Richard, Étude du cheval de service et de guerre. Paris, 6e édition.
Goubaux et Barrier, De l’extérieur du cheval, Paris, 1884.
F. Lecoq, Traité de l’extérieur du cheval. Paris, 1870.
Colonel Duhousset, Le Cheval, Paris, 1881. Desfossés et Cie.
Moll et Gayot, La Connaissance générale du cheval. Paris, 1872.
Sanson, Traité de zootechnie. Paris, 1878, t. III.
p. 125

Chapitre III
Des proportions

On entend par proportions les rapports de dimensions que les régions doivent avoir entre elles et avec l’ensemble pour que de leur action résultent des mouvements faciles et sûrs.

C’est à tort qu’on attribue à un hippiâtre italien du XVIe siècle, Grisone1, la première idée des proportions du cheval ; il suffit, en effet, de jeter un coup d’œil sur les écrits de cet auteur pour reconnaître qu’il s’est tout simplement occupé de déterminer les caractères propres p. 126à telle ou telle région, sans établir de rapport entre les dimensions de l’une et celles de l’autre.

Avant lui, d’ailleurs, un vétérinaire arabe du XVIe siècle, Abou-Bekr ben Bedr, donnait déjà, dans son livre le Nâcerî2, quelques indications relativement aux mesures que doit avoir, chez le cheval, telle région comparée à telle autre.

Mais, malgré leur originalité, ces indications elles-mêmes sont tellement vagues et incomplètes, que c’est bien à Bourgelat que revient tout le mérite des proportions ; le premier, en effet, il les a établies d’une façon rationnelle, en prenant pour unité de mensuration la tête même de l’animal qu’il examinait. Il a ensuite subdivisé la tête en trois parties, ou primes, chaque prime en trois secondes, et chaque seconde en vingt-quatre points, de façon à pouvoir apprécier les plus petites dimensions.

Disons tout d’abord que, sans contester d’une façon absolue l’exactitude et l’utilité des proportions de Bourgelat, la plupart des auteurs ont critiqué les minuties dans lesquelles il est entré et n’ont accepté de son système que les règles principales.

M. Richard a même été plus loin : il a entièrement condamné ce système, comme étant « sans base raisonnée, sans motif fondé3. »

La question en était là lorsque M. le colonel Duhousset, puis MM. Goubaux et Barrier, vinrent appuyer de leur autorité la méthode de Bourgelat. Se rangeant néanmoins à l’avis de la majorité des hippologues, ces auteurs considèrent comme superflus les détails infinis dans lesquels est entré le fondateur des écoles vétérinaires ; MM. Goubaux et Barrier lui reprochent même :

« 1° D’avoir cru à la valeur absolue de ses règles, alors qu’elles sont essentiellement relatives à chaque genre de service en particulier ;

« 2° D’avoir méconnu les compensations qui règnent entre les régions ;

« 3° D’avoir laissé pour ainsi dire absolument de côté les rapports angulaires entretenus par les rayons osseux des membres ;

« 4° Enfin, d’avoir omis de parler des rapports de l’ensemble avec le système nerveux4. »

p. 127Mais, selon eux, ces exagérations, ces inexactitudes et ces omissions ne condamnent en aucune façon ce que le système a de vrai : « Bourgelat, disent-ils, a tenté de déterminer les rapports des parties entre elles et avec l’ensemble, c’est là son idée directrice ; il a vu, il a senti ces rapports, c’est là son mérite ; enfin, il en a trouvé quelques-uns qui resteront impérissables et qui témoignent des résultats auxquels peut conduire une idée juste secondée par un jugement sûr et un talent exceptionnel. »

Plus loin, d’ailleurs, ils proclament hautement que l’étude des proportions est des plus fructueuses, non seulement pour celui qui veut arriver vite à se former le coup d’œil et le jugement, mais encore pour l’artiste soucieux d’imprimer à ses œuvres l’exactitude de limitation.

À ce double point de vue, nous sommes absolument d’accord avec les auteurs précités ; mais, quant à l’utilité pratique des proportions, nous avouons ne pas y croire beaucoup ; nous sommes même bien près de partager la manière de voir de M. Richard relativement aux détails du système de Bourgelat ; comme lui, nous pensons qu’on ne peut pas limiter, en extérieur, le développement du garrot, la hauteur de la poitrine, celle des épaules, etc. ; comme lui, enfin, nous croyons qu’ « on ne trouvera jamais un boulet ou un avant-bras trop larges, ce dernier trop long, un genou trop développé, un tendon trop détaché, etc., etc.5. » Si, d’un autre côté, nous pensons avec Lecoq que « l’opinion de M. Richard laisse intact le principe relatif aux proportions d’ensemble, d’après lequel la longueur et la hauteur du corps doivent être égales dans un cheval bien conformé6 », nous n’en restons pas moins convaincu que, d’une manière générale, les proportions ne peuvent avoir qu’une importance secondaire au point de vue purement pratique, seraient-elles exactes dans tous leurs détails et applicables à tous les chevaux.

