque et fringant, il disait, à propos de Carle Vernet : « Un de mes chevaux en mangerait six des siens »10.

Il ne tarda pas, toutefois, à être distancé par Géricault (1791-1824), dont un biographe a dit : « Que, par miracle, ses chevaux descendent de leur cadre ou se détachent de la pierre lithographique, et nous les verrons continuer le mouvement commencé, l’achever, et, p. 272sur la nerveuse élasticité de leurs jarrets, poursuivre leur course ininterrompue. »

Mais, malgré l’immense talent de Géricault, on sent que son œil exercé n’a jamais pu suppléer à la théorie qui lui manquait. Dans sa lithographie : le Marchand de chevaux, les cinq animaux qui y figurent ont une position de membres ne répondant ni à l’action présente, ni à celle qui a dû précéder, ni à celle qui suivra. D’après M. Duhousset, la position pointillée des membres antérieurs de l’animal le plus en vue (fig. 109 du texte) rétablirait, pour lui, l’appui latéral, qui est le seul convenant à la position de son arrière-main.

En ce qui concerne le premier motif du dessin représenté par la figure 110 du texte, l’intention de l’artiste a été de mettre les deux animaux au pas ; or, « il aurait fallu, dans ce but, dit M. Duhousset11, intervertir la pose des membres de derrière du premier, comme le montre la rectification ; il eût été alors sur l’appui diagonal gauche, de même que le second, en changeant le mouvement des membres de devant ».

Fig. 110. — Cheval monté et cheval du Giaour (sujets tirés des œuvres de Géricault).

D’autre part, « le cheval du Giaour (second motif de la figure 110 du texte) n’appuie que d’un côté ; ce qui rend son équilibre plus difficile, c’est d’être sur une pente et de paraître peu soumis ; pour le rendre p. 273solide, il faut lui donner la base diagonale droite et lui faire lever le membre gauche, pendant que le droit pince fortement le terrain. »

Nous avons aussi remarqué, dans une des salles du Louvre, un petit dessin de Géricault figurant une espèce de centaure, où l’animal, à l’appui sur trois membres, les jarrets fléchis, le membre antérieur droit dans la position du camper, lève le membre opposé de telle façon que le genou dépasse la moitié de la hauteur de l’épaule. Or, il est à peine utile de faire remarquer que c’est là une position physiologiquement impossible.

Fig. 111. — Les chevaux de course (Géricault).

Relativement aux proportions, le cheval de son fameux Officier de chasseurs de la garde impériale est lui-même inexact ; c’est le corps d’un gros boulonnais supporté par les membres d’un cheval de pur sang anglais.

Quant au cheval du Cuirassier blessé, « sa tête, dit M. Ch. Blanc, est d’un type qui rappelle ceux de Gros. En dépit du raccourci, la croupe touche presque à l’encolure, et l’étroitesse de la toile semble avoir fait, en cet endroit, sacrifier la rigueur des proportions12...

p. 274Enfin, dans sa célèbre toile les Chevaux de course, Géricault a évidemment exagéré la longueur des membres de devant en profilant leurs pieds en avant des naseaux (fig. 111 du texte, A), puisque ceux-ci représentent normalement le point le plus avancé de l’animal dans le ventre-à-terre. Pour que l’extension des membres antérieurs fût plus conforme à la vérité, il y aurait lieu de reconstruire les chevaux de Géricault avec les rectifications signalées par M. Duhousset (fig. 111 du texte, B).

Fig. 112. — Le trompette mort et la smala d’Abd-el Kader (H. Vernet).

Vint ensuite Horace Vernet (1789-1863), qui a surtout excellé à peindre le beau cheval arabe. « Il avait fait du cheval une étude particulière, dit de lui M. Ch. Blanc ; il en savait par cœur l’anatomie et les proportions13. » Pourtant, ses œuvres portent encore l’empreinte regrettable de cette ignorance des lois qui régissent la locomotion.

Dans sa célèbre gravure du Trompette mort, il est manifeste que la p. 275position du cheval n’est pas vraie ; « en effet, les deux pieds qui posent sont sur l’appui latéral, trop rapprochés, et ne pourraient soutenir la masse, surtout si l’animal venait à reculer, comme cela paraît devoir se produire pour ne pas marcher sur l’homme (fig. 112 du texte). Le cheval a dû s’avancer avec précaution, et ce n’est que lorsqu’il s’est senti bien assujetti, qu’il a fortement courbé le cou et avancé la tête, afin de se rendre compte de l’immobilité de son maître. Il était donc nécessaire de lui donner franchement l’appui diagonal gauche, pour que le corps fût disposé à avancer ou à reculer facilement14. » 

Fig. 113. — Le cheval du Napoléon de la retraite de 1814 (Meissonier).

Nous indiquons la modification proposée par M. le colonel Duhousset dans le petit croquis à gauche de celui de l’artiste.

