Chapitre XV
Tares des membres
(Pl. V)
Comme on est loin encore de s’entendre aujourd’hui sur le nombre et la nature des tares, il est difficile de les définir d’une façon nette et précise. Toutefois, on donne le plus ordinairement le nom de tare à « toute trace apparente de dépréciation ayant son siège à la peau ou dans les parties sous-jacentes1 » (traces de feu, tumeurs dures ou molles des membres, etc.).
Il résulte de cette définition qu’il nous faudrait entrer dans des détails que ne comporte pas notre travail si nous voulions faire la simple énumération des tares les plus fréquentes. Aussi, nous contenterons nous de décrire ici ce qu’on pourrait appeler les tares proprement dites, les tares des membres, représentées par des « tumeurs dures ou molles placées le long des rayons osseux et au pourtour des articulations, qui gênent plus ou moins les mouvements des membres, et rendent très souvent les chevaux boiteux2 . »
p. 234De beaucoup les plus nombreuses, les plus fréquentes et aussi les plus graves, ces tares ont été divisées en tares dures ou osseuses et en tares molles.
Nous étudierons successivement chacune d’elles dans les membres postérieurs et dans les membres antérieurs.
I. — Tares dures
(Fig. 1, 2, 3)
Les tares dures ou osseuses sont constituées par des tumeurs de volume variable, plus ou moins régulières, reconnaissant pour causes l’usure, des contusions ou une prédisposition que les animaux tiennent de leurs ascendants ; dans ce dernier cas, on les voit se produire en divers endroits sans la moindre cause apparente.
Nous ferons remarquer, avec MM. Goubaux et Barrier, que les tumeurs des os résultant de l’usure n’apparaissent jamais qu’aux points d’implantation des grands ligaments articulaires ; car c’est au niveau de ces points que les tiraillements, les distensions se propagent au périoste et l’enflamment, ainsi que toutes les surfaces osseuses recouvertes par ces mêmes ligaments.
Il sera, d’ailleurs, facile de suivre ce processus en examinant attentivement les différentes figures de la Pl. V : tandis que le premier plan de chacune d’elles représente les tares telles qu’on les observe extérieurement sur l’animal vivant, le second plan en fait voir la nature intime, et montre comment, dans certains cas, elles peuvent à la fois gêner le jeu des articulations, des tendons, des ligaments, et, par suite, provoquer une claudication plus ou moins intense.
A. — Membres postérieurs
(Fig. 1, 2, 3)
Jarret
Les tares osseuses du jarret ont reçu les noms de courbe, éparvin, et jarde.
1° Courbe (fig. 1 et 3, I, 1). — La courbe est située à la partie supérieure de la face interne du jarret. C’est une périostose de p. 235la tubérosité interne et inférieure du tibia, ainsi qu’on pourra le reconnaître en mettant à découvert le deuxième plan des figures 1 et 3, 2). La courbe est assez rare et ne fait boiter que dans le principe ; une fois son développement terminé, la claudication disparaît généralement.
2° Éparvin (fig. 1 et 3, I, 2). — L’éparvin se développe à la base et à la partie interne du jarret. Il envahit habituellement toute la portion des os du tarse et du métatarse recouverte par l’épanouissement de l’extrémité inférieure du ligament latéral interne de l’articulation (fig. 1 et 3, II, 2).
« La gravité plus ou moins grande de cette tare dépend de son volume, de sa forme et de sa position. Situé au-dessus de la châtaigne, l’éparvin offre peu d’inconvénients ; placé plus haut et en arrière, il est assez grave ; mais le plus dangereux se trouve en avant3 . ». Dans tous les cas, avant l’apparition de toute tumeur à l’extérieur, l’éparvin détermine une boiterie plus ou moins intense, qui disparaît assez souvent quand l’éparvin est sorti, ou diminue au moins d’intensité.
La cause de cette tare est la même que celle de la plupart des tumeurs osseuses ; c’est la violence des pressions, des tiraillements que les os et les ligaments du jarret éprouvent dans les sauts, dans les allures rapides, etc. ; aussi est-elle surtout fréquente sur les jarrets droits et coudés.
On donne généralement le nom d’éparvin calleux à l’exostose que nous venons de décrire, pour la distinguer de l’éparvin sec, sorte de mouvement convulsif à siège mal déterminé, qui se manifeste dans la flexion du membre postérieur pendant la marche, surtout au départ, et qu’on désigne par le terme de harper (Voy. chap. IX, Défectuosités des allures, p. 185).
3° Jarde (fig. 2 et 3, I, 1, 3). — On donne le nom de jarde ou de jardon (expressions que l’on doit considérer comme synonymes) à une tumeur osseuse située à la partie inférieure et postérieure du jarret. Elle atteint la tête du péroné externe (fig. 2 et 3, II, 1, 3), c’est-à-dire l’insertion du puissant ligament calcanéo-métatarsien, d’autant plus exposé aux tiraillements que les tractions qui les produisent s’exercent à l’extrémité d’un calcanéum plus long et plus oblique sur le tibia ; c’est ce qui explique sa grande fréquence sur les jarrets coudés.
p. 236D’après les observations de MM. Goubaux et Barrier, il est absolument rare que la jarde atteigne les os tarsiens externes. Aussi est-elle beaucoup moins grave que l’éparvin.