Et ceci est tellement vrai qu’il n’est pas un seul connaisseur réellement digne de ce titre qui se trouverait embarrassé en présence d’un cheval acéphale, dont il aurait à apprécier, sous le rapport des proportions, les autres parties du corps.

Toutefois, le système de Bourgelat a été tellement élargi depuis la mort de son auteur qu’il est vrai de dire que l’étude des proportions p. 128telles que nous les trouvons exposées dans le Traité de l’extérieur du cheval de MM. Goubaux et Barrier, offre, dans certains cas, une incontestable utilité pratique. Mais, nous le répétons, c’est surtout pour l’artiste et le débutant que cette étude sera fructueuse.

À l’exemple des auteurs ci-dessus, auxquels nous empruntons, d’ailleurs, une bonne partie des détails qui suivent, nous comprendrons dans les proportions : 1° les relations de dimensions des parties constituantes du corps ; 2° les rapports de direction que peuvent affecter les rayons osseux les uns avec les autres ; 3° les rapports généraux de l’ensemble ; 4° enfin, les rapports de l’ensemble avec le système nerveux.

A. — Rapports de dimensions des parties entre elles

Comme il nous est impossible de relater ici les différents résultats auxquels sont arrivés les hippologues qui, avec Bourgelat, se sont occupés de la question des proportions, nous nous contenterons de résumer dans ce paragraphe les conclusions de M. le colonel Duhousset, l’homme qui, en France, s’est le plus attaché, depuis une vingtaine d’années, aux mensurations de toutes les régions du cheval.

De même que Bourgelat, M. Duhousset7 a choisi la tête pour unité de mesure. Aussi, ses dimensions se rapprochent-elles beaucoup de celles du fondateur des écoles vétérinaires (fig. 79 du texte) :

« La longueur de la tête se retrouve à peu près exactement :

1° Du dos au ventre, NO ;

2° Du sommet du garrot à la pointe du bras, HE ;

3° Du pli supérieur du grasset à la pointe du jarret, J’J ;

4° De la pointe du jarret à terre, JK ;

5° De l’angle dorsal du scapulum à la pointe de la hanche D’D ;

6° Du passage des sangles au boulet, MI ; au-dessus de celui-ci pour les grands chevaux et ceux de course ; au milieu et au bas pour les petits et ceux de taille moyenne ;

7° Du pli supérieur du grasset au sommet de la croupe. « Deux fois et demie la tête donnent :

1° La hauteur du garrot H, au-dessus du sol ;

p. 1292° La hauteur du sommet de la croupe au-dessus du sol ;

3° Très fréquemment la longueur du corps, depuis la pointe du bras jusqu’à celle de la fesse.

« La longueur de la croupe, de la pointe de la hanche à celle de la fesse, DF, est toujours inférieure à celle de la tête : cela varie de 5 fesse, DF, est toujours inférieure à celle de la tête : cela varie de 5 à 10 cent.

« Quant à sa largeur d’une hanche à l’autre, elle ne dépasse que très peu sa longueur (souvent elle lui est égale).

« La croupe DF se rencontre assez exactement, comme longueur, quatre fois sur le même cheval :

Fig. 79. — Les proportions sur le cheval vu de profil.

« 1° De la pointe de la fesse à la partie inférieure du grasset, FP ;

« 2° Comme largeur de l’encolure à son attache inférieure, de son insertion dans le poitrail à l’origine du garrot, SX ;

« 3° De l’insertion de l’encolure dans le poitrail au-dessous de la ganache, XQ, lorsque la tête est placée parallèlement à l’épaule ;

« 4° Enfin, de la nuque au naseau, nn’, ou à la commissure des lèvres.

« La mesure de la moitié de la tête guidera aussi beaucoup pour la construction du cheval, lorsqu’on saura qu’elle s’applique fréquemment à plusieurs de ses parties, savoir :

p. 130« 1° Du point le plus saillant de la ganache au profil antérieur du front, au-dessus de l’œil, PQ (épaisseur de la tête) ;

« 2° De la gorge au bord supérieur de l’encolure, en arrière de la nuque, QL (attache de la tête) ;

« 3° De la partie inférieure du genou à la couronne, TT’ ;

« 4° De la base du jarret au boulet, VU ;

« 5° Enfin, de la pointe du bras à l’articulation du coude. »

Dans le coin de la figure 79, AB représente la longueur de la tête ; B, 2, la moitié ; B, 4, le quart ; BG est une verticale égale à celle du garrot H, au sol.

