Sanson, Traité de zootechnie. Paris, 1878, t. III.
F. Lecoq, Traité de l’extérieur du cheval. Paris, 1870.

Chapitre XVIII
Du cheval en vente

Lorsqu’il s’agit d’acheter un cheval, les connaissances théoriques et pratiques les plus solides ne suffisent pas ; il faut encore connaître les procédés, les habitudes, les mille et une ruses des éleveurs et surtout des marchands.

Il faut bien se persuader, enfin, que la finesse et la dissimulation sont ici dans la nature des choses et que le meilleur connaisseur se laissera tromper s’il n’est pas initié aux procédés employés par les vendeurs pour donner plus d’apparence à leur marchandise.

L’examen de l’animal en vente peut être considéré, en somme, non seulement comme l’application des principes que nous venons de passer en revue, mais aussi comme la partie diplomatique de l’extérieur du cheval ; car l’acheteur, outre qu’il doit fermer l’oreille à de beaux discours et ne pas se laisser prendre aux pièges qu’on lui p. 253tend avec plus ou moins d’adresse, a le devoir, s’il est habile, de chercher à profiter des exagérations, des ruses de son adversaire, pour découvrir, deviner même le point faible de l’animal dont il veut faire l’acquisition.

On a dit, et non sans raison : Lorsqu’il s’agit de chevaux, l’Anglais regarde, l’Allemand médite, le Français pense à autre chose. Tâchons, dans ce cas particulier, d’être moins Français et un peu plus Anglais ; nous n’aurons qu’à nous en féliciter, et le pays tout entier avec nous.

C’est pour bien faire comprendre au lecteur combien il doit être impassible, entièrement à lui, pendant l’examen du cheval en vente, que nous avons écrit ce chapitre. Les achats se faisant, en règle générale, au marché, en foire ou chez le marchand, nous devons dire un mot de la marche à suivre dans chacune de ces circonstances.

A. — Examen du cheval en foire ou sur le marché.

Au milieu du tohu-bohu d’une foire ou d’un marché, le mieux à faire, lorsqu’on a découvert un cheval qui paraît répondre aux conditions qu’on recherche, est de le sortir du rang et de le conduire dans un endroit plus isolé, plus tranquille, afin de pouvoir l’examiner facilement. Dans le cas où la première impression est satisfaisante, on se livre à un examen plus sérieux, en ne s’arrêtant, toutefois, qu’aux régions importantes, qu’aux détails les plus essentiels. Puis on fait placer le cheval, et l’on opère par la suite en s’inspirant des quelques conseils qui suivent.

B. — Examen du cheval chez le marchand.

Comme l’acheteur peut prendre ici tout le temps qui lui est nécessaire, il doit voir l’animal à l’écurie, à la montre et en action.

1° Examen à l’écurie. — Il est toujours bon de commencer par voir le cheval à l’écurie. On peut ainsi juger immédiatement de son ensemble ; mais il est déjà indispensable d’être en garde contre l’illusion dépendant de la façon dont on l’a préparé et placé. Nul n’ignore, en effet, qu’à l’aide d’une nourriture appropriée, de pansages bien faits, d’un dressage particulier, d’une toilette artistement exécutée, le vendeur parvient à augmenter ou à diminuer le volume p. 254du ventre, à donner à l’animal un brillant et une élégance qu’il ne possède pas naturellement, etc. Tout le monde sait, d’autre part, que les marchands ne manquent jamais de présenter le cheval qu’ils mettent en vente de façon à donner plus d’apparence à sa taille ; c’est ainsi que l’animal, préalablement muni de fers antérieurs à branches très épaisses, est placé, le devant plus élevé que le derrière, au milieu de voisins plus ou moins déformés par le travail, qui le font ressortir davantage.

