Chapitre XVI
Des chevaux vicieux
Le Cheval le mieux conformé, le mieux doué sous le rapport des actions, de la force musculaire, de l’énergie, etc., pouvant être un très mauvais et même dangereux serviteur par suite d’imperfections morales légères ou graves, l’étude de ces imperfections s’impose comme un complément indispensable des chapitres précédents. C’est la raison qui nous a décidé à introduire ici quelques lignes sur les chevaux vicieux.
Dans un chapitre analogue à celui que nous entreprenons, mais où il s’occupe exclusivement du cheval à l’écurie, John Stewart1 subdivise les habitudes vicieuses et les vices des chevaux en , accidents résultant du confinement, en tics et en vices à l’écurie.
MM. Goubaux et Barrier, bien qu’ayant généralisé la question, distinguent tout simplement des tics ou habitudes vicieuses et des vices proprement dits.
Nous nous en tiendrons à cette dernière division, tout en comprenant dans chacun des deux paragraphes qu’elle comporte ceux des accidents résultant du confinement relatés par John Stewart, qui nous paraissent pouvoir être rattachés soit aux tics, soit aux vices proprement dits.
Nous décrirons, d’ailleurs, très brièvement et quand il y aura lieu seulement, les caractères qui décèlent l’existence de tel ou tel tic, de tel ou tel vice chez un animal, en même temps que nous dirons un mot des moyens d’y remédier.
A. — Des tics ou habitudes vicieuses.
On appelle ainsi « un certain nombre d’actes bizarres, nés de l’oisiveté pour la plupart, que le cheval répète incessamment dès qu’il se trouve livré à lui-même2 . »
1° Chevaux qui laissent pendre leur langue, la doublent, la ramènent au-dessus du mors ou l’agitent àp. 242 tout instant hors de la bouche. — Ces défauts, outre qu’ils donnent une physionomie stupide à l’animal, entravent les fonctions digestives par la perte de salive qu’ils occasionnent.
Ce n’est guère que dans le cas où le cheval double sa langue qu’on peut remédier à cette habitude, en serrant davantage la gourmette.
Cependant, chez les chevaux qui laissent pendre leur langue ou qui la ramènent au-dessus du mors, on obtient souvent de bons résultats avec la muserolle plus ou moins serrée.
2° Chevaux qui frappent la lèvre inférieure contre la supérieure. — On obvie à ce tic en réunissant la partie inférieure des deux branches du mors au moyen d’une traverse métallique prenant le contour de la houppe du menton.
3° Chevaux qui se frottent l’extrémité inférieure de la tête contre l’auge, ou la queue contre les corps environnants. — Le dernier défaut seul a de réels inconvénients, en ce sens qu’il provoque la chute des crins de la queue. Il faut aussitôt voir s’il n’est pas le résultat de la malpropreté, d’une maladie de peau, ou de la présence d’helminthes dans l’appareil digestif, et agir en conséquence.
4° Chevaux qui encensent ou qui battent à la main. — Les chevaux qui présentent ce vice impriment à leur tête des mouvements alternatifs de flexion et d’extension lorsqu’ils sont attelés ou montés. Il faut, dans ce cas, employer une martingale ou modifier la forme du mors et proportionner les tractions des rênes au degré de sensibilité de la bouche.
L’étude de ce défaut et des moyens d’y remédier est donc plutôt du domaine de l’équitation que de celui de l’extérieur proprement dit.
5° Chevaux qui prennent les branches du mors avec leur lèvre inférieure. — Employer la fausse gourmette en cuir.
6° Chevaux qui mordent leurs couvertures. — On peut employer le collier à chapelet ou une espèce de demi-muselière en cuir fixée au licol et enveloppant, comme dans une gouttière, les parties latérales et postérieure de l’extrémité inférieure de la tête, qu’elle ne déborde pas en avant ; de sorte que le cheval peut facilement prendre sa nourriture, mais qu’il lui est impossible de mordre ses couvertures, empêché qu’il en est par les parties latérales de la gouttière de cuir dont nous venons de parler.
p. 2437° Chevaux qui appuient le membre postérieur sur l’autre. — On ne connaît aucun moyen de combattre ce défaut. Cependant, pour atténuer les inconvénients qu’il présente, il est bon d’employer des fers de derrière à éponges courtes, arrondies, sans crampons.
8° Chevaux qui se couchent en vache. — Comme les chevaux qui présentent ce défaut se blessent au coude (éponge) avec l’extrémité de la branche interne du fer, ou éponge, il faut tronquer celle-ci pour l’empêcher de venir porter contre le coude pendant le décubitus.