Proportions de la tête.

La tête étant prise comme unité de mesure, il est évident que ses proportions offrent une grande importance. Dans le but de nous rapprocher le plus possible de la vérité, nous les prendrons sur un cheval intermédiaire entre le cheval fin et celui de trait.

C’est, d’ailleurs, ainsi qu’a procédé M. le colonel Duhousset, auquel nous empruntons encore les mesures suivantes :

« Longueur, de la nuque au bout des lèvres, 0m, 60.

« Épaisseur, du bord refoulé de la ganache à la face antérieure, 0m, 30.

« Largeur, d’une arcade orbitaire (point extrême, la tête vue de face) à l’autre, 0m, 22. »

B. — Rapports angulaires des rayons osseux

Des rapports de direction ou du mode de superposition des rayons locomoteurs résultent, sur le trajet de ceux-ci, des angles dont le sommet correspond toujours au centre de mouvement d’une articulation, et dont le sinus regarde constamment, soit en avant, soit en arrière de l’animal.

Ce sont ces rapports de direction, ces inclinaisons des rayons osseux et les angles qu’ils forment, que nous allons essayer de passer en revue dans ce paragraphe.

En outre de la Théorie de la similitude des angles et du parallélisme des rayons que faisait paraître, en 1835, le capitaine Morris8 et que p. 131M. le professeur Neumann9, de l’école vétérinaire de Toulouse, a, depuis, victorieusement réfutée, plusieurs tentatives ont été faites par MM. Vallon, Daudet, et le professeur Lemoigne, de Milan, dans le but d’arriver à la connaissance des angles articulaires du cheval. Mais, de tous ces expérimentateurs, le dernier seul est arrivé à des résultats précis10, ainsi qu’ont pu le vérifier tout récemment MM. Goubaux et Barrier11, dont les observations, que nous reproduisons dans le tableau ci-dessous, se rapprochent, en effet, beaucoup de celles du professeur italien. Recueillies avec soin et à l’aide d’instruments spéciaux, ces observations portent sur un grand nombre de sujets de services divers, mais de conformation irréprochable dans leur genre, et présentent, par ce fait même, un intérêt tout particulier.

Inclinaisons des rayons locomoteurs sur l’horizon et valeur des angles articulaires chez les chevaux de vitesse.

DÉSIGNATION DES ANGLES

INCLINAISON

VALEUR de L’ANGLE COMPRIS

du RAYON SUPÉRIEUR

du RAYON INFÉRIEUR

Membre antérieur.

Scapulo-huméral...

60°

50 à 55°

110 à 115°

Huméro-radial...

50 à 55°

90°

140 à 145°

Métacarpo-phalangien...

90°

60°

150°

Membre postérieur.

Coxo-fémoral...

30 à 35°

80°

110 à 115°

Fémoro-tibial...

80°

65 à 70°

145 à 150°

Tibio-tarsien...

65 à 70°

90°

155 à 160°

Métatarso-phalangien...

90°

65°

155°

p. 132« Le degré d’ouverture des angles locomoteurs du cheval, d’après MM. Goubaux et Barrier, a une influence capitale sur le déploiement de la vitesse ; ils rappellent, d’ailleurs, en terminant :

« 1° Que la fermeture des angles supérieurs (scapulo-huméral et coxo-fémoral) est une des premières beautés à rechercher pour les chevaux rapides ;

« 2° Que les angles huméro-radial et fémoro-tibial exigent une ouverture suffisante... ;

« 3° Que la fermeture des angles supérieurs doit tenir surtout à l’inclinaison de leurs rayons supérieurs ; scapulum ou coxal... ;

« 4° Enfin, que le jeu complet et aisé des angles locomoteurs implique de toute nécessité telles inclinaisons de leurs branches qui leur permettent de s’écarter ou de se rapprocher dans le sens du mouvement en avant, et non en hauteur, ce qui occasionnerait une perte de force et de temps essentiellement préjudiciable à la vélocité de l’allure12. »

C. — Rapports généraux de l'ensemble

Hauteur. — La hauteur moyenne du cheval bien conformé est de deux têtes et demie, d’après la judicieuse observation de Bourgelat. Les animaux qui dépassent ce chiffre d’une façon sensible, de même que ceux qui ne l’atteignent pas, sont disproportionnés, décousus.