On reconnaît facilement cette tare en examinant le jarret de profil ; car, alors, la ligne qui part du sommet du calcanéum, au lieu de tomber parfaitement droite jusque sur le boulet, décrit une courbe plus ou moins sensible au niveau de la tête du péroné externe.
B. — Membres antérieurs
(Fig. 5)
a. — Genou
Les tares dures du genou ont reçu les noms d’osselets, de genou cerclé.
Osselets (fig. 5, I, I). — Ce sont de petites saillies osseuses débutant sur la tête des métacarpiens rudimentaires, de préférence au côté interne, puis s’étendant de proche en proche aux pièces des deux rangées du carpe (fig. 5, II, I). Lorsque ces petites tumeurs se généralisent, on est dans l’habitude de dire que le genou est cerclé.
Les osselets sont des tares graves donnant souvent lieu à une claudication rebelle.
b. — Canon
On appelle suros les tares osseuses du canon. II est à noter qu’à partir de cette région jusqu’à l’extrémité inférieure du membre, les tares dures ou molles que nous rencontrerons sont communes aux membres antérieurs et aux membres postérieurs.
Suros (fig. 5, I, 2). — Ces exostoses se montrent de chaque côté du canon, sur un point quelconque de sa longueur ; elles n’ont donc pas de siège bien fixe.
Toutefois, dans la grande majorité des cas, les suros se développent sur le ligament interosseux qui unit le péroné à l’os principal du canon, à la suite des tiraillements subis par ce ligament sous l’influence des pressions verticales de haut en bas qui s’exercent sur la tête du péroné pendant les allures (fig. 5, II, 2).
Dès lors on comprend parfaitement que les suros soient plus fréquents sur les jeunes chevaux utilisés trop tôt et sans mesure, p. 237que sur les vieux, où les péronés (réunis à l’os principal du canon par un ligament, seulement dans le jeune âge) sont complètement soudés. On s’explique non moins facilement pourquoi ces exostoses se remarquent plus souvent aux membres antérieurs qu’aux membres postérieurs et du côté interne qu’en dehors, si l’on se rappelle :
1° Que les membres antérieurs sont plus rapprochés du centre de gravité ;
2° Que le poids du corps surcharge davantage les parties internes ;
3° Que les pressions éprouvées par les os sont proportionnelles aux surfaces comprimées. Or, on sait que les surfaces articulaires des péronés internes sont plus étendues que celles du côté externe.
Les suros sont simples (fig. 5), doubles, ou chevillés, lorsqu’il en existe un de chaque côté se correspondant.
On les dit encore en fusée, lorsque plusieurs se suivent sur le même point.
Il arrive fréquemment que le suros ne fait boiter que dans le principe de sa formation, ou lorsqu’il est très développé, très reporté en arrière et gêne le jeu des tendons fléchisseurs. Le plus souvent, enfin, le suros s’éteint.
c. — Paturon
Formes (fig. 5, I, 3). — Les exostoses du paturon, formes phalungiennes, ou mieux osselets, sont relativement peu fréquentes et causent ou non des claudications. Elles siègent en général sur les faces latérales du premier phalangien ou sur les côtés de l’articulation de la première avec la deuxième phalange (fig. 5, II, 3).
d. — Couronne
Formes. — Beaucoup plus fréquentes qu’au paturon, les tumeurs osseuses de la couronne ont reçu les noms de formes coronaires ou de formes cartilagineuses, selon qu’elles se développent sur la deuxième phalange ou dans l’épaisseur des cartilages complémentaires de l’os du pied.
Ces formes sont très graves et font souvent boiter, surtout au début.
On les reconnaît à la tuméfaction dure, résistante, qui survient sur les faces antérieures et latérales de la région coronaire.
II. — Tares molles
Les tares molles sont constituées par des tumeurs élastiques, souvent indolentes, qu’on rencontre au pourtour des articulations ou sur le trajet des tendons.
Véritables hydropisies des membranes synoviales articulaires ou tendineuses, elles résultent généralement d’un travail exagéré entraînant une suractivité fonctionnelle de ces mêmes membranes et, conséquemment, une sécrétion anormale de synovie, qui s’épanche en plus ou moins grande quantité à leur intérieur.
Ces tares ont reçu des noms particuliers suivant les formes qu’elles affectent ou la région qu’elles occupent. C’est ainsi que les tares molles des régions supérieures des membres, celles du jarret et du genou, par exemple, ont reçu les noms de vessigons, de capelet, tandis que celles des régions inférieures sont connues sous la dénomination de molettes. Les unes et les autres sont encore dites articulaires ou tendineuses, selon qu’elles affectent les synoviales des articulations ou celles qui facilitent le glissement des tendons.
Comme pour les tares dures, il sera facile d’en suivre le processus en examinant successivement les deux plans des figures 4 et 6 de la planche V.