9° Chevaux qui se délicotent. — Employer un simple collier ou, à la fois, un licol et un collier, avec une longe distincte fixée à la mangeoire.
10° Chevaux qui se roulent dès qu’ils sont harnachés, ou en rentrant à l’écurie, après le travail. — Attacher le cheval au râtelier jusqu’à ce qu’il soit attelé, monté, ou débarrassé de son harnachement.
11° Chevaux qui, à l’écurie, stationnent et se couchent, dans l’allée du passage. — Dans les premiers temps où les chevaux sont mis à l’écurie, dit John Stewart3 , ils sont tous portés à se tenir aussi loin que possible en arrière et même hors de leur stalle, les pieds de derrière sur l’allée de passage ; quelques-uns finissent même par s’y coucher. Pour remédier à cette habitude vicieuse, on pourra attacher le cheval très court, tout près du râtelier ou de l’auge, ou mieux suspendre derrière lui une barre garnie d’une boite de bruyère ou d’épines.
12° Chevaux qui se couchent sous la mangeoire. — Les chevaux qui prennent une telle position ne peuvent reposer complètement et, à moins d’être très jeunes et très vifs, ils ne sauraient se relever ; on est alors obligé de les tirer en arrière. Pour obvier à ces inconvénients, il faut clôturer le vide sous la mangeoire au moyen de planches.
13° Chevaux qui trottent à l’écurie. — Un travail soutenu s’opposerait probablement à la manifestation de ce tic.
14° Chevaux qui grattent du pied. — Travail journalier et, au besoin, entraver deux membres antérieurs.
p. 24415° Chevaux qui ont le tic de l’ours. — Ce tic, consistant en des oscillations latérales de la tête et de l’encolure accompagnées d’un balancement analogue et alternatif du corps sur les membres antérieurs, a l’inconvénient de fatiguer inutilement les chevaux et d’être souvent contagieux par imitation. On peut essayer de remédier à ce défaut en attachant l’animal avec deux longes, de manière à ce que la tête ne puisse plus se déplacer ni à droite ni à gauche.
16° Chevaux qui ont le tic de manger de la terre. — C’est une habitude vicieuse ou l’expression d’un besoin de l’organisme, qui ne trouve pas dans les aliments ingérés une assez grande quantité de sels terreux. On y remédie à l’aide d’une muselière ou en mélangeant une certaine quantité de sel marin à la ration journalière.
17° Chevaux qui ont le tic d’avaler de l’air. — On distingue le tic en l’air sans appui ou sans usure des dents, et le tic avec appui et usure des dents. Tous les deux sont aujourd’hui rédhibitoires. Ils ne diffèrent, d’ailleurs, l’un de l’autre, qu’en ce qu’il n’y a pas appui dans le tic en l’air, tandis que, pour effectuer le tic avec appui, l’extrémité inférieure de la tête est appuyée sur un corps résistant quelconque (mangeoire, longe, bal-flanc, etc.). Dans tous les cas, il y a déglutition d’air, accompagnée ou non d’un bruit d’effort.
Les tiqueurs ont l’inconvénient de se ballonner, d’être souvent atteints de coliques, et, lorsqu’ils prennent un point d’appui, de causer des dépenses inutiles à leurs propriétaires en dégradant les râteliers, mangeoires, harnais, etc. On arrive quelquefois à faire disparaître ce défaut en supprimant le corps sur lequel le cheval s’appuie, en lui tournant le derrière à la mangeoire, ou même encore en lui mettant un collier de cuir, dit collier antitiqueur, qu’on applique au niveau de la gorge et qu’on serre un peu plus que de coutume.
18° Chevaux qui gaspillent l’avoine. — Certains chevaux gais et joueurs perdent parfois une partie de leur ration d’avoine : ils en saisissent une bouchée pleine ; puis, tout en mangeant, ils regardent autour d’eux, de façon qu’il en tombe beaucoup dans la litière. On peut combattre ce défaut en ne donnant qu’un peu d’avoine à la fois ou en isolant les chevaux.
D’autres animaux jettent leur avoine hors de la mangeoire avec l’extrémité inférieure de la tête. On remédie à cette mauvaise habitude en recouvrant la mangeoire de barres métalliques transversales.
p. 24519° Chevaux qui se tournent dans la stalle. — Les petits chevaux surtout contractent souvent l’habitude de se tenir en travers dans la stalle. Il faut alors les attacher avec le licol plutôt qu’avec le collier, et les maintenir en position au moyen de deux longes de longueur convenable pour pouvoir se coucher.