Longueur. — La longueur du corps se mesure de la pointe de l’épaule à celle de la fesse. Bourgelat lui assigne également, et avec raison, deux têtes et demie sur les chevaux bien conformés. MM. Goubaux et Barrier recommandent de se renseigner très exactement sur la valeur des divers éléments qui composent la longueur du corps, et de ne pas se contenter d’évaluer superficiellement cette dimension, même lorsqu’elle semble dans les conditions indiquées plus haut... « En assignant deux têtes et demie à la longueur, disent-ils, nous avons entendu parler en même temps d’une distance scapuloiliale convenable, d’une épaule et d’une croupe bien faites13... »

Rapports entre la hauteur et la longueur. — Pour les services rapides, Bourgelat a considéré, avec raison, l’égalité p. 133entre la hauteur et la longueur comme le juste milieu à atteindre ; à fortiori, ce juste milieu doit-il être le même pour les services lents.

Ampleur. — L’ampleur, ou développement transversal du corps, au niveau du poitrail, de la poitrine, et de la croupe, doit être considérable chez le cheval de gros trait, auquel elle donne à la fois de la masse et de la puissance. On la recherche moyenne chez les chevaux de l’armée et chez ceux de luxe. Pour les services rapides, au contraire, on préfère un tronc plus osseux, une poitrine plus profonde, des muscles plus denses ; une ampleur accusée serait même tout à fait préjudiciable.

Mais, quels que soient les services, le défaut absolu d’ampleur est un vice capital.

Rapports entre le corps et les membres. — Il ne suffit pas que le cheval soit bien conformé sous le rapport de la hauteur, de la longueur et de l’ampleur, il faut encore que le corps et les membres, c’est-à-dire le dessus et le dessous, entretiennent des relations convenables.

Les parties constituantes du corps ne pouvant guère pécher par excès de développement, ainsi que nous l’avons démontré précédemment, il s’ensuit que si la disproportion semble résulter du dessus comparé au dessous, c’est, le plus souvent, que celui-ci ne se trouve pas suffisamment charpenté pour supporter le premier.

De même, si la disproportion paraît tenir du dessous comparé au dessus, cela tient certainement à ce que le corps est grêle ; car si des membres solides, bien musclés, peuvent quelquefois être inutiles, ils ne sont jamais défectueux.

Le défaut de proportion entre le dessus et le dessous ne peut guère se reconnaître que par l’habitude jointe à la connaissance parfaite des beautés et des défectuosités de chaque région ; car là, plus que dans toute autre circonstance, les mensurations nous paraissent être d’une très faible utilité pratique.

C’est, dans tous les cas, un défaut capital que rien ne peut racheter et sur lequel nous ne saurions trop appeler l’attention du lecteur.

Comme le manque d’harmonie chez le cheval est généralement dû à la faiblesse des supports, on reconnaîtra les animaux présentant ce défaut à la grande longueur de leurs membres, au petit volume de p. 134leurs muscles, à l’étroitesse de leurs articulations, etc. ; ce sont ces chevaux qu’on qualifie généralement de manqués, de ficelles, de haut perchés, échassiers, etc.

D. — Rapports de l'ensemble avec le système nerveux

Il est indispensable, en dernier lieu, qu’il y ait harmonie, équilibre parfait, entre le système nerveux qui préside au fonctionnement des organes, qui dirige la machine, et les rouages de cette même machine : « Sans le système nerveux, disent MM. Goubaux et Barrier, les instruments locomoteurs ne sont rien ; sans eux, il est réduit à la plus stérile impuissance ; avec eux, il est tout14. »

Il s’ensuit que si la grande excitabilité nerveuse est à rechercher comme complément des qualités de solidité et de bon agencement de toutes les parties de l’animal, elle devient, par contre, nuisible chez les animaux dépourvus de ces dernières qualités physiques. Aucun doute ne peut subsister à cet égard.

Là se place naturellement une des questions les plus fréquemment discutées et les plus mal définies par les hippologues ; nous voulons parler du sang.

Du sang

Le cheval qui « a du sang ». — Pour beaucoup, un cheval « a du sang » lorsqu’il se montre doué à un haut degré de cette excitabilité dont nous venons de parler.

Pour d’autres, Gayot en particulier, « la désignation du sang a prévalu dans le langage hippique ; elle a remplacé le mot noblesse... Physiologiquement parlant, le sang est la source génératrice de toute trame organique ; il en contient le germe ; il est la cause de toutes les qualités physiques et morales ; il est le véhicule de tous les éléments de l’organisme... »15. C’est, en quelque sorte, l’expression d’une essence immatérielle, isolée et indépendante du corps qu’elle gouverne.