Le second sujet de la figure 112 est tiré du tableau de la Smala d’Abel-Kader, et représente la jument qui se trouve à l’extrême droite : un chef arabe la tire vigoureusement par l’oreille et la bride, pendant qu’un nègre cherche à lui placer la selle sur le dos ; « l’animal n’a qu’un pied qui appuie réellement à terre ; ce n’est pas le pas, car ses membres p. 276sont à l’allure du trot ; avec ce développement, il enlèverait facilement le cavalier cherchant à l’entraîner. La pose est surtout fausse par la peine que prend son maître à exciter un mouvement déjà trop vif ; pour figurer le pas allongé, il faudrait, en changeant très peu de chose au dessin, faire poser le membre gauche de devant et la jambe droite diagonalement opposée, ainsi que le montre la rectification à côté15. » 

Fig. 114. — Proportions de l’homme comparées à celles du cheval.

De tous les peintres contemporains, Meissonier est certainement celui qui rend le mieux les mouvements du cheval, qu’il représente en général avec des allures calmes et justes. Nous prenons comme exemple le croquis du Napoléon de la Retraite de 1814 (fig. 113 du texte), que nous empruntons encore à l’excellent livre de M. le colonel Duhousset, l’un de ceux qui, en France, se sont le plus occupés p. 277des allures et surtout des proportions du cheval, depuis quelques années.

Nous devons, d’ailleurs, rendre cette justice aux artistes de notre époque, qu’ils accordent, en général, plus d’attention à la reproduction du cheval que ceux qui les ont précédés. Aussi, sous ce rapport, sont-ils bien supérieurs à ces derniers.

Les œuvres de Delacroix, Henri Regnault, Frémiet, de Neuville, Detaille, etc., etc., ne laissent aucun doute à cet égard.

Cela ne veut pas dire, toutefois, qu’ils n’ont jamais commis la moindre inexactitude.

Le cheval du de Maréchal PrimRegnault, par exemple, malgré toute l’admiration que nous avons pour le tableau dans son ensemble, nous paraît critiquable sous plus d’un rapport : non seulement ce n’est pas un cheval de selle, mais il ne peut être logiquement rangé dans aucune race connue.

Avec son encolure épaisse, son poitrail énorme, ses membres puissants, sa crinière et sa queue fantastiques, il ne ressemble pas plus au cheval andalous qu’à tout autre type espagnol actuel.

Que Frèmiet nous représente sa Jeanne d’Arc sur un cheval dont nous ferions aujourd’hui un animal de trait, rien de plus logique : la vérité historique exigeait que Jeanne fût sur un cheval de son époque, sur un de ces robustes destriers que montaient en guerre les pesants chevaliers d’alors. Mais, en ce qui concerne Henri Regnault, dans son Maréchal Prim, il a évidemment sacrifié la vérité au désir de frapper notre imagination.

Il est bien entendu que nous nous sommes contenté, dans ce chapitre, de passer très rapidement en revue quelques-unes des œuvres les plus connues. Nous en avons laissé un grand nombre de côté, dont l’examen nous eût entraîné beaucoup trop loin.

Toutefois, afin que le lecteur puisse se faire une idée des inexactitudes qu’il est fréquent de rencontrer, en outre de celles précédemment énumérées, même dans les tableaux du Louvre, nous signalerons certaines œuvres où la tête des chevaux, exagérément longue, est tout aussi large en bas qu’en haut et se rapproche beaucoup trop de la forme rectangulaire ; d’autres où le canon, sous prétexte de rendre l’allure plus élégante, décrit une magnifique courbe du genou au boulet ; d’autres encore où l’avant-bras semble se détacher de dessous la poitrine ; p. 278d’autres, enfin, où la cuisse présente une largeur double de celle qu’elle doit avoir normalement, où « les jambes de derrière, le boulet et le pâturon sont tout d’une pièce comme la jambe d’un chien, ce qui est ridicule16 », etc., etc.

D’ailleurs, combien d’artistes, ne tenant aucun compte des principaux caractères qui distinguent telle race d’une autre, nous ont représenté les Perses montés sur des chevaux percherons ou normands, les Huns en possession du cheval allemand ou anglais, etc., etc.

La figure 114 du texte, qui termine cet examen, reproduit avec une exactitude absolue les proportions de l’homme comparées à celles du cheval. Dans cet exemple, le cavalier a 1m, 70 de taille et le cheval 1m, 60 de hauteur du garrot au sol.

Maintenant, que le lecteur nous permette de tirer des lignes précédentes la seule conclusion qui nous paraisse logique : s’il est évident que le sentiment, le style, le génie dans l’art peuvent remplacer la vérité ou au moins faire excuser certaines inexactitudes, il est non moins certain que l’artiste à la fois respectueux du beau et du vrai sera toujours supérieur à celui qui négligera l’une ou l’autre de ces qualités.