Il est bon également de ne pas chercher à apprécier le caractère ou la vivacité de l’animal à l’écurie ; car la seule présence du marchand et de ses aides derrière lui suffit pour le rendre docile s’il est méchant, et pour lui donner cette apparence de vivacité, cette vigueur factice résultant de la crainte dans laquelle il se trouve sans cesse de recevoir une de ces corrections qu’on ne lui a pas ménagées jusque-là.

En ce qui concerne l’examen du cheval dans le rang, en foire ou sur le marché, il va de soi que le mouvement, le bruit qui se font autour des animaux dans de pareils lieux, commandent plus que par tout ailleurs de ne pas voir dans leur agitation une manifestation de l’énergie dont on pourrait les supposer doués au premier abord.

Ce premier examen terminé, l’acheteur fait sortir le cheval qui lui plaît le mieux. Aussitôt alors, le marchand intervient sous un prétexte quelconque : pour retirer la couverture, donner un coup de brosse sur le corps, un coup de peigne à la crinière et à la queue, par exemple ; mais, en réalité, pour introduire dans l’anus le traditionnel morceau de gingembre, qui donne une apparence d’énergie au cheval. Si habilement que le tour soit fait, il suffit d’être prévenu ou d’avoir un peu d’expérience pour s’en apercevoir. Dans ce cas, le plus habile est de laisser faire la chose sans rien dire, tout en tenant compte, bien entendu, du résultat passager de cette manœuvre frauduleuse.

Puis, le cheval étant tourné dans sa stalle, on observe la façon dont il se laisse aborder et bridonner, dont il recule et se retourne. Enfin, avant de le sortir, on l’arrête sur le pas de la porte de l’écurie pour procéder à l’examen des yeux, d’après les principes que nous avons déjà indiqués (Voy. IIe partie, œil). On peut, en même temps, voir les pieds, les naseaux, les ganglions de l’auge, l’âge et les aplombs.

À ce propos, nous croyons utile de reproduire les lignes suivantes p. 255de M. Gayot1 : « Beaucoup veulent paraître habiles, dit-il ; sur une assurance très formelle du vendeur ou de quelqu’un des siens, craignant de paraître moins connaisseurs qu’ils voudraient, ils s’en laissent imposer et ne voient qu’à demi, là où il faudrait voir avec une extrême attention et plutôt deux fois qu’une. Ceci est grave pourtant. Arrière toute fausse honte ; celui-là seul qui regarde bien peut voir juste et juger sainement ; on le tient en plus haute estime que ceux qui se troublent et font semblant d’avoir vu avant d’avoir pris le temps de regarder. »

2° Examen à la montre. — Une fois le cheval dehors, l’acheteur doit exiger qu’il soit complètement nu. Point de harnais, point de genouillères, point de flanelle enroulée autour de l’extrémité inférieure des membres, point de couverture, enfin. « Cette mèche est éventée, dit Gayot. On n’ignore pas que, tranchant par la couleur avec celle de la robe du cheval, la couverture coupe la longueur du corps et le raccourcit à l’œil. »

Le cheval est nécessairement montré de façon à faire valoir sa taille, sur un point un peu élevé et toujours contre un mur ; ses proportions en ressortent alors plus grandes, plus hautes. Là encore, il faut tenir compte de ce fait, mais passer outre et faire placer l’animal, ses pieds antérieurs et ses pieds postérieurs sur la même ligne transversale.

On peut ainsi l’examiner sous le rapport des aplombs, de l’ensemble et des détails, en le considérant successivement de front et de profil. Ce coup d’œil est donné à quatre ou cinq pas, en faisant lentement le tour du sujet.

Pour juger de l’ensemble, on envisagera la hauteur, la longueur, la finesse, la race, le sang, et surtout le développement relatif du dessus et du dessous, c’est-à-dire l’harmonie de l’ensemble, sans laquelle il n’est pas de bon cheval.

Pour juger des détails, on commencera par les membres, pour finir par le tronc ; car « ... la chose essentielle est la solidité et la bonne disposition des organes moteurs, sans lesquelles le générateur ne peut pas être utilisé, la puissance expansive de la vapeur ne valant que par ses organes de travail externe »2.