Suivant M. Magne, quand on dit d’un cheval qu’il a du sang, on entend p. 135simplement indiquer qu’il offre certains caractères extérieurs16.

Enfin, d’après MM. Goubaux et Barrier, lorsqu’on dit qu’un cheval a du sang, « on veut simplement exprimer que sa famille, sa race, ont subi le métissage de la noblesse à une époque plus ou moins reculée et dans une proportion plus ou moins accusée. On qualifiera, par suite, ajoutent-ils, de pur sang, l’animal de haute lignée, issu de race noble et absolument pur de toute souillure en ce qui concerne les alliances de ses propres ascendants... »

Pourtant, d’après les mêmes auteurs, si le sang est héréditaire, « il est aussi inné chez certains sujets appartenant à des races qui n’en possèdent pas habituellement », et même « il est un fait également démontré, c’est que le sang s’acquiert »17.

Il faut bien l’avouer, ces différentes définitions du sang ne sont guère plus claires les unes que les autres, et il en sera toujours ainsi tant que l’on conservera une expression née des idées fausses qu’on se faisait autrefois de la fécondation, conséquemment inexacte en elle-même et sujette aux mille acceptions diverses d’une chose exclusivement conventionnelle. Cependant, la définition qui fait du sang le presque synonyme de grande excitabilité nerveuse nous paraît devoir être préférée, non comme plus juste, mais comme exprimant mieux, à notre avis, l’idée qu’on se fait généralement d’un cheval dont on dit : Il a peu ou beaucoup de sang, il manque de sang, etc.

Si le sang peut être inné, s’il s’acquiert (et, pour nous, cela ne fait aucun doute), il est évident qu’il n’est pas l’apanage exclusif des chevaux qui « ont subi le métissage de la noblesse ». Il y a lieu d’admettre, au contraire, qu’un cheval, quels que soient ses ancêtres, quelle que soit sa provenance, peut être considéré comme ayant du sang, s’il a beaucoup d’énergie, de vigueur, etc.

Pour nous, enfin, si certaines races sont particulièrement favorisées sous le rapport de l’énergie, de l’excitabilité nerveuse, dans toutes on peut rencontrer des sujets ayant du sang ; il suffit souvent, en effet, de mettre les animaux dans des conditions de milieux convenables pour faire naître et fixer chez eux les aptitudes les plus élevées de l’espèce : « Dans les aliments de force, dit M. Sanson, est le secret ou la source p. 136de la véritable noblesse, de ce que les hippophiles les moins fantaisistes expriment en le nommant « le sang »18.

Quoi qu’il en soit et de quelque côté que se trouve la vérité, nous ne saurions trop critiquer cette absurde opinion d’après laquelle « le sang rachète tout ». Il faut être dépourvu de tout bon sens ou ne pas se faire la moindre idée de la machine du cheval pour soutenir sérieusement une pareille hérésie.

Le cheval « de pur sang- ». — Quant au cheval « de pur sang ou tout simplement « de sang », nous le qualifierons un animal de race fine, possédant au plus haut degré cette excitabilité nerveuse qui dénote « le sang », et pur de toute souillure en ce qui concerne les alliances de ses propres ascendants, au moins depuis une époque plus ou moins reculée ; car, pour le cheval anglais de course, par exemple, « quoiqu’il passe pour être uniquement du sang oriental, dit M. de la Gondie, le fait n’est point exact si l’on remonte au temps où l’on a commencé à enregistrer les faits »19.

Quelque bizarre que soit cette expression de pur sang, il nous appartient d’autant moins de la changer que, sur ce point, tout le monde se trouve à peu près d’accord. D’ailleurs, le cadre restreint de notre livre ne nous permet pas d’aller plus au fond de la question.

Différence entre le cheval qui « a du sang » et le cheval « de pur sang ». — En somme, le cheval « de pur sang » est un animal de race pure, fin, élégant, rapide, tandis que le cheval qui « a du sang » possède tout simplement une grande excitabilité nerveuse qui le rapproche plus ou moins du premier ; c’est du moins l’acception que l’usage semble avoir donnée aujourd’hui du mot sang.

On reconnaît l’animal qui a du sang à son regard vif, hardi ; à son œil bien ouvert ; à ses oreilles toujours dressées et très mobiles ; à une grande impressionnabilité nerveuse ; à la finesse et à la sensibilité de la peau ; au peu d’abondance de toutes les productions pileuses, etc.

p. 137
Résultat des belles proportions sur la résistance du cheval à la fatigue
Du fond.