20° Chevaux qui s’enchevêtrent, qui enjambent la longe ou le bat-flanc. — Souvent les chevaux se grattent le cou, les oreilles, ou toute autre partie de la tête à l’aide d’un de leurs pieds de derrière ; en se grattant ou plutôt en retirant leur pied, il arrive que le paturon se prend dans la longe. Aussitôt, le cheval tombe sur le côté, la tête et le pied enchevêtré tenus ensemble, et des lésions graves peuvent en résulter. Il suffit généralement, pour prévenir cet accident (enchevêtrure), de ne pas laisser à la longe une longueur superflue, de la charger d’un billot, et de placer l’anneau d’attache à une hauteur convenable.
Par suite d’une trop grande longueur ou d’une mauvaise disposition de la longe, le cheval peut aussi l’enjamber et se blesser sérieusement s’il est craintif, remuant, et s’il ne peut attendre qu’on vienne à son aide. On remédie à cet inconvénient comme dans le cas précédent.
Si, enfin, au lieu d’enjamber la longe, le cheval enjambe le bat-flanc, il se froisse et se blesse la partie interne du membre qui repose sur la barre de séparation. On diminue la fréquence de cet accident en donnant aux bat-flancs une hauteur suffisante, et on atténue sa gravité en arrondissant bien le bord supérieur de ceux-ci. D’ailleurs, les barres de séparation doivent toujours être fixées, en arrière, de telle façon qu’on puisse les faire tomber immédiatement et débarrasser ainsi le cheval aussi vite que possible.
L’accident que nous venons de signaler est généralement connu sous le nom d’embarrure.
21° Chevaux qui montent dans la mangeoire. — Il arrive assez souvent que de jeunes chevaux oisifs mettent leurs pieds de devant dans la mangeoire. On obviera le plus souvent à ce défaut en plaçant la mangeoire à hauteur convenable, et en ne donnant à la longe que la longueur strictement nécessaire.
22° Chevaux qui se gonflent pendant qu’on les sangle. — Cette habitude vicieuse se manifeste assez fréquemment lorsqu’on p. 246selle les chevaux en arrière. On y remédie en ne serrant les sangles que « trou par trou et sans brusquer le mouvement »4 . ,
23° Chevaux qui mangent leur litière, se lèchent et lèchent d’autres chevaux, la mangeoire ou le sol. — Certains chevaux mangent leur litière, bien qu’ils reçoivent une alimentation très suffisante ; d’autres lèchent leurs voisins, la mangeoire, le sol, etc. Ces habitudes indiquent ordinairement que les animaux ne trouvent pas dans leur ration une quantité de sel suffisante. Il faut alors mettre une pierre de sel dans la mangeoire ou saler les aliments.
24° Chevaux qui ruent contre les poteaux des stalles. — Le travail seul guérit sûrement de ce vice. Cependant, on obtient quelquefois de bons résultats d’une botte de houx ou d’épines attachée contre le poteau. Les entraves empêchent aussi les animaux de ruer, si on les met longtemps et constamment.
B. — Des vices proprement dits
Les vices proprement dits sont des défauts moraux graves qui témoignent d’une nature indocile, entêtée ou peureuse, et qui rendent l’animal dangereux ou même inutilisable.
1° Chevaux rétifs. — Le cheval rétif prend avec obstination une direction différente de celle qui lui est demandée, refuse de passer par certains endroits, s’arrête, oppose la force d’inertie, ou se cabre, rue et mord. C’est un animal qui reste généralement inutilisable.
2° Chevaux difficiles à approcher et à panser. — On doit les aborder franchement et en leur parlant, les caresser et ne pas les panser à l’étrille. Lorsque ces moyens ne suffisent pas, il faut user d’un procédé de contention quelconque.
3° Chevaux difficiles à harnacher, à atteler ou à monter. — Il faut les attacher court au râtelier, leur couvrir la tête, ou les entraver. Quelquefois même, on est obligé de recourir au tordnez. Il est rare que ces vices disparaissent complètement.
4° Chevaux difficiles à ferrer. — La plupart du temps, avec p. 247de la patience et de la douceur, on arrive à ferrer les chevaux les plus difficiles. Si quelques-uns résistent aux moyens doux, il est rare qu’à l’aide du caveçon tenu par le maréchal, tandis qu’un aide cherche à lever le membre, on n’arrive pas à de bons résultats. Les chevaux réellement méchants et les juments pisseuses seuls résistent quelquefois.
D’ailleurs, il est bon de savoir que certains chevaux veulent être ferrés en compagnie de leurs camarades ou à l’écurie ; que d’autres, enfin, se laissent plus facilement ferrer lorsqu’ils sont détachés ou lorsqu’ils ont les yeux couverts, etc., etc. Dans tous les cas, il est toujours absolument prudent, avant d’acheter un cheval, de s’assurer s’il se laisse bien lever les pieds.