Les membres seront donc examinés avec grand soin, rayon par p. 256rayon, surtout à leur extrémité inférieure, où l’intégrité du sabot, des articulations et des tendons est d’une si grande importance. À propos des cordes tendineuses, il est indispensable de savoir que les marchands excellent à dissimuler, en taillant les crins obliquement au dessous du genou, le défaut qui constitue ce qu’on appelle le tendon failli (Voy. IIe partie, aplombs).

3° Examen du cheval en action. — Il importe ensuite d’exercer le cheval sur un terrain dur ou pavé et de le faire conduire par une personne étrangère aux intérêts du vendeur. Dans tous les cas, on le verra d’abord tenu à la main, et l’on veillera à ce qu’il ne soit pas conduit trop court, de manière que la tête n’ayant pas de point d’appui, les allures de l’animal soient plus libres et laissent mieux voir les défectuosités qu’elles peuvent présenter. On exigera enfin du marchand qu’il s’abstienne de toute excitation étrangère.

Après avoir ainsi examiné le cheval successivement au pas et au trot, on le verra à l’essai, monté ou attelé, suivant le service auquel on le destine. Cette épreuve, outre qu’elle permet de constater la manière dont l’animal se laisse brider, revêtir de la selle, sangler, etc., fait voir le cheval soustrait à l’influence du marchand et de ses palefreniers, et, par conséquent, dépouillé de cette vigueur factice que lui inspirait la crainte ; car il est évident que, dans cette circonstance, l’acheteur doit, autant que possible, procéder lui-même à l’essai.

En même temps qu’il renseigne sur les aptitudes et le fond, l’examen du cheval en action, à l’essai surtout, permet également de se rendre compte de l’état de la respiration. Aussi, devra-t-on toujours, dès que l’animal sera arrêté après un exercice suffisant, écouter avec attention le bruit de sa respiration dans la région du larynx, pour voir s’il n’est pas corneur, et examiner les mouvements de ses flancs pour être certain qu’il n’est pas poussif (Voy. IIIe partie, respiration).

C. — Examen des chevaux appareillés.

Lorsqu’on visite des chevaux destinés à être appareillés par couples ou paires, il faut, indépendamment de l’examen détaillé de chacun d’eux, procéder à un examen d’ensemble. On place les deux chevaux côte à côte et l’on s’assure si leur taille, leur robe, leur conformation p. 257générale, sont semblables. D’un autre côté, on doit, autant que possible, appareiller des chevaux de même âge.

Puis, on passe à l’examen des allures, et c’est là surtout où il est nécessaire d’exiger un assemblage bien combiné.

« Il est rare, dit Lecoq3, que deux chevaux appareillés présentent les mêmes qualités. Presque toujours les marchands profitent d’une similitude de taille et de robe pour faire passer un cheval médiocre au moyen d’un meilleur, sur lequel ils cherchent de préférence à attirer l’attention de l’acheteur. »

Souvent même, on pourrait appliquer à ces prétendus chevaux appareillés la légende que Crafty met au bas d’un de ses charmants dessins : « Ne sont ni de même taille, ni de même modèle, encore moins de même train. Forment paire uniquement parce qu’ils sont deux »4.

Des manœuvres dolosives mises en pratique par les maquignons

En dehors des moyens plus ou moins frauduleux mis en pratique par les marchands pour faire illusion sur la qualité des animaux qu’ils exposent en vente, il existe un grand nombre de manœuvres absolument dolosives dont ne se font pas faute d’user certains maquignons de bas étage, et contre lesquelles nous devons mettre le lecteur en garde.