Maintenant, qu’entend-on par fond ? « Dans le langage ordinaire, disent MM. Goubaux et Barrier20, le fond est celle faculté en quelque manière mystérieuse, cachée, secrète, que l’animal paraît avoir en réserve et à l’aide de laquelle il résiste mieux qu’un autre à la fatigue... »

« C’est un mot, ajoutent-ils plus loin, dans lequel on a tout résumé : Vérité, préjugés, erreurs ! »

Pour nous, si l’on pénètre plus loin dans l’essence même des choses, on arrive à reconnaître que le fond est tout simplement l’expression, le résultat d’une bonne conformation des régions, d’un parfait rapport de dimensions de ces régions entre elles et avec l’ensemble, d’une heureuse harmonie entre celui-ci et le système nerveux, d’une nourriture et d’un entraînement rationnels. Cependant, nous devons avouer avec MM. Goubaux et Barrier que, si l’étude de la conformation peut le faire préjuger, l’épreuve seule est capable de le mettre en évidence.

Il existe aussi bien chez les chevaux lents que chez ceux de vitesse, et s’il offre moins d’intérêt chez les premiers que chez les seconds, il ne s’ensuit pas qu’on doive qualifier de niaiserie [•] 21 la croyance au fond des chevaux qui n’ont pas de vitesse.

La niaiserie est bien plutôt le fait de ceux qui nient l’extraordinaire force de résistance de la plupart des chevaux de trait. S’ils avaient jamais vu un charretier embourbé ; s’ils s’étaient mieux rendu compte des énormes difficultés que ces animaux ont sans cesse à surmonter, surtout lorsque le terrain est gras, couvert de neige ou de verglas, ils ne porteraient pas sur les chevaux de camion, d’omnibus, d’artillerie, etc., une appréciation à la fois si légère et si injuste !

À notre avis, tout cela vient de ce que l’on a confondu résistance à la fatigue avec énergie et excitabilité nerveuse, fond avec sang ; de ce que l’on n’a pas bien compris que le sang est une qualité subordonnée à la forme, tandis que le fond est le résultat heureux d’une parfaite harmonie entre la conformation de l’animal et son système nerveux.

Toutefois, nous le répétons, le fond est beaucoup plus important à p. 138considérer chez les chevaux de vitesse ; car le travail est plus « considérable, la dépense plus forte et, conséquemment, la fatigue plus grande...

« It is the pace that kill, c’est le train qui tue !...» disent les Anglais, exprimant ainsi les pertes énormes que cause une course précipitée22.

Au point de vue qui nous occupe, de véritables tours de force (performances) ont été accomplis par certains chevaux exceptionnels. Citons-en quelques-uns : Le Stud Book anglais rapporte (tome III, p. 151) que Sharper, cheval de pur sang, parcourut, le 4 août 1825, à Saint-Pétersbourg, 80,100 mètres, soit un peu plus de 20 lieues, en 2 heures 48 minutes.

Youatt, de son côté, raconte qu’un cheval hackney fit l’énorme trajet de Londres à York (plus de 315 kilomètres) en 40 heures 35 minutes.

Enfin, le 3 avril 1882, un officier français, M. Prieur de la Comble, partait de Lunéville sur une jument hongroise, La Mascotte, et arrivait à Paris trois jours après, ayant parcouru en 72 heures les 388 kilomètres qui séparent les deux villes.

Ces exemples, pris au hasard parmi cent autres qu’il nous serait facile de signaler, montrent suffisamment de quel fond extraordinaire certains chevaux sont doués.

Il y a lieu de noter en passant que le fond du cheval est en partie subordonné à la manière dont on le conduit.

M. le général Bonie23, qui a spécialement étudié la meilleure combinaison des allures « pour marcher avec le moins de fatigue et le plus de vitesse possibles », estime qu’une troupe en marche24 doit l’aire 2 kilomètres au trot (le kilomètre en 4 minutes 15 secondes environ) et 1 au pas (le kilomètre en 10 minutes). Toutefois, c’est là une vitesse moyenne qu’il est souvent nécessaire d’augmenter, en campagne par exemple. Or, dit l’auteur précité, « deux moyens se présentent pour obtenir une rapidité plus grande. L’un consiste à prolonger la durée des temps de trot, l’autre, au contraire, à la diminuer, en abrégeant également la durée des temps de pas ».

Discutant successivement ces deux moyens, M. le général Bonio démontre que le second seul est acceptable. « Pour le cheval qui a peu p. 139de sang, dit-il, il importe d’alterner souvent les allures. On donne ainsi de fréquentes relâches au travail des poumons et des muscles, et l’animal chemine toujours calme et presque sans transpirer.