5° Chevaux mordeurs. — On peut employer la muselière ; mais le meilleur moyen de faire disparaître ce vice est de corriger sévèrement les chevaux aussitôt qu’ils veulent essayer de mordre, ce qu’on reconnaît d’ordinaire quand on les voit coucher les oreilles.
6° Chevaux qui se cabrent et qui frappent du devant. — Le cabrer, lorsqu’il n’est pas une manifestation de la gaieté, est peut-être le défaut le plus grave qu’on puisse rencontrer chez le cheval, surtout lorsqu’en même temps celui-ci frappe du devant. Les cabreurs, en effet, peuvent non seulement renverser leurs cavaliers, mais se renverser eux-mêmes et blesser gravement ceux qui les montent. On remédie quelquefois à ce vice en attachant les animaux court à l’écurie et en employant la martingale lorsqu’on les attèle ou qu’on les monte.
Ce sont surtout les chevaux entiers qui se montrent enclins à mordre et à frapper du devant. On voit rarement disparaîre ce dangereux défaut.
7° Chevaux rueurs. — La plate-longe jetée en travers de la croupe, d’un brancard à l’autre, est un moyen assez pratique de maîtriser les chevaux rueurs attelés. Quant aux chevaux de selle, le dressage seul peut faire disparaître ce vice. La jument a plus de tendance à ruer que le cheval. D’où ce vieux dicton : Méfiez-vous du devant du cheval entier et du derrière de la jument.
Quoi qu’il en soit, le cheval animé de mauvaises intentions prévient généralement l’homme :
« S’il se dispose à mordre, à frapper du devant, à ruer, ses oreilles se couchent, ses yeux prennent une expression menaçante et sournoise, ses joues se rident, ses lèvres se plissent, sa tête s’allonge vers l’homme.
p. 248« S’il piétine sur place, tourne une oreille et le train de derrière du côté de l’homme, c’est un coup de pied qui se prépare (fig. 104 du texte).
Fig. 104. — Physionomie du cheval méchant
« Le cheval et surtout la jument qui fouaillent de la queue ruent souvent »5 .
8° Chevaux qui reculent. — En dehors du dressage, il n’y a p. 249pas moyen de remédier à ce vice également très grave. Il importe donc de chercher à le reconnaître lors de l’examen de l’animal en vente.
9° Chevaux peureux.—Les chevaux peureux exposent sans cesse ceux qui les conduisent à des accidents graves. Mais, à moins que le défaut soit le résultat d’une défectuosité quelconque du côté des appareils de la vision ou de l’audition, il disparaît assez souvent par le dressage.
10° Chevaux qui ont de l’aversion. — MM. Goubaux etBarrier citent des exemples très remarquables de chevaux ayant de l’aversion pour certaines couleurs, pour certains objets déterminés, pour certains animaux, pour d’autres chevaux présentant une robe différente de la leur. On ne peut guère remédier à ce vice.
11° Chevaux qui s’emportent. — Le cheval emporté se lance à corps perdu devant lui ; il n’a plus conscience de ce qu’il fait ; il ne voit plus, n’entend plus, ne sent plus. Ce n’est plus un être vivant, c’est une machine en mouvement abandonnée à elle-même. Aussi, ne doit-on jamais hésiter à se débarrasser du cheval qui présente ce défaut, d’ailleurs absolument irrémédiable, malgré les nombreux moyens préconisés pour le faire disparaître. D’un autre côté, aucun des systèmes mis en usage jusqu’ici pour arrêter les chevaux emportés n’est réellement pratique.
12° Chevaux tirant sur le licol. — Certains chevaux essayent de se détacher en se laissant tomber sur les hanches ; ils pèsent de tout leur poids sur la longe, jusqu’à ce que celle-ci se rompe ou qu’ils s’aperçoivent qu’elle est trop résistante.
On qualifie généralement ce défaut en disant que le cheval tire au renard. Deux moyens sont à tenter pour le faire disparaître : le premier consiste à effrayer le cheval et à le faire tomber en lâchant la corde au moment où il essaye de la rompre ; l’autre moyen, que nous croyons de beaucoup préférable, est d’attacher l’animal à l’aide d’un licol en corde ou en cuir, dit licol de force, si solide que, quelque force qu’il déploie, il ne puisse parvenir à se débarrasser.
13° Chevaux qui sortent brusquement des brancards. — Certains chevaux, lorsqu’on les dételle, ont la dangereuse habitude de sortir brusquement des brancards. On prévient les accidents qui pourraient résulter de ce vice en s’entourant de précautions pour dételer l’animal qui le présente ; mais le seul moyen d’y remédier est de couvrir les yeux du cheval.