Généralement, aucune considération n’arrête ces marchands peu scrupuleux : quand ils ont un cheval à épaules froides, ils l’exercent longtemps avant de l’exposer en vente. Si leur intérêt y trouve son compte, ils adaptent une fausse queue au cheval qui n’a plus de crins. Lorsque l’animal jette par un des naseaux, ils introduisent une éponge dans la cavité nasale. Ils masquent les seimes et les éclats de corne à l’aide d’une application de gutta-percha ou d’une composition faite avec de la limaille de fer, du noir de fumée et de la térébenthine. Ils dissimulent les déformations du sabot résultant de la fourbure chronique par la râpe. Ils comblent le creux des salières, chez les chevaux âgés, à l’aide d’une insufflation d’air. Ils teignent les robes pour rendre les p. 258chevaux plus méconnaissables. Ils cachent les cicatrices des chevaux couronnés et celles produites par des vésicatoires, au moyen d’un enduit poisseux sur lequel sont artistement implantés des poils de l’animal. Si le cheval est atteint d’un rhumatisme qui le fait boiter, ils pratiquent une blessure sur la partie qui en est le siège et affirment que le cheval boite par accident. Sur les capelets anciens, ils excorient la peau pour faire croire que le cheval vient de se frotter. Ils rajeunissent les vieux chevaux en leur sciant les dents et en les contre-marquant. Ils recouvrent les suros, les molettes, etc., avec des bandes de flanelle, les genoux couronnés avec des genouillères. Ils redressent les oreilles pendantes avec une bonnette. Ils cachent les yeux malades avec des œillères. Ils maîtrisent les sujets difficiles ou méchants à l’aide d’un petit tord-nez fixé le long du montant de la bride ou du licol, etc., etc.

Ces fraudes ne constituent même pas les seules ressources du vrai maquignon : deviennent-elles inapplicables ou insuffisantes, vite il invente une bonne escroquerie, et le tour est joué !

C’est contre les manœuvres de cet autre genre que nous voulons maintenant prémunir le lecteur :

S’il nous est impossible de les reproduire toutes ici, chaque maquignon étant généralement possesseur d’un procédé à lui, nous pouvons au moins en signaler quelques-unes, très en faveur parmi les représentants du maquignonnage parisien.

Nous ferons, à ce propos, un emprunt au compte rendu de la séance du 9 juin 1884, de la Société de médecine vétérinaire pratique de Paris :

« Les procédés sont des plus variés. Toutefois, ils se rapprochent des procédés-types suivants :

« 1° Pierre, maquignon, fait à Paul, acheteur, un billet de vente, d’orthographe fantaisiste et à peu près ainsi conçu : Pierre reconnaît avoir vendu à Paul un cheval... pour le prix de... et qu’il lui vend en ou an toute garantie de vices rédhibitoires.

« En buvant la traditionnelle demi-bouteille de vin, Pierre redemande à Paul le billet de vente qu’il vient de lui remettre : il a oublié d’inscrire la date du contrat ou de donner son adresse. Paul rend le billet en toute confiance et, pendant que son attention est fortement occupée par un compère, Pierre ajoute les mots intentionnellement p. 259oubliés et, de plus, des s au mot an. De cette manière, un mauvais cheval vendu an garantie se trouve en réalité vendu sans garantie.

« Le plus souvent, Pierre se contente de terminer son billet de vente par les mots : « en toute garantie de maladies contagieuses », Alors, il ajoute, après coup, les trois derniers mots, ou bien il persuade à Paul que cette garantie, ainsi libellée, est applicable à tous les défauts et vices du cheval.

« 2° Le tour d’escroquerie le plus fréquent et qui réussit le mieux est celui-ci : Paul, acheteur crédule et peu fortuné, vient au marché muni d’une petite somme : 50, 100 et même 150 fr., avec l’intention d’acheter un cheval en rapport de valeur avec le prix dont il peut disposer. Pierre lui offre un bon cheval, mais d’une valeur de 300 à 400 fr. Il se contente de la petite somme qui lui sera remise à titre d’arrhes, et fera parfaitement crédit pour le reste. Au cabaret, Pierre rédige son billet de vente ; il reconnaît avoir vendu un cheval pour la somme de..., avoir reçu une somme de..., à titre d’arrhes, et il stipule que le restant du prix sera payable à livraison.