« Il ne faudrait pas cependant tomber dans l’exagération, et couper à chaque instant les allures. Un passage trop fréquent du pas au trot et du trot au pas énerverait hommes et chevaux. Il y a, entre les deux excès, un juste et sage milieu que l’expérience nous a permis de déterminer :

« Aucun cheval ne forge jusqu’à 1500 mètres. C’est une preuve que, sur cette distance, les muscles ont toujours le même ressort ; l’allure y est très franche, a de l’entrain, et se soutient d’elle-même sans fatigue. Passé ce point, le nombre de chevaux qui forgent va toujours en augmentant. Par contre, la vitesse diminue. Sous le rapport de la rapidité, la distance de 1500 mètres au trot est donc la plus avantageuse. Elle est aussi parfaitement ajustée à la puissance musculaire de nos chevaux, puisqu’il n’est pas besoin de stimuler leur ardeur, ni de réveiller leur énergie pour un effort aussi limité.

« Pour déterminer la durée du temps de pas qui se combinera avec les 1500 mètres de trot, nous interrogerons les poumons25 : Après 1500 mètres de trot, il faut cinq minutes de pas, ou 500 mètres, pour que la respiration du cheval redevienne calme et normale. Après 500 mètres de pas, on pourra donc reprendre le trot, et l’animal s’avancera, ainsi dans les meilleures conditions. »

Le nombre des haltes est encore à considérer M. le général Bonie admet qu’en temps ordinaire (paix), si l’étape ne dépasse pas 28 kilomètres, deux haltes sont suffisantes : l’une à 5 ou 6 kilomètres du départ ; l’autre à 10 kilomètres de l’arrivée. Au-dessus de 28 kilomètres et jusqu’à 40, entre la première halte, qui est de cinq minutes, et la dernière, on arrêtera à moitié distance et on mettra pied à terre pendant un quart d’heure.

En temps de guerre, le nombre des haltes doit se calculer d’après la vitesse adoptée pour la route, en raison de la longueur du trajet ; or, pour un parcours de 120 kilomètres, la vitesse doit être la suivante, et les haltes ainsi réparties :

12 kilom. en 1 heure (pas de halte).

22 ————— 2 ——— (1 halte).p. 140

32 ————— 3 ——— (2 haltes).

40 ————— 4 ——— (3 haltes).

45 ————— 5 ——— (4 haltes).

54 ————— 6——— (5 haltes).

60 ————— 7——— (6 haltes).26

En tout, une heure vingt minutes de repos, distribuée en six haltes.

On fera ensuite un repos de quatre ou cinq heures ; puis, on pourra refranchir 60 autres kilomètres en dix heures, avec cinq haltes de dix minutes chacune, de 12 en 12 kilomètres.

Jusque-là, nous nous sommes exclusivement occupé du fond du cheval examiné au pas et au trot. Il nous reste à déterminer la limite de ses moyens au galop, comme fond et comme vitesse. « Cette puissance, dit M. le général Bonie, dépasse de beaucoup l’idée générale que nous avons à ce sujet. Elle peut s’étendre jusqu’à la distance énorme de 5000 mètres. Seulement, il est de toute importance de connaître les principes indiquant la manière de ménager le train selon la distance, car si les chevaux sont malmenés, ils s’épuisent vite, surtout si le départ est trop rapide...

« Le tableau suivant indique les points où on peut changer de vitesse :

(La troupe court sur un terrain uni et ferme, et est supposée ne pas avoir encore travaillé de la journée.)

« Pour 1000 mètres et au-dessous, on peut se lancer très vite dès le départ.

« Pour :

1,500 mètres,

800 au galop ordinaire ;

700 à la charge.

2000 —

1,500 — —

500 —

2,500 —

2,200 — —

300 —

3000 —

Le parcours —

60 —

3,500 —

2,000 mètres au galop ordinaire.

« De 2000 à 3500 mètres, galop de 500 mètres par minute. Le train ne peut pas augmenter à l’arrivée.

« Pour 5000 mètres, galop ralenti sur tout le parcours. Pas de charge possible à l’arrivée.