D’une façon générale, les dilatations des synoviales articulaires ou tendineuses présentent les mêmes inconvénients que les tumeurs osseuses, mais à un degré moindre le plus souvent. Ces inconvénients varient, d’ailleurs, suivant le siège, l’étendue et aussi le degré d’ancienneté des tares, puisqu’il peut arriver que leurs parois s’indurant, s’ossifiant même, le jeu des rayons soit tellement limité qu’on ne puisse plus utiliser les chevaux ainsi tarés qu’au service du pas.
A. — Membres postérieurs
(Fig. 4)
a. — Jarret
Le jarret peut être atteint de vessigons articulaires ou tendineux. 1° Vessigons articulaires (fig. 4, I, 1. 1). — Les vessigons articulaires p. 239sont au nombre de trois. Le premier existe dans le pli du jarret, dont il modifie le profil de la face antérieure. Les deux autres sont situés en arrière, entre le tibia et le tendon du perforant ou fléchisseur profond des phalanges ; l’externe manque quelquefois et est toujours plus petit quand il existe (fig. 4, II, 9. 9).
Ces vessigons sont plus graves que les vessigons tendineux.
2° Vessigons tendineux (fig. 4, 1, 2. 2, 3). — Le vessigon tarsien, le plus grave et le plus fréquent (fig. 4, 1 ; 2. 2), se caractérise par des tumeurs sous-cutanées qui apparaissent à la partie supérieure du jarret, dans les points où la membrane synoviale n’est pas soutenue. La tumeur supérieure est située dans le creux du jarret, immédiatement au-dessous de la corde (tendon d’Achille) ; l’inférieure siège tout à fait à la base et en arrière du jarret, entre le métatarse et les tendons fléchisseurs des phalanges (fig. 4, II 10. 10).
Il n’est pas rare, enfin, de rencontrer une dilatation de la petite gaîne qui facilite le glissement du tendon cunéen du fléchisseur du métatarse sur le côté du tarse (fig. 4, II, 11). Située à la base et au côté interne du jarret, cette petite tumeur a reçu le nom de vessigon cunéen (fig. 4, I, 3).
Quant au capelet (fig. 4, I, 4), tumeur molle située à la pointe du jarret, il n’est pas dû, comme quelques auteurs l’ont écrit, à la distension de la synoviale vésiculaire qui facilite le glissement du tendon des jumeaux ou d’Achille sur le sommet du calcanéum ; c’est un simple hygroma (fig. 4, II, 12).
b. — Boulet
Les tares molles du boulet ont reçu le nom de molettes, et elles existent aussi bien aux membres postérieurs qu’aux membres antérieurs. Aussi, nous dispenserons-nous de les décrire une seconde fois quand nous examinerons les dilatations synoviales qu’on observe sur ces derniers.
1° Molettes articulaires (fig. 4, I, 5). — Les molettes articulaires se montrent au-dessus du boulet, et se trouvent situées entre le métatarse et la branche correspondante du ligament suspenseur du boulet (fig. 4, II, 13). Elles sont toujours plus graves que les molettes tendineuses.
2° Molettes tendineuses (fig. 4, I, 6). — Les molettes tendineuses p. 240sont également situées au-dessus du boulet, mais plus en arrière et plus haut que les molettes articulaires. Elles se trouvent exactement comprises entre le ligament suspenseur et les tendons fléchisseurs des phalanges (fig. 4, II, 14).
B. — Membres antérieurs
(Fig. 6)
a. — Genou
Comme le jarret, le genou peut être atteint de vessigons articulaires ou tendineux.
1° Vessigons articulaires. — Les vessigons articulaires appartiennent, ou à l’articulation radio-carpienne, ou à l’articulation inter ou médio-carpienne. Les premiers, au nombre de deux, sont situés : l’un, le seul visible sur la figure 6, au côté externe du genou (fig. 6, I, 1), immédiatement au-dessus de l’os sus-carpien et contre le radius (fig. 6, II, 8) ; l’autre, en haut de la face antérieure du genou.
Les vessigons de l’articulation médio-carpienne, au nombre de deux ou de trois, sont placés sur le milieu de la face antérieure du genou (fig. 6, I, 2. 2), entre les tendons extenseurs des phalanges et du métacarpe (fig. 6, II, 9. 9).
2° Vessigons tendineux (fig. 6, I, 3. 3, 4). — Le vessigon tendineux le plus fréquent et le plus volumineux du genou a reçu le nom de vessigon carpien (fig. 6, I, 3. 3) ; il forme deux tumeurs en arrière du carpe : l’une interne, l’autre externe, comprises entre le radius et les muscles fléchisseurs du métacarpe (fig. 6, II, 10. 10). Ces tumeurs remontent plus haut que le vessigon articulaire et se distinguent encore de celui-ci en ce qu’elles se prolongent au-dessous du genou par une dilatation allongée, suivant le trajet des fléchisseurs.
D’autres vessigons se développent aussi en avant du carpe et du ligament capsulaire antérieur, sous les tendons extenseurs ; le plus fréquent (fig. 6, I, 4) est situé entre les tendons extenseurs antérieurs du métacarpe et des phalanges (fig. 6. II, 11).