« Rentré sur le marché, Paul vient prendre livraison. Pierre ne consent plus le crédit et refuse de livrer. Il a pris des informations, il n’a pas confiance dans Paul ; bref, il exige le payement immédiat. Paul, ne pouvant payer, réclame les avantages du crédit promis ou la restitution des arrhes. Pierre ne veut ni livrer ni restituer. Paul quitte le marché absolument dépouillé et sans grande espérance, faute de fonds, de jamais pouvoir prendre livraison.

« …Cette escroquerie se commet à chaque marché et aux dépens de pauvres maraîchers, de marchands de quatre-saisons, de petits charbonniers, brocanteurs ou autres gens presque toujours illettrés.

« 3° Des chevaux amaurotiques, des chevaux trachéotomisés intentionnellement ou dans un but thérapeutique, sont vendus sur le marché à un prix peu élevé relativement à leur valeur, considérée abstraction faite du vice réel ou simulé dont ils sont atteints. Pour les chevaux portant un tube trachéal, ce tube est caché par une grelottière. Généralement, ces chevaux sont présentés et trottés tout harnachés, ce qui rend moins suspecte la fameuse grelottière.

p. 260« En rentrant du cabaret où, bien entendu, se conclut tout bon marché, Pierre tient à Paul un langage se rapprochant du suivant : « Décidément, vous êtes un trop brave homme ; ma conscience me reprocherait de vous tromper : le cheval est aveugle ; mais j’en ai là un autre qui fera admirablement votre affaire et que je vous donnerai en toute confiance, en ami, et au même prix. » Il va sans dire que le cheval proposé est une vieille rosse de la plus belle eau ; mais le malheureux Paul préfère encore cette transaction.

« Pour le cheval trachéotomisé, Pierre, au moment de la livraison, lève la grelottière et montre à Paul étonné l’orifice artificiel que porte l’animal au cou. Parfois facétieux, il dit au malheureux Paul : « Vous aurez là un bon cheval ; mais il vous faudra lui donner à manger par cette ouverture avec une cuillère. » Paul effrayé préfère perdre les 50 ou 100 fr. d’arrhes qu’il a déjà versés, ou bien il accepte un autre mauvais cheval placé à côté du premier et toujours prêt pour la circonstance.

« 4° Enfin, une autre manœuvre se pratique tout aussi couramment que les précédentes :

« Au moment de la livraison d’un cheval, un compère s’approche de l’acquéreur en évitant soigneusement, en apparence, d’être remarqué du vendeur ou de ses acolytes : « Monsieur, dit-il à Paul, j’aurais voulu vous avertir plus tôt ; malheureusement, je n’ai pu le faire : ces coquins vous ont vendu un cheval rétif, dangereux, qui vous tuera, vous et les vôtres.

« Inutile d’ajouter que Paul prend peur, abandonne un bon cheval et se fait enrosser par un mauvais cheval que Pierre lui échange...

« En général, le maquignon opère à peu près en toute sûreté. Il amène à chaque marché un cheval appelé maître d’école. Ce cheval doux, bien fait, est offert à un prix peu élevé, et le marché très vite conclu au cabaret. Lorsqu’il s’agit de livrer, le maquignon, aidé de compères, trouve toujours un moyen quelconque d’éluder la livraison. Il annonce alors le vice réel ou le plus souvent imaginaire de l’animal, offre de garder celui-ci et donne en échange un cheval vieux, plus ou moins usé, une rosse toujours tenue en réserve pour les besoins de la cause.

« Pour le cheval dit maître d’école, il est amené, à chaque marché p. 261et vendu un nombre indéfini de fois. Il est la cheville ouvrière du maquignon, son gagne-pain5.