« Après 1000 mètres de charge, il faut arrêter ou prendre le pas, parce que les poumons sont gorgés ; mais les muscles ont encore assez de vigueur pour agir. Il faudrait vingt à vingt-cinq minutes pour que la respiration revînt à l’état normal ; mais, après dix minutes de repos, p. 141on peut repartir et avoir encore assez de liberté de respiration pour parcourir 4 à 500 mètres à toute vitesse ou, si le galop ordinaire est suffisant, 12 à 1500 mètres, puisque la charge exige une triple dépense de force... »

Quant à l’influence du poids porté par le cheval, elle est considérable :

Lorsque le cheval n’est pas trop poussé dans ses allures, la charge n’agit pas sensiblement sur sa vitesse ; mais elle augmente considérablement la fatigue et, par conséquent, épuise le fond. En voici la preuve : Après un certain nombre de kilomètres au trot, les respirations s’élèvent, pour les chevaux non chargés, à 60 par minute en moyenne ; pour les mêmes animaux chargés, elles montent à 74. Il s’ensuit que les kilomètres de trot ont autant essoufflé les chevaux chargés qu’un parcours au galop.

« En présence d’une pareille diminution de fond, conclut M. le général Bonie, l’hésitation n’est plus permise, et il faut débarrasser à tout prix nos chevaux de leur attirail en campagne... L’augmentation de puissance qui en résulterait est vraiment prodigieuse. Avec la charge de campagne, un cheval au trot dépense autant de force qu’un cheval au galop non chargé. En le soulageant de cette différence de poids, on triple donc sa puissance27. »

1

Frederico Grisone, Ordini di cavalcare e modi di conoscere le nature de Cavalli, etc. 1565.

2

Le Nâceri, ou Traité complet d’hippologie et d’hippiatrie arabes, traduit de l’arabe par M. Perron, t. II, p. 96. Paris, 1859  .

3

Richard, loc. cit., 1880, p. 275 et suivantes.

4

Goubaux et Barrier, loc. cit., pp. 411 et 412.

5

Richard, loc. cit., p. 257.

6

Lecoq, loc. cit., p. 334  .

7

Colonel E. Duhousset, loc. cit., p. 63 et suivantes.

8

Capitaine Morris (depuis général), Essai sur l’extérieur du cheval, Paris, 1835.
Dans ce travail, l’auteur soutient la thèse que, chez tout cheval bien conformé, les rayons osseux des membres dirigés dans le même sens sont exactement parallèles entre eux : celui de l’épaule, par exemple, avec celui de la cuisse ; celui de l’avant-bras avec celui du canon postérieur, etc. D’où sa théorie du parallélisme des rayons, qui a pour corollaire forcé la similitude des angles formés aux points d’intersection des rayons osseux prolongés, et d’après laquelle il a construit le cheval type reproduit en tête de son livre.

9

G. Neumann, Des aplombs chez le cheval, in Journal des vétérinaires militaires, t. VIII, p. 352.

10

Alexis Lemoigne, Recherches sur la mécanique animale du cheval, in Recueil de médecine vétérinaire. 1877, pp. 81 et 208.  

11

Goubaux et Barrier, loc. cit., pp. 437 et suivantes.

12

Goubaux et Barrier, loc. cit., pp. 449 et 450.

13

Goubaux et Barrier, loc. cit., p. 457.

14

Goubaux et Barrier, loc. cit., p. 467.

15

L. Moll et E. Gayot, La Connaissance générale du cheval, p. 323.

16

J. Magne, Races chevalines, 3e édition, p. 351.

17

Goubaux et Barrier, loc. cit., pp. 466 et suivantes.

18

A. Sanson, Traité de Zootechnie, t. III, 2e édition, p. 255.

19

Comte de La Gondie, Le Cheval et son cavalier. Paris, 1884, p. 15.

20

Goubaux et Barrier, loc. cit., p. 480.

21

De Curnieu, loc. cit., 3e partie, p. 82.De Curnieu, Leçons de Science hippique générale, Paris, J. Dumaine, t. III, 1860, p. 82.

22

Goubaux et Barrier, loc. cit., pp. 485 et 486.

23

T. Bonie, Fond et vitesse d’une troupe de cavalerie en campagne. Paris, 1872, p. 35.  

24

Une troupe en marche étant nécessairement composée de chevaux de vitesse et de fond différents peut, jusqu’à un certain point, être assimilée à tout cheval de résistance et de train moyens.

25

L’essoufflement et le défaut de forger sont les meilleurs signes pratiques de la fatigue du cheval.

26

« Pour les trois parcours de 45, 54, 60 kilomètres, on peut, dit M. le général. Bonie, diminuer le nombre des haltes, et remplacer ce repos par des temps de pas, en diminution du trot. »

27

En comptant le cavalier déshabillé pour un poids de 65 kilogr., le cheval de troupe doit porter, y compris le harnachement, l’habillement, les armes, les vivres, les munitions, etc., un poids de 152 kilogr. qui, souvent augmenté de 10 kilogr. par la pluie, donne le total effrayant de 162 kilogrammes.