« Souvent encore, au moment de rédiger le billet de garantie, le vendeur, doublé d’un compère qu’il a présenté comme son associé, feint un mal au bras ou à la main et prie ledit associé d’écrire et de signer le billet. Plus tard, si l’acheteur veut faire usage de cette pièce, le vendeur dit qu’il n’a jamais eu d’associé. Le nom de l’associé est, du reste, faux, et ce dernier absolument introuvable6. »

En ce qui concerne les procédés déloyaux mis en pratique par les maquignons pour empêcher les acheteurs d’exercer leurs droits dans les cas de vices rédhibitoires reconnus, ils sont non moins nombreux et non moins à craindre. Citons-en un au hasard, que nous empruntons à M. H. Bouley :

« ... Le 10 novembre dernier, M. M... a vendu à Journet un cheval, pour la valeur de 900 fr.

« M. Journet ayant fait visiter le cheval par M. Cabaret, médecin vétérinaire demeurant boulevard Masséna, n° 9, qui le reconnut et le certifia atteint de la pousse, le fit reconduire chez M. M..., par le sieur Plaurot, son charretier, le 16 novembre... M. M... (qui savait que le cheval devait être conduit à l’École d’Alfort s’il refusait de le reprendre) ne fit montre d’aucun refus, ni d’aucune protestation contre le fait sur lequel était basée la restitution dudit cheval ; il se contenta de dire à Plaurot qu’il devait le conduire dans l’auberge à côté, où il l’accompagna et Plaurot s’en alla avec la conviction que tout s’était arrangé de la manière la plus simple et la plus amiable, puisque, dans sa pensée, M. M... s’était livré du cheval, qu’il lui avait rendu, sans aucune discussion...

« Cependant, cette affaire n’était pas terminée comme M. Journet le pensait, car le 24 novembre, c’est-à-dire après l’expiration de la garantie, il recevait une assignation à comparaître le mardi suivant, devant le tribunal, pour s’entendre condamner : « À payer à M. M... fils, la somme de 900 fr. pour le prix d’un cheval à lui vendu et livré, depuis temps de droit, ainsi qu’il devait en être justifié....7. ».

p. 262En ayant l’air de reprendre le cheval sans difficulté, M. M... avait abusé de la naïveté de l’employé de M. Journet pour le détourner de conduire ce cheval à l’École d’Alfort, où il savait bien qu’on aurait tracé à cet employé la marche qu’il devait suivre pour que son patron fût mis en règle à l’égard de son vendeur.

Les manœuvres dolosives que nous venons de signaler, et d’autres encore, sont pratiquées sur une grande échelle, surtout à Paris, et réussissent à peu près toujours avec les gens illettrés et souvent même avec les personnes intelligentes, mais peu versées dans la connaissance du cheval et non initiées aux ruses des maquignons.

Pourtant, la loi est là pour protéger l’acheteur contre la mauvaise foi manifeste du vendeur ; mais, malgré cette protection, celui-ci est rarement l’objet d’un procès, soit en raison de son insolvabilité, soit parce que peu de personnes sont disposées à courir les chances d’un jugement plus ou moins long et coûteux.

Le seul moyen, pour l’acheteur, de ne pas se laisser tromper sur la qualité de l’animal mis en vente et de se mettre à l’abri d’escroqueries du genre de celles que nous venons de signaler, c’est de se faire accompagner par un vétérinaire ou, à son défaut, par toute autre personne qui, grâce à ses occupations spéciales, peut être à même de le guider.

1

E. Gayot, Achat du cheval. Paris, p. 155.  

2

A. Sanson, loc. cit., t. III, p. 179.

3

F. Lecoq, loc. cit., p. 533.

4

Crafty, Paris à cheval, 1884, p. 19.

5

Communication de M. A. Laquerrière, vétérinaire sanitaire du département de la Seine.

6

Communication de M. Recordon, vétérinaire à Corbeil (Seine-et-Oise).

7

Extrait d’un rapport de M. H. Bouley à MM. les présidents et juges composant le tribunal de commerce de la Seine (16 décembre 1871).